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Stéphane ANTONI, Olivier ORMIERE et Virginie BLANCHER, Le temps du rêve, tome 3 : Hermannsburg, Paris, Delcourt, 2014, 48 p.

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Juillet 1918. Alors que Clémenceau passe en revue les troupes australiennes, le lieutenant-colonel Stucker continue de mener la guerre au front avec son groupe de nettoyeurs de tranchée. Parmi eux, le soldat Freeman, un aborigène, qui compte bien attendre le "temps du rêve" de ses ancêtres. Mais Freeman, dont les pratiques sont réprouvées par le commandement, tout comme l'attitude de Stucker, passera le témoin à ce dernier...

Un dernier tome très dense pour cette série Le temps du rêve, un peu hors-norme dans la production de bandes dessinées liée au centenaire de la Grande Guerre. L'évocation des nouvelles tactiques alliées, combinant chars et avions, p.4-5, montre l'effort documentaire des auteurs. De même que la mise en scène des nettoyeurs de tranchée, comme dans le tome précédent. Plus originale est l'apparition de Marcel Mauss, qui vient discuter avec le soldat Freeman (!). Plus classique sans doute est l'évocation du problème du reclassement des anciens soldats, complètement transformés par la guerre. Ce qui est intéressant, c'est que les auteurs montrent par exemple le traitement dans les hôpitaux sur deux volets : celui répressif, inefficace, et celui plus à l'écoute des soldats et qui tente de les apaiser par d'autres moyens que les traitements de choc en vigueur à l'époque. LA BD ne s'arrête pas à l'armistice, heureusement : elle montre combien les semaines suivantes ont été tumultueuses. L'ambivalence des anciens combattants est incarnée par le capitaine Eliott, qui rejoint d'abord un groupe bolchevik des docks anglais (groupe qui lui-même méprise les travailleurs immigrés) avant de rejoindre une formation d'extrême-droite (dont le livre de chevet est Les Protocoles des Sages de Sion), puis ne trouvant aucun sens à ces combats, Eliott décide de partir se battre contre les bolcheviks de Russie. Stucker lui-même finit à Hermannsburg, là où tout a commencé, avec une conclusion peut-être un peu expédiée. Néanmoins, c'est vraiment une série qui vaut le détour, à recommander.





Volontaires étrangers de l'insurrection syrienne. 8/Les Allemands

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L'Allemagne, contrairement à la France ou au Royaume-Uni au sein de l'UE, s'est opposée à l'envoi d'une aide militaire ou à une intervention directe pour renverser Bachar el-Assad. Ce qui n'a pas empêché un nombre croissant d'Allemands de rejoindre le djihad en Syrie1. Les médias allemands parlent d'ailleurs depuis quelques mois d'un véritable « camp d'entraînement » allemand en Syrie destiné à attirer les volontaires pratiquant la langue de Goethe. Le phénomène n'est pas nouveau. En 2009, un camp « allemand » s'était ainsi installé au Pakistan pour alimenter le Mouvement Islamique d'Ouzbékistan lié à al-Qaïda. En 2012, le renseignement allemand évoque une véritable « colonie salafiste » allemande en Egypte, comprenant plus de 60 combattants, dont le fameux rappeur Denis Cuspert (« Deso Dogg ») qui avait échappé à la surveillance des services de sécurité allemands et qui combat maintenant en Syrie. A la mi-novembre, la police allemande indique d'ailleurs que « Deso Dogg » compte mener des attaques contre l'Allemagne, ce que celui-ci dément aussitôt dans une vidéo. Des rumeurs font état de son décès à la fin novembre 2013 mais il semblerait plutôt qu'il soit hospitalisé en Syrie ou bien en Turquie.



Les Allemands, selon un spécialiste, ne se trouvent pas en majorité dans le front al-Nosra et l'EIIL, qui, victimes de « l'espionnite », se méfient par exemple des nouveaux convertis comme « Deso Dogg ». Les services de sécurité allemands avaient déjà été mis sur la sellette dès 2012 par le New York Times qui affirmait qu'un Tunisien qui aurait peut-être servi de garde du corps à Ben Laden, un an avant les attentats du 11 septembre, avait tranquillement vécu en Allemagne pendant un certain temps. Sami A., du fait de son expérience et de son entraînement dans les camps d'Affghanistan, aurait constitué une source d'afflux de volontaires pour le djihad. Une estimation, en décembre 2013, fait état de 230 Allemands, selon l'hypothèse haute, qui seraient partis en Syrie. En mars, le nombre n'était que de 60, avant de passer à 150 en août. Le länder de Hesse a dû installer un dispositif spécial de surveillance pour freiner les départs d'adolescents vers le djihad syrien. Sur 23 cas étudiés, la plupart des recrues ont moins de 25 ans et 9 sont encore à l'école. Le ministre de l'Intérieur a donc créé un dispositif pour différencier les tendances radicales parmi les candidats au départ, sur le modèle de ce qui a été fait pour les mouvements néonazis ou d'extrême-droite.

Des combattants allemands auraient aussi participé à des massacres de chrétiens syriens. L'Allemagne craint que le retour de ces combattants ne radicalise la frange salafiste et la tension est vive avec la Turquie, accusée d'avoir maintenue une frontière poreuse avec la Syrie et d'avoir favorisé l'accès des volontaires européens au champ de bataille syrien. En janvier 2014, les services de sécurité allemands estiment que 270 personnes sont déjà parties se battre en Syrie, certaines étant revenues en Allemagne. Le nombre, en augmentation depuis le second semestre 2013, comprend à la fois des hommes jeunes entre 18 et 25 ans mais aussi des mineurs et des femmes. Une quinzaine d'Allemands aurait déjà trouvé la mort en Syrie2.

Philip B. alias Abou Ousama, un djihadiste allemand qui intervient dans une vidéo de fin novembre 2013. Agé de 26 ans, il était livreur de pizzas à Dinslaken, une ville de Rhénanie du Nord/Westphalie où le recrutement est particulièrement important.


En novembre 2013, Burak Karan, un ancien joueur allemand de l'équipe nationale des moins de 17 ans, d'origine turque, est déclaré mort en Syrie, tué lors d'un raid aérien sur Azaz, à la frontière turque, le 11 octobre précédent. Karan avait commencé à évoluer dans l'équipe des moins de 17 ans en 2003, après avoir débuté dans l'équipe de Wuppertal à l'ouest du pays. Il met fin à sa carrière prometteuse en 2008, à 20 ans. Il tombe sous l'influence d'un islamiste, Emrah Erdogan, qui tente de l'emmener en Afghanistan avec lui-même et son frère. Ce dernier est tué par une frappe de drone américain en octobre 2010 ; Emrah, qui reste dans la zone frontalière avec le Pakistan jusqu'en janvier 2011, part rejoindre les Shebab en Somalie en février, est arrêté en Tanzanie en juin 2012 puis extradé en Allemagne. Burak contacte, en 2011, Mohamed Mahmoud, imam de la mosquée de Solingen et leader du groupe Millatu Ibrahim interdit par les autorités à la mi-2012. Mahmoud a depuis été emprisonné en Turquie en essayant de rejoindre la Syrie. Burak Karan part en Syrie avec sa femme et ses deux enfants, début 2013, soi-disant pour aider à distribuer de l'aide humanitaire ; mais une photo publiée par un groupe armé syrien le 22 octobre 2013 le montre avec une AK-47 à la main et lui donne le pseudonyme de Abou Abdullah al-Turki3.


Burak Karan.-Source : http://www.hurriyet.com.tr/_np/5211/22185211.jpg


En février 2014, une vidéo confirme que Deso Dogg, alias Abu Talha al-Almani, a survécu à ses blessures, reçues en novembre 2013 après un raid aérien dans le nord de la Syrie. Denis Cuspert, de son vrai nom, né en 1975 à Berlin, avait abandonné le rap en 2010 pour se convertir en prêcheur islamique. Fin 2011, il se lie avec Mohamed Mahmoud, alias Abu Usama al-Gharib, un Autrichien d'origine égyptienne. Ce dernier, condamné à la prison en 2008, dirige une plate-forme de propagande djihadiste. Il avait quitté l'Autriche pour Berlin après sa sortie de prison en septembre 2011. Avec Cuspert, il gagne le land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie où ils fondent une association salafiste, Millatu Ibrahim. En juin 2012, les autorités allemandes interdisent l'association après des affrontements entre salafistes et policiers à Bonn, qui font deux blessés parmi ces derniers. Cuspert, qui prend alors le nom de guerre de Abu Talha al-Almani, quitte l'Allemagne. Il gagne la Syrie à l'été 2013, mais dans ses vidéos de propagande, comme celle de novembre 2013, il ne prêche pas pour un retour en Allemagne afin d'y prolonger le djihad ; son but est d'encourager des Allemands à venir se battre en Syrie. En février 2014, on le voit distribuer des vêtements d'hiver à des enfants dans les zones contrôlées par les rebelles ; les dons viennent d'Allemagne et les vêtements ont été fournis par le front al-Nosra. Les autorités allemandes estiment alors qu'au moins 270 personnes sont impliquées, depuis 2011, dans le djihad en Syrie4.

Selon les autorités allemandes, les volontaires bénéficient d'un important soutien financier de la communauté musulmane. Des milliers d'euros sont collectés par donation. Un camp d'entraînement pour les volontaires allemands a été établi dans le nord de la Syrie, et accueille des Allemands qui viennent surtout du land de Rhénanie du Nord-Westphalie (où vit un tiers de la communauté musulmane germanique). D'autres viennent de la Hesse, de Berlin, de Bavière et de Hambourg. Un centre d'information aurait même été bâti sur place pour diffuser de la propagande pour le djihad en Allemagne5. Les volontaires seraient recrutés par les prêches des imams radicaux et par sollicitation sur Internet6.

Certains indices laissent penser que les Allemands partis en Syrie servent ensemble dans certaines formations. Philip Berger, un converti, et Mustafa K., viennent de Lohberg, un quartier de la ville de Dinslaken, dans l'ouest de l'Allemagne. Pas moins de 7 jeunes gens de ce quartier sont partis faire le djihad en Syrie, où il forment la « brigade de Lohberg »7. Le 22 avril 2014, Deso Dogg est donné pour mort après un double attentat-suicide du front al-Nosra contre l'EIIL dans l'est de la Syrie8. Mais l'ancien rappeur allemand a survécu : après avoir prêté allégeance à l'Etat Islamique, il apparaît dans de nombreuses vidéos et documents de propagande de cette organisation.

David G., alias Abou Dawoud al-Amani, 19 ans, originaire de Kempten, en lien avec le groupe de Dinslaken. Membre de l'EIIL, tué lors de combats entre le groupe et d'autres rebelles syriens.


En août 2014, Philip Bergner, un Allemand originaire de Dinslaken en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, jette son véhicule kamikaze sur un poste kurde en Irak, tuant au moins 20 personnes. C'est l'un des premiers kamikazes allemands de l'Etat Islamique. Selon les services de renseignement allemand, en janvier 2015, plus de 600 nationaux sont partis se battre en Irak et en Syrie. 60 y auraient déjà trouvé la mort9 et 180 seraient revenus en Allemagne. Pour Daniel H. Heinke et Jan Raudszus, auteur d'un article sur les combattants allemands10, il y a une continuité entre les réseaux historiques du djihad allemand et le conflit syrien/irakien. La maison multiculturelle, une communauté de Neu-Ulm dans le sud du pays, a convoyé des combattants en Bosnie et en Tchétchénie. L'un de ses membres les plus éminents, Reda Seyam, qui s'est installé à Berlin, à continuer à le faire pour la Syrie, avant de rejoindre lui-même le pays en 2014 et d'occuper des responsabilités au sein de l'EI à Mossoul. Il aurait été tué en Irak par une frappe aérienne américaine en décembre 2014.

Le recrutement en Allemagne s'est intensifié depuis 2013, en particulier autour de l'organisation radicale Millatu Ibrahim, qui a fourni le noyau des djihadistes allemands en Syrie. Les djihadistes allemands présents sur place sont utilisés par l'Etat Islamique pour sa propagande : non seulement la figure de Cuspert, mais aussi pour la traduction de Dabiq, la revue de l'EI, en allemand (premier numéro), et pour d'autres documents des médias al-Hayat et al-Ghurb. La majorité des Allemands rejoint l'EI, ce qui est logique car les candidats au départ sont les plus radicaux et le groupe concentre un certain nombre d'Allemands, qui aurait créé à l'été 2014 leur propre brigade.

Les services de renseignement allemands ont pu étudier le profil de 378 Allemands sur les 600 au moins qui sont partis. 89% sont des hommes. L'âge moyen est de 26,5 ans et les deux tiers ont moins de cet âge. Les deux tiers également sont nés et ont grandi en Allemagne. Les femmes qui partent sont en général plus jeunes et il s'agit souvent de converties. Dans le contingent allemand on trouve aussi quelques familles qui ont accompagné les combattants. Le niveau d'éducation est moins élevé que la moyenne nationale. Fait intéressant, 249 des 378 combattants ont commis des actes délinquants avant leur radicalisation. Les convertis, qui intéressant tant les médias, ne constituent que 18% du groupe. Surtout, 72% des combattants avaient des liens avec le salafisme avant leur départ. La radicalisation, dans le cas allemand, se fait par des contacts sociaux plutôt que par Internet. Sur les 128 dont on connaît le processus de radicalisation, moins de la moitié se sont radicalisés en moins d'une année. Le processus est donc assez long même s'il a eu tendance à reculer depuis l'an dernier. La moitié des Allemands revenus en Syrie est encore active sur la scène radicale dans le pays.

Ismail Cetinkaya s'engage dans la radicalisation à Hambourg. Il est le fils de Turcs originaires de Mardin, à la frontière syrienne11. Agé de 33 ans, il parle parfaitement l'arabe et dirige un cercle d'arts martiaux. Il a affronté lors d'un tournoi Deso Dogg à Berlin, en mars 2010, mais n'a aucune considération pour l'ancien rappeur passé à l'Etat Islamique. Mais la propagande marche, comme pour Kreshnik B., fils d'une famille originaire du Kosovo, joueur dans un club juif de Francfort, parti combattre en Syrie et arrêté à son retour en Allemagne. Ou comme pour David G., de l'Allgau dans le sud de l'Allemagne, parti à 18 ans après avoir quitté son apprentissage et qui a été tué en Syrie. Converti à 16 ans, il avait suivi l'exemple de son ami Mustapha K., parti en Syrie avant lui. Sa première tentative échoue à l'aéroport de Munich, ses parents ayant pris les devants. Il prend ensuite le train pour la Serbie et la Hongrie, puis gagne la Bulgarie et la Turquie par ses propres moyens.

Dans le contingent allemand, on trouve maintenant une centaine de femmes, dont la moitié sont parties à l'été 201412. La majorité ont entre 16 et 27 ans : elles viennent de tous le pays, du lac de Constance, des Alpes, des bords du Rhin, de la Ruhr, de Brême, de Hambourg, de Augsbourg, comme Fatma B., 17 ans. Avec sa soeur aînée Amine, elle se laisse entraîner par un des radicaux de la ville, commence à porter le voile. Elle veut épouser un jeune Marocain de 16 ans rencontré sur Internet. Elle part en décembre 2013. Le père de Fatma part un mois plus tard avec Amine et retrouve la trace de Fatma dans un village près de Lattaquié, dans la « maison allemande », une place sûre où nombre d'Allemands sont réorientés ensuite vers le reste de la Syrie. Il parvient à la ramener. Deux soeurs de la Ruhr arrêtées en novembre 2014 à l'aéroport de Düsseldorf, après que leur famille ait prévenu la police, menacent leurs parents de mort après avoir été appréhendées. Jenny S., 17 ans, a fréquenté une mosquée radicale de Brême, Masjidu-I-Furqan, avant de partir en Syrie. Sarah O., 15 ans, est partie suivre l'enseignement d'une école islamique algérienne avant de gagner la Syrie. Samra K. (16 ans) et Sabina S. (15 ans) ont écouté les prêches radicales de Mirsad O. à Vienne.

Les Allemandes déjà arrivées en Syrie font de la propagande pour attirer de nouvelles recrues. Un blog tenue par l'une d'entre elles, au pseudonyme de Muhajira, met évidemment en avant les aspects uniquement positifs et alléchants de la vie sur place. Les services de renseignement craignent le retour de ces femmes radicalisées, candidates idéales pour des attentats notamment suicides. Karolina R., de la région de Bonn, a rejoint la Syrie avec son mari et leur enfant de 7 mois en mai 2013. Ayant rejoint depuis l'Etat Islamique, elle a été arrêtée et jugé à son retour en Allemagne. Andrea B., de la ville d'Immenstad en Bavière, se convertit à l'islam en 2012, quitte son conjoint avec lequel elle avait eu deux enfants. Début 2014, elle emmène ses deux filles (3 et 7 ans) en Syrie pour devenir l'épouse d'un combattant du front al-Nosra. Elle est également arrêtée à son retour en mai 2014. La sociologue Berna Kurmaz, qui travaille sur les cas de Brême, explique que ces jeunes femmes ont souvent des problèmes familiaux et se sentent rejetées par la société, incomprises. Une fois sur place, elles sont tenues en dehors de la réalité brutale du conflit. Plusieurs femmes, dont les maris ont été tués, sont laissées à leur sort en Syrie, faute de mieux.


1Benjamin Weinthal, « The German jihadists' colony in Syria », The Long War Journal, 19 décembre 2013.
4 John Rosenthal, « German rapper, now jihadist still alive in Syria », Al-Monitor, 21 février 2014.
5 Fin juillet 2013, le site Shamcenter est lancé en 5 langues différentes, dont l'allemand : http://www.spiegel.de/international/germany/german-camp-collection-point-for-german-jihadists-in-syria-a-929026.html
6Foreign fighters from Western countries in the ranks of the rebel organizations affiliated with Al-Qaeda and the global jihad in Syria, Meir Amit Intelligence and Terrorism Information Center, 3 février 2014.
10Daniel H. Heinke et Jan Raudszus, « German Foreign Fighters in Syria and Iraq », CTC Sentinel Vol 8 Issue 1, janvier 2015, p.18-21.

Les carnets de l'aspirant Laby. Médecin dans les tranchées 28 juillet 1914-14 juillet 1919, Pluriel, Paris, Hachette, 2003, 360 p.

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Ce document est un témoignage assez exceptionnel sur la Grande Guerre vue du côté français. Les médecins ont en effet rarement écrit, comme le rappelle l'historien Stéphane Audoin-Rouzeau dans la préface de cette réédition des carnets de Lucien Laby.

Ce dernier, âgé de 22 ans, est plutôt issu d'un milieu bourgeois, probablement assez nationaliste, installé dans la Somme. Il est élève à l'Ecole du Service de Santé Militaire de Lyon à la mobilisation. Il est versé dans la 56ème division d'infanterie de réserve, avec le grade d'aspirant, comme médecin auxiliaire avec les brancardiers divisionnaires. Engagé en Lorraine, il connaît la retraite française et même un épisode de captivité où il craint fortement pour sa vie. L'Allemand pilleur, violeur, massacreur : on retrouve nombre de stéréotypes, en partie justifiés lors de l'entrée en France de l'armée allemande durant ces mois d'été 1914. Le moral du médecin, chancelant, remonte au moment de la bataille de la Marne ; Laby combat ensuite sur l'Aisne et reste dans la Somme jusqu'en 1915.

Fin avril 1915, il est affecté à sa demande dans l'infanterie, au 294è régiment, comme médecin de bataillon. Il s'occupe des premiers soins et des évacuations vers l'arrière et ce jusqu'en 1917. Il participe aux grandes offensives françaises du conflit : Champagne 1915, Verdun 1916, Somme 1916, Chemin des Dames 1917. Les mutineries le laissent perplexe, critique même, tout comme il l'avait été des premiers fusillés en 1914, qui d'après lui méritaient bien leur sort. En juillet puis octobre 1917, il passe sous-aide major puis dans une planque, comme il le reconnaît lui-même, une ambulance chirurgicale mobile. Il travaille désormais à l'arrière, près de Belfort. Au moment de retourner dans l'infanterie, en mai 1918, il attrape la grippe espagnole, qui le met hors-jeu jusqu'en octobre. La fin de la guerre prend un air de fête, avec l'entrée dans Mulhouse puis Strasbourg. Il retourne à l'école de Lyon en janvier 1919, et termine son carnet sur le défilé du 14 juillet de la même année.

Ce carnet n'a pas été retouché : Laby a consigné ses impressions à partir du 28 juillet 1914, agrémenté de dessins (auquel il tient beaucoup). Le carnet, écrit parfois en pleine action (souvent sous les obus), cherche manifestement à montrer la violence des combats, non la banalité du quotidien. C'est un exutoire et aussi, régulièrement, un exercice d'autocritique. Le carnet de Laby se rapproche de nombreux témoignages de la Grande Guerre :  l'auteur fait montre d'un patriotisme enthousiaste en 1914, qui dure au moins jusqu'en 1916. Pour preuve, la demande à être versé dans un régiment d'infanterie en 1915, ou celle de prendre la tête de la compagnie à Verdun. Corollaire : la haine de l'ennemi, fantasmé, mais Laby a également été témoin des ravages provoqués par l'entrée de l'armée allemande en France. En novembre 1914, il s'organise pour réaliser son rêve : tirer au Lebel et au pistolet sur les "Boches" depuis la tranchée dans l'espoir d'en tuer quelques-uns. Laby ne s'émeut pas, durant l'offensive de Champagne, des corps allemands empilés et décomposés, de ceux déchiquetés par les obus, ou de cet Allemand blessé au ventre qui meurt parce que les brancardiers lui ont donné du chocolat (!). Des sentiments plus humains se font jour néanmoins en 1917. Pourtant, dès 1916, le patriotisme de Laby faiblit, pour s'atténuer presque complètement dès avant l'offensive du Chemin des Dames. Comme beaucoup d'autres, il y a une sorte de ras-le-bol, qui ne verse pas jusque dans la mutinerie. Ce qui explique le choix de la planque en octobre 1917. Pourtant Laby n'hésite pas à vouloir retourner au feu en 1918, et la fin de la guerre est marquée par une bouffée patriotique : la victoire justifie les sacrifices énormes du fantassin français.

Paradoxalement, les médecins ont peu écrit. Selon l'historien, c'est aussi qu'ils connaissent une crise d'identité. Normalement privés de combat, les médecins et brancardiers se révoltent contre cette situation, comme Laby qui ne rêve que de son baptême du feu. A Verdun encore, il fait le coup de feu avec les blessés légers. Ce besoin de reconnaissance est satisfait par des citations, à défaut de médaille, ardemment convoitée par Laby. La médaille militaire n'arrive qu'en 1918, bien trop tard pour lui. La fierté est là néanmoins. L'originalité du carnet de Laby, c'est la description sans fard de la violence des combats. La description des corps sur le champ de bataille, par exemple. Pendant l'offensive de Champagne, il évoque ces mitrailleurs allemands égorgés par les premiers fantassins français qui ont nettoyé un blockhaus. En avril 1917, il parle sans dénoncer les Allemands d'une vingtaine de prisonniers français executés derrière les lignes. Il dépeint souvent les horribles blessures, mutilations, éviscerations provoquées par les obus d'artillerie. Cette froideur de la description médicale n'empêche pas le sentiment, ainsi en mai 1916 quand on lui amène son meilleur ami, un capitaine, gravement blessé. Laby décrit aussi les cas de commotion, de "battle fatigue", que les médecins français ont alors bien du ma à diagnostiquer : lui-même parle de folie plutôt qu'autre chose. Au point de vue médical, on constate d'après son témoignage, dès 1914, la difficulté à évacuer les blessés, en particuier en plein jour. Chaque attaque provoque un engorgement, à tel point que les brancardiers trient les blessés qu'ils transportent. Le poste de secours est un abri précaire, où les opérations se succèdent au milieu des cris et des obus. Les conditions d'hygiène sont déplorables. L'évacuation vers l'arrière n'est pas forcément meilleure. On comprend dans ces conditions qu'un nombre important de blessés soient morts après avoir reçu leur blessure.

Laby se fait aussi le relais de certaines rumeurs folles (comme celle voulant que les Allemands aient stocké des obus dans des carrières de l'Aisne avant la guerre). Dès février 1916, au moment de la bataille de Verdun, il souhaite la "bonne blessure" qui lui épargnerait l'enfer des tranchées. Il a côtoyé la mort au plus près. Pourtant, le témoignage ne sembe peut-être pas exceptionnel que le prétend S. Audoin-Rouzeau, même si la première phase de la guerre pour Laby semble bien correspondre à la crise d'identité des personnels de santé qu'il décrit dans la préface. Il critique la hiérarchie, ou les artilleurs tirant des obus de 75 trop court qui entraînent de nombreuses pertes côté français (bagarre avec les artilleurs en mai 1916), mais il recherche toujours la reconnaissance et les médailles. Il cède aussi facilement à la légende des soldats poltrons du Midi (qu'il évoque plusieurs fois, notamment lors d'un cas de suicide), même si son opinion se modifie dans une autre date du carnet. En somme, le témoignage serait plus représentatif qu'exceptionnel de l'état d'esprit régnant dans les tranchées.


L'épopée dans l'ombre (Shake Hands with the Devil) de Michael Anderson (1959)

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1921, Dublin. Kerry O'Shea (Don Murray), un Irlandais qui a vécu aux Etats-Unis, est revenu dans le pays de ses parents pour suivre les cours du collège de chirurgie, alors même que les Irlandais luttent pour leur indépendance contre l'Angleterre. Kerry refuse de s'engager dans l'IRA malgré les instances pressantes de son camarade étudiant Paddy O'Nolan (Ray McAnally). Un soir, les deux camarades sont pris dans un échange de tirs entre un membre de l'IRA et les Black and Tans, qui blessent O'Nolan. Celui-ci fait appeler, une fois en sûreté, un de leurs professeurs, Sean Lenihan (James Cagney), qui s'avère être une des chevilles ouvrières de l'IRA. Kerry ayant abandonné un de ses cahiers avec son nom dans la rue, il doit désormais mener la vie d'un clandestin...

L'épopée dans l'ombre préfigure, par bien des côtés, un film comme Le vent se lève de Ken Loach (2006), qui semble fortement s'en inspirer. Le réalisateur, Michael Anderson, a lui-même joué dans un film de guerre, In Which We Serve, sur la Royal Navy, pendant la Seconde Guerre mondiale (1942). Il réalisera plus tard d'autres films sur la Seconde Guerre mondale : Les briseurs de barrage (1955) et dix ans plus tard, Opération Crossbow.



Pour L'épopée dans l'ombre, Anderson choisit un thème relativement difficile : la guerre d'indépendance irlandaise. Plus précisément, il met en scène, au travers de destins individuels, la guérilla urbaine et rurale orchestrée par l'IRA et la répression britannique incarnée par les Black and Tans, une force levée par Winston Churchill, alors ministre de la Guerre, pour épauler la police irlandaise au service des Britanniques, la Royal Irish Constabulary, désarçonnée par la guérilla. Leur surnom vient des pièces diverses d'uniformes que portaient ces paramilitaires, qui comptaient de nombreux vétérans britanniques de la Grande Guerre. Les Black and Tans se signalent par des exactions contre les civils irlandais et leurs biens.



C'est dans cet affrontement sans merci qu'est jeté le personnage principal, Don Murray, un Irlandais d'origine américaine qui a connu les tranchées en France. Et qui refuse de s'engager au début, alors que le film commence sur une scène de faux enterrement (l'IRA cache des armes dans un cercueil) démasqué par les Black and Tans, alors qu'O'Shea se recueille sur la tombe de ses parents. Après l'incident avec son ami Nolan, la blessure de ce dernier se révélant fatale, O'Shea n'a d'autre choix que de suivre Lenihan, son professeur, dans la clandestinité. Il marche sur les traces de son père, qui a combattu lors du soulèvement de Pâques 1916.

Cagney, déjà en fin de carrière, campe à merveille le commandant de l'IRA, froid, implacable, qui s'est pris à aimer la guerre clandestine et qui n'est prêt à aucune concession, attendant la reddition totale des Britanniques. La scène où s'il oppose à son chef, le "général" (Michael Redgrave), à propos de la signature du traité qui va déchirer l'IRA et conduire à la guerre civile, en est l'illustration. Autre scène d'anthologie : celle où Cagney se tient, au seuil d'une porte à l'arrière-plan, son ombre se découpant dans la lumière entrant dans la pièce. Il tend une Bible à l'otage britannique qu'il a l'intention d'exécuter magré la signature du traité.

Anderson a un certain génie pour mettre en oeuvre les scènes d'action. Celle de l'embuscade où se retrouvent pris à partie les deux étudiants est déjà fine. Plus encore l'est celle où O'Shea, capturé par les Black & Tans, est interrogé par le colonel Smithson (Christopher Rhodes), dont on ne voit que le poing orné de bagues frappant le visage d'O'Shea, le spectateur voyant la scène à travers les yeux de ce dernier. Mais au final, Anderson renvoie dos à dos les excès des Black and Tans et ceux des jusqu'aux-boutistes de l'IRA, qui refuse le traité au nom d'une forme de guerre totale. L'ensemble est complété par de nombreux personnages secondaires tout à fait brillants parmi lesquels on remarque Richard Harris. En revanche, les personnages féminins, bien que poignants, sont en marge de l'intrigue, soit parce qu'ils ne peuvent se battre comme les hommes de l'IRA, soit qu'ils incarnent l'ennemi, comme l'otage britannique. Cela n'enlève rien à l'intérêt du film, particulièrement réussi.




Saraya al Khorasani : Khorasan's Brigades in Iraq

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The rapid collapse of a part of the regular divisions of the Iraqi army in June 2014, in the provinces of Nineveh, Kirkuk, Salahaddin and Anbar in particular, caused a strong mobilization among Iraqi Shiites, for the defense of the homeland and shia sanctuaries1. Saraya al Khorasani ("Brigades of Khorasan") is part of this vast body of Shiite militias in Iraq which has appeared for 6 months, but in reality, this group could have a longer history.

Indeed, in October 2013, Philip Smyth describes Sariyya Tali'a al-al-Khurasani, an Iraqi Shiite militia appeared in September/October on Facebook and which wants to defend the Syrian Shia sanctuary of Zaynab (classical argument to hide intervention in Syria2) while relaying the Iranian discourse. In addition to regularly discuss of Khamenei, the group has the particularity to post many pictures of his fighters next to the flag of the organization. The group's emblem takes the same emblems than the Iranian Pasdaran. The group commander is Ali al-Yasiri, that we see in some photos along with Sayyid Muhammed Jawad al-Madrasi, a Shiite cleric. Equipped with light weapons, the unit operates in Damascus and its neighborhoods ; it is a distinctive sign that his men often wear desert camouflage inspired from US models3. It seems that this group committed in Syria, which we do not know if it was like others powered by preexisting militias in Iraq, has been largely redeployed to Iraq before the surge of the Islamic State in June 2014. The brigades of Khorassan, in fact, have like other Iraqi Shiite militias, received government funding to better integrate the regular security apparatus4.

 

Saraya al-Khorasani has its own website5 and a Facebook page6. The Khorasani Brigade opened a YouTube channel just one month after the fall of Mosul in July 20147. The first videos, short, are compilations of photos showing the militia around Humvees, other vehicles or flags, or videos of the same type8. The first video a little longer, July 16, shows the group fightingh against IS9. Three days later, another video showing the dismantling of an IED of IS. A video shows July 21 militiamen kissing the Koran, in the Shiite tradition, before getting on the front. Armed Humvee with DshK, 12.7mm, open fire10. A video of 24 July comes back on defusing IED left by the IS11. In another video, July 26, militiamen fight with an M1 Abrams tank of Iraqi army12.






















Video of August 4, where there is again an M1 tank, tells us that the militia fight near Samarra, famous for its Shiite shrines attacked by al-Qaeda in Iraq in 200613. It shows the militiamen use a light mortar and the same Humvee with dark camouflage, DShK 12.7mm. A pick-up of IS appears to have been destroyed. The brigade has an official singer, Ali Mozhan14. On August 5, a video shows a convoy of the brigade mouting to the front of Amerli, surrounded by the IS. The convoy includes a Humvee with dark color and a ZU-23 towed gun15. August 9 appears the first video of the funeral procession for a "martyr" killed in combat16. On 14 August, a new video shows fighting in Tuz Khormato sector; we see a battery of mortars (with a 82 mm tube)17. Two days later, there is in another video the first technical armed with a Douchka in 12.7 mm18. The technical was soon joined by the dark Humvee equipped with the same machine gun. The militiamen celebrate the day of Qods, where military and religious leadership is present19. It also shows the militia leader in Syria, Ali Yasiri. The "martyrs" are featured in a video on 19 August. At the end of the month, the brigade is still trying to reach Amerli. In a video of 23 August, we see a fighter with a Sayad 2, Iranian copy of the anti-sniping rifle 12.7mm HS 50 from Steyr20. A video of August 28 shows a battery of light mortars in action, and a 12.7 mm machine gun firing from the top of a Humvee21. That same day, a towering column of militiamen, with the dark Humvee and towed gun of 23 mm, is preparing to enter Amerli22. The commander of the unit deployed in Tuz Khormatu, Juwad al-Husnawi, claims to have 800 fighters. Shia fighters quarrel with the Kurds in the village of Salam : a Shia is killed, and militiamen take 6 peshmerga in hostage23.













































After the liberation of Amerli, shown rather vaguely, militiamen film the slogans written on the IS panels24. Fighting continues in the town25. Dated September 10, videos still show the battle for Amerli with firing mortar of 120 mm and use of a recoilless gun26. In another video of operations against IS, we can still see mortars of 82 mm27. On September 12, we see a first dead body of IS fighter in a video, that the militia stuff strokes with foot28. Another video of the day honors a "martyr" of the brigade29.



















On October 10, a video of fighting30 shows a jeep equipped with a 106 mm recoilless gun, a 120 mm mortar and a tank of the Iraqi army in support of the militia. Oddly, the faces of the brigade of fighters are blurred, which is rare, as the enemy corpses. October 19, there is a funeral for a "martyr" of the brigade31.









On 29 November, a video shows the attack of the village of Jalula, in the province of Diyala32. The village was hit by a mortar and 120 mm and for the first time for this host, by one with a jeep equipped with a Type 63 rocket launcher. The militiamen approaching and then followed an exchange of gunfire during which the Shiites have at least one injured. The brigade then enters the town, which flies the flag of IS, soon down. A large number of militiamen are armed with RPG-7. The camera finally focuses on several bodies of IS fighters. Tensions remain high in Jalula between Shiite militiamen and Kurds who also participated in the liberation of the sector33.

























On December 6, a video is back on the liberation of Jalula34. Rockets go on the town. Dozens of militiamen are engaged. We can see several vehicles of IS destroyed in the streets of the city. On December 10, in a propaganda video, the emphasis is placed on the portrait of Khomeini onboard pickup ; again we see militia kissing the Koran before getting on front35. In a video of December 18, we can see a Mi-17 helicopter of the Iraqi army. There is also a close up of the shoulder patch of the brigade36. The flag is also highlighted. A video of 28 December highlights one of the leaders of the unit37.






















January 11, 2015, a video was posted on an operation in the village of Aziz38. We recognize Ali al-Yasiri, the head of the brigade. For this operation, in addition to light mortars and traditional Humvee, the brigade seems to have been reinforced by armored vehicles of the Iraqi army. Besides the traditional demining scene, we see that many militiamen are equipped with American light weapons (M-16, etc). On 28 January, a new video39 shows an interview with Ali Yasiri, which this time seems to have recovered (the crutches are gone). Another vidéo from January 3040 continues to show the fight for Aziz, apparently in late December 2014. Shiite militiamen destroyed a technical with a ZU-23 gun, twin-tube of 23 mm. The operation involves several dozen men at a minimum, and for the first time, we notice the presence of adolescents. The militias are backed by a bulldozer and a technical also armed with a 23 mm twin-tube. Again, Saraya al Khorasani seems to have an armored vehicle in the Iraqi army. Shiite flags accompany the fighters on the frontline.































Saraya al-Khorasani is an integral part of this nebula of Iraqi Shiite militias, more or less headed by Iran, which have been created to support the Syrian regime or following, more recently, the advance of IS in Iraq . This group appears to be related to the Pasdaran, as indicated by symbols and statements, more than Kataib al-Imam Ali I have studied last fall. In terms of equipment, however, the similarities are important : Soviet light weapons (AK-47, PK, RPG-7 ...), perhaps a lesser presence of American weapons (one video only where we see men equipped with M-16). Heavier armament is very similar : mortars (light or heavy, from 50 to 120 mm), light armored vehicles (Humvee armed with machine guns, Iranian Safir vehicle armed with a LRM Type 63, technicals), and still the anti-sniping rifle Sayad 2. Again, the militiamen are embedded with Iraqi army, as videos of August showed the presence of a M1 tank, while in November, armored vehicles support the assault on Jalula. Moreover, some Humvees of the brigade seem to have been provided by the Iraqi army. Geographically, Saraya al-Khorasani has limited scope (see map) : the group is before Samarra in August and combat Tuz Kuzmatu and Amerli until September before being redeployed to take Jalula in November-December. It remains in the provinces of Salahaddin (east) and Diyala, northeast / east of Baghdad.







La fabrique du héros : Abou Azrael, le champion de Kataib al-Imam Ali

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Alors que Kataib al-Imam Ali pleure l'un de ses commandants militaires, Abou Hassanein, Heidari, mort en « martyr » pendant l'offensive sur Tikrit, un autre combattant de la milice chiite devient de semaine en semaine une vitrine du groupe : Abou Azrael1.

Depuis quelques jours, les articles de presse de grands quotidiens occidentaux (comme le Daily Mail2) se multiplient à propos de ce personnage emblématique de la milice chiite irakienne Kataib al-Imam Ali, en première ligne de l'offensive pour reprendre Tikrit à l'Etat Islamique. Cette visibilité explique sans doute, d'ailleurs, l'intérêt que lui porte la presse. On apprend dans ces articles que « le père de l'ange de la mort » (traduction de son nom de guerre Abou Azrael) est un ancien professeur d'université de 40 ans, qui a quitté son travail en juin 2014 pour rejoindre cette milice nouvellement formée après la chute de Mossoul. Abou Azrael, un barbu au crâne chauve, pose fièrement sur une photo de Kataib al-Imam Ali avec un M4 dans une main et une hachette dans l'autre. Adepte des selfies et des courtes vidéos lui et ses camarades se reposant après les combats, Abou Azrael est également doté d'un certain sens de l'humour. On le voit ainsi se moquer des combattants de l'Etat Islamique en utilisant un talkie-walkie pris sur l'adversaire. Un certain nombre de mythes entoure donc déjà le personnage et sont repris par la presse occidentale : Abou Azrael serait le champion de taekwondo irakien (!), chose qui n'a jamais été confirmée. Il adore les lions : il apparaît sur une affiche avec cet animal et une photo le montre en train de photographier lui-même un lion en cage. Comme beaucoup de miliciens ou autres combattants irréguliers des conflits syrien ou irakien, Abou Azrael cherche en fait à faire partager sa vie de soldat sur les réseaux sociaux. D'ailleurs un spécialiste comme Phillip Smyth, qui travaille sur les combattants chiites en Syrie et en Irak, doute fortement du « background » universitaire d'Abou Azrael, soldat mis en avant par Kataib al-Imam Ali à des fins de propagande, en raison de son engagement intensif dans l'offensive sur Tikrit3.



L'analyse des documents produits par Kataib al-Imam Ali que j'ai menée depuis l'été 2014 montre qu'effectivement, Abou Azrael apparaît de bonne heure dans les vidéos du groupe, en particulier, où son intervention est récurrente. Abou Azrael est visible dès la deuxième vidéo mise en ligne par Kataib al-Imam Ali sur sa chaîne Youtube, le 15 août : lors de combats dans le district de Tuz Khuzmatu, on le voit inspecter un pick-up détruit de l'EI4. On le voit dans l'une des autres premières vidéos5 postées par la milice, le 18 août 2014. Quelques jours plus tard, on l'aperçoit à plusieurs reprises dans une autre vidéo, un montage des combats menés par Kataib al-Imam Ali6. On le revoit dans un poème vidéo du 1er septembre qui ressasse des images pus anciennes déjà postées par la milice7. Le 24 septembre, il parle longuement à la caméra, assis dans un Humvee et tenant un RPG-7, pour ce qui semble être une bande-annonce pour un documentaire monté par le média de la milice8. Le 29 novembre, on le voit pour la première fois faire le coup de feu avec son M4 près de la base aérienne de Balad, attaquée par l'Etat Islamique9. La milice n'hésite d'ailleurs pas à reposter la vidéo mi-décembre10, preuve d'une mise en avant progressive d'un combattant certes déjà présent dans les médias du groupe, mais pas plus que d'autres miliciens particuliers (le sniper manipulant fréquemment le fusil lourd en 12,7 mm Sayyad 2 iranien) ou que les responsables principaux. C'est donc bien avec l'offensive sur Tikrit qu'Abou Azrael se retrouve propulsé en avant par la propagande de Kataib al-Imam Ali : il s'agit de mettre en avant un modèle de combattant chiite, capable de contrebalancer sur le plan psychologique les figures similaires de l'Etat Islamique. D'ailleurs la dernière vidéo de la chaîne Youtube du groupe, le 12 mars 2015, met en scène le reporter fétiche de la milice en train d'interroger, entre autres, Abou Azrael11. On est manifestement en présence d'une stratégie de communication.

Une des premières apparitions d'Abou Azrael dans les vidéos de la milice (à droite).

Vidéo du 15 août : près d'un pick-up détruit de l'EI.

Vidéo plus tardive, même séquence.

Dans un montage vidéo.

Le même montage vidéo (août 2014).

Témoignage pour un documentaire, avec RPG-7, à bord d'un Humvee.

Le coup de feu sur la base aérienne de Balad (novembre 2014).



D'ailleurs la page Facebook« Personnage public »12, qui rassemble ses fans, et qui compte plus de 250 000 « J'aime » à l'heure où j'écris ces lignes, n'a été créé que fin février 2015, comme toutes les pages Facebook associées ou presque qui relaient toutes les mêmes photos ou vidéos. La page principale renvoie aussi vers d'autres réseaux sociaux qui publient des documents similaires, montages, vidéos, photos13. Sur la page principale, les photos montrent aussi qu'Abou Azrael est proche du commandement de la milice, dont son secrétaire général, al-Zaydi14. Le 24 février, une vidéo le montre en train de se diriger vers un avion de transport (An-32B et C-130 sont visibles15) sur un terrain d'aviation16. La page fait également de la publicité pour l'entraînement des recrues17. Le 27 février, on voit Abou Azrael tirer à la mitrailleuse lourde DShK de 12,7 mm18

Avec les responsables de la milice (février 2015).

Le mythe : Abou Azrael et le lion.

... et sur le poster.

Pour changer, avec une mitrailleuse PK.
 

Abou Azrael prend parfois la pose avec des armes, comme avec ce RPG-7 le 1er mars19. Le 2 mars, il se fait prendre en photo devant un hélicoptère Mi-35 de l'aviation irakienne20. Le 4 mars, alors que la bataille pour reprendre Tikrit a commencé, il filme une batterie de mortiers de la milice en action21. Le même jour, une nouvelle photo le montre armé d'une épée22. Le lendemain, un autre cliché présente Abou Azrael servant la mitrailleuse de sabord d'un hélicoptère23. Une autre photo le montre au volant d'un pick-up de l'EI capturé24. Le 6 mars, après l'épée, c'est une hachette qu'arbore Abou Azrael25. Le 10 mars, Abou Azrael relaie une vidéo de son ami photographe Zaidi Ahmed Kazim, qui filme une pièce de 155 mm en train d'ouvrir le feu26. Un poster le présente dans le pick-up de tête d'un convoi de Kataib al-Imam Ali27. Sur une autre photo du 10 mars, on le voit tenir ce qui semble bien être un fusil de sniping lourd Sayyad 2 iranien en 12,7 mm28. Un autre cliché le montre avec plusieurs miliciens devant un camion équipé d'une roquette de gros calibre, apparemment dans le secteur de Nadjaf29. Le 11 mars est mise en ligne la fameuse vidéo où Abou Azrael, avec un talkie-walkie pris à l'EI, se moque d'eux à distance -mais il a la main droite bandée30. Le même jour, une autre photo montre encore Abou Azrael devant deux camions avec roquettes31. Le 13 mars, Abou Azrael est pris en photo devant un Humvee couleur sombre marqué de l'emblème de Kataib al-Imam Ali32. On le voit aussi le même jour devant un technical armé d'un LRM33. Abou Azrael a même droit à des animations où on le voit terrasser les adversaires de l'EI comme personnage de dessin animé34. Il a également eu l'honneur d'un reportage télé35.


Pose avec le RPG-7.

Devant un Mi-35.

L'épée à la main.


Mitraileur de sabord.

La hachette.


En tête de convoi.


Avec le Sayyad 2.

Devant un camion avec roquette lourde.



On nargue l'EI.

Le combattant de milieu est également très visible dans les médias du groupe.


Interrogé par le reporter de Kataib al-Imam Ali.






15Merci à Arnaud Delalande pour l'identification.

Volontaires étrangers de l'insurrection syrienne. 13/Les Tunisiens

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Des septembre 2012, des informations font état de la mort de Tunisiens combattant aux côtés du bataillon al-Furqan, un groupe armé de la province d'Idlib qui combat aux côtés du front al-Nosra1. En mars 2013, les autorités tunisiennes estiment que 40% des combattants étrangers de l'insurrection syrienne sont tunisiens2. Les deux-tiers combattraient au sein d'al-Nosra (la branche « officielle » d'al-Qaïda en Syrie, en conflit avec l'Etat Islamique). La plupart des djihadistes tunisiens seraient alors originaires de la ville de Ben Gardane, au sud de Tunis. La ville est située dans la province de Médenine, à la frontière avec la Libye. Le Qatar alimenterait en argent des organisations non-gouvernementales tunisiennes pour procéder au recrutement, offrant jusqu'à 3 000 dollars par personne. Les combattants sont regroupés et entraînés dans des camps situés dans le triangle désertique entre la Libye, la Tunisie et l'Algérie, acheminés jusqu'en Turquie puis insérés en Syrie. Les groupes djihadistes libyens ont établi des camps d'entraînement dans la province de Ghadames, à moins de 70 km de la frontière tunisienne. Les volontaires complètent leur entraînement militaire pendant 20 jours3 dans la province de Zawiyah, puis gagnent le port de Brega pour Istanbul, avant de finir à la frontière syrienne. Certains combattants tunisiens entrent aussi par le Liban, en particulier s'ils doivent gagner Damas ou ses environs ; quand c'est Alep ou d'autres villes du nord, ils passent par la Turquie.

 

A l'automne 2013, le phénomène semble un peu mieux cerné. Il n'est pas limité à une classe sociale pauvre, qui effectivement fournit des volontaires : des diplômés des classes moyennes ou supérieures participent aussi au djihad4. Si au départ le sud de la Tunisie, traditionnellement plus islamiste, comprend les gros bataillons, aujourd'hui des Tunisiens partent du centre et du nord du pays -Bizerte étant devenu l'un des bastions de la cause. Ayman Nabeli quitte la ville de Tabalba, dans la province centrale de Monastir, pour combattre dans les rangs de l'EIIL (Etat Islamique en Irak et au Levant, prédécesseur de l'Etat Islamique avant juin 2014). Né en 1986, cadet d'une famille de huit enfants, il n'est pas au départ particulièrement religieux. C'est après la révolution de 2011 qu'il devient un salafiste. Les salafistes tunisiens ont en effet investi les mosquées après la victoire du parti Ennahda aux élections, et en particulier celle d'al-Iman, proche de la maison d'Ayman. Malgré les démarches de sa famille, les autorités tunisiennes se montrent relativement complaisantes à l'égard des salafistes. Des vols entiers de Turkish Airlines transportent les volontaires pour le djihad jusqu'à Istanbul. Dans les faubourgs de Tunis, l'Etat a disparu avec la chute de Ben Ali et l'Ennahda impose sa présence notamment par le biais de mosquées contrôlées par des salafistes. Le ministre de l'Intérieur tunisien a déclaré que ses services ont d'ores et déjà empêché 6 000 hommes (!) de se rendre en Syrie... un Tunisien avait tourné une vidéo pour Jaysh al-Muhajireen wa al-Ansar, le groupe d'Omar Shishani désormais rallié à l'EIIL, en juillet 20135. En mai de la même année, le ministre des Affaires Etrangères tunisien avait pourtant reconnu la présence d'un maximum de 800 Tunisiens en Syrie, une radio locale parlant de chiffres beaucoup plus importants, avec pas moins de 132 Tunisiens tués en février 2013 dans la région d'Alep, la plupart originaires de Sidi-bou-Zid, là où avait commencé la révolution en 20116. Mais ces chiffres semblent largement surestimés, la radio étant par ailleurs coutumière de la diffusion d'informations erronées.

Le parcours de Aymen Saadi, qui a failli faire sauter ses explosifs près d'un mausolée présidentiel, celui de Bourguiba, au sud de Tunis en octobre 2013, illustre la variété du recrutement. La ville de Zarghouan, à l'est de Tunis, n'est pourtant pas un bastion connu de l'islamisme. Aymen a d'excellentes notes à l'école, en particulier en langues et en histoire. Fin 2012 pourtant, il se radicalise, montrant une influence venue des salafistes, puis gagne les camps d'entraînement libyen en mars 2013. Il se retrouve pourtant bardé d'explosifs en Tunisie, et non en Syrie. Abou Talha, originaire d'une ville près de la frontière libyenne, a combattu près d'Alep. Il a passé six mois au sein d'une brigade islamiste en 2012. Il s'est alors rendu en Syrie seul avant de prendre contact avec les rebelles à la frontière turque, ce qui montre peut-être que les réseaux plus sophistiqués et organisés ne se sont constitués qu'à la fin 2012-début 2013. Un commandant syrien apprend aux recrues le maniement de l'AK-47, du RPG et des pistolets, le tout entrecoupé de séances de lecture du Coran et autres cours religieux. Abou Talha a combattu côte-à-côte avec le front al-Nosra7. Le 24 juillet 2013, l'EIIL annonce la mort d'un kamikaze tunisien, Hamza al 'Awni, alias Abu Hajer al Tunisi. Né à Sousse, diplômé en tant qu'ingénieur, Awni cherche à rejoindre la Tchétchénie en 2003. Entré en Syrie en septembre 2012, il mène son attaque kamikaze le 10 juillet 20138. La page Facebook d'Ansar al-Sharia fait l'éloge des combattants tunisiens morts en « martyrs » en Syrie9.

Abou Ayman est un exemple de volontaire recruté par Ansar-al-Charia10. Architecte à Tunis, il décide de partir se battre en Syrie avec deux voisins. Il prend l'avion pour Amman en Jordanie, où il faut réussir à passer la frontière, surveillée par les renseignements jordaniens. Une fois l'insertion effectuée, Abou Ayman et ses compagnons se séparent. Lui-même atterrit finalement dans les combats des faubourgs de Damas. Il intègre une unité, Ansar al-Chariaa, qui comporte 300 combattants dont de nombreux étrangers (Tchétchènes, Kosovars, et Tunisiens). En août 2013, Aaron Zelin avait interrogé un combattant tunisien de retour de Syrie, dans la province de Nabeul, à l'est de Tunis. Originaire d'un milieu modeste, ce combattant est revenu avec de l'argent qui lui a permis d'aider sa famille à mieux vivre. Son patron, un salafiste qui a des liens avec l'Arabie Saoudite, avait financé une partie de son voyage vers la Turquie. Il a combattu probablement avec al-Nosra : il était devenu plus « religieux » en 2011, après la révolution tunisienne, en suivant d'abord Ennahda, puis les salafistes. Sa mosquée était dépendante d'Ansar al-Sharia, avec un imam égyptien venu d'Arabie Saoudite. Il semblerait qu'Ansar al-Charia dirige alors ses combattants vers al-Nosra, et s'en portent garants : trois autres hommes étaient partis avec ce volontaire, dont un a été tué. A son retour, il est arrêté à sa descente de l'avion et détenu pendant trois mois et demi, avant d'être relâché11.

En ce qui concerne les camps d'entraînement en Libye par lesquels passeraient les volontaires tunisiens et autres, ils seraient notamment le fait du mouvement Ansar al-Charia en Libye, une ancienne brigade rebelle qui avait combattu Kadhafi en 2011, avant de mener l'attentat qui avait coûté la vie à l'ambassadeur américain du consulat de Benghazi en septembre 201212. Saif Allah bin Hussein, alias Abu Iyad al-Tunisi, relâché en 2011, faisait partie de l'ancien réseau de Tareq Maarufi, qui avait des liens avec al-Qaïda : il a créé Ansar al-Charia à la fin avril 201113. C'est cette organisation qui organise le transit et le passage dans des camps mobiles des volontaires dans tout l'est libyen, près de la frontière tunisienne. Selon les rapports officiels, des douzaines d'Algériens et de Tunisiens arrivent chaque semaine pour être formés dans ces camps, avant de partir par avion avec de faux passeports libyens à Benghazi, Ansar al-Charia bénéficiant de complices dans l'aéroport. Ayman Saadi, arrêté le 30 octobre 2013 près du mausolée de Bourguiba, est probablement passé par ces camps de Benghazi et Derna mais les Libyens l'ont ensuite renvoyé en Tunisie, et non en Syrie. On ne sait pas si Saadi a eu des liens avec Ansar al-Charia en Libye. On sait en revanche que les deux mouvements tunisien et libyen sont en relation : le premier reçoit notamment des armes du second.


Abou Iyad al-Tunisi.-Source : http://www.dailystar.com.lb/dailystar/Pictures/2013/12/30/237423_mainimg.jpg


En février 2014, le ministre de l'Intérieur déclare que 400 djihadistes tunisiens sont revenus du champ de bataille syrien14. La déclaration survient après que la garde nationale et l'agence de contre-terrorisme aient été mises en échec dans la capture de Kamel Zarrouk, le numéro 2 d'Ansar al-Sharia, à l'intérieur d'une mosquée d'un faubourg de Tunis. Zarrouk aurait ensuite rejoint les rangs de l'EIIL en Syrie. Ancien videur de boîte de nuit à Tunis, il a commencé à recruter pour le djihad syrien en 201115. Selon l'étude récente du centre Meir Amit consacré aux volontaires des pays arabes pour le djihad syrien, les Tunisiens constituent un contingent très important, contrairement aux djihads précédents en Irak ou en Afghanistan : il y aurait plus d'un millier de Tunisiens qui combattent en Syrie. L'origine géographique se confirme : Sidi Bouzid, Ben Gardane, près de la frontière libyenne, Zarat, dans le district de Gadès, à l'est du pays, se signalent particulièrement comme lieux de départ des volontaires. L'origine sociale est variée bien que la plupart proviennent de milieux modestes ; les volontaires sont recrutés dans les mosquées tenues par les salafistes, d'autres sont influencés par les vidéos et autres documents mis en ligne sur Internet à propos du djihad16. En avril 2014, Abu Iyad al-Tunisi, le chef d'Ansar al-Charia, a appelé dans un document audio les Tunisiens à partir faire le djihad en Syrie, au sein des rangs de l'EIIL. Récemment, le groupe, déclaré organisation terroriste par le gouvernement tunisien à l'été 2013, serait peut-être en train de se rebaptiser en Shabab al-Tawhid. Cela marquerait peut-être une association de plus en plus étroite avec le mouvement libyen du même nom, Ansar al-Charia17. Le parti Ennahda, au pouvoir en Tunisie, et associé aux Frères Musulmans, a d'abord laissé partir les volontaires, probablement en raison de son hostilité envers le régime syrien. Mais les médias donnent une grande publicité au phénomène et de nombreux Tunisiens, en particulier laïcs, commencent à s'en inquiéter et à craindre des attaques par les vétérans revenus du champ de bataille syrien. En juin 2013, les médias britanniques rapportent qu'une vingtaine de familles sont parties en Syrie chercher leurs enfants, certaines ont même été emprisonnées. Fin mars 2013, le gouvernement tunisien fait arrêter, pour la première fois, un salafiste qui se vantait d'avoir passé 8 mois en Syrie. Mais le pays compte 6 000 mosquées... Un an plus tard, en février 2014, le ministre de l'Intérieur reconnaît l'impossibilité de détenir les combattants qui reviennent de Syrie en raison de failles dans la législation18.

Ansar al-Charia de Tunisie a été un groupe leader dans l'utilisation des réseaux sociaux19. Il s'en sert pour rejeter l'accusation de terrorisme, et montrer ses soutiens, comme ceux de l'EIIL en Syrie. Le groupe les emploie aussi pour diffuser une propagande anti-gouvernementale, comme les propos de Abu Qatada al-Filistini, basé en Angleterre, et auprès duquel Abou Iyad al-Tunisi a vécu quand il était en exil. Le groupe joue aussi sur de possibles réactions brutales des forces de sécurité contre la population, une technique classique des djihadistes pour leur drainer des soutiens. Ansar al-Charia insiste aussi sur la centralité de la charia comme fondement de la loi et de l'Etat.

En juin 2014, le ministre de l'Intérieur tunisien annonce que 2 400 Tunisiens sont déjà impliqués dans le djihad syrien, dont 80% combattent désormais avec l'Etat Islamique20. Des combattants tunisiens de l'EI sont repérés sur des vidéos d'exécutions en Irak, comme celle de ces 5 garde-frontières irakiens21. Les Tunisiens continuent donc de constituer un des plus gros contingents de combattants étrangers du djihad syrien et maintenant irakien. L'ICSR, institut britannique spécialisé dans l'étude du phénomène, place en janvier 2015 la fourchette de Tunisiens partis en Syrie entre 1 500 et 3 000 ; la barre haute en fait le premier pays fournisseur de volontaires, devant la Jordanie et l'Arabie Saoudite qui la rejoignent sur la fourchette basse22. Les Tunisiens constitueraient, avec ce chiffre, 25% des combattants étrangers du djihad. La plupart de ces combattants sont âgés de 18 à 27 ans : la plupart viennent du milieu scolaire ou universitaire, mais il y a aussi des fonctionnaires23. Début octobre, les autorités tunisiennes arrêtent un groupe de 6 personnes préparant des attaques dans la région de Bizerte. D'après le ministre de l'Intérieur, pas moins de 1 500 personnes ont été arrêtées en 201424. Le 16 octobre 2014, Nidhal Selmi, un footballeur célèbre de l'Etoile Sportive du Sahel, est tué au sein de l'Etat Islamique en Syrie. Depuis l'été 2013, son attitude avait changé et il prônait ouvertement le djihad. Il avait disparu en février 2014. Son frère Rayan combat toujours auprès de l'EI25.

Nidhal Selmi, un ancien joueur de foot devenu combattant de l'Etat Islamique, tué en Syrie.


Foreign Policy raconte l'histoire de Slim Gasmi, 28 ans, qui quitte son faubourg de Hay Hlel pour la Libye en septembre 2013, cherchant de l'argent. Radicalisé par un camarade tunisien converti au djihad, il meurt en Syrie le 1er avril 2014. Le 25 décembre 2013, il avait appelé sa famille de Turquie où il s'apprêtait à franchir la frontière. Il a combattu avec l'EIIL dans la province de Deir-es-Zor26 avant d'être capturé par le front al-Nosra qui l'a enrôlé dans ses propres troupes27. Raouf Kerfi, originaire du quartier Al-Kabaria, au sud de Tunis, tombe au combat en février 2015 avec l'Etat Islamique. Il était parti en Syrie en 2013. Makrem Harakati, qui avait rejoint en 2012 le front al-Nosra avant de rallier l'EI, est également tué le même mois28. Le 15 mars 2015, Khaled Abdaoui Mokni, alias Abou Hidra Attounsi, est tué en Syrie avec l'Etat Islamique. Au total, ce sont déjà 600 Tunisiens qui auraient trouvé la mort au djihad syrien/irakien et le même nombre qui seraient revenus dans leur pays après y avoir combattu. Les vols entre Tunis et Istanbul se multiplient : 4 à 5 quotidiennement, avec de plus en plus de jeunes femmes en plus des hommes. Les couples se marient à l'insu de leurs parents en Tunisie, souvent dans des groupes radicaux, et prennent prétexte d'une lune de miel en Turquie pour se jouer des dispositifs de surveillance29.

Raouf Kerfi.


En 2014, 23 membres des forces de sécurité tunisiennes ont été tués au combat contre des militants islamistes, dont 30 ont été eux-mêmes abattus. Les opérations se concentrent dans le nord-ouest du pays, comme en 2013, à la frontière avec l'Algérie. Boubaker al-Hakim, un djihadiste tunisien, a revendiqué en décembre 2014 son appartenance à l'EI, et le meurtre de 2 hommes politiques tunisiens laïcs, Chokri Belaid et Muhammad Brahmi. En novembre, l'armée tunisienne avait arrêté 2 Syriens à la frontière avec l'Algérie ; le même mois, la brigade Okba ibn Nafaa, un groupe radical tunisien, avait annoncé son ralliement à l'EI. L'armée intervient jusqu'à hauteur de 2 000 soldats et 1 000 hommes des forces spéciales dans le nord-ouest du pays, mais aussi, jusqu'en janvier 2015, pour démanteler des cellules dans la région de Kasserine ou au nord de Tunis. Le gouvernement tunisien, qui renforce la lutte contre les islamistes radicaux, crée en décembre 2014 une nouvelle force anti-terroriste, et renforce sa coopération en matière de renseignements avec plusieurs pays. Les autorités visent aussi les ressources financières des islamistes : une opération à Ben Guerdane en octobre aboutit à la saisie de 700 000 dollars en liquide. Mais le démantèlement par la force d'une cellule le 24 octobre à Oued Ellil, un faubourg de Tunis, montre que la présence djihadiste s'étend : 5 des 6 personnes abattues lors de l'opération sont des jeunes femmes radicalisées dans les mois précédents30.


1Mohamed Ben Ahmed, « African Militants Killed in Syria Fighting Alongside al-Qaeda », Al-Monitor, 10 septembre 2012.
2Nesrine Hamedi, « Tunisian Jihadists Fighting in Syria », Al-Monitor, 24 mars 2013.
3Aaron Y. Zelin, «  New Evidence on Ansar al-Sharia in Libya Training Camps », The Washington Institute, 8 août 2013.
4Hazem al-Amin, « Tunisia’s 'Road to Jihad' in Syria Paved by Muslim Brotherhood », Al-Monitor, 23 octobre 2013.
11Aaron Y. Zelin, « Meeting a Returned Tunisian Foreign Fighter from the Syrian Front », The Washington Institute, 8 novembre 2013.
12Ludovico Carlino, « Ansar al-Shari’a: Transforming Libya into a Land of Jihad », Terrorism Monitor Volume: 12 Issue: 1, The Jamestown Foundation, 9 janvier 2013.
13The Phenomenon of Foreign Fighters from the Arab World in the Syrian Civil War, Most of Them Fighting in the Ranks of Organizations Affiliated with Al-Qaeda and the Global Jihad, The Meir Amit Intelligence and Terrorism Information Center, mai 2014.
16The Phenomenon of Foreign Fighters from the Arab World in the Syrian Civil War, Most of Them Fighting in the Ranks of Organizations Affiliated with Al-Qaeda and the Global Jihad, The Meir Amit Intelligence and Terrorism Information Center, mai 2014.
18The Phenomenon of Foreign Fighters from the Arab World in the Syrian Civil War, Most of Them Fighting in the Ranks of Organizations Affiliated with Al-Qaeda and the Global Jihad, The Meir Amit Intelligence and Terrorism Information Center, mai 2014.

David P. CHANDLER, The Tragedy of Cambodian History. Politics, War and Revolution since 1945, Yale University Press, 1993, 396 p.

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David P. Chandler est un historien américain considéré comme l'un des spécialistes occidentaux de l'histoire contemporaine du Cambodge. Il est aujourd'hui professeur émérite à l'université de Monash, en Australie.

Ce livre a été commencé en 1960, alors que Chandler lui-même se trouvait à Phnom Penh. En 1985, Chandler décide de prolonger un livre précédent qui s'arrête à l'indépendance du Cambodge. La période traitée dans ce livre-ci stoppe en 1979 car à partir de l'invasion viêtnamienne, le pays devient inaccessible ou presque et son histoire plus difficile à traiter. Chandler revient néanmoins sur les derniers événements de 1992-1993, notamment l'installation d'un contingent de l'ONU au Cambodge à ce moment-là.

Chandler, comme il le rappelle dans son introduction, vise à comprendre comment le Cambodge en est venu à être contrôlé par le Parti Communiste du Kampuchéa, responsable d'un génocide sans nom entre 1975 et 1979 et d'une guerre avec le Viêtnam réunifié. Coincé entre la Thaïlande et le Viêtnam, le Cambodge aurait pu connaître, entre 1947 et 1958, une amorce de monarchie constitutionnelle et de démocratie. Sihanouk, Lon Nol et Pol Pot incarnent au contraire la persistance d'un régime autocratique, nourri aussi de la vision inculquée par le colonisateur français de la grandeur passée du Cambodge. Le coup de force japonais de mars 1945, en donnant au pays l'indépendance, constitue un premier tournant. En 1951, l'ancêtre du PCK est fondé. En 1955, Sihanouk abdique pour fonder un parti politique qui remporte les élections. Il choisit ensuite, à partir de 1963, de rompre progressivement avec les Etats-Unis. En 1967-1968, l'opposition intérieure et la présence des communistes viêtnamiens dans le pays sont une sérieuse menace pour son pouvoir ; les communistes cambodgiens se déchirent entre ceux resté sur place et les exilés au Nord-Viêtnam de 1955, qui reviennent au pays. Le coup d'Etat de mars 1970 précipite le pays dans la guerre du Viêtnam. En avril 1975, les Khmers Rouges emportent la capitale ; deux ans plus tard, ils commencent les raids sur le Viêtnam. En 1978, le régime est au bord de l'effondrement : les Viêtnamiens entrent à Phnom Penh en janvier 1979.


 

Sihanouk, jusqu'alors la marionnette des Français, se révèle après le coup de force japonais du 9 mars 1945. Le royaume du Kampuchéa se gouverne en autonomie jusqu'en décembre. Son Ngoc Thanh, un nationaliste, collabore avec les Japonais, qui recrutent d'ailleurs des volontaires. Il est arrêté par les Français en octobre 1945, lesquels réinstallent bientôt leur autorité sur le pays. Une constitution est donnée au Cambodge. Les partis politiques se forment : libéraux, soutenus par les Français, démocrates, et démocrates-progressistes. Le deuxième est le plus puissant, mais les Français procèdent à des arrestations en 1947 ce qui gonfle l'insurrection rurale menée par les Khmers Issarak. Ces derniers sont parfois en contact avec le Viêtminh. Les démocrates continuent de remporter les scrutins. Le 14 janvier 1950, Ieu Koess, président de l'Assemblée Nationale et démocrate, est tué. L'émotion et les réactions sont telles que Sihanouk rappelle Thanh comme Premier Ministre.

En 1950, le Viêtminh s'intéresse de plus en plus aux autres pays de l'Indochine française, dont le Cambodge. Le Parti Révolutionnaire du Peuple Khmer est fondé en 1951, sous contrôle des Viêtnamiens. Parallèlement, des Cambodgiens partis en France dès 1949 se convertissent au marxisme-léninisme, non sans débat sur la ligne à suivre ; l'un d'entre eux est Saloth Sar, le futur Pol Pot. Sihanouk est de plus en plus ulcéré par la domination de la vie politique par Thanh et les démocrates, le leader cherchant d'ailleurs à unifier l'insurrection, diverse, sous sa bannière. En mai-juin 1952, Sihanouk entame le processus qui le conduit à assumer un pouvoir personnel, en muselant les démocrates. Les communistes convertis en France, dont Sar, reviennent au Cambodge. Le pays gagne l'indépendance par l'action de Sihanouk, néanmoins réservé sur le soutien à espérer des Français et même des Américains. A la conférence de Genève, les Viêtnamiens ont d'ailleurs leurs délégués cambodgiens communistes. Sihanouk forme un parti politique, le Sahapak, et choisit d'abdiquer en 1955. Présent à la conférence de Bandung, il choisit la voie neutraliste, tout en acceptant l'aide militaire américaine. Il se méfie de Diêm  et la CIA soutient dès lors les Khmers anti-communistes. Grâce à la propagande, la contrainte et l'intimidation, Sihanouk remporte les élections et devient le maître incontesté du pays.

Les démocrates sont au plus bas ; le Sangkum (nouveau nom du parti du monarque) est populaire, tout comme le souverain, qui part en Chine dès 1956. Sihanouk applique un semblant de programme socialiste, neutralise complètement l'opposition politique, souvent par la violence. Le pays à ce moment-là relativement florissant sur le plan économique. Le souverain remporte aisément les élections de 1958, alors que Sar prend le contrôle de la branche urbaine des communistes cambodgiens et que les relations se détériorent avec le Sud-Viêtnam et la Thaïlande. En 1958-1959, Sihanouk met en échec deux tentatives de coups d'Etat, celles de Sam Sary et Dap Chhuon, dont l'une au moins soutenue par des Américains, ce qui renforce sa méfiance à l'égard des Etats-Unis. Les communistes cambodgiens se mettent "sur les rails" entre 1955 et 1963, en investissant en particulier les fonctions de l'enseignement. Les relations avec les communistes viêtnamiens sont difficiles. Jusqu'en 1963, Sihanouk dirige le Cambodge d'une main de fer.

La période de troubles qui commence en février 1963 avec la manifestation, réprimée, de Siem Reap, est difficile à analyser faute de sources suffisantes (beaucoup ont été détruites ensuite). Sihanouk pourchasse les formations de gauche, qui subissent des coupes sévères. Les communistes, dont Sar, basculent dans la clandestinité, protégés bien malgré eux dans les sanctuaires déjà tenus par les Viêtnamiens. Après le renversement de Diêm en novembre 1963 et l'arrestation de Khmers Serei en route vers le Sud-Viêtnam, Sihanouk décide de rompre avec les Etats-Unis et de lancer l'économie, mal en point, sur la voie du socialisme. L'un de ses plus grandes fautes, comme il le reconnaît d'ailleurs plus tard. Il négocie avec les Viêtnamiens d'obtenir 10% des armes  et des munitions chinoises qui transitent par le port de Sihanoukville, pour sa propre armée, début 1964. Il nie également que des Viêtnamiens soient présents sur son territoire, ce qui irrite au plus haut point les Américains, qui s'engagent directement au Sud-Viêtnam à partir de mars 1965. Chinois et Nord-Viêtnamiens s'intéressent de plus près alors aux communistes cambodgiens. Saloth Sar effectue un voyage en Chine et peut-être en Corée du Nord en 1964-1965. C'est probablement à partir de là qu'il s'inspire de la voie chinoise. L'année 1966 est marquée par la visite du général De Gaulle dans le pays ; Sihanouk, désenchanté par la politique, se plonge dans la réalisation de films (!). Les élections de 1966 voient l'opposition gagner des sièges à l'Assemblée : Lon Nol devient Premier Ministre mais Sihanouk forme un contre-gouvernement avec ses propres partisans.

Entre 1967 et 1970, les segments de gauche et pro-américains de l'opposition minent le pouvoir de Sihanouk. Les oppositions se développent également entre riches et pauvres, campagnes et villes. Une rébellion éclate à Samlaut entre mars et mai 1967. Les Chinois cambodgiens manifestent violemment en faveur de Mao. Sihanouk se retrouve isolé sur sa gauche, et entouré de pays dominés par des régimes pro-occidentaux. En janvier 1968, alors que les contacts reprennent avec les Etats-Unis, le Parti Communiste du Kampuchéa lance la lutte armée. Le nord-est du pays échappe de plus en plus au contrôle du gouvernement. Les milices pro-gouvernementales se servent des armes chinoises pour poursuivre la guérilla. L'économie pose problème : le caoutchouc se vend mal, le nombre de paysans sans terre est énorme, l'industrie reste faible. En mars 1969, Nixon fait bombarder les sanctuaires viêtnamiens au Cambodge par les B-52 ; en représailles, Sihanouk élève la représentation du Viêtcong au rang d'ambassade. Fin 1969, le souverain effectue plusieurs séjours hospitaliers en France. Il est absent lorsque se déclenche le coup d'Etat qui va le renverser.

Lon Nol, qui dirige l'appareil de sécurité, a adopté dès février 1970 une posture anti-viêtnamienne. L'armée cambodgienne commence à attaquer les sanctuaires viêtnamiens dans le pays. Le coup d'Etat de mars est suivi d'un appel de Sihanouk, depuis Pékin, à la résistance. En avril, les Viêtnamiens contrôlent désormais totalement le nord-est du pays, après le retrait des troupes cambodgiennes. Jusqu'en juin, les Sud-Viêtnamiens, avec 40 000 hommes, et les Américains, avec 30 000 hommes, lancent des incursions au Cambodge pour détruire les sanctuaires viêtnamiens, alors même que les volontaires qui se pressent dans le pays pour combattre les communistes sont taillés en pièces. Ragaillardi, Lon Nol lance en septembre l'opération Chenla I, aux résutats plus que mitigés. Communistes cambodgiens et viêtnamiens combattent côte à côte, mais le millier de Cambodgiens formés par les Nord-Viêtnamiens, mal vus de ceu restés au pays, est progressivement éliminé par la direction locale du parti. L'opération Chenla II, déclenchée en août 1971, se termine en désastre. Parallèlement les communistes cambodgiens commencent leurs purges internes et se débarrassent de l'influence nord-viêtnamienne. Les Américains, avec l'opération Freedom Deal, continuent de bombarder le Cambodge jusqu'en août 1973, bien après la conclusion des accords de Paris. Fin 1972, les Nord-Viêtnamiens ont retiré 3 de leurs 4 divisions du Cambodge. En décembre 1973, les Khmers Rouges commencent à bombarder à la roquette Phnom Penh. 2 millions de réfugiés s'y entassent. Les communistes lancent un premier assaut en 1974, et un autre à partir du 1er janvier 1975. Lon Nol et sa famille quittent le pays début avril 1975 ; quelques jours plus tard, les Khmers Rouges investissent la capitale.

A partir d'avril 1975, Pol Pot tente de faire table rase de l'ancien Cambodge : évacuation forcée des villes, abolition de la monnaie, des marchés, de l'emploi salarié... le tout après cinq ans de guerre civile particulièrement féroces. Les jeunes ont été endoctrinés par les communistes, de même qu'un certain nombre de pauvres. Phnom Penh commence à être vidée de ses habitants dès l'après-midi du 17 avril :  les Khmers Rouges ont en horreur les villes. Avant la chute du Sud-Viêtnam, les Khmers occupent des îles dans le golfe de Siam  ; en mai, ils s'emparent du Mayaguez, un cargo américain transportant des armes vers la Thaïlande. Parallèlement les déplacés sont mis au travail dans les campagnes et soumis à l'endoctrinement politique. Début 1976, Pol Pot et le PCK confisquent le pouvoir et éliminent Sihanouk, qui servait de caution depuis 1970. Le pays est redécoupé en nouvelles zones administratives. Les conditions de vie sont particulièrement dures dans le nord et le nord-ouest. Pol Pot multiplie les purges en 1977-1978. Les raids sur le Viêtnam, à partir du printemps 1977, accélèrent la montée des tensions et précipitent l'invasion viêtnamienne qui arrive à Phnom Penh en janvier 1979.

Après des témoignages variés à propos de la période de la domination des Khmers Rouges, Chandler revient sur la situation du pays depuis 1979. Le livre se termine avec les 60 pages de notes et une courte bibliographie classée par chapitre. Un travail ancien mais qui reste fondamental pour comprendre l'histoire récente du Cambodge.



Mochitsura HASHIMOTO, Les sous-marins du soleil levant 1941-1945, Paris, Les Presses de la Cité, 1955, 296 p.

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Cet ouvrage est la traduction en français, par R. Jouan, du livre Sunk ! de Mochitsura Hashimoto, commandant de sous-marin japonais pendant la guerre du Pacifique, qui a notamment torpillé, le 30 juillet 1945, le croiseur lourd USS Indianapolis, qui revenait d'un voyage vers l'île de Tinian où il avait déposé des éléments de la bombe atomique larguée sur Hiroshima le 6 août suivant. Hashimoto est appelé à témoigner, en décembre 1945, au procès du commandant de l'USS Indianapolis, qui est jugé pour négligence après avoir survécu au naufrage : une première dans les annales de l'US Navy. A la fin de sa vie, Hashimoto devient prêtre shintoïste.

Le livre, préfacé par l'amira Toyoda, ancien commandant en chef de la Flotte Combinée, est un aperçu du sort des sous-marins japonais pendant la guerre du Pacifique, à travers la carrière de Hashimoto. En novembre 1941, ce dernier est officier-torpilleur sur le I-24, un des sous-marins équipés de sous-marins nains pour l'attaque sur Pearl Harbor. Hashimoto n'est pas convaincu par les engins mais assistent pourtant à leur départ, avant le raid aérien sur la base américaine.

L'I-24 repart en patrouille devant les îles Hawaï en janvier 1942. Après avoir canonné Midway, le commandant est blessé quand les vitres de la "baignoire" du sous-marin sont brisées par une mer particulièrement agitée. Hashimoto raconte comment les sous-marins ont joué un rôle important dans le repérage du Prince of Wales et du Repulse, coulés ensuite par l'aviation japonaise. Il décrit aussi l'équipement des sous-marins avec des hydravions embarqués, qui sont utilisés pour attaquer très ponctuellement le territoire américain avec des bombes incendiaires en 1942.

Pour les sous-marins japonais, en raison des caractéristiques de leurs pièces, les bombardements au canon sont assez risqués et s'effectuent souvent de nuit. Les sous-mariniers ont d'ailleurs énormément de mal à couler avec leurs pièces les bâtiments endommagés, notamment les pétroliers. C'est que les sous-marins japonais sont destinés avant tout à la lutte contre la flotte de guerre ennemie, non ses bâtiments de commerce. Quelques sous-marins japonais seulement opèrent donc contre la flotte commerciale au large des Etats-Unis ou dans l'océan Indien. A partir de 1942, quelques sous-marins japonais, dont l'I-8, réussissent aussi à gagner l'Europe et à revenir en Asie pour réaliser un lien symbolique avec l'allié allemand.

A Midway, l'I-168 parvient à achever le porte-avions américain Yorktown, endommagé. A Guadalcanal, les sous-marins parviennent à couler quelques bâtiments de guerre (dont le porte-avions Wasp) mais les pertes sont très lourdes : 25 navires perdus. En juillet 1942, Hashimoto prend la commandement du RO-31 et participe ensuite à la mission désormais dévolue aux sous-marins japonais : le ravitaillement des troupes à Guadalcanal. Il continue ensuite la même mission, notamment pour la garnison de Rabaul, encerclée, jusqu'en janvier 1944, sous les raids aériens et à travers la domination maritime de plus en plus forte des Américains. Hashimoto prend le commandement du RO-44 et assiste également aux raids aériens sur Truk en février 1944 ; il n'attaque pas un destroyer lors d'un voyage, pour respecter les ordres, ce qu'il regrette amèrement.

Hashimoto a également eu l'occasion précédemment d'opérer dans le Grand Nord : il y a commandé l'I-158, un des premiers sous-marins japonais équipés de radar. Les pertes sont également lourdes, malgré le succès de l'évacuation de Kiska en juin 1943. Hashimoto souligne combien les installations et bases de sous-marins étaient précaire, négligées et mal protégées. Les pertes sont encore lourdes aux Gilbert, au Marshall et aux Mariannes, mais les sous-marins équipés de radars s'en sortent mieux que les autres, notamment face aux coups de l'aviation. Hashimoto raconte comment il doit se battre contre la hiérarchie pour installer un radar sur le RO-44, en novembre-décembre 1943. Le récepteur a d'ailleurs été fourni...par les Allemands. En mai 1944, Hashimoto reçoit le commandement du I-58 : il forme l'équipage à l'utilisation du radar et essaie d'obtenir du personnel qualifié.

En novembre 1944, les Japonais commencent à équiper des sous-marins pour embarquer les Kaitens, les torpilles humaines. Le I-58 est du nombre. Il mène une première mission avec ses Kaitens contre Guam, en janvier 1945. Les résultats sont peu concluants. En revanche, la mission souligne les défaillances du radar et l'I-58 en reçoit un plus performant. En mars 1945, le I-58 fait partie d'une autre vagues de porte-Kaitens lancée contre la flotte américaine stationnant devant Iwo Jima. Puis le I-58 gagne les parages d'Okinawa, cible du prochain débarquement. Mais dès le 14 avril, il reçoit l'ordre de rentrer au Japon. Les sous-marins nippons sont victimes d'une véritable hécatombe.

Hashimoto évoque également les sous-marins de la classe I-400, conçus dès 1942 pour embarquer 3 bombarders-torpilleurs, et qui ne seront au final d'aucune utilité au Japon. Le 16 juillet 1945, l'I-58 repart en chasse ; sur la route Leyte-Guam, il lance des Kaitens sur un pétrolier. Le sous-marin repère, dans la nuit du 29 au 30 juillet, l'Indianapolis, qu'Hashimoto prend pour un cuirassé de la classe Idaho. Après le torpillage, le commandant apprend les destructions infligées à Hiroshima par une seule bombe. Le 10 et le 12 août, l'I-58 lance encore des Kaitens. Le 15 août, Hashimoto reste incrédule devant le message radio annonçant la capitulation. C'est au retour à Kuré qu'il se décide à accepter la réalité.

Fukutome, ancien chef d'état-major de la Flotte Combinée, signe la conclusion. Il rappelle que l'échec des sous-marins nains à Pearl Harbor ébranle la confiance du haut-commandement dans les sous-marins. L'amira Suetsugu avait conçu dans l'entre-deux-guerres la "guerre d'usure" pour les sous-marins japonais : afin de compenser l'infériorité en tonnage de la flotte de guerre nipponne, les submersibles devaient attaquer et couler les bâtiments de guerre américains dans le Pacifique. Mais les Japonais ont gravement sous-estimé aussi les sous-marins américains, qui ont ruiné sa flotte de commerce et également sa marine de guerre, en coulant de nombreux bâtiments. Les sous-marins japonais étaient inférieurs sur le plan de la construction et de l'armement.


Alexandre DUPILET, Le cardinal Dubois. Le génie politique de la Régence, Paris, Tallandier

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Alexandre Dupilet, agrégé et docteur en histoire, enseigne, comme moi, dans le secondaire. Il avait signé il y a quelques années un livre sur la Régence. Cette année, il sort chez Tallandier une biographie du cardinal Dubois.

Précepteur du régent Philippe d'Orléans, secrétaire d'Etat des Affaires Etrangères, archevêque de Cambrai, cardinal, premier ministre de Louis XV : une carrière faste pour le petit abbé originaire de Brive, pourtant tourné en dérision dès son vivant. Cette image négative, léguée par Saint-Simon et les libelles de la Régence, a été reprise et amplifiée par la suite. Elle est pour ainsi dire consacrée par l'acteur Jean Rochefort qui joue Dubois dans le film de 1975 réalisé par Bertrand Tavernier, Que la fête commence. Des tentatives de réhabilitation ont été entreprises par des historiens de la IIIème République, mais en oubliant les côtés sombres du personnage. Pour Alexandre Dupilet, l'oeuvre accomplie par Dubois est pourtant considérable. L'historien se propose de livrer une nouvelle biographie, répondant à des questions en suspens et pesant le pour et le contre du personnage.


 

Dubois n'est pas issu d'un milieu pauvre à l'excès, comme le veut la légende noire. Fils d'un apothicaire de Brive, né en 1656, il étudie au collège de la ville. Facétieux à l'école, il bénéficie néanmoins d'une bourse pour aller étudier à Paris en 1672. C'est là qu'il devient précepteur pour des familles parisiennes fortunées : il est introduit auprès de la maison d'Orléans mais se fait remarquer aussi pour son éloquence et son esprit pétillant. Il devient sous-précepteur du duc de Chartres en janvier 1683.

Le duc a alors 9 ans. Aimé de ses parents, idolâtré surtout par sa mère, il ne peut néanmoins trouver dans ceux-ci de véritables modèles. Il reste cantonné par Louis XIV dans les seconds rôles, malgré ses prouesses lors de la guerre de la Ligue d'Augsbourg. Dubois, qui a assez bien cerné son élève, lui donne une éducation classique mais ambitieuse. Rien de novateur, mais Dubois sait s'imposer comme le précepteur du duc à lui seul. Il n'a pas encouragé le duc au plaisir des femmes, même s'il ne dédaignait pas y toucher, bien que tonsuré.

En 1691, Dubois accompagne son élève à la guerre dans les Pays-Bas espagnols. Il y devient son secrétaire particulier. L'abbé est alors victime d'une première cabale : les parents lui reprochent de ne pas empêcher le duc de s'entourer de soudards, et Louis XIV trouve que le duc est trop proche de son précepteur. C'est pourtant Dubois qui sert d'entremetteur pour le mariage de son élève avec Mlle de Blois, fille naturelle du roi, qui ne sera pas heureux. Le duc connaît alors une disgrâce d'une dizaine d'années. Dubois, lui, accompagne le duc de Tallard pour une première mission diplomatique en Angleterre, en 1698. Mais il revient de manière un peu précipitée, laissant penser à des mésententes avec le duc.

En 1701, à la mort de son père, Philippe devient duc d'Orléans. Dubois reste son principal conseiller, alors que le duc se replie sur ses affaires dometiques, tenu à l'écart de la guerre de Succession d'Espagne par Louis XIV. Dubois fait valoir les droits de son élève au trône d'Espagne. Il accompagne le duc, revenu en grâce, en Italie, en 1706, puis en Espagne l'année suivante. Son élève vole de succès en succès sur le plan militaire. Mais ses prétentions irritent Philippe V, et par ricochet, Louis XIV. En 1714, les décès successifs font du duc le futur régent du royaume en cas de mort du souverain.

Philippe d'Orléans a été pris au dépourvu par la mort de Louis XIV, mais il avait préparé les réformes gouvernementales à venir dès le début de l'année 1715. L'appui du Parlement lui permet de former comme il l'entend le conseil de Régence. Dubois sert alors de négociateur avec l'Angleterre de George Ier, représenté par Lord Stair. Partisan de l'alliance avec les Anglais, Dubois rallie le régent à ses vues, notamment après l'échec du soulèvement jacobite de 1716.

A La Haye, en juillet 1716, Dubois, qui voyage incognito sous le nom de chevalier de Saint-Albin, rencontre pusieurs fois l'Anglais Stanhope. En dépit de l'hostilité du maréchal d'Huxelles et de ceux qui veulent se rapprocher de la Russie, Dubois, maintenant à Hanovre, parvient à faire aboutir le projet d'alliance défensive en novembre 1716.

La Triple Alliance vaut à Dubois d'entrer au Conseil des Affaires Etrangères, en mars 1717. Les conseils de la polysynodie étaient moins dépourvus d'influence qu'on ne l'a parfois dit. Dubois s'y affronte à Torcy, de la famille Colbert, puissant ministre, et à d'Huxelles, notamment quand il s'agit de résoudre le conflit entre l'Espagne et l'Empire. Alberoni, le mauvais génie de Philippe V, le pousse à la guerre contre Charles VI. Dubois part en Angleterre avec Chavigny, une de ses créatures, pour apaiser les tensions.

Dubois, allié à Torcy, est en Angleterre pour former une Quadruple Alliance, mais en France, le régent tend l'oreille à ceux qui sont d'un avis opposé. Le maître doit tancer l'élève. Dubois doit affronter l'hostilité de la vieille cour pour la signature du traité, dans un contexte de fronde intérieure contre le Régent. L'accord est finalement conclu en août 1718.

Dubois songe alors à remplacer Huxelles à la tête des Affaires Etrangères. Il mène une campagne d'influence auprès du Régent dans ce but. Il l'incite aussi à supprimer les conseils et à rabattre le pouvoir du Parlement, trouvant comme allié de circonstance Saint-Simon. Le Régent adopte cette politique fin août 1718. Le mois suivant, Dubois obtient les Affaires Etrangères. Il touche peu à l'organisation du ministère. Les conseils sont supprimés. Surtout, Dubois garde un contact facile avec le Régent.

Il déjoue la conspiration de Cellamare, du nom du prince espagnol entré en contact avec la duchesse du Maine, opposante du Régent. L'Angleterre menace d'entrer en guerre contre l'Espagne. La France opère une volte-face et se rallie au Anglais, ce qui est mal compris de l'opinion. L'armée française entre en Espagne en avril 1719. Dubois, tout en visant désormais le chapeau de cardinal, soutient la Suède dans le nord de l'Europe. Par de savantes intrigues, il parvient à faire disgrâcier Alberoni en décembre 1719.

En février 1720, Philippe V finit par rejoindre la Quadruple Alliance, ce qui inquiète les Anglais. Les querelles anglo-espagnoles tournent autour de Gibraltar. Dubois dramatise son opposition avec Law, après avoir participé à l'établissement de son système entre 1716 et 1718. Law estime que la diplomatie de Dubois coûte trop cher à la France. Mais Dubois, devenu archevêque de Cambrai en juin 1720, peut compter sur le soutien du Régent, face aux cabales.

En 1721, France, Angleterre et Espagne consolident leurs alliances, renforcées dans le cas franco-espagnol par un mariage croisé : Louis XV épouse notamment l'Infante Marie-Anne Victoire. Dubois réconcilie l'Espagne et l'Angleterre autour de la France.

Il commence à penser au chapeau de cardinal au moment des négociations pour la Quadruple Alliance. Il peut compter sur le soutien anglais et sur celui de son homme à Rome, Pierre Laffitau. La campagne d'influence commence dès 1718. Reste le problème de la bulle Unigenitus, que le pape aimerait bien voir triompher dans le royaume. Seulement, Dubois a peu de prises sur le sujet, et le Régent ne le soutient que du bout des lèvres. Clément XI rechigne à lui accorder la fonction. En guise de consolation, Dubois devient archevêque de Cambrai : il faut d'ailleurs l'ordonner dans l'urgence, vu la fonction (!).

Malgré les efforts de Dubois sur la bulle Unigenitus, il doit attendre la mort de Clément XI et l'élection d'Innocent XIII, en mai 1721, qu'il a grandement favorisée, pour obtenir le titre de cardinal en juillet.

L'épisode sert l'ironie de la légende noire attachée à Dubois. On raille le "maquereau devenu rouget". Dubois marié, Dubois débauché, qui reçoit des coups de pied dans les fesses du Régent, qui ne sait pas réciter le latin pendant sa consécration : autant de ragots colportés par les diaristes, les chansons satiritques puis les chroniqueurs. Dubois se rendait certes aux agapes du Régent, qui n'avaient rien d'orgies. Il a bien eu une maîtresse officielle, Mme de Tencin.

En août 1722, Dubois atteint le summum de sa carrière en devenant Premier Ministre, ce qui bouleverse l'organisation de l'administration de la monarchie. En fait, Dubois tenait la fonction sans le titre depuis l'exil de Law. Il se débarrasse de ses adversaires : Torcy, Villeroy, alors qu'on ramène le jeune Louis XV à Versailles, inoccupé depuis la régence. Le Premier Ministre est, pour Dubois, une véritable barrière entre les ministres et le souverain.

Dubois doit encore affronter la cabale du duc de Chartres, fils du Régent, avant d'assister au sacre du roi. Il entre à l'Académie française en décembre 1722, puis à l'Académie des Sciences. Depuis août 1722, il donne la leçon à Louis XV. Dubois reste un bourreau de travail malgré une santé chancelante. Victime de rétention d'urine, il  ne survit pas à l'opération tentée en août 1723. La fortune léguée par Dubois au Régent, qui la refuse, n'est pas aussi considérable que ses détracteurs l'ont dit : quelques centaines de milliers de livres. Le Régent suit son précepteur dans la tombe en décembre.

Alexandre Dupilet rappelle en conclusion que Dubois a laissé son empreinte sur la politique étrangère, avec la Triple Alliance pour commencer, moins en politique intérieure. Partisan de la monarchie absolue, Dubois s'est élevé à partir de rien, ou presque. Dubois est le génie politique de la Régence, son incarnation. Le personnage avait ses défauts ; c'est ce qu'en a retenu la mémoire. L'histoire, elle, est autrement plus compliquée.

Une synthèse efficace de réhabilitation complétée par une vingtaine de pages de notes et une autre vingtaine de pages de bibliographie. Manquent peut-être juste des cartes et quelques illustrations, hormis celle de couverture.


Timothy C. DOWLING, The Brusilov Offensive, The Indiana University Press, 2008, 208 p.

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Timothy Dowling a servi à l'ambassade américaine à Moscou, avant d'être diplômé de l'université. Il a enseigné à l'école internationale de Vienne avant de prendre un poste au Virginia Military Institute.

Comme il le rappelle en introduction, le front de l'est reste un des grands oubliés de la Grande Guerre. C'est pourtant là que combat entre un cinquième et un quart de l'armée allemande, avec 2 millions de soldats austro-hongrois. C'est sur ce front que certains officiers allemands établissent leur réputation, qu'on teste les gaz de combat et le "barrage roulant" d'artillerie. L'historiographie anglo-saxonne, jusqu'aux années 1990, n'a bénéficié que de l'ouvrage de N. Stone, datant de 1975, qui n'avait pas accès aux archives soviétiques. A partir de la décennie 90, les traductions d'ouvrages allemands, en particulier, se multiplient. Les historiens occidentaux avaient jusque là tendance à mélanger la Grande Guerre à l'est et les révolutions russes. Côté russe, l'histoire du conflit n'en est encore qu'à ses balbutiements. Pourtant l'offensive Broussilov, poursuivant la stratégie russe depuis 1914, a contribué à fracasser l'armée austro-hongroise, uniquement sauvée par la rapidité de l'intervention allemande. Elle jette aussi les bases de la révolution au sein de l'armée tsariste. Broussilov tranche avec le profil des autres officiers généraux russes : son offensive, d'ailleurs, n'a rien à voir avec le schéma habituel suivi depuis 1914. Il sert d'ailleurs le gouvernement provisoire, mais en voit les limites sur le plan militaire : l'offensive Kerensky, parfois appelée seconde offensive Broussilov, échoue après quelques succès initiaux. Il est remplacé à la tête des armées russes par Kornilov en juillet. Arrêté quelques mois après la révolution d'Octobre, il ne rejoint les bolcheviks qu'au printemps 1920. Il meurt en 1926, devenue une figure militaire respectée même par l'URSS.


 

En avril 1916, la Stavka se réunit pour discuter de la prochaine offensive d'été. Les généraux russes sont sceptiques : une attaque sur le lac Naroch, en mars, a été repoussée avec des pertes sévères. Alekseïev, le chef d'état-major, espère pouvoir réunir 7 à 800 000 hommes à l'été pour attaquer sur les fronts centre et nord. C'est alors que Broussilov, qui commande le front sud-ouest, propose d'attaquer également sur son front, à parité de forces en présence. Les autres généraux, surpris, sont plus que réservés. Il faut dire que l'armée russe n'a pas brillé depuis 1914. La faute à un manque d'anticipation, en dépit du travail du ministre de la guerre Soukhomlinov, entre 1909 et 1915. La production d'armes, surtout d'artillerie, a été relancée, mais les canons sont bloqués dans les forteresses. Mais comme la production de munitions, elles aura du mal à suivre le rythme d'une guerre industrielle. Les dernières innovations en termes de communication, transport, etc, font largement défaut à l'armée tsariste. Celle-ci compte aussi sur le nombre, et met en avant le culte de l'offensive, la charge à la baïonnette. Le corps d'officiers, largement issu de la noblesse, est peu formé à la chose militaire. Les chefs de l'armée doivent davantage leur place à des intrigues de cour ou politiques qu'à leur compétence propre. Les autres officiers, parfois vétérans de la guerre russo-turque, ont passé leur carrière à des fonctions d'état-major. En revanche, le soldat russe a parfois l'expérience de la guerre russo-japonaise et il est reconnu comme tenace en défense. En août 1914, les Russes enfoncent l'armée austro-hongroise en Galicie, alors que plus au nord se joue le désastre de Tannenberg. L'offensive allemande sur Varsovie, en septembre, est contrée par les Russes, mais les Allemands enfoncent un coin dans la ligne russe et prennent Lodz en novembre. L'armée austro-hongroise sort néanmoins décimée des premiers mois de guerre. Celle-ci se saigne encore en essayant de dégager la forteresse de Przemysl, assiégée par les Russes, et qui doit capituler en mars 1915. Les Austro-Hongrois perdent 600 à 800 000 hommes, dont leurs derniers officiers expérimentés -le commandement austro-hongrois étant lui aussi largement inepte, surtout aux échelons supérieurs, les moins touchés par ailleurs dans les pertes. Le front sud-ouest russe piétine lui aussi, faute de renforts et d'approvisionnement. Falkenhayn, nouveau chef d'état-major allemand, décide de prélever des troupes du front ouest pour frapper un grand coup à partir de l'ouest de la Galicie : l'offensive Gorlice-Tarnow démarre le 1er mai 1915, pulvérise le front russe, crée un saillant autour de Varsovie. Les Russes perdent Przemysl, et entament la "Grande Retraite", abandonnant Varsovie, leurs forteresses et leurs canons. Nicolas II limoge le grand-duc Nicolas et prend lui-même la tête de l'armée en septembre 1915, avec Alekseev comme chef d'état-major.

Début 1916, l'armée russe connaît un sérieux problème d'effectifs : les pertes ont été telles en 1915 qu'Allemands et Austro-Hongrois se pensent à l'abri. En réalité, Polivanov, ministre de la Guerre de juillet 1915 à juillet 1916, a organisé la levée de 2 millions d'hommes, dont l'entraînement est amélioré. Broussilov, né en 1853, a servi dans la cavalerie, a observé les armées étrangères et combattu contre le Japon. Avant la guerre, il sert en Galicie, secteur qu'il connaît donc bien dans les premiers mois des hostilités : à la tête de la 8ème armée, il y  remporte des succès et prend ensuite le commandement du front. Il se sort relativement bien de l'offensive allemande de Gorlice-Tarnow. Broussilov, pour la nouvelle offensive, ne peut appliquer le modèle allemand qui consiste à utiliser l'artillerie, lourde en particulier, en barrage roulant, pour appuyer l'avance de l'infanterie. Il choisit d'imiter les tactiques françaises en Champagne, en septembre 1915 : utilisation de places d'armées pour approcher le plus possible les troupes d'assaut de la tranchée adverse. En outre, pour tromper l'adversaire, il étend les préparatifs à tout le front pour masquer le secteur d'attaque. Des sapes sont creusées pour que les troupes débouchent à 100 m voire 60 m de la tranchée adverse. Broussilov fait photographier par avion les positions ennemies, recoupent les photos avec les informations des prisonniers. Les Russes s'entraînent à l'assaut sur des répliques de positions ennemies construites à l'arrière. L'artillerie doit ouvrir rapidement le feu puis museler les canons ennemis. Broussilov ne cache pas ses préparatifs, mais en face, on ne s'inquiète guère. Les Austro-Hongrois sont davantage préoccupés par le front italien : le dernier assaut russe, en décembre 1915, au sud-ouest, s'est brisé sur les lignes austro-hongroises. Les renforts austro-hongrois se contentent d'améliorer la première ligne : ils ne sont pas entraînés ni éprouvés par une défense active, et les lignes n'ont aucune profondeur. L'armée austro-hongroise manque tout simplement d'encadrement compétent ; mais le général allemand Linsingen ne peut commander complètement le front sud-ouest, en raison de la présence de l'archiduc Joseph Friedrich, qui dirige la 4ème armée austro-hongroise. Les Austro-Hongrois sont conscients des préparatifs, grâce à leurs patrouilles, mais leur artillerie ne tire pas, pour économiser les obus. Un sentiment de confiance prévaut. Alexseïev demande à Broussilov de retarder l'offensive le temps que Kouropatkin et Evert, qui commandent les fronts nord et ouest, soient prêts, mais Broussilov n'en a cure.

 Le 4 juin 1916, l'artillerie russe ouvre le feu pour une courte préparation à l'aurore. La contre-batterie  autrichienne tombe dans le vide. L'infanterie russe sort pus tard et enfonce les positions austro-hongroises, quand celles-ci ne sont pas emportées par surprise ; l'armée d'Autriche-Hongrie, une fois la première ligne percée, n'a quasiment plus de réserves à jeter face à la déferlante russe. La 7ème armée austro-hongroise à elle seule, dans les premières semaines de combat, perd 133 000 hommes dont 40 000 prisonniers. Malgré le renfort allemand, les troupes des Puissances Centrales n'ont d'autre choix que de reculer. Le problème est que Kouropatkin et Evert n'attaquent pas ; Alexseïev a beau envoyer des renforts à Broussilov tirés de leurs fronts, les Allemands vont avoir le loisir d'organiser une force pour colmater la brèche.

A la mi-juin, la 8ème armée russe, au nord, menace Lvov et Brest-Litovsk. Les 7ème et 9ème armées marchent sur la Bukovine et la Hongrie, au sud. Les Allemands imposent von Seeckt comme chef d'état-major de la 7ème armée austro-hongroise ; Falkenhayn aimerait surtout se débarrasser de Conrad von Hötzendorf, le chef d'état-major de Vienne. Broussilov enrage de voir les deux autres fronts inactifs. Il pousse au centre du front, contre la 4ème armée austro-hongroise. Mais les Russes s'enlisent à reprendre le terrain conquis par les contre-attaques de Linsingen. Dès le 19 juin, Broussilov arrête les frais le temps de se réorganiser. Alekseïev lui envoie finalement des renforts considérables, dont la Garde Impériale, constituée d'hommes solides mais commandés par des officiers incompétents. Faute de temps, Broussilov abandonne ses tactiques innovantes et revient à des assauts plus traditionnels, ce qui est critiqué par ses subordonnés. Les Allemands, de leur côté, sont préoccupés par Verdun, mais aussi par la possible entrée en guerre de la Roumanie. Ils envoient une division par armée austro-hongroise, mais au prix de la récupération progressive du commandement au sud-ouest du front de l'est. L'attaque d'Evert à partir du 2 juillet s'enlise rapidement, et les fronts septentrionaux ne bougeront plus. Les renforts affluent vers Broussilov, qui regroupe désormais plus de 700 000 hommes contre un peu plus de 420 000 aux coalisés.

Au sud, malgré de lourdes pertes, les Russes approchent de la Bukovine. Ils entrent dans Brody après une nouvelle offensive le 27 juillet. L'échec à Verdun et les soubresauts à l'est affaiblissent la position de Falkenhayn, mais de fait, les Allemands contrôlent déjà le commandement sur la partie austro-hongroise du front de l'est. Broussilov lance une diversion contre Vladimir-Volinsky pour attaquer Kovel, en particulier avec les Gardes. Mais les Allemands sont capables, à chaque fois, d'amener des réserves à temps pour parer les assauts. Des troupes turques arrivent également en Galicie.

Les Russes tentent de progresser dans les Carpathes au mois d'août, et relancer la poussée sur Lvov. L'afflux de réserves allemandes empêche les Russes de progresser en Bukovine. Les Gardes se sont épuisés autour de Kovel : reprenant les tactiques de Broussilov, ils ont été desservis par le terrain et par la domination aérienne reconquise par les Allemands. Au 15 août, l'offensive s'arrête. La Roumanie, inspirée par les défaites austro-hongroises, entrent en guerre du côté de l'Entente le 27. Mais elle ne profite pas de son avantage initial, alors que Falkenhayn est limogé et qu'Hindenbourg a la mainmise sur le front de l'est. La Roumanie voit s'ajouter aux Allemands, aux Turcs et aux Austro-Hongrois les Bulgares : peu soutenus par les Russes et par les Français, les Roumains sont défaits lors d'une campagne éclair qui s'empare de Bucarest en décembre.

Pour Dowling, l'offensive Broussilov, et le désastre roumain, marquent la fin de l'armée tsariste. Celle-ci perd en effet 2 millions d'hommes, dont un million de tués, pendant l'été 1916. Résultat  : une pénurie d'hommes (au moins 300 000) et surtout de cadres. A la fin de l'année, 70% des officiers subalternes sont issus du monde paysan, et la contestation dans les rangs de l'armée enfle. Dès le mois d'octobre, les refus de monter en ligne, les mutineries de régiments se multiplient. Le paradoxe est que l'offensive Broussilov valide la réforme entamée depuis 1915. Les Russes ont avancé de 50 km, voire 125 km au plus, au sud. Ils ont capturé 400 000 prisonniers et infligé au total 1,5 millions de pertes à l'ennemi. Broussilov voyait son offensive comme un succès tactique et non stratégique ; il pensait avoir sauvé les Italiens de la défaite et soulagé les Anglo-Français. On sait maintenant que ce dernier point est erronné. Ce sont les Austro-Hongrois qui sont les grands perdants : l'offensive détruit les deux tiers de leur armée. Plus grave, 60% de ces pertes sont constitués de prisonniers, qui pour la plupart ont tout simplement déserté. Et le phénomène ne touche pas que les unités dites "slaves", mais aussi les régiments autrichiens. La faute à un encadrement défaillant, notamment au plus haut niveau. En septembre 1916, les Allemands ont de fait pris le contrôle de la guerre à l'est : les Austro-Hongrois ne pèsent plus d'aucun poids. Broussilov échoue à capitaliser sur son succès tactique faute d'attaques sur les autres fronts, et aussi parce que Alekseïev tarde trop à lui envoyer des réserves prélevées ailleurs, ce qui laisse le temps aux Allemands de le faire de leur côté. Mais Broussilov a aussi choisi d'étaler ses forces sur un large front, et il est revenu à des méthodes d'assaut par l'infanterie beaucoup plus conventionnelles dans la deuxième phase de l'offensive, s'acharnant sur Kovel au lieu de pousser en Bukovine. L'offensive Broussilov est bien l'un des moments décisifs de la guerre à l'est : elle met à la fois l'Autriche-Hongrie hors-jeu et jette certaines bases de la révolution russe. C'est là tout son intérêt. 

Il est d'ailleurs dommage que si peu de pages soient consacrées à l'idée phare de Dowling dans sa conclusion, à savoir que la modernisation de l'armée russe a miné, quelque part, les fondements du régime tsariste. Pour le coup, l'auteur ne fait peut-être pas assez le lien entre l'offensive Broussilov et les révolutions de 1917. Dowling se sert surtout de sources primaires autrichiennes, les sources allemandes ayant largement disparu. Les sources secondaires russes et allemandes sont assez anciennes : Dowling s'appuie surtout, pour les travaux récents, sur les historiens américains et autrichiens. Assez étrangement d'ailleurs, il manque des titres récents, comme un ouvrage de P. Gatrell, et surtout l'article fondamental de D.R. Jones sur l'armée russe pendant la Grande Guerre, qui serait venu appuyer son propos ou le compléter. Manifestement Dowling a un peu de mal avec l'allemand, car on remarque plusieurs fautes dans les titres de la bibliographie, ainsi que des erreurs dans les tableaux d'équivalence des grades. Néanmoins, son livre reste un ouvrage important, et quasi unique sur le sujet, à compléter par d'autres lectures.


Joseph DE FREMINVILLE, Les Ecorcheurs en Bourgogne (1435-1445). Etude sur les compagnies franches au XVème siècle, Paris, Le Livre d'Histoire, 2012, 274 p.

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Ce texte est une réédition d'un ouvrage paru initialement en 1887, dans les Mémoires de l'académie des sciences, arts et belles-lettres de Dijon. L'auteur, formé à l'Ecole des Chartes, était un archiviste, qui a contribué à des inventaires d'archives départementaux et à des études régionales dans les départements où il était en fonction.

En 1435, après la paix d'Arras qui réconcilie le roi de France Charles VII et le duc de Bourgogne Philippe le Bon, de nombreux mercenaires armagnacs ou bourguignons se retrouvent sans emploi. Ils se regroupent et vivent sur l'habitant, sous l'autorité de chefs de bandes, bâtards, cadets de la noblesse pour lesquels la guerre est devenue une nécessité. Pendant dix ans, ils écument la Bourgogne sous la coupe de Jacques et Antoine de Chabannes, Etienne de Vignolles, Poton de Xaintrailles, Rodrigue de Villandrando... qui ont parfois combattu les Anglais pour le compte du roi. Regroupés en petites bandes, ils menacent d'assiéger et de prendre les villes si elles ne paient pas rançon. Pour faire pression, ils coupent les blés, saisissent le bétail, commettent les pires atrocités sur les habitants des alentours.. En dix ans, les Etats de Bourgogne doivent se réunir 15 fois et payer pas moins de 80 000 livres. Il faut emprunter aux marchands de Genève. Les villes doivent aussi consentir des dépenses pour augmenter leurs défenses. En 1437, les déprédations des Ecorcheurs, comme on les appelle, sont telles que la disette menace les paysans. Fin août 1438, c'est tout l'ouest de la Bourgogne qui est mis à sac par ces bandes de mercenaires désoeuvrés. Le 2 novembre 1439, l'ordonnance d'Orléans de Charles VII limite l'emploi des compagnies au roi seul, fixe le nombre de capitaines et de soldats. Cette décision provoque une rébellion des grands seigneurs, la Praguerie. En 1444, les mercenaires sont employés en Alsace ou en Lorraine ou bien au service de Frédéric III. L'année suivante, une convention entre le roi et la duchesse de Bourgogne met fin à l'épisode, et voit aussi la création d'une armée permanente dans le royaume.

Un ouvrage ancien, très descriptif, dans la ligne des mémoires qui pouvaient être faits alors dans ces académies. Idéal pour prendre connaissance du sujet, mais très limité sur le plan de l'analyse et du questionnement. Il faudra bien sûr se tourner vers des ouvrages plus récents.



Jean-Jacques MARIE, Histoire de la guerre civile russe 1917-1922, Texto, Paris, Tallandier, 2015, 427 p.

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Le livre est une réédition en format poche d'un ouvrage paru chez Autrement en 2005. Jean-Jacques Marie explique en introduction que le bilan humain de la guerre civile russe a été exagéré : le chiffre le plus vraisemblable est celui de 4,5 millions de victimes, ce qui n'enlève rien au caractère féroce du conflit. Une guerre civile, internationalisée, dans laquelle l'histoire écrite par les Blancs ou par les Rouges après la fin du conflit a aussi souvent gommé les "Verts", ces groupes locaux ou régionaux de paysans hostiles à la conscription et à la réquisition, qui ont parfois été intégrés à l'Armée Rouge avant de s'en détacher. On retient surtout l'anarchiste Makhno ; on oublie plus facilement Antonov, le chef de l'insurrection de Tambov, en 1920-1921. Dans son livre, Jean-Jacques Marie, à travers le commentaire de témoignages ou de documents d'époque, cherche plus à rendre l'atmosphère de la guerre civile russe qu'à l'expliquer vraiment en profondeur.

Pour l'auteur, la guerre civile est en germes politiquement dès la constitution de février, qui instaure une Douma à côté des soviets. Elle devient conflit armé avec la révolution d'Octobre. L'armée blanche s'organise tant bien que mal dans le sud de la Russie, pas forcément soutenue par les cosaques. Ce début de guerre civile voit surtout des mouvements par rail. En guise de prologue sanglant, les communistes finlandais sont écrasés par les Blancs locaux soutenus par des renforts allemands, en avril-mai 1918.



L'Ukraine, pour la première fois de son histoire, se proclame indépendante en novembre 1917 et recherche le soutien allemand. Les gardes rouges d'Antonov-Ovseenko s'emparent du bassin du Donets dès janvier 1918, puis les bolcheviks organisent l'insurrection à Kiev. Formée le 20 février 1918, alors que l'ancienne armée achève de se dissoudre, l'Armée Rouge peine à recruter et ne peut repousser l'avance allemande en Ukraine. Fait peu connu, parmi les troupes rouges du général Iakir, on trouve des Chinois  (!), qui combattront Roumains et Allemands. L'armée blanche des Volontaires s'enfonce dans le Kouban. Les Allemands occupent l'Ukraine. Le cosaque Mironov s'engage dans l'Armée Rouge, tandis que Staline impose sa loi à Tsaritsyne. Makhno commence à attaquer l'occupant allemand et autrichien en Ukraine.

Alors que la famine guette les villes tenues par les bolcheviks, ceux-ci font exécuter la famille impériale. En mai, les Tchécoslovaques installés sur le Transsibérien se soulèvent, installent des socialistes-révolutionnaires de droite dans les villes capturées. Au sud, le cosaque Krasnov et son armée blanche sont armés par les Allemands. En juillet, les socialistes-révolutionnaires de gauche tentent un coup de force à Moscou, qui échoue grâce à la présence de troupes lettonnes ralliées aux bolcheviks. Alors que les S-R de droite forment le Komoutch à Samara, d'autres soulèvements éclatent contre les bolcheviks, comme à Ijevsk, dans l'Oural. Trotsky manque d'être capturé sur la Volga en août 1918, mais la même aventure arrive à Wrangel face à la cavalerie rouge. Au nord, en août, les Anglais installent un autre gouvernement contre-révolutionnaire. Si les Blancs sont soutenus par les puissances étrangères, Wrangel lui-même signale la débauche des principaux chefs et surtout le pillage généralisé des paysans par leurs troupes. Le général Ioudenitch menace Petrograd, alors que l'armistice entraîne le repli des troupes allemandes. Dans le Caucase, le typhus décime l'Armée Rouge. Début 1919, le territoire bolcheviks se retrouve enfermé dans un véritable "cercle", pour reprendre l'expression de Denikine. Tout au long de la guerre civile, des groupes de soldats passent d'un camp à l'autre, des Blancs aux Rouges. En Sibérie, en octobre-novembre 1918, l'amiral Koltchak, lourdement soutenu par les Alliés, élimine les S-R installés depuis juillet à Omsk et marche sur l'ouest.

L'Ukraine est alors coupée en deux entre les partisans de Petlioura, qui prend la suite des collaborateurs des Allemands, et les bolcheviks, tandis que les bandes comme celles de Makhno écument les campagnes. Au printemps 1919, ces "armées vertes" se multiplient face aux réquisitions exercées par Moscou. Elles sont commandées par des chefs hauts en couleur, comme l'ataman Grigoriev, qui finit abattu par les sbires de Makhno. Pendant la guerre, les discours d'orateurs éloquents sont pour beaucoup dans le retournement de certains contingents. L'Armée Rouge manque de médecins et de personnel médical : l'incurie règne, de la même manière que dans le soin apporté au déplacement des troupes, quasiment livrées à elles-mêmes. Le truand Iapontchik d'Odessa se rallie un temps aux Rouges pour faire oublier ses activités crapuleuses... bien qu'en mauvaise posture en Ukraine, à l'été 1919, les bolcheviks bénéficient du soutien des paysans, qui n'aiment ni les réquisitions ni la conscription mais qui détestent encore plus les armées blanches réactionnaires qui veulent rétablir l'ancien régime.

Ioudenitch, qui ne dispose que d'un petit effectif, menace Petrograd en mai-juin 1919, alors que Koltchak et les Tchécoslovaques poussent vers l'ouest. Staline répand la terreur dans la ville, puis l'Armée Rouge contre-attaque et repousse Ioudenitch en Estonie. L'armée de Koltcha, qui pille et massacre les paysans, provoque en réaction la formation de bandes de partisans bolcheviks sur ses arrières, comme dans l'Altaï.

Au sud en revanche, l'armée de Denikine, qui engage pour la première fois des chars, s'empare de Tsarytsine en juin 1919. Mais les Blancs pratiquent encore trop le pillage, l'administration est chaotique, la corruption règne. Le raid de cavalerie de Mamontov, exploit s'il en est, montre aussi que le commandement blanc n'a pas forcément de prises sur ses subordonnés. L'armée de Denikine qui entre dans Kiev procède à des pogroms, comme de nombreux autres acteurs du conflit. Pendant que Boudienny menace de faire exécuter Mironov qui s'est révolté, Makhno affronte et bat, contre toute attente, l'armée blanche de Denikine qui menaçait son territoire. En octobre, les Blancs sont à Voronej. Mais l'armée blanche se délite, étirée, harcelée sur ses arrières par les paysans et Makhno. Ce dernier collabore avec l'Armée Rouge contre les Polonais puis Wrangel. En décembre, Boudienny prend Rostov-sur-le -Don, et soumet la ville au pillage. Denikine cède la place à Wrangel, qui s'installe en Crimée en mai 1920.

En octobre 1919, l'Armée Rouge repousse Ioudenitch sur le front de Petrograd. Moscou a fait monté la brigade du commandant Kotovsky, qui combat en Ukraine, dans des conditions dantesques. Les Rouges entrent à Vladivostok en janvier 1920 ; Koltchak est fusillé un mois plus tard. Même en Crimée, Wrangel doit faire face à des "Verts" sur ses arrières.

En avril 1920, les Polonais, soutenus par la France, et en accord avec la Pologne, envahissent et occupent l'ouest de l'Ukraine. L'Armée Rouge contre-attaque, entre en Pologne, mais se produit le "miracle de Varsovie", sur la Vistule, oblige Moscou à signer l'armistice en septembre. Pendant ce temps, les communistes ouzbeks renversent l'émir de Boukhara.

En octobre, l'Armée Rouge se retourne contre Wrangel, le bouscule en Crimée. L'évacuation de près de 150 000 hommes consacre la défaite des Blancs. De janvier à août 1921, les Rouges traquent les bandes de Makhno, qui a refusé de se rallier. Frounze manque de se faire tuer par ses partisans.

Le communisme de guerre instauré par les bolcheviks, avec la fin de la guerre civile, devient insupportable aux paysans. Dès l'été 1919, les troubles secouent la province de Tambov, au sud-est de Moscou, très peu industrialisée et où les S-R sont très puissants. Les réquisitions ont provoqué de nombreux abus. Lénine, qui en est conscient, cherche à discuter avec les paysans de Tambov. Dans l'Altaï, en Sibérie occidentale, provoque l'insurrection de bandes de paysans, aux objectifs flous. Même révolte à Tioumen, sur le versant est de l'Oural, avec des accents antisémites. En février 1921, l'Armée Rouge peine à réprimer ces soulèvements, pourtant mal organisés, alors que Staline organise l'invasion de la Géorgie. C'est également en février-mars 1921 que les bolcheviks doivent écraser la révolte de Cronstadt, à Petrograd. La révolte de Tambov est également noyée dans le sang, d'avril à juin 1921 ; en Sibérie l'Armée Rouge utilise aussi des méthodes expéditives pour venir à bout des insurgés. Le bilan politique n'est pas brillant, sans parler des remous au sein même de l'Armée Rouge.

Au final, l'Armée Rouge laisse dans la guerre civile 980 000 hommes, dont les deux tiers morts de leurs blessures. Aux 3 millions de morts civils s'ajoutent 4,5 millions d'orphelins. La famine sur la Volga à l'été 1921 tue encore 4 millions de personnes. Dans l'Extrême-Orient russe sévissent encore le baron Ungern et Semionov. Le Guépéou traque et abat Antonov en avril 1922. La guerre civile, pour Jean-Jacques Marie, prend bien ses racines dans la Première Guerre mondiale, puis dans l'opposition entre propriété privée et propriété collective des moyens de production.

Le livre bénéficie d'annexes fournis (glossaire, biographie des principaux personnages, etc), en revanche l'ouvrage ne dispose pas d'appareil critique : ni notes, ni bibliographie. Un peu dommage, surtout pour un commentaire de témoignages/documents voulant rendre l'atmosphère du conflit. Cette absence réduit singulièrement l'utilité du livre. D'autant que Jean-Jacques Marie est un ancien militant trotskyste, ce qui peut laisser supposer une influence sur sa manière d'écrire l'histoire. Reste aussi des questions en suspens où, justement, on aurait bien aimé voir des sources (utilisation de gaz de combat pour réprimer la révolte de Tambov, etc). Dommage !


Publication : 2ème Guerre Mondiale n°59 (avril-mai 2015)

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Le prochain numéro du magazine 2ème Guerre Mondiale sort le 8 avril prochain. Ce sera le dernier du genre, puisque la rédaction entreprend une refonte du numéro classique comme du thématique, avec un contenu et une forme différents.

Dans ce numéro 59, je ne signe pas le dossier, mais un article plus petit sur l'invasion et l'occupation de la moitié est de la Pologne par les Soviétiques, en septembre 1939. Un sujet peu traité et mal connu dans les sources occidentales : il faut dire qu'il nous reste probablement encore à apprendre des archives soviétiques non encore exploitées et de la littérature russe non accessible pour beaucoup, non historiens, travaillant sur le sujet. En ce qui concerne l'invasion soviétique et les opérations militaires, j'ai néanmoins utilisé une source très récente, l'article d'A. Hill du Journal of Slavic Military Studies, paru l'année dernière, et qui fait bien le point, côté soviétique, de ce que l'on peut savoir sur cette opération.

Pour l'occupation de la Pologne jusqu'en juin 1941, et la vision polonaise de l'événement (invasion-occupation), j'ai surtout employé l'ouvrage de Jan Gross. C'est un livre ancien, écrit juste avant la fin de la guerre froide, donc avant l'ouverture des archives soviétiques. Il a été réédité au début des années 2000, l'auteur estimant, à la lumière des sources nouvelles disponibles, que son travail n'était pas fondamentalement remis en questions, sauf sur quelques points (chiffres de la répression soviétique, revus à la baisse). Depuis, on attend toujours un travail plus neuf sur la question. J'ai également utilisé un article de C. Mick pour illustrer la période de l'occupation soviétique de la Pologne à travers un exemple précis, celui de la ville de Lvov.

Outre cet article, j'ai également réalisé l'habituelle chronique cinéma, consacrée cette fois-ci au film Okinawa (1951), le dernier film sur la Seconde Guerre mondiale du grand réalisateur Lewis Milestone. Ce dernier réalise une production assez convenue, car il ne dispose pas de la marge de manoeuvre qu'il avait pu avoir précédemment sur d'autres films.

Bonne lecture !

David M. GLANTZ (éd.), The Initial Period of War on the Eastern Front 22 June-August 1941, Frank Cass Publishers, 1997, 511 p.

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Ce livre est la transcription d'un symposium tenu en octobre 1987 à Garmisch, dans l'ancienne RFA, le dernier d'une série de quatre organisé par l'US Army War Collegeà partir de 1984. Ce symposium s'intéresse aux débuts de l'opération Barbarossa, du 22 juin 1941 au mois d'août. Il a la particularité, pour l'époque, de s'appuyer des sources allemandes et soviétiques nouvelles, de rassembler des vétérans allemands encore vie, tandis que le côté soviétique est pris en charge par des historiens anglo-saxons, américains principalement.

Le colonel Glantz se charge de l'introduction dans laquelle il évoque l'Armée Rouge avant Barbarossa. Comme il le rappelle, après la victoire de la guerre civile, cette armée reste encore largement composée de fantassins et de cavaliers. C'est dans les années 1920 que les Soviétiques théorisent l'exploitation en profondeur après la percée du front adverse, et pensent utiliser à cette fin des moyens motorisés et mécanisés. Cette théorisation atteint son paroxysme en 1936. Mais Glantz idéalise probablement encore, à cette date, les résultats obtenus par les Soviétiques : les purges qu'il décrit ensuite sont aussi le résultat du manque d'efficacité dans la pratique des théories très en avance soutenues par de grands penseurs de l'Armée Rouge, comme le rappelle M. Habeck dans son important ouvrage. Non seulement l'Armée Rouge revient à des ambitions limitées en termes de blindés, avec l'expérience espagnole puis celle, désastreuse, en Finlande, mais son état logistique est déplorable. Ce n'est qu'avec les victoires allemandes, et en particulier celle contre la France en juin 1940, que les Soviétiques reviennent à l'idée de plus vastes formations mécanisées. Globalement, l'Armée Rouge recherche les unités les plus vastes possible. Le déploiement des forces avant le 22 juin 1941 montre que Staline a fait déplacer des armées vers l'ouest dès le mois d'avril, ainsi que l'échelonnement des armées en profondeur, de même que celui des corps mécanisés, dont les formations sont dispersées sur un même secteur. Les corps mécanisés sont répartis en 3 échelons successifs, et le district militaire spécial de Kiev est le mieux doté, parce que les Soviétiques attendent l'effort allemand principal sur ce front.




Jacob Kipp, autre historien anglo-saxon, revient sur la planification de guerre des Soviétiques. Sujet controversé. Les Russes, dès avant la Grande Guerre, sont conscients de la taille de leur territoire, de leur faible potentiel en chemin de fer et de la taille énorme de leurs forces, qui fait de la mobilisation une course au déploiement. Ils pensent avoir trouvé une "formule magique" qui s'avère en réalité limitée pendant le conflit. Durant la Grande Guerre, Ismestev formule l'idée selon laquelle le plan de mobilisation doit être réadapté après le déclenchement du conflit pour tenir compte de la "friction". L'Armée Rouge voit naître des théoriciens qui divergent sur la mobilisation mais qui reconnaissent tous qu'elle doit être totale. Certains, comme Toukhatchevsky, pensent déjà à une menace venant d'Allemagne ou des principales puissances occidentales. A partir de 1937, l'Armée Rouge réoriente son dispositif pour deux fronts : le plan quinquennal de 1938-1942 prévoit la naissance de nouveaux matériels blindés et aériens, à la lumière de l'expérience espagnole, qui seront ceux neufs de 1941. Si l'Armée Rouge remporte des succès contre le Japon, annexe les pays baltes, elle est à la peine en Finlande, ce qui entraîne une réorganisation sous l'égide de Timoshenko. La réorganisation est faite dans l'urgence, comme le montre les wargames de décembre 1940-janvier 1941, et la décision de créer 9 (!) corps mécanisés supplémentaires. Les Soviétiques ont bien envisagé une guerre longue, mais ont sous-estimé l'impact qu'aurait le déploiement allemand sur leurs propres forces. Le premier échelon, relativement isolé en avant, est ainsi mal placé pour effectuer sa mission.

Kenneth Macksey, ancien officier et historien britannique, présente l'armée allemande en 1941. Il insiste probablement un peu trop sur le rôle de Guderian et l'aspect "novateur" de la réorganisation de l'armée allemande sous la Reichswehr autour du char (voire encore le livre de M. Habeck). En revanche, il est vrai que la Wehrmacht dispose de moyens de communication, de reconnaissance et d'un soutien aérien rapproché alors sans équivalent du côté soviétique. Macksey souligne cependant que les Panzerdivisionen ont été coupées en deux, en 1940, pour en augmenter le nombre. En outre, les Allemands sont mal renseignés sur l'URSS, n'ont pas de cartes, le terrain est peu connu et le système logistique se dégrade très vite, comme celui de la maintenance des véhicules.

Le général Niepold, ancien officier de la 12. Panzerdivision et bien connu pour avoir écrit un ouvrage sur l'opération Bagration vue du côté allemand (une des sources du livre éponyme de J. Lopez), présente quant à lui la planification allemande. Contrairement à ce qu'il dit ici, on sait aujourd'hui (voir le livre de D. Stahel) que le général Marcks ébauche son plan d'invasion avant même qu'Hitler en formule la demande, en juillet 1940. Hitler, cependant, plutôt que les batailles d'anéantissement près de la frontière, songe plus à des encerclements vers le nord et le sud, suivant l'autre plan, celui de l'OKW préparé par von Lossberg. Ce différend est à la base de l'affrontement entre Halder, qui privilégie Moscou et l'axe central, et le Führer, déjà plus sensible aux richesses de l'Ukraine et au symbole que constitue Léningrad. Le noeud ne sera tranché qu'à la fin août 1941. Niepold reconnaît lui-même que la faute n'est pas imputable à Hitler, car pour lui prendre Moscou n'aurait rien changé : en revanche il souligne que l'absence de stratégie et les revirements successifs ont pénalisé l'armée allemande.

L'ouvrage prend ensuite un plan géographique, balayant les 3 fronts principaux du nord au sud, découpant parfois par axe principal. C'est le cas au nord où David Glantz traite, là encore plutôt du côté soviétique, des forces en présence sur l'axe de Siauliai, impliquant le 12ème corps mécanisé et une division du 3ème corps mécanisé. Les Allemands ont bien identifié les forces qui leur font face dans ce secteur, car ils disposent dans les pays baltes d'un renseignement humain plus fourni. Les divisions de fusiliers, à environ 60% de leur effectif, sont déployés sur un échelon seulement. Les composantes du 3ème corps mécanisé sont disposées de telle façon que seuls des chars sont engagés contre les Allemands sur cet axe. Le 22 juin, les Panzerdivisionen avancent particulièrement vite. Les contre-attaques blindées soviétiques n'interviennent qu'en fin de journée le 23 juin, avec un paroxysme deux jours plus tard, avec des combats acharnés à Raisenai notamment. Les corps mécanisés, qui ont perdu jusqu'à 90% de leur effectif, retraitent dès le 26 juin. Les pertes en officiers sont aussi particulièrement lourdes.

Côté allemand, deux anciens officiers de la 6. Panzerdivision, le général von Kielmansegg et le colonel Ritgen, offrent leurs témoignages sur l'axe de Siaulai. Pour le premier, la 6. Panzerdivision a subi le gros des contre-attaques soviétiques tandis que le corps blindé de Manstein, lui, fonce tranquillement sur la Dvina. Il accuse d'ailleurs Manstein d'être partial dans ses mémoires de guerre... il souligne aussi le manque de renseignements qui conditionne le plan d'attaque. Ritgen rappelle que la 6. Panzerdivision est relativement mal lotie au niveau de l'équipement blindé, en particulier (chars tchécoslovaques Pz 35 (t) ). Les deux officiers racontent la dureté des contre-attaques soviétiques de chars à Raisenai, avec notamment un début de panique face aux monstrueux chars KV. Anecdote que l'on retrouvera souvent dans les témoignages allemands du livre : la mutilation des cadavres de prisonniers exécutés ou de soldats allemands encerclés et tués par les Soviétiques. Un leitmotiv trop présent pour être complètement honnête...

Le général von Plato et le colonel Stoves présente quant à eux l'engagement de la 1. Panzerdivision, au sein du XLI. Panzerkorps. Cette division est stationnée en Prusse Orientale dès septembre 1940. Elle cède certaines unités pour former de nouvelles Panzerdivisionen, mais reçoit en complément, en mars 1941, des canons antichars de 50 mm, des véhicules blindés de transport de troupes, etc. Pour le 22 juin, la division avance avec 3 groupes de combat interarmes. La division avance mais reconnaît déjà la ténacité du soldat soviétique. Les chars ont du mal à combattre de nuit, vu les carences matérielles de l'époque, alors que l'Armée Rouge conduit nombre de contre-attaques nocturnes. Venue aider la 6. Panzerdivision, la 1. Panzerdivision se heurte également aux chars KV-1 et 2, qui constituent une grande surprise. Le colonel Stoves souligne aussi que la Luftwaffe a été singulièrement absente au-dessus de sa division, y compris après l'exploitation et la réorganisation de l'unité en deux colonnes de marche après le 26 juin. Von Plato explique que le renseignement allemand était meilleur au nord, en raison de la présence des pays baltes récemment occupés par l'URSS, mais loin d'être parfait. Le déploiement des deux corps blindés au nord a été chaotique dans la nuit du 21 au 22 juin, et la consommation d'essence tout de suite plus rapide que prévu. 

David Glantz revient ensuite sur l'axe de Vilnius, toujours au nord, où les Allemands disposent des renseignements les plus complets, ayant quasiment identifié toutes les formations soviétiques présentes sur et près de la frontière. Les Allemands brisent d'ailleurs rapidement le dispositif de l'Armée Rouge, pourtant davantage établi en profondeur que sur l'axe précédent. Dès le 23 juin, les pointes blindées allemandes foncent pour former l'encerclement nord de la poche autour de Minsk ; le 26, le 3ème corps mécanisé est déjà quasiment anéanti. De nombreux commandants de divisions de fusiliers ou de divisions de chars périssent dans les combats.

Côté allemand, on a ici les témoignages du général Ohrloff et du colonel Rothe, qui ont servi tous les deux dans la 7. Panzerdivision, XXXIX. Panzerkorps, Panzergruppe 3. A partir de février 1941, cette division multiplie les entraînements spécifiques (combat interarmes, de nuit, etc), qui lui seront précieux au début de l'opération. Les deux témoins expliquent que la division a connaissance de certaines informations sur les unités blindées adverses : les chars soviétiques ont peu de radio, l'infanterie n'est pas mécanisée. En revanche, ils ignorent tout des nouveaux modèles de chars. Dès le 22 juin, la division se heurte à forte partie : les Soviétiques se font tuer sur place. De violents combats de chars ont lieu près d'Alytus. La division s'empare néanmoins de Vilna. Elle se déplace ensuite pour former la pince nord de l'encerclement autour de Minsk.

Glantz passe alors à l'étude du centre du front, avec l'axe Bialystok-Minsk. Ici, les Allemands sont moins renseignés, chose que l'on retrouvera souvent : ils surestiment les unités de fusiliers et de cavalerie et sous-estiment les formations mécanisées. En réalité, le dispositif de l'Armée Rouge est plus en profondeur que ce que pensent les Allemands. Mais les corps mécanisés sont très dispersés, encore une fois. Les Soviétiques ont prévu une contre-attaque blindée autour de Grodno, dans le secteur où la Prusse Orientale s'avance un peu en URSS. Le 22 juin, le Panzergruppe 2 au sud, avance rapidement, tandis que le Panzergruppe 3 pousse au nord comme nous l'avons vu. La contre-attaque prévue avec les 6ème et 11ème corps mécanisés, voulue par Pavlov, échoue complètement. Tandis que les Soviétiques tentent de monter des contre-attaques au nord, leur ligne s'effondre au sud. La poche de Bialystok-Minsk se forme dès le 26 juin, date où l'ordre de retraite remplace enfin celui des contre-attaques. Le 29 juin, les Allemands entrent à Minsk, et le 1er juillet, les restes de 3ème, 4ème et 10ème armées soviétiques sont prises au piège dans la nasse. Mais la Wehrmacht ne parvient pas à liquider toutes ces troupes encerclées, dont certaines formeront plus tard des détachements de partisans.

Le général Lemm, qui a servi dans la 12. Infanterie Division, donne le point de vue allemand sur cet axe. Sa division, pourtant à plein effectif, n'est arrivée qu'en juin 1941 dans le secteur d'attaque. Elle a peu de renseignements sur l'adversaire et le terrain. La 12 I.D. se heurte dès le 22 juin à des complexes de fortifications de campagne. Lemm explique que le soldat soviétique est brave, sait se retrancher, que l'armement est correct, mais que le commandement est faible, que les non-Russes se rendent plus facilement, et que leur logistique est défaillante -ce qui est compensé par d'autres facteurs. Les Allemands perdent beaucoup de chevaux ; le terrain est marécageux ; l'approvisionnement est interrompu. Pour avancer, il faut former des groupes spéciaux motorisés.

Le colonel Durrwanger témoigne également pour le cas de la 28. I.D. . D'après lui, l'invasion de la Russie ne provoque pas l'enthousiasme dans la troupe, consciente de la difficulté ; mais il faut faire son "devoir" de soldat allemand (sic)... La division se heurte elle aussi à des fortifications de campagne défendues jusqu'à la mort. Durrwanger constate aussi que des Soviétiques sont encore présents sur les arrières de la division même quand elle a avancé... et explique que les cas sont nombreux de tirs dans le dos ou de blessés se sacrifiant avec des grenades quand ils sont approchés (de la cruauté allemande, il n'est jamais question). Il insiste également beaucoup sur l'Auftragstaktik, le système de commandement allemand qui favorise l'initiative des subalternes après formulation d'un ordre -sans en montrer les défauts, évidemment.

Le colonel Zobel évoque quant à lui la 3. Panzerdivision. L'unité franchit le Bug le 22 juin, et forme un groupe spécial, des fantassins avec motocyclistes et des sapeurs sur chars, pour éclairer la marche. Il raconte que les échelons arrières ont subi de lourdes pertes de la part des formations soviétiques dépassées, et que l'aviation rouge a également été très présente. La division doit s'arrêter deux jours sur la Bérézina. Elle prend Bobruisk par surprise. Néanmoins, l'infanterie à pied n'arrive pas à suivre le rythme des Panzer, ce qui finit par poser problème. L'aviation soviétique est toujours très active malgré de lourdes pertes, et l'intendance allemande connaît des ratés. 

Glantz présente ensuite l'axe Lutsk-Rovno, au sud, là où les contre-attaques blindées soviétiques ont été les plus fructueuses, car le dispositif était plus puissant et échelonné en profondeur. Là encore, les Allemands voient plus d'unité d'infanterie et de cavalerie que de formations mécanisées. Certains corps en réserve se trouvent sur l'emplacement de l'ancienne ligne Staline. Glantz s'intéresse en particulier aux combats autour de Vladimir Volinsky et de Dubno, les deux axes de pénétration allemands. Le 22 juin, les défenseurs frontaliers sont surpris, mais l'Armée Rouge fait monter en ligne ses brigades antichars. Les corps mécanisés soviétiques qui se déplacent pour contre-attaquer sont pilonnés par la Luftwaffe, quand leurs chars ne s'enlisent pas dans les marécages. Les 24-25 juin, une bataille de chars se développe autour de Dubno. Après ces combats de rencontre, la contre-attaque soviétique démarre véritablement le 26. La bataille dure plusieurs jours, mais dès le 1er juillet, les corps mécanisés soviétiques, décimés, se replient. Ils ont freiné l'avance allemande, mais en supériorité numérique, face au Panzergruppe le plus faible, et au prix de lourdes pertes.

Les généraux Thilo, Guderian, von Hopffgarten, Lingenthal offrent le point de vue allemand. Thilo servait dans l'état-major de l'OKH. La manoeuvre au sud, conçue par Halder, prévoyait au départ un enveloppement à partir des bases de départ polonaises et roumaines. Hitler impose un axe principal sur Lublin-Kiev. Thilo concède que les Soviétiques sont mieux commandés au sud ; après la bataille des frontières, ils se retirent sur la ligne Staline et lance de vigoureuses contre-attaques contre les pointes allemandes. Les pertes allemandes sont conséquentes. Guderian sert au III. Panzer Korps. L'entraînement a été intensif mais les nouveaux modèles de chars soviétiques sont inconnus. Guderian évoque lui aussi les commissaires soviétiques tirant dans le dos des troupes allemandes ou la mutilation de cadavres (!), un véritable poncif donc. Hopffgarten et Liegenthal ont servi dans la 11. Panzerdivision. Le premier raconte le parcours de son bataillon motocycliste, lequel a reçu du nouveau personnel à l'automne 1940 qu'il a fallu amalgamer. Le bataillon s'entraîne à être déployé en avant et à combattre avec les chars. Le bataillon assiste aux contre-attaques russes, soutenues par l'aviation. Plus tard, il s'empare de la ville de Berditchev. Le bataillon n'a pas rencontré de chars russes modernes. En revanche, le témoin reconnaît lui aussi la valeur du soldat soviétique. Liegenthal revient quant à lui sur la première rencontre avec le T-34, près de Radziechov, le 23 juin. Il souligne que la division était bien fournie en reconnaissance aérienne, en soutien aérien rapproché et en ravitaillement.

Macksey expose ensuite l'opération sur Smolensk, entre les 7 juillet et 7 août 1941. Bien que les Allemands aient temporairement gagné la supériorité aérienne, leur avance est ralentie par l'état des routes et une logistique défaillante. D'ailleurs, la consommation de pétrole est plus importante que prévu. Les Panzergruppe 2 et 3 ont bien du mal à boucler la poche de Smolensk.

Dieter Ose fournit son point de vue sur cette opération. Hitler choisit finalement d'écarter l'option de Moscou à la fin août, privilégiant les deux ailes. D'après lui, ce serait dû à un retard dans la prise de connaissance du changement d'attitude du Japon, qui abandonne alors toute idée d'attaque de l'URSS en Extrême-Orient. Ose croit également que la décision d'Hitler a été fatale à Barbarossa.

Jacob Kipp revient sur l'opération vue du côté soviétique, dans sa première phase. Le front concerné s'étale sur 600 km de long et 200 km de profondeur au moins. C'est alors le plus vaste de la campagne. Elle se joue à flancs ouverts, alors que les Allemands regroupent les deux axes ayant contourné les marais du Pripet dans la première phase. La bataille se joue sur le pont terrestre entre Dvina et Dniepr, avec Smolensk au centre-nord de l'ensemble. C'est la porte d'entrée de Moscou. L'infanterie et les Panzer allemands sont largement dissociés. Côté soviétique, c'est le deuxième échelon stratégique qui se retrouve en première ligne. Le 7 juillet, les Allemands sont sur la Dvina. Une contre-attaque soviétique échoue devant Vitebsk. Le Panzergruppe 2 franchit le Dniepr au nord et au sud de Moghilev, où les Soviétiques vont organiser une résistance farouche, que Lukin, commandant de la 16ème armée, essaie de reproduire à Smolensk. Mais les Allemands franchissent rapidement la barrière du Dniepr.

Rothe et Ohrloff reviennent sur les opérations de la 7. Panzerdivision. Ohrloff raconte la reprise du village de Senno, où une première attaque de chars sans soutien d'infanterie échoue. Zobel expose quant à lui le parcours de la 3. Panzerdivision. Regroupée avec la 4. Panzerdivision dans le XXIV. Panzerkorps, l'unité doit venir en aide à la 10. I.D. (mot.), contre-attaquée par les Soviétiques à Slobin (nuit du 6 juillet), près du Dniepr. Elle y laisse un certain nombre de chars détruits. Le choc est grand : l'Armée Rouge a monté une manoeuvre opérative de nuit à l'échelle de la division, et les T-34 ont montré leur pouvoir de destruction. L'assaut au sud de Moghilev est également difficile devant la résistance orchestrée par les Soviétiques. Les tankistes allemands sont épuisés. Le général Koch-Erpach décrit les opérations de la 4. Panzerdivision. Il commandait une compagnie d'infanterie mécanisée. Il note les combats particulièrement durs pour la prise de l'aérodrome de Baranovice le 27 juin, puis décrit plus tard un engagement contre un train blindé. Lui aussi reprend le thème des cadavres allemands mutilés. La défense soviétique au sud de Mogilev, au moment du franchissement du Dniepr, s'avère coriace. Les pertes allemandes sont lourdes. Les Allemands renvoient les prisonniers à l'arrière quasiment sans escorte, et beaucoup en profitent pour s'évader dans la nature, et être à l'origine plus tard de groupes de partisans.

J. Kipp détaille ensuite la deuxième phase de la bataille de Smolensk (20 juillet-7 août). Tandis que la 16ème armée de Lukin est encerclée dans la ville, les Soviétiques montent une contre-attaque avec des groupes ad hoc, mais qui n'avancent pas de manière coordonnée faute de planification aboutie et sont aussi pilonnés par la Luftwaffe. Le groupe Kachalov cherche à encercler le régiment Grossdeutschland, au départ mal soutenu par la 18. Panzerdivision. Alors que la poche à l'ouest de Smolensk se referme, Lukin parvient à faire sortir des unités par le corridor existant à l'est. Au même moment, Joukov est limogé de son poste de chef d'état-major de l'Armée Rouge pour avoir osé évoquer l'abandon de Kiev, à la fureur de Staline. Au 29 juillet, la poche est refermée et les Allemands se permettent une pause d'une dizaine de jours, pour souffler. Halder compte déjà 150 000 blessés dans l'armée allemande. L'Armée Rouge, qui mène une guerre d'annihilation, use au prix du sang le fer de lance de la Wehrmacht.

Le colonel Zobel évoque l'engagement de la 3. Panzerdivision dans la bataille de Smolensk. Durrwanger, de la 28. I.D., pense que les carences soviétiques en termes de tactique sont dues aux purges, au manque d'entraînement au combat interarmes et à la confusion provoquée par les batailles initiales. Il souligne aussi que les Allemands manquent de cartes. Surtout, il s'attarde sur les fameux Soviétiques blessés emportant dans la mort les Allemands qui approchent, qui se suicident, etc. Il dit aussi qu'en URSS, le niveau de combat interarmes standard dans sa division est descendu au bataillon.

Le colonel Glantz se charge de la conclusion pour le côté soviétique. L'avantage, au départ, est clairement aux Allemands ; il est renforcé par les lacunes et défaillances du côté soviétique. Les Allemands profitent du mauvais déploiement soviétique et de l'engagement au coup par coup des armées mobilisées. En revanche, l'incapacité à triompher montre que l'Allemagne ne s'est pas engagée dans le même type de guerre que les Soviétiques. Les Allemands ne peuvent venir à bout de tous les échelons de forces stratégiques de l'Armée Rouge -ils ne le peuvent tout simplement pas, faute de moyens. Sur le plan opératif, aux carences d'un commandement mal formé et inexpérimenté, s'ajoutent des manques en termes défensifs : pas de profondeur, de faibles fortifications de campagne, des chars utilisés en soutien d'infanterie seulement. Mais dès le mois de juillet, les Soviétiques redécoupent leurs forces en unités plus petites, pour mieux manoeuvrer ; la direction globale s'améliore avec la réorganisation des fronts ; les officiers s'aguerissent dans la défaite. La mobilisation totale commence dès l'été 1941. Les bases sont jetées pour de futurs succès au niveau opératif.

Côté allemand, c'est le général Niepold qui conclut. Il explique que les Allemands ont bien mieux manoeuvré en 1941 que les Soviétiques, sur terre comme dans les airs. D'après lui, les états-majors de l'OTAN de l'époque sont trop pléthoriques par rapport à ceux de la Wehrmacht (!). J. Kipp rappelle que pour les Soviétiques, le concept de la phase initiale de la guerre, la seule à pouvoir être préparée du temps de paix, existe dant l'entre-guerres, mais disparaît ensuite jusqu'aux années 1950. Ce n'est qu'avec l'ère nucléaire que l'Armée Rouge y revient. Elle insiste sur la durée de plus en plus courte de la période, la préparation des forces, favorisant le terme "d'opération éclair" dont les modèles sont la Mandchourie en 1945 ou Iassy-Kichinev en 1944. C'est que pour les Soviétiques, toute opération a une dimension politique.

L'ouvrage se termine par des interventions de généraux de l'OTAN sur les leçons à tirer de la phase initiale de Barbarossa pour un possible conflit en Europe contre les Soviétiques. Le symposium représente au final une source considérable. Aux exposés des historiens anglo-saxons plutôt spécialisés sur le côté soviétique s'ajoutent les précieux témoignages allemands. Néanmoins, le livre reste très cantonné, mais c'est l'objectif, dans la sphère militaire. Il est peu question ici des données politiques, économiques et sociales, ou culturelles. Sur certains points, il est maintenant dépassé par la recherche la plus récente, en particulier depuis une vingtaine d'années. Surtout, les historiens américains qui redécouvrent l'art opératif à l'époque, depuis quelques années, semblent pour certains idéaliser quelque peu les théories de l'Armée Rouge dans l'entre-deux-guerres et leur application, problématique. Défaut moins grave cependant que ces témoins allemands livrant un récit brut, non critique, alors qu'il oublie sciemment la collaboration avec le nazime pour "charger"à outrance l'adversaire soviétique. C'est peut-être là que le bât blesse un peu. Néanmoins, l'ensemble reste une somme appréciable pour analyser plus en profondeur la phase initiale des opérations sur le front de l'est. 



2ème Guerre Mondiale thématique n°38 (avril-juin 2015)

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Petite déception avec ce dernier thématique du magazine 2ème Guerre mondiale : au vu du titre, la Wehrmacht en France, invasion, occupation, libération, je m'attendais à un contenu allant un peu au-delà de l'histoire militaire classique que l'on trouve abondamment dans ce magazine et dans d'autres par ailleurs (aspects économiques et sociaux, politiques, voire mémoriels, etc).

Or Vincent Bernard livre surtout un portrait militaire de la présence allemande en France, qui, s'il va un peu plus loin que la remarque de Robert Paxton, éminent historien, qu'il prend comme base, n'est pas forcément plus achevé. Pour preuve, si la présentation de la mise en place de la structure d'occupation militaire en France (les 15 premières pages du travail) est sans doute la plus originale ett la moins traitée dans les magazines même en histoire militaire pure, la suite comprend des parties classiques parfois déjà traitées dans le magazine normal : mur de l'Atlantique, Osttruppen (sur lequel l'auteur a écrit un article récemment, auquel il fait référence d'ailleurs), bataille de Normandie (dont la Panzerwaffe, déjà abordée par B. Rondeau dans un autre thématique), pour finir par la liquidation des poches de l'Atlantique après une retraite allemande en France traitée relativement rapidement. La dimension militaire de l'occupation n'est donc pas si inconnue que ça, que ce soit dans les magazines spécialisés et a fortiori dans 2ème Guerre Mondiale.

C'est d'autant plus dommage que le sujet était porteur pour un sujet hors histoire militaire pure. D'ailleurs, il est surprenant que dans la bibliographie p.7, Vincent Bernard cite l'ouvrage collectif d'Eismann et Martens (que j'ai lu et utilisé moi-même, à la marge, pour mon dossier sur Joachim Peiper dans le n°56 du magazine normal), dont il ne se sert quasiment pas (et qui fourmille pourtant de sources, en bibliographie, à exploiter, outre les articles qui sont dedans). Cet ouvrage est une mine sur la question de l'occupation et de la répression, que l'auteur n'évoque qu'à peine dans le thématique. ll est vrai que Franck Ségretain a traité du sujet dans plusieurs articles du magazine normal, mais là encore, le nombre de sources est limité : on peut aller probablement chercher ailleurs. On est également étonné de voir apparaître l'ouvrage de Benoît Rondeau, qui traite davantage de la Wehrmacht et de la bataille de Normandie plutôt que de l'occupation à proprement parler (même s'il parle de l'invasion alliée et de la Libération). De la même façon, l'ouvrage récent sur le Rückzug semble avoir été peu employé, vu la place qui y est consacrée dans le thématique. On voit d'ailleurs que l'auteur reste assez  cantonné à la seule histoire militaire, quand il évoque dès la p.6 (et c'est répété de nouveau p.62), les massacres de la division Das Reich, qui les aurait commis en remontant vers le front de Normandie. En réalité, on sait depuis au moins les travaux de Max Hastings (et cela a été répété récemment dans le livre de F. Grenard sur le massacre de Tulle) que la division Das Reich a été chargée de la liquidation des maquis AVANT de monter sur le front de Normandie, ce sont donc deu mouvements bien distincts (que Fabrice Grenard remet en contexte dans son livre paru l'année dernière). On aimerait bien aussi avoir les liens précis des sites et forums spécialisés cités dans la bibliographie (que les connaisseurs fréquentent, effectivement, mais qui restent assez obscurs pour le lecteur moyen), pour savoir qui, justement, y intervient, et comment.

Même si le thématique comporte de nombreux tableaux et encadrés, ils restent au final peu exploités. Dommage, car le sujet méritait peut-être une approche un peu différente, dépassant la simple histoire militaire en forme de récit. L'auteur fait certes le portrait de la présence militaire allemande en France, entre 1940 et 1945, mais sans analyser beaucoup les enjeux.

Pierre MARAVAL, Théodose le Grand, Paris, Fayard, 2009, 381 p.

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Pierre Maraval est un historien, déjà âgé, spécialiste de l'histoire des débuts du christianisme et de l'Antiquité Tardive. Il est d'ailleurs professeur émérite à l'université Paris-IV.

En introduction de cette biographie de Théodose, il fait un tour des sources, nombreuses sur le personnage, mais qui se contredisent. Outre les lois de Théodose conservées dans le code qui porte son nom, et publié par son petit-fils Théodose II en 438, on trouve des panégyriques de rhéteurs païens, des correspondances d'évêques, des historiens, souvent postérieurs (sauf Ammien Marcellin), des histoires écclésiastiques, des chroniques plus tardives, et même deux oeuvres poétiques. Les sources ne parlent pas de tout le règne de la même façon : elles traitent assez des rapports entre Théodose et Ambroise, beaucoup moins des opérations militaires. D'après P. Maraval, il n'y avait aucune biographie récente de Théodose disponible en français : son intention est de combler ce vide. C'est la disparité des sources, souvent critiques contre l'empereur, qui expliquent qu'il soit moins connu que Constantin ou Justinien.




Théodose parvient au pouvoir après le désastre d'Andrinople, le 9 août 378, où l'empereur d'Orient Valens périt avec son armée face aux Goths. Vu comme un tournant pour beaucoup d'historiens, elle a marqué également les contemporains. Les chrétiens en particulier se font l'écho d'un séisme pour l'Empire romain.

Originaire de Galice, la famille de Théodose compte un nom illustre, puisque son père, général de Valentinien Ier, a mené nombre de campagnes en Occident. Il est exécuté en 376 sans qu'on sache vraiment pourquoi. Pour Pierre Maraval, il a peut-être été victime des querelles de pouvoir à la mort de Valentinien, et il souligne le rôle du préfet du prétoire, Maximinus. Théodose, né en 347, qui a commencé à combattre avec son père, retourne alors en Espagne. Après Andrinople, Gratien le rappelle parce qu'il a de la famille à la cour impériale et en raison de son prestige militaire. Sa nomination au rang d'empereur a peut-être été poussée par les fonctionnaires et l'armée, en 379, et Gratien mis devant le fait accompli. Théodose va se charger de l'Orient, et gagne Thessalonique.

Jusqu'en 382, Théodose combat les Goths qui ont donc pénétré dans l'Empire avant Andrinople et se sont révoltés ensuite, sous Valens. Il incorpore des Goths ralliés à l'armée romaine pour la recompléter après les pertes subies dans la bataille. Il remporte quelques succès ponctuels mais ne peut éliminer complètement la présence gothe. Le foedus de 382 renverse la politique, puisque Théodose sanctionne pour la première fois la présence d'un corps étranger dans l'Empire romain, qui certes fournit des soldats, mais reste problématique. La personne de Théodose fidélise les Goths, mais les tensions sont palpables à la fin de son règne et d'autre barbares tentent de franchir les frontières. Ces choix lui seront beaucoup reprochés par certains contemporains et par des historiens.

Théodose installe d'abord sa cour à Thessalonique, puis à Constantinople en 380. Bien accueilli par le Sénat d'une ville parfois frondeuse contre l'autorité impériale (contre Valens par exemple), il est soutenu par le grand rhéteur Thémistios. L'empereur cherche à affirmer la légitimité, notamment à travers le culte de son père. Théodose veut aussi se concilier des Occidentaux, qui sont d'ailleurs bien représentés dans les fonctions importantes en Orient.

Théodose réorganise aussi l'administration et veille au recrutement de l'armée, qu'il tente de rendre plus "romain", et moins barbare. Il cherche à limiter les abus de la poste impériale et réorganise la géographie administrative de l'Empire. Tout cela nécessite de l'argent, et des hausses d'impôts. La perception des impôts est un vrai problème, et la loi est particulièrement rigoureuse, avec châtiments corporels, même pour les curiales, fonction honnie des propriétaires terriens fortunés. Des lois touchent la vie quotidienne : sévères sur les moeurs, mais d'autres concernent les bâtiments publics ou le costume.

Depuis le concile de Nicée en 325, l'Empire romain s'est déchiré entre partisans du concile et ceux d'Arius, majoritairement homéens depuis 360, selon Pierre Maraval, donc moins radicaux que les théories d'Arius d'origine. Si Gratien se montre tolérant, il soutient de plus en plus les Nicéens après 380. Théodose, lui, après avoir pris consciente de la situation orientale, choisit la même politique.

En 381, Théodose convoque un concile à Constantinople, composé surtout d'Orientaux, qui confirme Grégoire de Nazianze comme évêque de la ville. Grégoire doit aussi présider le concile, mais se retire car sa personnalité est problématique, surtout après l'arrivée des Egyptiens et des Macédoniens. C'est ce concile qui reconnaît la primauté du patriarche de Constantinople sur les autres d'Orient et jette les graines du conflit avec Alexandrie. Le concile modifie un peu le credo de Nicée. Mais il n'arrive pas à régler les conflits : Théodose chasse donc de Constantinople les non-Nicéens à partir de 384. Gratien froisse Théodose en essayant, à travers d'autres conciles, de faire s'immiscer les Occidentaux dans les affaires d'Orient. Théodose prend des lois contre les hérétiques non-nicéens mais ne persécute pas les groupes schismatiques rigoristes. En Occident, Gratien, d'après P. Maraval qui suit les travaux de Cameron, a plus redéfini le titre de pontifex maximus qu'il ne l'a abandonné. Gratien, en 382-383, fait retirer l'autel de la Victoire du Sénat et supprime les privilèges des vestales. Pour l'historien, là encore, cela ne marque pas une véritable séparation de l'Etat avec le paganisme.

Gratien, qui favorise les chrétiens, se coupe des sénateurs et même de son armée. En 382, le comte de Bretagne, Maxime, se proclame empereur et débarque sur le continent. Gratien, qui prend la fuite, est tué en août 383. Maxime tente alors de se rallier Valentinien II, qui règne en Italie. Théodose, lui, montre son mécontentement devant l'usurpation. Il pense à une expédition militaire, alors que Valentinien II tente de gagner du temps et que Maxime froisse l'épiscopat en exécutant Priscillien, partisan espagnol d'une interprétration de la foi. Théodose doit accepter un statu-quo temporaire.

Le Sénat tente alors de faire annuler les mesures de Gratien, mené par Symmaque. Pendant ce temps, Ambroise se heurte à Milan à Valentinien II et sa mère qui penchent pour les homéens. L'empereur doit au final reculer devant Ambroise, ce qui souligne sa faiblesse.

Théodose, pendant cette période, en profite pour conclure une paix qui sera longue avec la Perse (387). L'Arménie, dont les deux tiers reviennent aux Sassanides (Persarménie), en fait les frais. L'empereur doit également régler une révolte à Antioche la même année, provoquée par des hausses d'impôts. Pendant la préfecture de Cynégios, préfet du prétoire d'Orient (384-388), plusieurs temples païens sont détruits lors de voyages visant au recouvrement des impôts. Ces actes, où le préfet couvre des moines ou fait intervenir la troupe, vont au-delà des lois de Théodose, qui met le hola après la mort de son préfet en 388.

Maxime rompt le statu-quo en entrant en Italie dans les premiers mois de 387. Valentinien II et sa mère, réfugiés à Aquilée, gagnent Thessalonique. Sur place, l'empereur fête ses 10 ans de règne : on a retrouvé un élément d'un service de table, un missorium, qui commémore l'événement. Théodose prépare son armée, reconstituée avec des barbares mais qui reste commandée par des Romains, et marche sur Maxime en juin 388 par voie de terre. Battu sur la Save, Maxime se replie en Italie, avant d'être vaincu et mis à mort à Aquilée.

Théodose reste en Italie jusqu'en 391. Il repeuple Milan avec des fidèles de sa cour. A Rome, à l'été 389, il écoute le panégyrique de Pacatus, visite les sanctuaires chrétiens, rencontre le pape Sirice. L'empereur se confronte à Ambroise, qui lui reproche d'avoir condamné des moines ayant détruit des bâtiments adverses à Callinicum, en Orient, en public. Puis survient l'affaire de Thessalonique, un massacre de citoyens provoqué par le lynchage d'un maître de la milice, où plusieurs milliers de personnes sont tuées dans l'amphithéâtre. Cela lui vaut une pénitence infligée par Ambroise mais moins contraignante que ce qu'on a souvent dit. Avant de quitter Rome, il interdit sur place tout culte païen. Non pas qu'il soit influencé par Ambroise ou d'autres, car il garde des païens parmi ses proches.

Théodose revient en Orient jusqu'en 395, pour régler d'abord des problèmes familiaux : son fils Arcadius a chassé sa belle-mère Galla. Tatianus, préfet du prétoire hostile aux mesures antipaïennes, est remplacé par Rufin, exemple d'Occidental ayant fait carrière en Orient. L'édit de Rome est ensuite appliqué à tout l'Empire : le Serapeum d'Alexandrie est détruit ainsi que de nombreux temples. Le paganisme n'est pas mort mais l'arsenal législatif contre les païens se développe. A l'égard des Juifs, pas de persécutions, mais la volonté de protéger les chrétiens du prosélytisme juif.

En 392,Valentinien II, qui tente de se dégager de la tutelle du général franc Arbogast, est mis à mort par ce dernier ou se suicide (même si Maraval en doute, vu sa piété chrétienne), sans que l'on puisse trancher. Pour régner, il met un homme de paille, Eugène, un membre de l'administration impériale, païen, ce que n'a pas forcément choisi Arbogast, mais qui ravit le Sénat romain. Eugène, qui n'arrive pas à se concilier Théodose, se rallie au parti païen, mais Théodose est assez manoeuvrier pour ne pas menacer ceux qui ont rejoint l'usurpateur. Théodose prépare son armée, largement composée de barbares, comme celle d'en face, et marche à nouveau sur l'Occident en 394. La guerre prend cette fois une coloration religieuse, même si l'enjeu est avant tout politique, ce que s'acharne à montrer l'historien. Une seule bataille décide du sort de la guerre : celle du Frigidus, une rivière en Italie, où la victoire de Théodose passe comme quasi miraculeuse pour les chrétiens. Arbogast et Nicomaque Flavien, les deux grands chefs du parti d'Eugène, se suicident. Théodose annule les mesures pro-païennes mais n'exerce pas trop de représailles. Tombé malade, il meurt à Rome le 17 janvier 395. Ses cendres sont rapatriées à Constantinople.

L'empereur a embelli Constantinople pendant son règne. Au forum de Théodose, dès 386, s'ajoute une colonne similaire à celle de Trajan, détruite au XVème siècle. Une basilique, un obélisque, la fameuse Porte Dorée des murailles complète l'ensemble. Il fonde aussi des monastères et construit des palais.

Le portrait physique de Théodose est difficile à tracer. Pour le portait psychologique, Maraval voit un homme plutôt philantrope, mais sujet à de violents accès de colère. Théodose n'est pas un chrétien empereur : il a toujours subordonné l'intérêt de l'Eglise à celui de l'Etat et ses monuments n'exaltent que sa gloire, pas celle du christianisme nicéen. Il a cependant fait construire quelques églises. Si Théodose a su renforcer sa légitimité, il n'a pas pu assurer la sécurité des frontières. Le foedus n'est pas compensé par une assimilation et par la reconstruction de l'armée : tâche difficile héritée de ses prédécesseurs immédiats, que Théodose n'a pas pu mener à bien. L'empereur a tenté de faire régner l'ordre public, sans bouleverser la société. Concernant la religion, Théodose a surtout chercher à faire disparaître les manifestations publiques du paganisme, et les hérésies ; mais les mesures qu'il a prises serviront de base à d'autres plus radicales. C'est le concile de Chalcédoine qui, en 451, qualifiera Théodose de "Grand", surtout pour son action religieuse. Pour Maraval, l'empereur a surtout été un pragmatique, qui par ses mesures a permis à l'Empire romain de survivre encore un peu. 

L'ouvrage, qui suit un plan chronologique, est desservi par l'absence de cartes, peut-être un choix de l'éditeur. Comme souvent dans les biographies antiques, P. Maraval brosse plus le portrait d'une époque que de l'homme lui-même. C'est une oeuvre de réhabilitation de l'empereur, qui en fait un personnage finalement mesuré, nuancé, à tel point qu'il s'efface devant l'histoire de l'Empire, dans le livre.

Hans VON LUCK, Panzer Commander. The Memoirs of Colonel Hans von Luck, Dell Books, 1991, 355 p.

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Hans von Luck est un officier de la Wehrmacht, ayant servi pendant la Seconde Guerre mondiale en atteignant le grade de colonel (Oberst). Il a servi sur quasiment tous les fronts, en Pologne, en France, en URSS, en Afrique du Nord, en Italie. Il a été proche du maréchal Rommel. Von Luck écrit ses mémoires seulement à partir de 1983, après une rencontre avec l'historien américain Stephen Ambrose, qui vient l'interroger, au départ, sur son rôle le 6 juin 1944. C'est après l'avoir rencontré qu'Ambrose le pousse à écrire ses mémoires. Celles-ci sont donc produites bien après les faites, ce qui ouvre la voie, bien évidemment, aux reconstruction. Von Luck appartient à la catégorie des mémorialistes allemands (non pas les généraux, cette fois, ou les maréchaux, mais l'échelon inférieur) qui ont probablement beaucoup fait pour la fascination américaine à l'égard de l'armée allemande, née dans le contexte de guerre froide et qui perdure aujourd'hui.

Ce n'est d'ailleurs probablement pas un hasard si von Luck commence ses mémoires par la fin : en 1949, prisonnier des Soviétiques en URSS, il se sort d'une mauvaise passe lors d'un interrogatoire avec un des officiers qui se trouvent en face de lui en jouant du destin commun des officiers pris dans la guerre. Façon, déjà, de dédiaboliser le comportement des Allemands en URSS et de réhumaniser celui des Soviétiques...


 

Von Luck est issu d'une vieille famille prussienne. Le récit de ses années de jeunesse, où il mène une carrière militaire, servant dans la Reichswehr dans les premières troupes motorisées (et où il rencontre Rommel comme instructeur), sépare déjà nettement l'armée du nazisme, ce qui laisse songeur. Il a beaucoup voyagé en Europe après la prise du pouvoir par les nazis. Von Luck s'attarde peu sur la campagne de Pologne.

Il fait partie de la division convertie qui devient la fameuse 7. Panzerdivision. Von Luck est beaucoup plus prolixe sur la campagne de France, où Rommel tient la vedette. Il raconte également avec un luxe de détails la capture de Fécamp, puis son arrivée à Bordeaux où il représente quasiment la première autorité militaire allemande d'occupation. Von Luck, selon ses dires, sympathise avec beaucoup de Français, dont deux en particulier à Paris. Il ne se prive pas cependant de collectionner les bons crus pris dans les caves du vaincu... il est déçu de ne pas partir avec Rommel en Afrique en février 1941. Lorsque sa division est concentrée en Prusse Orientale, il se dit sceptique sur l'invasion de l'URSS, ce qui là encore est peut-être une reconstruction a posteriori.

Lors de Barbarossa, von Luck se plaît à souligner l'inanité des tactiques soviétiques mais aussi la grande surprise que constitue la rencontre du T-34. Il raconte aussi comment il manque de se faire tuer par des soldats dépassés par l'avance allemande et qui tendent des embuscades sur la route. La description des villages soviétiques est assez conforme aux stéréotypes nazis, voire allemands datant de la Grande Guerre au moins. Là encore, von Luck explique que les Russes tendent d'abord la main aux Allemands. Il sympathise également avec un pope de Smolensk. Von Luck décrit les camps de prisonniers soviétiques, véritables mourroirs ; mais il ne fait pas grand chose pour soulager le sort des prisonniers, même s'il est horrifié. Il est plus préoccupé par le fait de ramener sa Mercedes avec lui quand il apprend, après la contre-offensive soviétique devant Moscou, qu'il va rejoindre Rommel en Afrique, en janvier 1942. De manière générale, Von Luck ne parle pas de l'association étroite de la Wehrmacht avec les crimes nazis à l'est...

Il passe par les bureaux du personnel à Berlin puis va voir sa famille à Flensburg, où il voit les premiers effets des bombardements aériens alliés. Il gagne l'Afrique du Nord mais il est rapidement blessé pendant la bataille de Gazala en mai 1942. Après avoir été évacué en Allemagne, il retourne sur le théâtre en septembre, peu de temps avant la bataille d'El-Alamein. Von Luck dit estimer les Italiens avec qui il travaille dans son bataillon de reconnaissance ; cependant, avant que le rôle d'Ultra ait été rendu public par les Anglais, il accusait les Italiens d'avoir renseigné les Alliés sur les mouvements logistiques, provoquant de nombreuses pertes de navires, ce qu'il reconnaît lui-même... à une possible réécriture s'ajoute donc la question de ces "trêves" avec les unités de reconnaissance britanniques à l'heure du thé, qui paraissent un peu trop belles pour être authentiques.Outre la supériorité aérienne alliée, il décrit aussi les premiers combats contre les Américains, en Tunisie, en février 1943, où ces derniers, bien que battus, savent ensuite faire preuve d'adaptation. Von Luck, envoyé par le commandement des restes de l'Afrika Korps pour convaincre le Führer d'évacuer la tête de pont, trouve l'atmosphère de Rome irréelle. A Berchtesgaden, Jodl ne le laisse même pas voir Hitler, lui affirmant que son intervention ne servirait à rien. Le bataillon de von Luck fait partie des 130 000 captifs qui capitulent en mai.

Basculé dans la réserve, von Luck tourne entre Berlin et Paris, où se trouve l'école de reconnaissance de l'arme blindée. Il rencontre Dagmar, fille d'un grand notable, mais la famille est inquiétée car d'ascendance juive. Le père de Dagmar finit au camp de concentration de Sachsenhausen. Von Luck tente d'intervenir en sa faveur et va jusqu'à rencontrer Kaltenbrunner, le sinistre chef du RSHA. Il est ensuite affecté à la 21. Panzerdivision, en Normandie, où il prend la tête du Panzergrenadier Regiment 125.

Lors du débarquement du 6 juin 1944, von Luck raconte la frustration ressentie par la division, qui ne reçoit pas d'ordre général de contre-attaque, à cause de l'absence de certains officiers, des atermoiements d'autres, et de la diversion que constitue pour Hitler le débarquement en Normandie. Lorsque la division se met en marche, ses attaques sont stoppées par l'aviation ou les tirs de l'artillerie de marine. Von Luck est en permission à Paris quand se déclenche l'opération Goodwood, le 18 juillet. Revenu en catastrophe, il place une unité de 88 de la Luftwaffe pour pilonner de flanc les chars britanniques, ce qui améliore une situation compromise en attendant l'arrivée des renforts. Von Luck assiste ensuite à la formation de la poche de Falaise, et se replie avec l'armée allemande en traversant la Seine, puis en se glissant entre deux armées américaines qui foncent vers l'est. En septembre, von Luck voit les défaites contre la 2ème division blindée française et les divisions blindées américaines en Lorraine.

En novembre-décembre, la division de von Luck mène des combats furieux contre les Américains, retranchée sur le Westwall, à Saarlautern. En janvier 1945, après avoir été déplacée dans le secteur de Hagenau, elle combat encore violemment en Alsace à la frontière du Palatinat, à Hatten-Ritterschoffen. Von Luck se plaît à souligner des prisonniers noirs d'un bataillon blindé, qui, dit-il, ont reçu l'ordre d'incendier chaque maison allemande d'où sont partis des coups de feu, forcément nazis. Début février 1945, la 21. Panzerdivision est transférée sur le front de l'est. Von Luck organise le départ de Dagmar dans le nord de l'Allemagne, vers Flensburg, où va s'installer d'ailleurs le gouvernement provisoire de Dönitz.

La division débarque à l'ouest de Küstrin, sur l'Oder, assiégée par les Soviétiques, et tente de la dégager, sans succès, avec la 25. Panzergrenadier Division. Puis von Luck est déplacé en Silésie, face à Koniev. Les Feldgendarmes appliquent strictement les consignes du maréchal Schörner, chef du Groupe d'Armées Centre, et exécutent pour des motifs parfois futiles des hommes de la division de von Luck sur les arrières des troupes allemandes. La division participe à la contre-attaque de Lauban, un des derniers mouvements tactiques allemands couronnés de succès, début mars. Après l'offensive de Joukov, le 16 avril, von Luck se retrouve enfermé avec les restes de la 9. Armee dans la poche de Halbe, au sud-est de Berlin. C'est en tentant d'en sortir qu'il est capturé par les Soviétiques, dix jours plus tard, le 27 avril. 

Von Luck parvient à faciliter pendant la marche l'évasion de plusieurs camarades vers les Américains, sur l'Elbe. Mais il est ensuite transporté dans un camp de regroupement près de Dresde, et commence le voyage en camion vers l'est. Les attitudes des prisonniers varient quant au nazisme, d'après von Luck, les plus jeunes restent encore attachés au souvenir du Führer. Finalement, après être passé par les bords de la mer d'Azov, les prisonniers allemands arrivent en Géorgie, au pied du Caucase. Von Luck atterrit dans un camp faisant partie d'un complexe plus grand, à Tkibuli, où les Allemands doivent travailler dans des mines de charbon. Il est nommé commandant des prisonniers, mais le statut varie en fonction des réponses (qu'il ne donne pas) aux interragoires soviétiques sur les membres de la SS, de la police, ou qui ont participé à la lutte antipartisans. Les premiers prisonniers ne sont relâchés qu'à partir de 1949. Les Allemands sont peu nourris, et la mortalité par maladie est élévée, mais comme le dit von Luck, les Soviétiques n'ont pas forcément un meilleur régime. En 1946, l'officier est affecté à une brigade de construction routière. Von Luck participe à la construction de maisons pour des cadres du parti, ce qui lui permet d'améliorer la situation du camp en gagnant de l'argent. Un semblant de vie culturelle est organisé. Les prisonniers peuvent bientôt écrire et recevoir du courrier. Von Luck est requis une fois pour une opération frauduleuse organisé par un apparatchik. A l'hiver 1947-1948, il est détaché dans une équipe de surveillance des puits de charbon. Il raconte comment il est accueill par des villageois géorgiens isolés qui ont encore le souvenir de la présence allemande pendant la Grande Guerre. A l'été 1948, von Luck assiste à la grève de la faim d'un camp de prisonniers hongrois. Puis il est sollicité par des Géorgiens pour un enterrement chrétien. Fin 1948-début 1949, von Luck est transféré dans un camp aux conditions plus difficiles près de Kiev, alors que commencent les premières libérations de prisonniers. Il suggère une grève de la faim, à l'exemple des Hongrois, pour améliorer les conditions du camp. Finalement, il est  libéré à la fin de 1949. Après avoir rompu avec Dagmar, qui a commencé une autre nuit, von Luck devient réceptionniste de nuit, et tente de se démarquer de son passé. Mais dans les années 1960, il est sollicité par les militaires britanniques pour évoquer son expérience en Normandie, et enchaîne les conférences devant les publics de pays membres de l'OTAN ou d'Europe de l'ouest. En 1984, il rencontre John Howard au 40ème anniversaire du D-Day, après avoir été interviewé par Stephen Ambrose.

Les mémoires de von Luck participent de cette littérature entretenant le mythe d'une Wehrmacht "à visage humain", débarrassée de toute compromission avec l'adversaire, sympathisant avec lui (cas des Britannques) ou reconnaissant sa valeur tout en ayant du mal à le mettre sur un même pied d'égalité (cas des Soviétiques). D'ailleurs les mémoires de von Luck parlent fort peu des réalités militaires (on relève même plusieurs erreurs à propos des matériels ou des détails techniques), mais davantage du parcours d'un officier allemand pendant la guerre, à la fois militaire, civil, et pour finir, prisonnier. Le témoignage, encore une fois, est donc bien plus intéressant de par la reconstruction qu'il opère pour un public surtout américain, ici, que pour son contenu à proprement parler.



Giusto TRAINA, Carrhes 9 juin 53 av. J.-C.. Anatomie d'une défaite, Histoire, Paris, Les Belles Lettres, 2011, 238 p.

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Dans l'introduction à cet ouvrage, l'historien Giovanni Brizzi souligne que la bataille de Carrhes, contrairement à ce que l'on a longtemps pensé, ne montre pas la supériorité décisive des Parthes sur les Romains. Les archers montés restent l'arme principale des Parthes, combinés aux lanciers cuirassés, le tout avec une supériorité numérique recherchée face à l'adversaire romain. La défaite de Carrhes est donc exceptionnelle, et les Romains imputeront leur défaite à la mollesse des légionnaires orientaux, un lieu commun promis à un brillant avenir dans leur littérature. La défaite donne ainsi naissance à une légende, celle de l'invincibilité des Parthes.

Giusto Traiana, historien italien à Paris-Sorbonne, rappelle quant à lui que le récit de Plutarque dans sa vie de Crassus, qui reste la source principale sur la bataille, a été écrite à la veille de l'expédition de Trajan contre les Parthes. Crassus est donc le modèle à ne pas suivre pour l'empereur romain. Les sources écrites sont quasiment, pourtant, les seules à notre disposition, et seulement du côté romain, même si les sources iraniennes parlent d'un "Démon blanc" qui pourrait bien être Crassus.



L'empire parthe naît vers 250 av. J.-C. mais il n'entre en contact avec Rome que vers 90 avant notre ère, à la faveur des guerres contre Mithridate. Les Romains envisagent plusieurs fois de lancer une campagne contre les Parthes, notamment sous le proconsulat de Gabinius en Syrie, mais l'expédition avorte à chaque fois. Crassus, homme de l'aristocratie, rendu riche par les affaires, fait partie du triumvirat conclu avec César et Pompée. En 56, il est élu avec Pompée consul pour l'année suivante. Crassus reçoit comme province la Syrie et prépare une expédition contre les Parthes. Il rassemble 7 légions, soit 30 à 40 000 hommes, plus les troupes laissées en garnison en Syrie. Les troupes romaines partent d'Italie et arrivent en Syrie. Crassus fait une première incursion couronnée de succès en Mésopotamie, puis se replie en Syrie. César lui envoie ensuite 1 000 cavaliers gaulois commandés par le fils de Crassus, Publius. Pour financer sa guerre, Crassus n'hésite pas à prélever les richesses des sanctuaires de Syrie. Le plan de Crassus est de prendre la route la plus courte, via la Haute Mésopotamie, pour s'emparer de Ctésiphon et Séleucie, puis se retirer via l'Arménie. L'armée parthe se divise en deux contingents : le roi Orode part bloquer le roi arménien Artavesdès, allié des Romains, tandis qu'un second corps doit contenir Crassus. Les Romains commettent plusieurs erreurs dues au manque de renseignements, en outre ils sont ralentis par leur train logistique.

Carrhes est alors un importante centre commercial et religieux. Le roi Orode a place à la tête du contingent mésopotamien celui que les sources romaines appellent Suréna, un membre important de la famille aristocratique des Suren. Celui-ci dispose de 10 000 hommes, qui ne sont d'ailleurs pas forcément tous des combattants. Les Romains retiendront de Carrhes la figure de l'arché monté parthe et de son arc composite, et la fameuse expression de la "flèche du Parthe". Ce mythe cache en fait l'utilisation combinée d'archers montés et de lanciers cuirassés. En combat rapproché, les Parthes utilisent la dague, le sabre, le poignard. Les Romains connaissent donc mal leur adversaire et sont mal équipés pour l'affronter.

Le 9 juin 53 av. J.-C., l'irruption de l'armée parthe surprend les Romains, qui avancent en formation carrée. Précédés par des cataphractes, les archers montés parthes se déploient et noient les légionnaires sous une pluie de flèches. Publius Crassus tente d'entraîner les Parthes à l'écart avec ses cavaliers gaulois, mais son contingent est détruit et lui-même tué. A la fin de la journée, les cataphractes enfoncent les légions romaines affaiblies. Crassus, désespéré, reste prostré pendant la nuit, alors que les Parthes se sont retirés. Le préfet Egnatius prévient la garnison de Carrhes de la défaite puis s'enfuit vers la Syrie avec 300 cavaliers. Crassus, lors d'une négociation avec les Parthes qui tourne à l'escarmouche, est finalement tué. Son corps, selon la tradition mazdéenne, aurait été abandonné aux bêtes sauvages, prélevé de la tête et de la main droite envoyées au roi Orode. On lui aurait aussi versé de l'or fondu dans la bouche. Les prisonniers romains rassemblés par les Parthes sont envoyés dans l'est de l'empire ; une hypothèse en fait même des mercenaires contre les Chinois. 7 aigles romaines sont consacrés par suréna dans un temple de Ctésiphon. Les conséquences de la bataille sont nombreuses. D'abord, les pertes sont lourdes : 20 000 morts et 10 000 survivants à peine. Ensuite, les Romains sont obligés de reconnaître la valeur d'un adversaire égal à leur propre empire. Enfin, la mort de Crassus ouvre la voie à la guerre civile entre César et Pompée. Cassius, survivant de l'expédition de Crassus, parvient à protéger la Syrie, mais la Mésopotamie reste entre les mains des Parthes. La défaite de Carrhes restera isolée. Les Romains réengagent rapidement les hostilités.

En 50, à la veille de la guerre civile entre César et Pompée, le Sénat demande deux légions au premier pour une expédition contre les Parthes, légions qui restent finalement en Italie. En réalité, comme le montrent les écrits de Cicéron, l'idée se répand au Sénat que Crassus ne mérite pas d'être vengé, car il a commis trop d'erreurs, voire a conduit une guerre illégitime. César prépare néanmoins une expédition avant d'être assassiné aux ides de mars 44. C'est Antoine, un de ses successeurs, qui reprend l'offensive contre les Parthes. Si Decidius Saxa est battu en 40, Ventidius est vainqueur en 38 et tue Pacorus, le fils d'Orode. L'expédition d'Antoine, qui passe par l'Arménie, est un échec. Auguste, en 20, choisit la solution diplomatique pour se faire restituer des enseignes (qui ne sont probablement pas celles de Carrhes, d'ailleurs, mais celles des défaites ultérieures). On compare ensuite Carrhes au désastre de Teutoburg, en 9 ap. J.-C. . C'est alors que les auteurs romains et grecs commencent à construire la légende noire de Crassus. Plutarque présente un portrait de héros tragique : c'est Trajan qui réussit à imiter Alexandre le Grand, non Crassus. C'est près de Carrhes qu'est assassiné Caracalla en 217, et non loin de là que l'empereur Valérien est capturé par les Perses en 260. Le souvenir de la bataille s'estompe dans l'Antiquité Tardive, les auteurs chrétiens n'y accordent pas grand intérêt.

Carrhes, finalement, est-elle une exception ? Traina souligne combien la défaite est embarrassante pour un V.D. Hanson et son "modèle occidental de la guerre". On a même fait de Carrhes un choc de civilisations entre monde occidental et monde oriental (!). En réalité, il nous manque les sources iraniennes pour être complet, mais l'on peut simplement constater qu'un général parthe a appliqué une recette tactique qui lui a permis de vaincre la légion romaine, un des outils guerriers les plus efficaces de son temps. Rien d'exceptionnel, donc, contrairement aux récupérations qui peuvent être faite de l'épisode pour des comparaisons bancales avec la situation en Irak ou ailleurs aujourd'hui.

Un travail plutôt court, mais stimulant, et servi par une abondante bibliographie (plus de 30 pages) et de non moins abondantes notes (plus de 30 pages également). On peut tout juste regretter que les quelques cartes présentes en début d'ouvrage et les schémas tactiques ne soient pas plus nombreux (l'auteur me précise que c'est justement la pauvreté des sources, comme souvent dans les batailles antiques d'ailleurs, qui empêche de reconstruire correctement le déroulement de la bataille... il est vrai que pour l'Antiquité, c'est souvent vrai) mais il faut noter la présence d'un livret d'illustrations central avec plusieurs documents en couleur. Assurément l'ouvrage comble un vide à la fois parce que la bataille n'a quasiment pas été traitée en français, mais aussi parce que l'approche est tout à fait pertinente, dans la ligne des dernières avancées historiographiques.



Drango (1957) de Hall Bartlett

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1865. Le major nordiste Drango (Jeff Chandler) et le capitaine Banning (John Lupton) arrivent dans une petite localité de Géorgie, juste après la fin de la guerre de Sécession, pour représenter l'autorité de l'Union. Ils sont accueillis de mauvaise grâce par les habitants, encore sous le choc des destructions et des ravages humains entraînés par le conflit. Calder, un sympathisant local de l'Union persécuté par les autres habitants, finit par être lynché par les sudistes les plus acharnés. Sa fille, Kate (Joanne Dru), reproche à Drango de n'avoir pas su empêcher la mort de son père. Drango tente tant bien que mal de rétablir la justice sur des plaies encore brûlantes...

Drango est un film produit par la propre société de Chandler, Earlmar Productions. C'est un film sombre qui traite d'une période peu abordée en général dans les films américains, celle de la Reconstruction après la guerre de Sécession. Le film appartient bien au genre du western, dont il a les caractéristiques : pourtant, l'ambiance de fin du monde du Sud vaincu n'est pas sans rappeler certains films de la même époque sur la fin de l'Allemagne nazie. Le film a été tourné en studio et certaines scènes sur une plantation de Louisiane : la pauvreté des décors intérieurs est là pour renforcer les déprédations supposées commises pendant la marche de Sherman jusqu'à la mer.



Le film met en lumière la diversité des comportements nordistes à l'égard du sud. Le colonel qui est le supérieur immédiat de Drango adopte une attitude dure face aux sudistes, qui correspond au changement de perception après l'assasinat de Lincoln. Drango, dans le film, incarne davantage les sentiments du défunt président, prêt à pardonner. Drango rechigne à imposer sa volonté par la force : on apprend plus tard dans le film qu'il a fait partie du détachement nordiste ayant mis à sac la ville. Les rôles féminins du film sont assez négligés : il faut dire que Joanne Dru, par exemple, était un remplacement de dernière minute. Le scénario souffre de plusieurs faiblesses : la révélation du passé de Drango n'est pas bien exploitée, et les habitants passent soudainement de sudistes revanchards prêt à mettre le pays à feu et à sang à d'honnêtes citoyens désirant la paix... autre problème, l'absence complète des Noirs. On se demande où sont les esclaves libérés... mais les premiers pas de Chandler comme producteur ne sont pas inintéressants.


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