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2ème Guerre Mondiale n°52 : supplément au dossier du "triangle sanglant"

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Pour compléter le dossier sur le "triangle sanglant" en Ukraine, voici le point de vue allemand avec ce témoignage d'un commandant de compagnie motocycliste de la 11. Panzerdivision. Bonne lecture !


Von Hofgarten est à la tête d'une compagnie de motocyclistes du 61ème bataillon. Il y a une compagnie de ce type dans chacun des 7 bataillons motorisés de la Reichswehr en 1935. En octobre 1934, le 16ème régiment de cavalerie de la 3ème division de cavalerie de Thuringe est démonté et réorganisé en deux régiments motorisés avec des motos et des side-cars. En 1935, ces deux régiments constituent les 3 bataillons de motocyclistes des 3 premières Panzerdivisionen.

Le bataillon de von Hofgarten est constitué à l'automne 1940 : il comprend un état-major, 3 compagnies de motocyclistes-fusiliers et une compagnie de motocyclistes-mitrailleuses, ainsi qu'une compagnie lourde avec moyens du génie, artillerie de campagne et artillerie antichar. En tout, environ 800 hommes. Les bataillons de motocyclistes servent à la fois à la reconnaissance mais aussi à raids, pour établir des têtes de pont par exemple. Ils souffrent en revanche dès que le terrain devient boueux et impraticable, comme ce sera le cas à la fin de Barbarossa en Ukraine ; en outre, ils manquent de puissance de feu face à un ennemi qui serait bien retranché.

Le bataillon a été constitué sur le terrain de manoeuvres d'Ohrdruf entre août et septembre 1940. Von Hofgarten a été chef de section puis de compagnie dans le 1er bataillon de motocyclistes, blessé pendant la campagne à l'ouest, puis arrive en septembre au 61ème bataillon de motocyclistes. Il peut ainsi comparer les deux formations : le 1er était une unité de professionnels, officiers et sous-officiers, avec presque aucun réserviste. Ce n'est plus le cas avec le 61ème : certains hommes ont été transférés d'autres unités et n'ont pas l'expérience des motocyclistes, un tiers seulement a l'expérience du combat. La cohésion n'est obtenue que par l'entraînement intensif puis avec la campagne des Balkans. La compagnie de mitrailleuses de von Hofgarten n'atteint son effectif complet qu'en janvier 1941. Vu le type de formation, le rôle de l'officier est central : il doit diriger de l'avant et montrer l'exemple. En outre les mitrailleuses sont importantes aussi pour le bataillon. Les motocyclistes démontent fréquemment pour monter sur les chars qui mènent la progression, afin de réduire les nids de résistance. Début juin 1941, la compagnie de motocyclistes participe à un exercice de la 11. Panzerdivision où elle incarne l'infanterie russe. Von Hofgarten témoigne d'ailleurs que les Allemands n'ont que fort peu de renseignements sur les tactiques de leur adversaire.

Voici comment von Hofgarten décrit le début des opérations :

"Après l'ouverture du feu par l'artillerie lourde à 3h15 le 22 juin, le bataillon doit attendre l'aube pour traverser la rivière sur un pont du génie. Une petite tête de pont a été créée par d'autres unités. Comme le 15. Panzer-Regiment est en pointe, le bataillon n'est engagé que dans de petites actions entre les 22 et 25 juin. La résistance ennemie est faible et désorganisée, et des forces plus importantes ne sont pas encore apparues. Ce n'est que le 26 juin que le bataillon, cette fois en pointe, bute sur une résistance plus coriace à Ostrog, dans la zone de Dubno, après 90 km de marche. Par une attaque surprise, la compagnie réussit à rejeter l'ennemi dans les faubourgs est d'Ostrog. Pourtant, la compagnie se trouve dans une situation critique car le bataillon ne la rejoint pas avant plusieurs heures, notamment en raison de l'état des routes. L'infanterie soviétique se reprend et lance plusieurs contre-attaques. Notre artillerie antichar détruit un vieux blindé soviétique. Notre compagnie de mitrailleuses repousse aisément l'assaut de une ou deux compagnies ennemies, notamment parce que celles-ci doivent grimper une pente devant les faubourgs est. L'artillerie ennemie n'est pas engagée. Les canons lourds, pourtant, frappent Rovno, sur la gauche du bataillon.".


Pour en savoir plus :


David M. GLANTZ (éd.), The Initial Period of War on the Eastern Front 22 June-August 1941, Frank Cass Publishers, 1993, p.318-335.


[Nicolas AUBIN] Henri de Wailly, Weygand, De Gaulle et quelques autres, La Somme 16-28 mai 1940, Lavauzelle, 1983, 379 p.

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Nouvelle fiche de lecture proposée par Nicolas Aubin, merci à lui.

Avec cet ouvrage, le second d’une quadrilogie, Henri de Wailly poursuit son exploration des combats le long de la Basse-Somme. Le premier tome (le coup de faux) était consacré au bombardement et à la prise d’Abbeville le 20 mai 1940, celui-ci prend davantage de recul et embrasse quinze journées qualifiées de décisives vues du côté des alliés. .. D’où le titre «Weygand, De gaulle et quelques autres». Il s’agit de suivre une vingtaine d’acteurs allant du général en chef jusqu’à l’obscur trouffion pour comprendre la difficile reconstruction du front sur la Somme et les contre-attaques bâclées qui se succèdent entre Abbeville et Amiens pour espérer rompre l’encerclement du GA1 victime du coup de faux. A propos de cette histoire, deux thèses s'opposent: l'une considère que si les Allemands avaient été repoussés là, tout aurait pu changer. L'autre thèse considère que les cartes étaient déjà jouées et qu'il n'était plus possible de redresser la situation. Henri de Wailly semble incliner dans le sens des premiers même si à travers son récit, les autres partisans pourront y trouver aussi de la matière à fourbir leurs arguments. 
 
A sa sortie (1983), l’ouvrage comblait une lacune dans la recherche, cette période étant largement ignorée et les lecteurs ne connaissaient en général que deux contre-attaques françaises (Montcornet et Abbeville le 29 mai… légende gaullienne oblige). De Wailly qui ne semble pas un gaulliste convaincu écorne cette légende (on le ressentira davantage dans son ouvrage suivant : De gaulle sous le casque.)

Le livre se présente comme un récit quotidien qui, pour chaque journée, alterne de courts chapitres (1 à 2 pages) consacrés à un acteur. On va et on vient entre l’arrière et le front en permanence, entre le soldat et le chef avec parfois une parole donnée au civil perdu dans la débâcle. Ce choix dynamique donne une véritable dramaturgie et un côté thriller très agréable pour une lecture sous la couette mais il oblige à beaucoup chercher quand on veut suivre l’odyssée d’une seule unité ou reconstruire les étapes d’un engagement sur plusieurs jours. La part belle accordée aux témoignages, le recours aux dialogues directs contribuent aussi à être plongé au cœur de la bataille. L’anecdote s’imbrique à la Grande histoire telle ces tensions entre Julitte, l’officier de liaison auprès de la
1st Arm Div, et le major Ross… anecdote, anecdotique je ne pense pas tant elle illustre à merveille les méfiances réciproques et tant ces méfiances ont ralenti ou affaibli les opérations inter-alliées.

Concrètement, la première partie de l’ouvrage porte sur la tardive prise de conscience du coup de faux par les autorités, la difficulté à reconstituer un front, la dichotomie entre les punaises accrochées sur la carte à Vincennes et la triste réalité sur le terrain où les unités montent en ligne dans le plus grand désordre… puis vient le temps des contre-attaques quand les alliés enchaînent les attaques improvisées contre les têtes de ponts allemandes sur la Somme que de Wailly résume ainsi : «
 Echec sanglant à Abbeville, attaque blanche à Picquigny, échec au sud d’Amiens : hélas il faut encore avancer d’une station dans ce récit répétitif. Aujourd’hui le 27 mai une autre unité est parvenue sur le front de la Somme et, de la même façon, elle a été jetée instantanément sur l’ennemi invisible, sans aviation, presque sans artillerie avec pour tout soutien, dix chars Hotchkiss du groupement de Langle « Attaquer ! Attaquer ! Attaquer ! avait ordonné le général Besson. ». Il parle ici de la13e DI (p.254). Notez que les attaques de la 4e DCR puis de la 2e DCR ne sont pas abordés ici mais dans les deux tomes suivants.

Henri de Wailly est un enfant de la débâcle (né en 1934), un marin et un ancien combattant de la guerre d’Algérie et il «
est hanté par le désolant naufrage de sa nation» (je cite sa présentation), cet itinéraire se ressent et de Wailly cherche à exorciser ce traumatisme. Il n’est donc pas neutre dans sa prose au contraire il fait partager son écœurement face à l’impréparation française, face aux atermoiements ou au contraire au manque de discernement criminel des généraux alliés. Il compare les combats très coûteux de la deuxième semaine (300 chars perdus) à un effort fourni par un homme pour refermer une porte ouverte dans un mur qui s’écroule autour de lui. Il dénonce le gâchis matériel et, bien sûr, humain de contre-attaques menées dans l’anonymat ou le mépris telle celle de la 1st Arm Div le 27 mai qui brise ses reins au Sud d’Abbeville et qui est perçu comme un « épiphénomène regrettable mais à tout prendre sans conséquence » par les autorités françaises… comme si on pouvait se permettre de gaspiller une des dernières unités motorisées alliées. Il dresse un parallèle avec les offensives de la 1ere Guerre Mondiale. Finalement, on ressort avec une impression finalement assez caricaturale ou stéréotypé où les actes héroïques ont été gâchés par l’imbécilité de généraux minables ou imbus d’eux même… et de citer les deux heures perdues par le général Frère et son état-major pour marquer sa sympathie à l’égard de celui de la 2e région militaire qui avait ordre de rester à Amiens alors que Frère évacuait. Deux heures de compassion car, dixit Frère, un départ précipité «me paraissait peu élégant, nous lui tenons donc compagnie jusqu’à 17 h». Un historien aujourd'hui ne se contenterait plus de ce simple constat, il chercherait à expliquer pourquoi les généraux français ont été désarçonnés. Et c'est sur ce point que l'on doit douter des possibilités d'un redressement, tant la détresse de l'état-major est le fruit non d'une conjoncture désastreuse ou d'incompétences individuelles mais traduit l'effondrement de toute une infrastructure mentale et organisationnelle.

Ce style direct parfois vindicatif peut énerver ou, au contraire, séduire par sa faculté à vous projeter au cœur de la bataille, au cœur de la réalité vécue sur le terrain. Il manque aussi le pendant allemand car l’auteur fait le choix légitime de laisser le lecteur dans la peau des Alliés en manque de renseignement sur cet adversaire invisible. Si Henri De Wailly a consulté de nombreuses archives alliées (en particulier anglaises) et collecté des dizaines de témoignages, toute cette documentation ne porte que sur le même camp. Les cartes sont indigentes mais cela est fréquent dans un livre des années 80.

Il n’en demeure pas moins que ce livre reste remarquable : bien écrit, haletant, poignant, avec une documentation solide… indispensable à mon avis dans une bibliothèque sur le désastre de 1940.

Nicolas Aubin

Michel GALY (dir.), La guerre au Mali. Comprendre la crise au Sahel et au Sahara. Enjeux et zones d'ombre, Paris, La Découverte, 2013, 198 p.

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Pas facile de traiter, à chaud, un conflit qui n'est pas encore terminé. Parlant régulièrement de la guerre en Syrie depuis septembre 2013, je sais de quoi je parle... et pourtant, sous la houlette de Michel Galy, professeur de géopolitique à l'ILERI, un panel de spécialistes a essayé de le faire.

Dans la préface, Bertrand Badie souligne que la crise n'est pas seulement malienne, mais régionale. Les échelles sont très importantes. Le problème malien remonte en fait à la période de l'indépendance, c'est aussi un échec politique. Crise nationale, crise régionale, crise continentale même pour Badie, car l'Union Africaine n'a pas encore les moyens de répondre à de tels défis. En outre, la guerre au Mali est liée au "printemps arabe" de par les effets de la chute de Kadhafi en Libye sur la situation dans le pays. Comme le souligne le préfacier, l'intervention militaire à elle seule est trompeuse : elle ne règlera pas les questions politiques et sociales. L'opération française est menée par l'ancienne puissance coloniale, puissance extérieure quoiqu'on en pense ; c'est aussi quelque part l'échec d'un multilatéralisme en matière de sécurité. Réduire l'adversaire à des terroristes criminels (alors que les mouvements affrontés ont un ancrage social évident, pour certains) n'arrange rien. Une victoire militaire peut-elle déboucher sur un résultat politique conséquent ? L'intervention militaire nourrit les sociétés guerrières, renforce la tutelle d'une société dépendante, aggrave le "prétorianisme".

Michel Galy rappelle quant à lui dans l'introduction que la guerre commence en janvier 2012, un an avant l'intervention française. Le conflit, comme on l'a dit, dépasse l'enjeu local, il est quasiment global, de par ses ramifications. Les Touaregs ont été marginalisés par le découpage colonial, puis depuis les indépendances. Sur le problème touareg s'est surimposé la radicalisation de l'islam depuis les années 2000, vers le wahhabisme, particulièrement au Mali. Pour Michel Galy, la France est en partie responsable du délitement de la situation, notamment en soutenant des élections truquées, en misant sur les Touaregs qui se sont rapidement alliés aux djihadistes, en reprenant le discours de la "guerre contre le terrorisme" de G.W. Bush. Pour Galy, le scénario de sortie de crise est plus celui d'un "état de guerre" indécis.



Le géographe Grégory Giraud rappelle que les sécheresses des années 1970 et 1980 ont attisé les tensions pour l'accès aux ressources naturelles qui se font rares. C'est à ce moment-là que Kadhafi recrute des Touaregs et que se développe les activités illicites dans la zone sahélo-saharienne. Gao est l'une de plaques tournantes de ce trafic, qui fait vivre le Nord-Mali. Les Touaregs participent aux trafics d'armes, de drogue, tandis que les ressources minières commencent à être exploitées par des intérêts étrangers. Les rivalités régionales entre le Maroc, l'Algérie et la Libye sont anciennes, et la deuxième est devenue un acteur majeur après la chute de Kadhafi. Depuis 1990, toutes les rébellions touarègues successives ont été instrumentalisées par des acteurs extérieurs. La Sécurité Algérienne arme ainsi un mouvement touareg en 1990. Dans les années 2000, ce paysage est bousculé par l'irruption du trafic de drogue à grande échelle et l'arrivée du GSPC, futur AQMI. L'enlèvement de 32 touristes européens par El Para, en 2003, qui fait connaître le GSPC, a probablement été orchestré par la DRS algérienne pour bénéficier du soutien américain lors de la "Global War on Terror". La rébellion touarègue de 2006 autour de l'Alliance pour la Démocratie et le Changement (ADC), avec Iyad Ag Ghali, lié de longue dates aux services algériens, serait probablement venue pour des raisons identiques. Une scission de l'ADC, en 2007, est elle soutenue par la Libye de Kadhafi. Le GSPC, devenu AQMI en 2007, multiplie les enlèvements d'Européens et s'installe plus lourdement au Nord-Mali à partir de 2009. C'est parce que la France soutient le régime mauritanien qu'AQMI, liée à la DRS, continue sa politique d'attentats et d'enlèvements de Français. En 2011, avec la défaite de Kadhafi, les Touaregs revenus au Nord-Mali fonde le MNLA, tandis qu'Iyad Ag Ghali, radicalisé après un séjour en Arabie Saoudite, crée Ansar Eddine. Le MNLA, Ansar Eddine et AQMI font tomber le Nord-Mali en avril 2012, le MNLA proclamant dans la foulée l'indépendance de l'Azawad. Mais Ansar Eddine prend rapidement l'ascendant, grâce au soutien d'Alger, qui fait aussi intervenir AQMI. Le MUJAO, excroissance d'AQMI né en décembre 2011, vise à étendre l'assise sociale du mouvement, via la partie trafiquante. L'intervention française de janvier 2013 a conduit à une recomposition du paysage. Une scission divise Ansar Eddine, avec la naissance du Mouvement Islamique de l'Azawad, les Touaregs rejoignent en partie les Français, les milices maliennes armées par la présidence se dissolvent. Cela explique que la progression initiale ait été rapide. Un "grand jeu" se déroule aussi dans la région. Les Etats-Unis sont présents via l'Initiative Pan-Sahel, dès 2002, suivie de la TSCTI en 2005. Ils entretiennent de petites bases pour des interventions ponctuelles, les lily pads, particulièrement avec l'Algérie et le Maroc. Pour la France, les intérêts stratégiques prévalent sur les intérêts économiques : il faut en particulier protéger les mines d'uranium du Niger, exploitées par Areva, qui assurent l'indépendance énergétique. En outre, depuis 2009, les Etats-Unis sont moins présents et "délèguent" largement à la France, non sans rivalité. On note aussi que le Qatar, par le biais de donateurs privés, est présent, tout comme l'Arabie Saoudite.

Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou revient justement sur le "grand jeu" des puissances  occidentales. Pour lui, l'intervention de la France symbolise une remilitarisation des échanges entre l'Occident et le Sud. Ce grand jeu du XXIème siècle se caractérise par l'incapacité des Etats postcoloniaux à construire des états stables et souverains ; l'émergence de groupes armés non étatiques avec un projet transnational ; et la concurrence croissante, en Afrique, entre l'Occident et les puissances émergences (Chine, etc). D'après lui, l'intervention française de janvier 2013 consacre le recours à la force dans le règlement des différends. Pour autant, peut-on dire que c'est la reproduction du discours orientaliste du XIXème siècle ? Il est plus pertinent quand il explique que le problème touareg s'est aussi combiné avec l'héritage non résolu de la guerre civile algérienne. Le GSPC commence à s'installer au Nord-Mali en 2003 et n'en partira plus. La prise d'otage d'In Amenas, qui a lieu en Algérie, montre la filiation entre GIA-GSPC-AQMI-MUJAO et jusqu'à Ansar al-Sharia, dissidence de ce dernier apparue en janvier 2012. La guerre en Libye a aussi provoqué un afflux d'armes et de combattants (Touaregs servant Kadhafi). La crise au Mali du début 2012, avec un président, Amadou Toumani Touré, sur le départ, concentre le contrôle grandissant de groupes islamistes radicaux présents depuis une décennie au Nord-Mali, la circulation d'armes et de combattants, et les désirs sécessionnistes de Touaregs fédérés. L'Etat malien est incapable d'y faire face, mais il faut remarquer que la France n'a pas eu non plus de mandat en bonne et due forme du conseil de sécurité de l'ONU. Pour l'auteur, ce "grand jeu" des puissances occidentales a pour résultat d'entraver la construction de l'Etat postcolonial.

Pour Michel Gay, l'opération Serval est le résultat de plusieurs facteurs. L'intervention de janvier 2013 n'a rien de précipitée : les forces spéciales opèrent sur le terrain depuis août 2012, l'appui n'est pas seulement aérien comme l'avait demandé le président malien. Les Français, qui ont rapidement progressé, ont reçu l'appui des Tchadiens et des Touaregs du MNLA. L'opération justifie le maintien de bases en Afrique et procède aussi à une conquête territoriale. Ce faisant, pour Michel Galy, le président Hollande est revenu à la Françafrique qu'il avait tenté de mettre de côté. Le Mali, sous la présidence Keïta (renversé en 1968), avait échappé au système, avant d'être vanté comme modèle après le renversement du dictateur Traoré (1991) et les présidences d'Alpha Oumar Konaré et Amadou Toumani Touré. En réalité, la misère économique, la corruption, les dysfonctionnements de l'appareil militaire, la résurgence des rébellions au nord expliquent l'écroulement de l'Etat en 2012. L'enjeu, pour la France, est géopolitique : conserver une aire d'influence en Afrique, même s'il faut soutenir des régimes sans légitimité.





Jean-Louis Sagot Duvauroux rappelle que les révoltes touarègues ont été répétées depuis 1960. Le président Touré avait réussi à calmer le jeu, mais la défaite de Kadhafi bouscule les équilibres et entraîne son renversement par une partie des officiers de l'armée menée par le capitaine Sanogo, à Bamako, dans un coup d'Etat mené quasiment sur un coup de tête. Pourtant la société malienne tient, malgré un Etat défaillant : le yuruguyurugu, en bambara, désigne la corruption, dont l'Etat administré est l'aboutissement. La société subit pourtant une "panne intellectuelle" due au régime des militaires, et ce malgré l'avènement d'une cybergénération de Maliens. L'intervention française de janvier 2013 a sauvé le Mali d'un péril imminent ; cependant, même si la France, en tant qu'ancienne puissance coloniale, a pris ses distances, les Maliens voient d'un très mauvais oeil ce cadre occidental qu'on cherche à leur imposer, à tous les niveaux.

L'armée malienne, elle aussi, est le reflet des inégalités sociales, des jeux de pouvoir et de corruption du Mali. Eros Sana montre qu'intégrer l'armée malienne ne suffit pas à éviter la précarité. Les conditions de vie sont dantesques pour les militaires maliens. En janvier 2012, plusieurs dizaines de prisonniers sont exécutés par le MNLA et Ansar Eddine à Aguelhok. Pour une force évaluée de 7 à 14 000 hommes, le président Touré a nommé, entre 2002 et 2012, 45 généraux. Entre ceux-ci et la troupe démunie, des capitaines quadragénaires qui gèrent la réalité des opérations sur le terrain. En dépit de fonds considérables investis par la France en 1998 et par les Etats-Unis ensuite, en choisissant de renforcer l'armée plutôt que les programmes de développement, l'appareil militaire malien ne s'est pas amélioré. Les Touaregs, intégrés en plusieurs vagues après chaque rébellion solutionnée, demandent des grades qui correspondent à leur expérience, ce qui n'est pas sans provoquer des ressentiments dans l'armée, auxquels s'ajoute la peur de la trahison. Le 33ème régiment de paracommandos, les fameux "bérets rouges", est le révélateur de ces tensions. C'est le dictateur Moussa Traoré, qui renverse le président Keïta en 1968, qui crée les bérets rouges pour surveiller ses alliés du coup d'Etat. Touré, ancien béret rouge et chef de la Garde Présidentielle de Traoré, a continué de favoriser cette véritable garde prétorienne. En mars 2012, le capitaine Sanogo, un béret vert, renverse le président Traoré : formé aux Etats-Unis, il a le soutien d'une bonne partie de la population de Bamako. Les bérets rouges ont cependant refusé de se rallier et tentent un coup d'Etat, un mois plus tard, qui échoue, conduisant à leur dissolution. Avec l'intervention française, les bérets rouges ont été ressuscités, mais leur réintégration a de nouveau provoqué des affrontements au sein de l'armée malienne... et l'on se demande quel sera l'avenir de l'armée malienne, qui n'a pu reconquérir le Nord-Mali et qui a commis, après l'intervention française, des exactions contre les civils.

Hélène Claudot-Hawad revient ensuite sur la "question touarègue". Elle dure depuis 130 ans et elle est entre autres le résultat de la résistance des Touaregs à la colonisation française. Ce n'est qu'une fois le danger écarte que les Touaregs ont commencé à  "fasciner". Répartis aujourd'hui sur cinq Etats, les Touaregs ont pendant cette longue période modelé leur identité. La dénomination de ces populations, la question de leur nombre sont aussi, parfois manipulées par les Etats pour nier la réalité de leur existence. Quand les guerriers touaregs résistent à la pénétration française, dans l'Ahaggar en 1902, à Agadez en 1906, ils sont décimés. Kawsen va mettre en place, lui, une stratégie nouvelle, celle de la guérilla. En une décennie, il forge un outil qui lui permet de reprendre Agadez en décembre 1916. Chassé par l'armée française, aidée par les Britanniques, il est finalement pendu en 1919. La répression en pays touareg est à la mesure de la peur suscitée par l'insurrection. Le projet colonial au Sahara classe les Touaregs en fonction d'une hiérarchie raciale, avec l'objectif de les soustraire à l'influence de l'islam et de les sédentariser. Les nouvelles frontières de l'indépendance asphyxient aussi le mode de vie touareg. Les Touaregs sont combattus par l'Algérie, puis par le Niger. Les migrants économiques, qui naviguent d'un pays à l'autre à la recherche d'un travail (ishumar) vont pour certains aboutir dans les camps d'entraînement de Kadhafi à partir de 1980. La rébellion de 1990 au Mali et au Niger ne règle pas la question, d'autant que des milices paramilitaires commettent des exactions contre les populations touarègues après la signature des accords de paix. L'amalgame entre terroristes et Touaregs est rapidement établi, après 2001, par les Américains. Alors que le combat des mouvements touaregs est peu médiatisé, on s'inquiète beaucoup, au contraire, de la montée en puissance d'AQMI et de son investissement au Nord-Mali. Divisés en 2012, au moment de l'offensive au Nord-Mali, rapidement marginalisés par les djihadistes, les Touaregs rallient les Français en janvier 2013, même si les milices maliennes recommencent les exactions, de nouveau. Et au Niger, la situation n'est guère meilleure. L'enjeu de la question sahélo-saharienne n'est pas local, mais mondial, à travers le redécoupage des zones d'influence entre puissances internationales et l'arrivée de nouveaux acteurs, avec en toile de fond l'accès convoité aux ressources minières.

Comme le montre François Gèze, le régime algérien joue un rôle singulier dans cet enjeu global. Les militaires qui ont pris le pouvoir en Algérie en 1992, et notamment ceux de la police politique, la DRS, manipulent largement des groupes islamistes dans la guerre civile, en particulier à partir de 1996. Pour retrouver une légitimité internationale largement entamée par le carnage de la guerre civile, les généraux Larbi Belkheir, Mohammed Médiène et Smaïl Lamari vont alimenter le GSPC, né en 1998, et qui deviendra moins de dix ans plus tard AQMI. D'où l'introduction du terrorisme et du djihadisme dans la zone sahélo-saharienne, qui jusqu'ici avait été épargnée. El Para, qui a enlevé les touristes européens en 2003, est probablement un agent de la DRS. Les Algériens cherchent aussi à contrer l'influence sur les rebelles touaregs de la Libye de Kadhafi. En 2008, Mohammed Médiène, désormais seul, remobilise les réseaux d'AQMI (depuis 2007) pour justifier de la menace terroriste au Sahel devant l'Africom américain de Stuttgart. Enlèvements et assassinats d'Occidentaux se multiplient, mais il n'est pas dit que la DRS ait eu le contrôle de toutes les opérations. Les katibas d'Abou Zeïd et de Mokhtar Belmokhtar opèrent aussi probablement pour leur compte. Un peu plus tard apparaissent successivement le MUJAO et Ansar Eddine, la première étant bien une excroissance d'AQMI pour François Gèze, tandis que la seconde, via Iyad Ag Ghali, est liée aux Algériens. Dans ce contexte, il est légitime de s'interroger sur la prise d'otages d'In Amenas, menée par Belmokhtar, et qui aurait servi à redorer le blason de l'Algérie dans la lutte antiterroriste auprès des Américains. Mais l'intervention française, en fragilisant certains groupes et en décapitant parfois les chefs -comme Abou Zeïd- a privé l'Algérie de certains de ses instruments.

Benoît Miribel, enfin, comment la crise économique, la sécheresse et la fragilité politique provoquent une crise humanitaire au Sahel. L'insécurité alimentaire s'est aggravée. Au Mali, elle touche plus de 4 millions de personnes en 2012, soit un habitant sur quatre. En plus des nombreux réfugiés, la population a par ailleurs beaucoup souffert des combats et de l'occupation au Nord-Mali. Les exactions prenant la forme de règlements de compte ont été monnaie courante, sans parler du recrutement d'enfants-soldats dans les deux camps.

L'ouvrage a un avantage appréciable, celui de traiter d'une question actuelle, cas toujours délicat, dans une perspective multi-dimensionnelle (enjeux locaux/nationaux, enjeux régionaux, enjeux internationaux). Le propos met bien en évidence la dégradation de la situation malienne depuis une décennie, l'héritage historique, en particulier depuis l'indépendance, les manoeuvres d'acteurs dans l'ombre (Algérie en particulier). Il pose aussi une question intéressante, celle de la pertinence de la seule intervention militaire, dont il faut se demander si l'on peut finalement s'en féliciter : elle a empêché les groupes djihadistes de s'emparer de Bamako, et pourtant à elle seule, elle ne peut rien résoudre. Pourtant, le livre prend parfois la forme d'un procès à charge contre la politique de la France. On ne peut nier que François Hollande, qui voulait se démarquer de la Françafrique, soit revenu à un peu plus de "realpolitik". De là à vouloir y voir la marque d'un néo-colonialisme rampant, c'est peut-être aller un peu loin, d'autant plus que le Mali ne compte pas beaucoup dans les relations économiques de la France ou dans ses relations internationales. La France n'avance pas visiblement non plus comme un simple supplétif des Etats-Unis, qui par ailleurs connaissent encore assez mal la région. En revanche, on ne peut nier que l'on assiste à un redécoupage des zones d'influence entre puissances dans la région, parce que de nouveaux acteurs sont apparus et que chacun essaie de se positionner : la conclusion de l'article d'Hélène Claudot-Hawad semble plus pertinente. Ce qui interroge, aussi, c'est finalement la question de savoir si la France a les moyens d'une telle politique de puissance, et s'il est dans son intérêt de le faire, ce qui n'est pas vraiment abordé dans l'ouvrage. Néanmoins, celui-ci est indispensable pour replacer Serval dans l'histoire et la géographie du pays, de la région et des enjeux plus globaux. 



Café Stratégique n°31 : Sur les champs de bataille

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Le prochain Café Stratégique de l'Alliance Géostratégique aura lieu jeudi 23 janvier prochain, à 19h00, au café le Concorde, comme de coutume.

L'invité est le sergent-chef Jocelyn Truchet, du 13ème BCA, auteur de Blessé de guerre. Engagé en Afghanistan, celui-ci y a laissé une jambe en mai 2010, après six mois de présence sur place, d'où le titre de son ouvrage. Il a consigné ses impressions au quotidien sur le conflit en Afghanistan.

Je signale aussi que le colonel Michel Goya sera présent à ce Café Stratégique.

Reproduction des articles du blog : me demander mon accord et mentionner la source !

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Un petit encadré de plus dans la colonne de droite, sous forme d'avertissement à la reproduction : toute personne qui souhaite reprendre un de mes billets sur le web (sur un blog, un site, etc) doit me demander l'autorisation AVANT et mentionner bien sûr mon nom et le lien vers le billet en question sur Historicoblog (3).

Je procède à cette modification car, encore une fois, certains blogs ou sites liés à l'extrême-droite ou approchant reprennent mes billets sans me demander mon avis, et ce même s'ils mentionnent la source. C'est encore arrivé à deux endroits différents pour la récente fiche de lecture de l'ouvrage de Benoît Rondeau sur la guerre du désert. Or je n'ai pas forcément envie que mon nom ou mon travail soit associé à de tels sites. Il faudra donc désormais me demander l'autorisation préalablement via l'adresse mail que vous pouvez trouver juste au-dessus dudit encadré.

L'autre côté de la colline : Du chaos à la lumière (Nicolas Aubin)

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Nicolas Aubin, qui me propose de temps à autre des fiches de lecture, contribue désormais ponctuellement à L'autre côté de la colline (il rejoint la page correspondante). Son premier article porte sur la question logistique pendant la guerre hispano-américaine de 1898. A la fois original et passionnant : un véritable galop d'essai pour les projections d'une armée en devenir, dont Cuba fut en quelque sorte la matrice... Bonne lecture !

Mourir pour Assad ? Les combattants étrangers pro-régime en Syrie (1/2)

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Les médias occidentaux et les différents chercheurs et spécialistes du conflit syrien se sont surtout focalisés sur l'arrivée de combattants étrangers côté insurrection. Ces volontaires sont venus renforcer, à partir de 2012, les différents groupes djihadistes comme le front al-Nosra, puis l'EIIL en 2013. On s'inquiète, évidemment, du retour de certains combattants radicalisés dans les pays d'origine. En France, le départ récent d'un adolescent de 15 ans, originaire de la région toulousaine, a relancé l'intérêt pour la question, tout comme l'annonce récente par Manuel Valls de la présence de « 700 Français » en Syrie -un chiffre qui, sans davantage de précisions, ne signifie malheureusement pas grand chose. La dernière estimation sérieuse, en décembre 2013, plaçait à 11 000 au maximum le nombre de ces volontaires étrangers arrivés depuis 2011 en Syrie, côté insurrection, issus en grande majorité du monde arabe, même si le nombre de volontaires issus d'Europe de l'Ouest s'est accru1. Mais qu'en est-il en face, dans le camp du régime ? On sait que la Syrie, dès le départ, a bénéficié du soutien de l'Iran, qui a non seulement ravitaillé le régime, mais engagé certaines de ses troupes sur le terrain, notamment dans un rôle de formation, d'encadrement et de renseignement. Cela ne veut pas dire d'ailleurs que les Iraniens restent en dehors des combats, bien au contraire : ils y ont participé. Surtout, l'Iran a mobilisé ses « intermédiaires », ses relais d'influence dans les pays voisins : le Hezbollah, présent dès 2011, a engagé massivement son appareil militaire en Syrie au printemps 2013, contribuant à sauver le régime. Téhéran déploie aussi les milices irakiennes pro-iraniennes, à partir de 2012, en Syrie, et essaie d'élargir l'effort de recrutement. Combien de combattants étrangers, étatiques ou non-étatiques, au total, sont venus se battre pour le régime syrien ? Les estimations varient. Le Hezbollah maintient plusieurs milliers de combattants sur le terrain, mais a fait tourner ses unités : certains évoquent le chiffre de 10 000 hommes passés sur les champs de bataille syrien, un chiffre très élevé. Les Gardiens de la Révolution auraient au moins envoyé 1 000 à 1 500 hommes en Syrie. Les miliciens, enfin, notamment irakiens, représentent une force d'appoint d'au moins 3 500 combattants et peut-être plus de 4 000. Si le total peut au moins se monter à 7-8 000 hommes2, voire 10-15 000 hommes3, certains n'hésitent pas, en particulier côté rebelle, à le porter à beaucoup plus, jusqu'à 40 000 (!). Une chose est sûre : quels que soient les chiffres, l'intervention de ces combattants étrangers, aux côtés du régime, a eu beaucoup plus d'impact sur le déroulement du conflit que celui des volontaires étrangers côté insurrection.


L'Iran


La République Islamique d'Iran mène un effort soutenu, depuis 2011, pour maintenir Bachar el-Assad au pouvoir, ou à défaut, pour pouvoir utiliser le territoire syrien comme tremplin pour ses intérêts régionaux. Un corps expéditionnaire comprenant des unités des Gardiens de la Révolution, leur unité spéciale, la force Qods, et les services de renseignement et de maintien de l'ordre, est présent en Syrie. L'Iran assure également par air, essentiellement, la logistique du régime, ce qui représente aussi un point vulnérable, si l'espace aérien vient à être contesté. C'est Téhéran, avec le Hezbollah, qui assure également la formation des miliciens destinés à renforcer la masse de manoeuvre du régime, ou à prolonger l'influence iranienne sur place. Le Hezbollah lui-même s'est engagé massivement au printemps 2013, et l'Iran a activé dès 2012 le levier des milices chiites irakiennes pro-iraniennes en formant, notamment la brigade Abou Fadl al-Abbas (voir plus loin), suivie de nombreuses autres en 20134.



Dès le départ, les Gardiens de la Révolution et la force Qods tentent d'appuyer la contre-insurrection du régime, en 2011. Quand Bachar el-Assad commence à perdre le contrôle du nord et de l'est du pays à l'été 2012, les Iraniens s'attachent à maintenir le contrôle du régime sur le centre et le sud. C'est aussi à ce moment-là que l'Iran commence à former des miliciens, à la fois pour pallier à la désintégration progressive de l'appareil militaire et, comme on l'a dit, afin de maintenir son influence sur place au cas où le régime tomberait. L'Iran appuie donc à la fois les restes de l'ancien appareil militaire et les nouvelles milices qui fusionnent avec eux.

Dès mai 2011, il apparaît que le général Suleimani, le commandant de la force Qods, et Mohsen Chizari, le directeur de l'entraînement et des opérations de celle-ci, sont impliqués dans la répression des manifestations anti-régime. Les deux hommes ont activement soutenu les milices pro-iraniennes en Irak, contre les Américains : Chizari avait même été arrêté, avec un autre officier de la force Qods, en 2006, avant d'être expulsé par le gouvernement irakien. L'implication de la force Qods est révélée au grand jour avec l'assassinat, en février 2013, du général Shateri, dans la campagne autour de Damas, alors qu'il se rendait à Beyrouth après avoir visité le front à Alep. Shateri était un officier important de la force Qods qui avait opéré secrètement au Liban depuis 2006 ; il avait servi en Afghanistan et en Irak. On a spéculé sur le fait que Shateri était peut-être venu pour récupérer ou détruire des documents sensibles à la base d'armes chimiques d'al-Safir, près d'Alep, alors menacée par les rebelles -l'Iran ayant contribué au programme des armes chimiques syriennes.

Source : http://www-tc.pbs.org/wgbh/pages/frontline/tehranbureau/images/ghasem.jpg


Les Iraniens forment, de toute évidence, de nouvelles unités militaires syriennes. On sait qu'un 416ème bataillon de forces spéciales a été entraîné par les Iraniens, probablement au complexe de al-Dreij, entre Damas et Zabadani. Les forces conventionnelles des Gardiens de la Révolution participent également à cet effort. 48 d'entre eux, capturés en août 2012, ont été relâchés en janvier 2013. Parmi eux, deux généraux, le commandant et l'ancien commandant de l'unité Shohada de la province de l'Azerbaïdjan occidental ; le commandant de la 14ème brigade Imam Sadegh (province de Bushehr) ; et du personnel lié à la 33ème brigade al-Mahdi (province de Fars). Le déploiement de forces conventionnelles des Gardiens de la Révolution, et pas seulement de la force Qods pourtant chargée des opérations à l'étranger, montre le degré d'implication de l'Iran. Il faut dire que les Gardiens de la Révolution ont l'expérience de la contre-insurrection, ce qui n'est pas forcément le cas de la force Qods : d'ailleurs les unités impliqués viennent de provinces où se sont déroulés des soulèvements réprimés par les Gardiens de la Révolution.

Il est difficile de dire si les Iraniens influencent véritablement les choix stratégiques du président Assad. On peut remarquer que la décision de combattre pour conserver les centres urbains, dès le début 2012, correspond à un discours de Suleimani en janvier 2012 qui préconisait justement de tenir les villes, et effectivement, la première capitale provinciale, Raqqa, ne tombe qu'en mars 2013. La première offensive en 2012 a lieu à Zabadani, qui a l'avantage d'être proche de la capitale Damas, mais qui est aussi sur le cordon de ravitaillement pour le Hezbollah au Liban. C'est à Zabadani que les Gardiens de la Révolution stationnaient pour leurs opérations au Liban à partir de 1982 ; en outre, jusqu'en 2011, c'est le point de transit et de stockage principal pour les armes à destination du Hezbollah. Le mur construit autour de Homs après le siège de février-mars 2012 rappelle étrangement celui que les Américains avaient bâti autour de Sadr City, à Bagdad, en 2008, pour isoler leurs adversaires. Suleimani et le commandant adjoint de la force Qods, Esmail Ghaani, ont cependant multiplié les critiques contre Assad, lui reprochant en particulier le massacre sectaire de Houla en 2012 et sa gestion beaucoup trop répressive des manifestations.

Source : http://www.worldtribune.com/wp-content/uploads/2012/03/OSGEOINT-14-Feb-2012-UAV-on-Video-Over-Homs-2.jpg


Téhéran contribue aussi à envoyer des spécialistes du renseignement et du maintien de l'ordre. Le commandant adjoint des forces de maintien de l'ordre iraniennes, Ahmad Reza Radan, fait le voyage à Damas dès la fin avril 2011. Ce sont ces forces qui avaient brisé les manifestations en Iran, en juin 2009. Elles dépendant du ministère de l'Intérieur, et in fine de Khamenei, ce qui montre bien d'ailleurs que le soutien à la Syrie n'est pas le fin que de Suleimani ou des Gardiens de la Révolution, mais bien de l'ensemble du pouvoir iranien. Le chef du renseignement des Gardiens de la Révolution, Hojjat al-Eslam Hossein Taeb, est impliqué dans l'effort dès mai 2011 au moins. En février 2012, un drone iranien Monajer est déjà utilisé au-dessus de Homs. En septembre 2012, Iran Electronics Industries a déjà fourni au moins deux millions de dollars de matériel à la Syrie, dont des brouilleurs radio. Mohammed Nasif Kheirbek, un proche du clan Assad, dont la famille est très impliquée dans l'appareil de renseignement, sert d'intermédiaire avec les Iraniens : il va discuter à l'été 2011 pour l'établissement d'un complexe militaire et de dépôts à l'aéroport de Lattaquié.

L'Iran utilise principalement la voie aérienne pour ravitailler le régime syrien. Les compagnies commerciales sont mises à contribution : Iran Air, Yas Air (qui transport combattants, munitions, roquettes, canons antiaériens et obus de mortiers). En septembre 2012, une centaine d'appareils commerciaux est déjà impliquée, sans compter les appareils militaires : au moins 3 An-74 et 2 Il-76. Il faut dire que les Gardiens de la Révolution utilisent la Syrie comme hub pour leurs livraisons au Hezbollah depuis au moins 2000. Au départ, les membres de la force Qods sont d'ailleurs acheminés par avion. L'aviation syrienne engage ses Il-76 également, dont au moins un a, en 2012, navigué via l'Iran et la Russie, pour ramener des hélicoptères de combat Mi-25 « remis en condition ». En mars 2011, la Turquie avait saisi un Il-76 de Yas Air transportant des fusils d'assaut, des mitrailleuses, des obus de mortiers ; l'Iran utilise ensuite l'espace aérien irakien. Le passage est facilité par la collusion du ministre du Transport irakien, Hadi al-Amiri, et l'organisation Badr en Irak.

Par voie de terre, à la fin 2012, il ne restait qu'un seul point d'entrée à la frontière syro-irakienne que pouvait utiliser les Iraniens : Al Walid-At Tanf. Les trois autres ont été perdus de par la progression des Kurdes au nord-est, de l'activité des groupes sunnites en Irak et de l'avance des rebelles syriens. Al Walid-At Tanf, la route la plus au sud, est aussi la plus rapide vers Damas. L'Iran a aussi déployé des navires via le canal de Suez, et ce dès avant le déclenchement de la révolte, en février 2011. L'Alvand et le Kharg rallient ensuite Lattaquié. Deux autres navires font le même voyage en février 2012 vers Tartous. Des tankers ramèneraient du pétrole syrien brut vers l'Iran. Toujours est-il que le soutien iranien au régime syrien passe d'abord par le ravitaillement aérien, qui s'opère sur une base quasi quotidienne.

Source : http://understandingwar.org/sites/default/files/FINAL%20SYRIA%20MAP.jpg


Dès l'été 2012, l'Iran commence aussi à former les milices paramilitaires syriennes, et en particulier Jaysh al-Sha‘bi, qui regroupe à la fois des chiites et des alaouites. En septembre, Mohammad Ali Jafari, le chef des Gardiens de la Révolution, reconnaît que cette milice compte déjà 50 000 hommes. Basée sur le modèle de la milice Basij iranienne, cette milice est encadrée, aussi, par la force Qods. Dès le début du conflit en 2011, de nombreuses milices pro-régime se sont en effet constituées : aux comités populaires, minorités armées pour se protéger des sunnites jugés menaçants, se sont ajoutés les milices des gangs criminels de la bande côtière alaouite, les fameux shahiba. D'où le nom générique de shahiba donné à toutes ces organisations. Au printemps 2013, l'Iran est encore présent quand l'ensemble de ces milices est plus ou moins regroupé dans les Forces Nationales de Défense : il en assure probablement l'entraînement. D'ailleurs, des miliciens syriens sont formés en Iran même, comme ces 4 combattants de Homs qui assurent avoir reçu là-bas un entraînement au combat urbain. Les Gardiens de la Révolution et la force Qods se sont fréquemment retrouvés engagés dans les combats en Syrie contre les insurgés. Hormis les 48 « pélerins » capturés en 2012 puis relâchés, et le général Shateri, ces corps ont subi d'autres pertes. Le lieutenant-colonel Amir Reza Alizadeh, par exemple, a été tué à Damas le 1er mai 20135.


Ce documentaire, réalisé par la BBC à partir d'images fournies par les insurgés syriens, montren des membres de la force Qods des Gardiens de la Révolution opérant dans le pays, où ils ont été tués lors d'une embuscade (août 2013).





Le Hezbollah


- Une intervention pour quels objectifs ?


Jusqu'en avril 2013, le Hezbollah n'a pas reconnu officiellement son implication dans la guerre civile syrienne, probablement de peur des conséquences néfastes qu'une telle reconnaissance impliquerait sur la scène libanaise6. Il faut dire que la Syrie et le Liban partagent une longue histoire conflictuelle. En outre, le nord du Liban est peuplé majoritairement de sunnites qui soutiennent la rébellion syrienne, et comprend aussi des minorités alaouites, comme à Tripoli, qui elles appuient plutôt le régime.

Source : http://upload.wikimedia.org/wikipedia/fr/f/fe/Drapeau_du_Hezbollah.jpg


Né en 1982 dans la vallée de la Bekaa en réaction à l'invasion israëlienne du Liban7, le Hezbollah est à la fois un parti politique et un mouvement religieux chiite tout en assurant des fonctions sociales. En outre, ses forces armées sont les plus imposantes du Liban et c'est un proche allié de l'Iran. Le Hezbollah se définit lui-même comme un mouvement de « résistance »8 aux manoeuvres américaines et israëliennes au Proche-Orient, et ne reconnaît pas le droit à l'existence de l'Etat d'Israël. Il tire sa popularité au Liban du combat contre l'Etat hébreu, alors que ses forces conventionnelles et non-conventionnelles sont, de fait, supérieures à celles de l'armée libanaise. Le Hezbollah est particulièrement bien implanté au sud du pays, dans la vallée de la Bekaa et dans certains quartiers de Beyrouth. Sur le plan politique, le Hezbollah milite pour un système de gouvernement islamique par les clercs : présent aux élections depuis 1992, il n'obtient que des résultats modestes mais a tout de même deux ministres dans le gouvernement de coalition depuis 2011. Il contrôle toutefois 60% des municipalités du Sud-Liban et quasiment toutes celles de la vallée de la Bekaa, en plus de gagner du terrain à Dahiyeh, faubourg sud de Beyrouth. Socialement, le Hezbollah cherche à s'attirer les faveurs des chiites libanais (27% de la population selon un recensement réalisé en 2011, soit autant que les sunnites et plus que les chrétiens maronites), notamment (mais pas exclusivement) par des soins médicaux qui remplacent ceux de l'Etat.

Jusqu'en avril 2013, le mouvement a tenu un discours conciliant sur la guerre en Syrie, niant son implication et soulignant les dangers que celle-ci pourrait entraîner sur la scène libanaise. Cependant, dès octobre 2012, alors que le Hezbollah intensifie l'aide sociale pour les réfugiés syriens au Liban, il accroît également son engagement pour soutenir Bachar el-Assad. Le 30 avril 2013, son secrétaire général, Hassan Nasrallah, révèle ce qui est devenu une évidence : le Hezbollah intervient en Syrie pour empêcher la chute du régime. Beaucoup d'observateurs pensent qu'il s'agit d'un pari risqué pour l'avenir et que la déclaration de Nasrallah est un vrai « franchissement du Rubicon ». Ceci dit, les cérémonies funéraires pour les « martyrs » tués au combat en Syrie étaient de plus en plus difficiles à dissimuler. Le Hezbollah revient ainsi au rôle de milice sectaire en lieu et place du mouvement de résistance, ajoutant les djihadistes sunnites à la liste de ses ennemis. Pour lui, la Syrie est un point de transit vital pour son armement et un des moyens de recompléter son stock d'armes et de munitions. Il s'agit pour Nasrallah, aussi, de combattre les sunnites en Syrie en empêchant la chute du régime plutôt que de les combattre au Liban si Bachar el-Assad vient à tomber... Le discours de Nasrallah le 26 mai 2013, date anniversaire du retrait définitif de Tsahal du Sud-Liban, inscrit l'aventure militaire en Syrie dans la continuité de la lutte contre Israël. Mais en présentant l'intervention syrienne comme un enjeu de sécurité nationale pour le Liban, le Hezbollah ébranle la pertinence de la « résistance »9.

Source : http://s1.lemde.fr/image/2012/10/31/534x267/1783798_3_02da_le-mausolee-de-zeinab-l-un-des-lieux-les-plus_4851dcd47cd36603bf7ff8e45b4a6539.jpg


Le Hezbollah a commencé à envoyer des conseillers militaires pour assurer des missions de sécurité en Syrie dès 2011, et ce jusqu'en 2013. Ce n'est qu'au printemps de cette année-là que l'engagement se fait plus important, preuve que le régime syrien est alors en mauvaise posture. Les Iraniens et le Hezbollah s'engagent alors dans la formation d'une milice chiite considérable, Jaysh al Sha’bi, qui a pour objectif de compter jusqu'à 150 000 hommes. Au-delà de l'aide au régime syrien, il s'agit aussi de s'implanter dans les zones chiites et alaouites syriennes. Le Hezbollah fournit une aide technique en matière de guérilla, de renseignement, et tactique, sur le terrain. Il verrouille également au mieux la frontière libanaise et mène une campagne de propagande en faveur du régime.

A partir du 19 mai 2013, le Hezbollah, aux côtés des Iraniens, des miliciens irakiens, aide l'armée syrienne à prendre la ville d'al-Qusayr, une ville qui fait le lien entre la montagne alaouite côtière, Damas et la vallée de la Bekaa. Entre 1 500 et 2 500 hommes du Hezbollah auraient participé à la conquête de la ville, qui tombe le 5 juin 2013. La victoire est cependant à double tranchant, car le Hezbollah a subi des pertes non négligeables et son engagement en Syrie se retrouve mis sur le devant de la scène, ce qui ne va pas être sans conséquences sur la scène libanaise. Des sources évoquent plus de 4 000 combattants chiites acheminés au nord, sur Alep, pour tenter de reprendre la ville ; d'autres sont présents au sanctuaire chiite de Sayyeda Zaynab, au sud de Damas, tandis qu'un autre contingent encadre et forme les habitants de deux villages chiites au nord d'Alep. Au 18 juin 2013, le Hezbollah aurait déjà perdu 180 à 200 tués en Syrie. On retrouve les combattants du Hezbollah en juillet à Homs et en août à Damas, où un des chefs importants du contingent, Hossam Ali Nisr, est tué par les rebelles.

Au Liban, dès le mois de juin 2013, un groupe de chiites anti-Hezbollah qui manifestait devant l'ambassade iranienne à Beyrouth est attaqué et une personne tuée. En juillet et en août, des attentats visent le bastion du Hezbollah à Dahiyeh, au sud de la capitale. En outre, un groupe rebelle syrien, la brigade Liwa 313, a revendiqué l'attaque à la bombe contre un supermarché d'un des faubourgs tenus par le Hezbollah, Bir al Abed, ainsi qu'au moins une autre attaque contre le Hezbollah, en représailles de la participation du mouvement aux combats à Homs. La brigade Liwa 313, formée justement de rebelles de la région de Homs, existe depuis novembre 2012 et a été créée pour des opérations spéciales, comme le bombardement à la roquette de fiefs du Hezbollah près d'Hermel, dans la vallée de la Bekaa. Le groupe est lié au front al-Nosra et semble assez bien armé.

En ce qui concerne le Liban, les tensions sectaires apparaissent dès mai 2012 après la mort de Sheikh Ahmad Abdel Wahed, un clerc sunnite éminent et anti-syrien, qui provoque des accrochages à Tripoli et à Beyrouth. Dès le mois de mai 2013, au moment de la bataille de Qusayr, les rebelles syriens commencent à bombarder la vallée de la Bekaa et à attaquer les convois du Hezbollah, ou bien encore à organiser des attentats. A partir de juin 2013, les hélicoptères du régime syrien font des incursions près d'Arsal, une ville du nord de la vallée de la Bekaa, sunnite, qui sert de noeud logistique à la rébellion syrienne. A Tripoli, les affrontements sectaires sont particulièrement violents en mai-juin 2013, entraînant la mort de plusieurs dizaines de personnes. Le 23 août, ce sont deux mosquées sunnites de Tripoli qui sont visées par des attentats à la bombe, faisant 45 morts. Ce même mois, le 15, une voiture piégée avait également explosé dans un fief du Hezbollah à Beyrouth. Attentats et batailles rangées se sont depuis multiplés, en particulier à Beyrouth, à Tripoli et dans la vallée de la Bekaa10.


- Protéger l'approvisionnement en armes et sauver, si possible, le régime syrien


Bien que le Hezbollah a au départ admis combattre en Syrie, il invoquait la protection de la minorité chiite syrienne ou la défense du tombeau de Zaynab. Il faut dire que ce dernier site religieux a servi aussi, dès les années 1980, de centre de recrutement pour des militants, notamment des Saoudiens chiites, qui faisaient le transit jusqu'aux camps du Hezbollah au Liban ou en Iran via Zaynab. 5 des conspirateurs de l'attentat des tours de Khobar, en 1996, qui a tué 19 hommes de l'USAF et blessé 372 autres Américains, avaient été recrutés à Damas. Un des cadres recrutés à Zaynab, Ali al-Marhoum, retourne plus tard en Arabie Saoudite pour enrôler de nouveaux militants. Abdel Karim al-Nasser, le cerveau de l'attentat, avait réuni son groupe à Zaynab quelques jours avant de passer à l'action pour peaufiner les derniers détails.

Le Hezbollah avait annoncé la mort d'un premier combattant en Syrie dès l'été 201211. Mais les pertes grimpent avec l'implication massive du mouvement libanais dans la bataille d'al-Qusayr. Le 19 mai 2013, le Hezbollah délivre la liste de 12 de ses combattants tués au combat, et dès le lendemain, on atteint le chiffre de 20 tués. Pendant les funérailles, individuelles ou collectives, comme dans la valée de la Bekaa, on insiste sur le fait que les martyrs sont morts pour défendre le sanctuaire de Zaynab, au sud de Damas12.

Le Hezbollah s'est en fait engagé en Syrie dès la première année des troubles, en 2011. En mai, on signale déjà la présence la force iranienne Qods et en juin, les premiers indices évoquant l'arrivée du Hezbollah se font jour. Iraniens et Libanais fournissent en particulier des snipers et autres outils pour briser les manifestations d'opposants. Selon un officier des Gardiens de la Révolution, des snipers du Hezbollah serait intervenus lors de l'offensive à Zabadani dès février 201213. En août 2012, Musa Ali Shehimi, un des commandants du Hezbollah, est tué en Syrie ; quelques semaines plus tard, c'est au tour de Ali Hussein Nassif, abattu avec ses deux gardes du corps près d'al-Qusayr. En octobre 2012, les Américains annoncent que des centaines de combattants du Hezbollah se trouvent en Syrie, ce qui est confirmé par l'ONU deux mois plus tard. En outre, le Hezbollah installe un de ses camps d'entraînement, en novembre, à côté d'un des dépôts d'armes chimiques de Damas. Le Hezbollah a une relation de longue date avec Damas : née sous Hafez el-Assad, qui avait parfois montré sa volonté de réfréner les ambitions du mouvement libanais, elle s'est accrue sous Bachar el-Assad, qui en 2010 a fourni au Hezbollah des missiles Scud modifiés tirés de son propre arsenal. Mais c'est surtout parce que la Syrie est le lieu de transit des armes iraniennes à son propre usage que le Hezbollah intervient pour maintenir le régime en Syrie. Convoyé par avions iraniens jusqu'à l'aéroport international de Damas, ces armements étaient ensuite acheminés en camions, fortement escortés, jusqu'à la frontière libanaise. Le Hezbollah cherche à garantir le contrôle du régime sur Damas, son aéroport et les routes principales, ou au pire sur la bande côtière alaouite, pour recevoir les armes par le port ou l'aéroport de Lattaquié, par exemple. Le FBI a mis à jour ces dernières années deux opérations où le Hezbollah a cherché en Europe ou aux Etats-Unis à se procurer des armes (notamment des MANPADS) destinées à être rapatriées à Lattaquié. Dans le cas où le régime ne pourrait remporter la guerre civile, le Hezbollah a déjà bâti des intermédiaires suffisants, via les milices, pour maintenir sa présence au-delà et continuer de déstabiliser le pays14. Selon certaines sources, l'unité 901, une unité militaire du Hezbollah, a franchi la frontière dès juillet 2012 pour combattre autour de Homs, al-Qusayr, al-Rastan, Talbiseh. Le mouvement chiite aurait aussi participé à la formation d'une division de 60 000 hommes, sur le modèle des Gardiens de la Révolution, protéger le coeur du bastion alaouite à Lattaquié. Le 6 octobre 2012, un officier déserteur du renseignement de l'armée de l'air syrienne a affirmé que le Hezbollah avait déjà 1 500 hommes en Syrie. C'est un effort important pour un mouvement dont les forces régulières sont estimées entre 2 000 et 4 000 hommes, précédemment déployés surtout au Sud-Liban et près des dépôts d'armes et autres installations sensibles du mouvement chiite. Les forces spéciales du Hezbollah, les « Scorpions » mèneraient des embuscades dans les zones rurales et perturberaient l'acheminement logistique des insurgés via la frontière turque15.

Pour le Hezbollah, le maintien au pouvoir de Bachar el-Assad est un enjeu vital, car la Syrie lui sert à renforcer sa capacité militaire (fourniture d'armes, transit de celles qui viennent de l'Iran) contre Israël16. En outre le clan Assad a régulièrement soutenu le Hezbollah dans le jeu politique libanais et lui a offert, aussi, une profondeur logistique. Dans les discours survenus au moment de la reconnaissance officielle de l'implication du mouvement chiite en Syrie, Nasrallah a également insisté sur la solidarité avec la population chiite syrienne (400-450 000 personnes) « menacée » par les djihadistes sunnites, comme ceux du front al-Nosra, et dont les sanctuaires, comme celui de Zaynab, ne seraient plus en sécurité. Le Hezbollah intervient donc aux côtés de l'Iran pour d'abord, sauver le régime, puis donner les moyens aux Alaouites et aux chiites de résister par eux-mêmes en formant une milice conséquente (100 à 150 000 hommes). Il cherche également à acquérir du régime syrien des armements plus sophistiqués pour son combat contre Israël (missiles surface-surface contre le Fateh 110 iranien ; missiles antinavires, comme le Yakhont russe ; missiles sol-air portables, SA-17 russe ou autres). Dès le mois de mai 2013, l'aviation israëlienne frappe d'ailleurs à deux reprises (le 3 et le 5) un dépôt de l'aéroport international de Damas suspecté d'abriter des missiles Fateh 110 envoyés par l'Iran au Hezbollah ; en février, un convoi transportant des SA-17 avait également été visé. Le Hezbollah intervient ainsi à al-Qusayr notamment parce que vit autour de la ville une communauté chiite d'origine libanaise au milieu de populations sunnites, près de la frontière.

Hassan Nasrallah avait gagné Téhéran en avril 2013. Il y a rencontré Khamenei, le chef de la force Qods, Qassem Suleimani et d'autres membres importants du régime iranien. La décision de soutenir plus massivement Bachar el-Assad a donc probablement été prise dans la première moitié d'avril 2013. Suleimani, qui a fait une visite en Syrie en février 2013, a dépeint à son retour un tableau très sombre : il a conseillé d'envoyer davantage de volontaires chiites pour pallier au manque de soldats du régime. Le Hezbollah n'avait cependant pas attendu le printemps 2013 pour s'engager puisque, dès mai 2012, plusieurs milliers de combattants de ses unités spéciales oeuvraient déjà en Syrie. Cependant, l'engagement du mouvement chiite reste pour l'instant limité à des secteurs où il a un intérêt sectaire : al-Qusayr, le sud de Damas. Le Hezbollah assure aussi la formation des troupes de Bachar el-Assad en matière de guérilla, où il a une expérience opérationnelle : combat urbain, sniping, sabotage... en outre, il fournit du renseignement et cherche à verrouiller la frontière libanaise, notamment le long de la vallée de la Bekaa. Les chiites représentent seulement 2% de la population en Syrie : la plupart vivent autour de Homs, Damas, et dans la campagne des provinces d'Alep et d'Idlib. Les attaques sectaires se multiplient après la mi-2012. En conséquence, le Hezbollah commence à former des miliciens chiites et alaouites, le financement étant assuré par l'Iran. En mars 2013, ce serait déjà 50 000 hommes qui auraient été préparés au combat. Des chiites syriens seraient même, pour ce faire, spécialement entraînés dans les camps du Hezbollah de la vallée de la Bekaa. Cette armée populaire serait déployée près de Lattaquié, près du sanctuaire de Zaynab, à al-Zabadani au nord-ouest de Damas, près de la frontière libanaise, où elle travaille de concert avec les Gardiens de la Révolution iraniens. Suleimani a indiqué vouloir porter cette armée à 150 000 hommes, avec des combattants étrangers (irakiens, iraniens, libanais...). On sait entre outre que le Hezbollah a envoyé des combattants qui remplissent des missions spécialisées, comme les reconnaissances dans les zones tenues par les rebelles ou l'assassinat des chefs charismatiques des insurgés, par des escouades spéciales17.

Au moment de la bataille d'al-Qusayr (19 mai-5 juin 2013), le Hezbollah nettoie aussi les villages chiites des environs qui avaient été investis par les rebelles syriens. Le tombeau de Zaynab, quant à lui, est situé à 10 km au sud de Damas, en plein milieu d'une zone sunnite, sur la route menant de l'aéroport international de Damas au nord à la ville d'Al-Suwayda au sud. La ville d'Al-Sayyidah Zaynab qui s'est construire autour du sanctuaire vit de l'activité touristique destinée aux pélerins chiites : rattachée à la province de Rif Dimashq, elle compterait 150 000 habitants. Le 5 mai 2012, un obus de mortier tombe sur le complexe ; une voiture piégée explose dans un parking le 14 juin suivant. Le 31 octobre, un IED placé sur une moto explose près du tombeau, tuant 8 personnes et en blessant des douzaines, près d'un hôtel fréquenté par les pélerins. Durant la première moitié de 2013, les salafistes syriens appellent de plus en plus à la destruction du site. Le front al-Nosra l'attaque en janvier, puis la mosquée est détruite le 13 février. Le 2 avril, le front al-Nosra prend le contrôle d'un faubourg proche du sanctuaire, et commence à attaquer la brigade Abou Fadl al-Abbas (voir plus loin) et le Hezbollah dès le 18.

Le Hezbollah intervient en effet près du site dès la seconde moitié de 2012 et participe aux batailles du printemps 2013. Il y perd au moins 20 tués, dont de nombreux hommes originaires du Sud-Liban. En outre, en juin 2013, le mouvement chiite comptait déjà plus de 100 tués et plusieurs centaines de blessés, la plupart lors de la bataille d'al-Qusayr. 7 combattants avaient été tués dans la seconde moitié de 2012, autour du sanctuaire de Zaynab et à al-Qusayr. Les combats autour du premier site, en particulier, avaient fait monter le total à 50 avant l'offensive contre al-Qusayr du 19 mai 2013. Jusqu'au 5 juin, le Hezbollah a perdu entre 50 et 74 tués (minimum) pendant la bataille. 63 ont été tués à al-Qusayr, 22 à Zaynab, 2 à d'autres endroits de la Syrie et 8 restent indéterminés (bien que plusieurs ont sans doute été tués également à al-Qusayr). 53 des 96 tués identifiés viennent du Sud-Liban, un tiers (33) de la vallée de la Bekaa ; quelques-uns seulement sont originaires de la banlieue sud de Beyrouth et du Nord-Liban, ce qui reflète sans doute la composition des unités engagées par le Hezbollah. Le recrutement est surtout rural, au Sud-Liban, avec un grand nombre de villages, peut-être pour éviter de concentrer les pertes ; 16 morts seulement viennent de grandes villes (3 de Beyrouth, 9 de Baalbek, 3 de Nabatieh et 1 de Sidon). Parmi les tués, il y a Ali Hussein Nasif, un cadre important du Hezbollah enterré le 31 octobre 2012, tué par l'explosion d'un IED ou abattu ensuite alors qu'il faisait route vers al-Qusayr. Muhammad Khalil Shahrour, responsable des services de sécurité du Hezbollah à Balbeek, a également été tué à al-Qusayr. Ahmed Muhammad Badah, un autre cadre du Hezbollah, a lui péri près du sanctuaire de Zaynab, tout comme Ali Hussein Sa'ad.


  • La bataille d'al-Qusayr : la première intervention massive du Hezbollah

Lors de la bataille d'al-Qusayr, le Hezbollah aurait engagé en tout, selon les services de renseignement français, de 3 à 4 000 hommes18. La bataille, qui dure 17 jours, constitue les prémices d'une campagne plus vaste du régime syrien pour remettre la main sur des zones stratégiques perdues précédemment. La chute d'al-Qusayr, tenue depuis un an par les insurgés, est plus un choc moral et symbolique que stratégique, alors que le régime commence à regagner du terrain, que la communauté internationale hésite à soutenir les rebelles et que les insurgés eux-mêmes sont divisés. C'est également la première intervention massive du Hezbollah en Syrie, dans le cadre d'un assaut en combat urbain qui entraîne des pertes conséquentes et une dégradation de son image au Liban et dans le reste du monde arabe. Si le Hezbollah a su conquérir al-Qusayr avec l'appui de l'aviation et de l'artillerie du régime, le mouvement chiite manque tout simplement de moyens pour reproduire ce schéma de manière constante dans des villes syriennes plus importantes19.



Ci-dessous, un documentaire iranien sur la bataille d'al-Qusayr, présentée comme un tournant décisif.



La ville d'al-Qusayr, assiégée dès novembre 2011 par le régime, était tombée entre les mains des rebelles en juillet 2012. A l'ouest et au sud de la ville, le Hezbollah intervient dès cette année-là en soutien du régime, comme le montre la mort d'Ali Nassif, tué le 2 octobre près de la cité. Fin avril 2013, le Hezbollah et les forces syriennes commencent à nettoyer le pourtour d'al-Qusayr, entamant le processus avec la prise de Tel Nabi Mindo, au nord-ouest de la ville, une colline qui domine la plaine environnante. Ils progressent ensuite à l'ouest et au sud-ouest : à la mi-mai, seul un corridor au nord, passant par l'ancienne base aérienne militaire de Dabaa, reste entre les mains des rebelles. Dans la ville, il y a peut-être 2 000 rebelles, provenant notamment des bataillons Farouq, très implantés dans la région. La mise en défense d'al-Qusayr comprend la construction de tunnels et de bunkers, l'érection de barricades en terre à travers les rues, des pièges disposés dans les bâtiments et des mines sur les routes. Des IED spéciaux destinés à faire sauter les véhicules, commandés à distance, sont aussi posés. Le Hezbollah, lui, divise la ville en 16 secteurs et attribue des codes chiffres aux objectifs et aux points remarquables de la ville. Les 1 200 à 1 700 hommes engagés dans la bataille (d'après Nicholas Blanford, spécialiste du Hezbollah), pour la plupart des vétérans membres des unités spéciales du Hezbollah, sont sous commandement syrien mais ont une initiative tactique. Les forces auraient été divisées en 17 groupes de 100 hommes, mais dans le combat urbain, l'escouade de 3 à 5 hommes prédomine. Le tour de service dans les combats passe de 7 à 20 jours. Avant l'assaut, les sapeurs du Hezbollah commencent à nettoyer les pièges dans les bâtiments.

L'attaque démarre le 19 mai 2013, après un pilonnage aérien et de l'artillerie. Les combattants du Hezbollah attaquent à l'ouest, au sud et à l'est. Depuis le sud, l'avance est rapide et le Hezbollah aurait contrôlé 60% de la ville dans la première journée, atteignant la mairie. Mais dès le premier jour, deux douzaines de combattants sont tués dans une embuscade rebelle. L'assaut se fait dès lors plus méthodique, pour nettoyer chaque pâté de maisons conquis. Face au tir de mortier rebelle, une véritable gêne, les combattants chiites cherchent à coller au plus près de leurs adversaires pour empêcher l'action des mortiers. Ils évitent de passer par les portes et les fenêtres des bâtiments, en raison des pièges et des mines, mais creusent des trous à l'explosif dans les cloisons à l'intérieur pour passer de maison en maison. Les rebelles eux-mêmes reconnaissent les compétences du Hezbollah : les hommes continuent d'avancer même sous un feu nourri et cherchent à flanquer les insurgés. En plus des snipers armés de Dragunov et les équipes antichars armés de RPG-7, les chiites utilisent aussi des roquettes de 107 mm modifiées, les fameuses IRAM (Improvised Rockets Assisted Munitions) pour détruire des barricades ou des points de résistance dans les bâtiments. Les rebelles sont progressivement repoussés dans la partie nord de la ville, bien qu'ils reçoivent des renforts de l'extérieur jusqu'au 2 juin. Le lendemain, les insurgés décident d'évacuer la ville. L'assaut final, le 5, est précédé par un terrible bombardement et les rebelles qui fuient par le corridor au nord sont victimes des tirs de mortiers et de mitrailleuses.

La bataille a duré 17 jours, plus longtemps que ne l'avait prévu le Hezbollah, qui a subi des pertes conséquentes -entre 70 et 120 tués, probablement. Côté rebelle, on reconnaît 431 tués, mais le chiffre est probablement plus élevé. Pour le Hezbollah, il s'agit certainement des combats les plus durs depuis les 34 jours de guerre contre Israël à l'été 2006. Mais la bataille d'al-Qusayr, ville proche de la frontière libanaise, est aussi l'occasion de tester ses tactiques de combat urbains avec le soutien de l'artillerie et de l'aviation syriennes. En outre une nouvelle génération de combattants s'est formée au feu pendant la bataille, et l'expérience engrangée par le Hezbollah sera sans doute précieuse en cas de futurs combats contre Israël. La chute d'al-Qusayr, par ailleurs, entraîne aussi celle de Tel Kalakh, au nord-ouest, assiégée depuis deux ans par le régime. Dès le mois de juillet, le régime syrien repart à la reconquête des quartiers centraux de Homs. Mais ici, le Hezbollah ne joue plus qu'un rôle d'encadrement : ses vétérans commandent, comme sous-officiers, des escouades de soldats syriens. Le Hezbollah n'a en effet pas les effectifs suffisants pour conduire d'autres assauts urbains dans des villes encore plus importantes qu'al-Qusayr, comme Homs ou Alep.


  • Après al-Qusayr : le Hezbollah plutôt dans un rôle auxiliaire

Suite au succès remporté à al-Qusayr, le Hezbollah se serait redéployé pour aider les Forces Nationales de Défense syriennes à faire tomber la ville d'Alep. 800 combattants auraient investi les alentours de la cité pour couper l'approvisionnement en provenance du Liban. 300 membres du Hezbollah, dont des officiers iraniens, seraient arrivés à l'académie militaire d'Alep en juin 2013, pour participer à une offensive au nord de la ville. Néanmoins, cette fois, le Hezbollah semble davantage assumer un rôle d'encadrement et de conseil que de participation directe aux combats20. A la fin juillet 2013, le Hezbollah déplorait plus de 200 tués au combat en Syrie et plusieurs centaines de blessés ; 23 ont été tués entre la fin juin et la fin juillet. La plupart tombent à Homs et Alep, où le Hezbollah intervient en soutien du régime (en plus de la participation à une contre-offensive à Lattaquié21), mais 8 sont également morts près du tombeau de Zaynab, au sud de Damas. Si le mouvement chiite engage moins de combattants et de manière moins visible qu'à al-Qusayr, c'est aussi parce que la reconnaissance officielle de son implication en Syrie a provoqué de fortes critiques au Liban et dans le monde arabe. Sur les 23 tués entre fin juin et fin juillet, 9 viennent du Sud-Liban, 8 de la vallée de la Bekaa, 3 de Beyrouth et 3 d'une ville syrienne proche de la frontière vers al-Qusayr. Sur les 200 combattants tués à cette date, près de la moitié vient du Sud-Liban (97) et plus d'un tiers de la vallée de la Bekaa (72). 3 cadres importants du Hezbollah22 font partie des victimes : deux ont été tués à Homs et le dernier à Zaynab. Deux d'entre eux étaient des commandants de bataillons de la milice Liwa Abou Fadl al-Abbas et l'un des deux a péri à Homs, ce qui tendrait à prouver que la milice n'opère pas qu'à Zaynab, mais aussi dans d'autres parties de la Syrie, sous commandement/encadrement du Hezbollah23.

Fin 2013, le Hezbollah intensifie encore son effort militaire en Syrie et subit des pertes conséquentes. Il opère désormais dans trois secteurs, essentiellement : la Ghouta orientale, à l'est de Damas ; la région montagneuse du Qalamoun, au nord de Damas, près de la frontière libanaise ; et le tombeau de Zaynab, au sud de Damas. Il intervient dans ces zones comme force auxiliaire aux troupes du régime syrien, et non de manière indépendante comme à al-Qusayr. Le Hezbollah a probablement plusieurs milliers de combattants en Syrie au mois de décembre 2013. Les objectifs sont multiples : il s'agit d'assurer le contrôle du régime sur la Ghouta orientale et de compenser les succès des rebelles (capture des dépôts d'armes de Mahin, au sud d'Alep), et de couper les insurgés du nord de leurs camarades de Damas et de la frontière libanaise. Il s'agit également d'isoler l'insurrection au nord et de marquer le maximum de points pour la conférence de Genève 2. Pour le Hezbollah, nettoyer le Qalamoun correspond aussi à un objectif plus particulier : faire cesser les attaques des insurgés sunnites, et particulièrement celles des groupes djihadistes, contre le mouvement chiite au Liban. C'est en effet de là que sont tirées les roquettes contre la vallée de la Bekaa. En outre, les voitures piégées qui sautent au Liban seraient fabriquées à Yabroud puis expédiées, via le Qalamoun, à Arsal, puis vers les objectifs à l'intérieur du pays.

Ce renouveau de l'engagement militaire du Hezbollah entraîne une hausse proportionnelle des pertes : 47 tués en novembre et pour la première moitié de décembre 2013. Le total des morts avoisine les 300, dont 272 bien identifiés. Sur les 47 morts récents, 13 ont été tués dans la Ghouta, 5 à Qalamoun et 24 à Zaynab. Comme précédemment, la plupart des morts sont originaires du Sud-Liban (20), de la vallée de la Beqaa (11). Il est possible que le Hezbollah exagère le nombre de tués à Zaynab, pour des raisons de propagande, et qu'un certain nombre de morts soient tombés aux deux autres endroits. Parmi les morts, deux commandants éminents : Ali Iskandar, commandant important d'al-Bazourieh au Sud-Liban, officier opérations et commandant des forces du Hezbollah dans la Ghouta, tué le 23 novembre, et Ali Hossein al-Bazi, commandant important à Harat al-Saida, qui entraînait les cadres du mouvement et qui a été tué dans le Qalamoun le 8 décembre. Dans une interview du 3 décembre 2013, Hassan Nasrallah a indiqué que le Hezbollah avait commencé à intervenir en Syrie en dépêchant 40 à 50 hommes pour protéger le sanctuaire de Zaynab24.

Pour la première fois, le Hezbollah s'est donc embarqué dans une véritable « guerre expéditionnaire » dans la durée, qui le détourne du traditionnel discours de « résistance »25. Le combat n'a pas été des plus aisés même si le mouvement chiite engrange une expérience certaine, notamment en matière de combat urbain. Il est difficile d'évaluer l'effectif total engagé par le Hezbollah en Syrie. Les plus hautes estimations parlent de 10 000 hommes, mais si c'était le cas, ce serait par rotation des effectifs et non de manière permanente. Un maximum de 4 000 combattants présents ensemble semble un chiffre déjà élevé, une estimation entre 2 000 et 4 000 paraît plus raisonnable. Le Hezbollah aligne des combattants en uniforme, bien équipés en armes légères, qui ont manipulé à l'occasion des véhicules blindés (comme à al-Qusayr) quand ils opéraient aux côtés des forces du régime syrien. La structure de commandement en Syrie est probablement décentralisée par province (Homs, Damas, Alep notamment). Le Hezbollah combat aux côtés des restes de l'armée régulière, des miliciens des Forces Nationales de Défense, des miliciens étrangers, et des Iraniens eux aussi présents aux côtés du régime. Ses troupes servent surtout d'infanterie légère dans les opérations offensives et défensives. Elles entraînent les forces régulières et irrégulières au combat urbain et à la contre-insurrection, encadrent certaines unités régulières ou irrégulières, corsettent les milices chiites notamment à Damas (mais aussi à Lattaquié, Deraa, Idlib), et ont mené parfois directement les opérations de combat, comme à al-Qusayr. C'est dans ce dernier cas que les pertes ont été les plus importantes. Par son rôle de formation, en améliorant la qualité des unités régulières et surtout en rendant les miliciens des FND utiles, le Hezbollah a grandement contribué à sauver le régime syrien au printemps 2013. Le Hezbollah est non seulement une « brigade de pompiers » mais a aidé à restaurer la capacité offensive des forces de Bachar el-Assad. Les problèmes posés par le terrain, un adversaire qui n'a rien à voir avec Tsahal, et la coopération avec les forces très hétérogènes du régime, ont entraîné des problèmes mais aussi des ajustements. Le Hezbollah est probablement l'une des forces les plus efficaces sur le champ de bataille syrien.


2Foreign Fighters in Syria, The Meir Amit Intelligence and Terrorism Information Center, décembre 2013.
4Will Fulton, Joseph Holliday, et Sam Wyer, Iranian Strategy in Syria, Institute for the Study of War, mai 2013.
5Phillip Smyth, « Hizballah Cavalcade: Iran’s Losses In the “35th Province” (Syria), Part 1 », Jihadology.net, 14 juin 2013.
6Linda Lavender, Blowback: The Unintended Consequences of Hezbollah’s Role in Syria, CIVIL-MILITARY FUSION CENTRE MEDITERRANEAN BASIN TEAM, septembre 2013.
7Le Hezbollah s'appuie au départ sur le mécontentement des chiites libanais, plutôt favorables au départ à Israël, mais traumatisés par l'exil vers Beyrouth-sud et l'occupation.
8Fonction qu'il prétend assumer depuis 1990 et la fin de la guerre civile libanaise (accords de Taëf) où il a pu conserver ses armes, contrairement à la milice d'Amal, l'autre mouvement chiite. Après le retrait israëlien du Sud-Liban en 2000 et l'avènement de Bachar el-Assad en Syrie, le Hezbollah se rapproche de Damas. Le maintien de la « résistance », après le retrait syrien de 2005 du Liban, est entretenu par des provocations à la frontière sud qui débouchent sur la guerre avec Israël en 2006.
9Kathia Légaré, L’engagement du Hezbollah dans la guerre civile syrienne : Nouvelle mutation ou indice de décadence du mouvement ?, PSI, Université Laval, 22 octobre 2013.
11Phillip Smyth, « Hizballah Cavalcade: Hizballah’s Multiplying Qusayr Martyrs », Jihadology.net, 20 mai 2013.
12Phillip Smyth, « Hizballah Cavalcade: The Qusayr Meat Grinder: Hizballah’s Dead From May 20-May 25, 2013 », Jihadology.net, 25 mai 2013.
13Will Fulton, Joseph Holliday, et Sam Wyer, Iranian Strategy in Syria, Institute for the Study of War, mai 2013.
14Matthew Levitt et Aaron Y. Zelin, « Hizb Allah’s Gambit in Syria », CTC Sentinel, août 2013, special issue . Vol 6. Issue 8, p.14-17.
15Nick Heras, « What is Hezbollah ’s Role in the Syrian Crisis ? », The Jamestown Foundation, Terrorism Monitor, Volume X, Issue 20, 2 novembre 2012.
16Hezbollah Involvement in the Syrian Civil War, The Meir Amit Intelligence and Terrorism Information Center, 17 juin 2013.
17Nicholas A. Heras, THE POTENTIAL FOR AN ASSAD STATELET IN SYRIA, Policy Focus 132, The Washington Institute for Near East Policy, décembre 2013.
18Matthew Levitt et Aaron Y. Zelin, « Hizb Allah’s Gambit in Syria », CTC Sentinel, août 2013, special issue . Vol 6. Issue 8, p.14-17.
19Nicholas Blanford, « The Battle for Qusayr: How the Syrian Regime and Hizb Allah Tipped the Balance », CTC Sentinel, août 2013, special issue . Vol 6. Issue 8, p.18-22.
20Following the victory at Al-Qusayr Hezbollah is preparing to support the Syrian army forces to take over Aleppo, The Meir Amit Intelligence and Terrorism Information Center, 19 juin 2013.
21Matthew Levitt et Aaron Y. Zelin, « Hizb Allah’s Gambit in Syria », CTC Sentinel, août 2013, special issue . Vol 6. Issue 8, p.14-17.
22Ahmed Habib Saloum, commandant militaire important de Nabatieh, au Sud-Liban ; Ayman Said Tahini, commandant important du Hamas, de Itit, au Sud-Liban ; et Khalil Muhammad Khalil Hamid, commandant militaire du Hezbollah, de Bint Jbeil, Sud-Liban.
23Hezbollah Operatives Killed in Syria (Updated to the end of July 2013), The Meir Amit Intelligence and Terrorism Information Center, juillet 2013.
24In late 2013, Hezbollah again intensified its military involvement in the Syrian civil war, suffering heavy losses, The Meir Amit Intelligence and Terrorism Information Center, 22 décembre 2013.
25Jeffrey White, « Hizb Allah at War in Syria: Forces, Operations, Effects and Implications », CTC Sentinel , janvier 2014, Volume 7 Issue 1, p.14-18.

Gunga Din (1939) de George Stevens

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Dans les années 1880, à la frontière nord-ouest de l'Inde, colonie britannique. Des inconnus attaquent un avant-poste anglais et massacre la garnison de Tantapur. Le colonel Weeds envoie un détachement pour évaluer la situation sous les ordres de trois sergents baroudeurs et amis des Royal Engineers, MacChesney (Victor McLaglen), Cutter (Cary Grant) et Ballantine (Douglas Fairbanks Jr). Parmi les porteurs indiens qui les accompagnent, il y a Gunga Din (Sam Jaffe), porteur d'eau, qui ne rêve que de devenir un soldat de sa Grâcieuse Majesté...

Gunga Din témoigne du succès de la thématique des Indes dans le cinéma américain après Les 3 lanciers du Bengale de Hattaway, sorti en 1935. La charge de la brigade légère de Curtiz sort l'année suivante, et la RKO, à son tour, offre un budget colossal à la disposition de Howard Hawks pour réaliser cette adaptation d'un poème de Kipling. Hawks étant trop lent, la RKO confie la réalisation à George Stevens. Le film est tourné dans le désert californien.





Film d'aventures qui a remporté un grand succès à l'époque (il est cependant sorti la même année qu'Autant en emporte le vent et Le magicien d'Oz), Gunga Din a, par certains côtés, mal vieilli. Autant les scènes d'action restent spectaculaires, malgré la pauvreté des effets spéciaux bien sûr, autant les passages intermédiaires comportent de nombreuses longueurs. Stevens a misé sur les plans de bataille, en particulier, et cela se voit : les scènes comiques entres les trois sergents sont parfois à la limite de la caricature. Pendant le tournage de la scène où les trois sergents résistent en haut du temple au siège des Thugs en attendant les secours, il fait très chaud et les acteurs se rafraîchissaient avec des bières. Comme la lumière était bonne, Stevens leur a imposé de rester longtemps en place, malgré la chaleur qui était plus forte ce jour-là ; un peu éméché, McLaglen, n'en pouvant plus, a uriné du haut de l'édifice, faisant hurler de rire ses deux collègues... Le côté quelque peu décalé des trois sergents britanniques n'empêche d'ailleurs pas le propos d'être plutôt un ode à la gloire de l'Empire, même si le réalisateur a eu la bonne idée de faire figurer Kipling, notamment dans la scène finale, pour faire le lien avec le poème. Malheureusement, le grimage de Sam Jaffe, qui joue Gunga Din (censé être un jeune garçon, mais l'acteur a 47 ans...), et du chef des Thugs, un acteur italien, n'est pas très convaincant. Reste que le film a sans doute contribué à inspirer Steven Spielberg pour le deuxième volet d'Indiana Jones, Le temple maudit : les scènes du pont suspendu et celles des Thugs évoquent immanquablement quelque chose... 




Steven J. ZALOGA et Hugh JOHNSON, T-54 and T-55 Main Battle Tanks 1944-2004, New Vanguard 102, Osprey, 2004, 48 p.

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Ce volume de la collection New Vanguard d'Osprey, qui se focalise sur l'étude du matériel militaire, est encore une fois signé Steven Zaloga, le spécialiste de l'Armée Rouge et du matériel soviétique (en plus d'être également un bon connaisseur du matériel américain). Et pour cause : il s'agit ici de traiter la série des chars T-54/T-55, qui a été aussi répandu à travers le monde depuis la guerre froide que le fusil d'assaut AK-47, dont le créateur est mort récemment. On les retrouve encore sur les champs de bataille de la guerre en Syrie, dans les deux camps.

Au départ, c'est un bureau de dessin de l'usine n°173 de Nijni-Tagil, qui produit le T-34, et qui décide de trouver un remplaçant au T-34/85, dès 1944. On prend comme base le T-34, surblindé à l'avant en enlevant le mitrailleur de caisse, toujours armé d'un canon ZIS-S-53 de 85 mm. Le T-44, qui approche le Panther en termes de performances, ne fait que 65% du poids de ce dernier. 20 exemplaires sont produits en 1944 à l'usine de Kharkov réinstallée, 965 en 1945 et 1 823 en tout jusqu'en 1947.



Dès 1944, on a cependant testé sur le prototype du T-44 des canons plus gros, de 100 puis 122 mm. L'Obiekt 137, lancé en 1945, adapte la tourelle pour embarquer le canon de 100 mm et porte le blindage frontal à 200 mm. Le nouveau T-54 est complété à Nijni-Tagil fin 1945 : bon pour le service en avril 1946, l'usine de Nijni-Tagil le produit dès 1947 et celle de Kharkov l'année suivante. Malgré tout, des problèmes de jeunesse font que la production du T-34/85 prend le pas jusqu'en 1950. Le premier T-54 embarque en effet presque deux fois moins d'obus. La tourelle est redessinée, les mitrailleuses SG-43 de côté remplacées par des mitrailleuses incorporées au char, des chenilles plus larges sont adoptées. Une troisième usine, à Omsk, se consacre à la production. Le T-54 modèle 1951 est produit à 11 700 exemplaires. Le T-54A bénéficie des observations faites sur les Sherman du Lend-Lease et sur les M26 ou M46 capturés en Corée, notamment pour un stabilisateur amélioré afin de mieux tirer en mouvement. La Pologne et la Tchécoslovaquie, avec l'autorisation de Moscou, remplacent la production des T-34/85 par celle des T-54 : 2 855 sont produits par la première jusqu'en 1964 et plus de 2 500 pour la seconde jusqu'en 1966. La Chine copie aussi le T-54A sous le nom de Type 69. De nombreuses versions sont développées à partir du char, qui reçoit aussi des améliorations, comme une mitrailleuse antiaérienne de 14,5 mm sur la version M. En tout, plus de 40 000 T-54 sont construits (24 750 en URSS, 5 465 dans les pays alliés, 9 000 en Chine), sans compter les versions spécialisées sur châssis.



Le T-55 répond au besoin d'un char capable de survivre à un champ de bataille "vitrifié" par des explosions nucléaires. Accepté en mai 1958, il est produit jusqu'en 1962. Le temps de production est court car un officier iranien fait défection avec son M60A1 en janvier 1961 et les Soviétiques, impressionnés par le nouveau canon de 105 du char -lui-même tiré des observations faites sur le T-54 en Hongrie pendant la révolte de 1956-, développent un T-55 armé d'un nouveau canon de 115 mm, qui deviendra le T-62. Seule l'usine d'Omsk continue à produire le T-55 jusqu'en 1977, notamment pour l'exportation. Au total, plus de 30 000 chars sont produits en URSS, 7 000 en Pologne de 1964 à 1979, la Tchécoslovaquie plus de 8 500 de 1958 à 1982 et 400 en Roumanie. La durée de vie des chars étant assez courte (il faut une révision complète après 7 000 km), les régiments de chars soviétiques ne font participer qu'une partie des chars aux entraînements pour conserver leur capacité de combat : tous les dix ans, la révision a lieu dans les usines prévues à cet effet, à Kiev, Lvov et Kharkov. LesT-54 sont progressivement portés au standard M et les T-55 reçoivent aussi des améliorations dans les années 1970.


Sur les deux modèles de chars, l'Armée Rouge développe des chars lance-flammes et des engins de déminage. Sous Khrouchtchev, obsédé par l'avènement des missiles antichars, les Soviétiques tentent de développer un char lance-missiles à Léningrad, à partir d'un T-55 : c'est le projet "Typhon". Il est abandonné en 1964. En 1988, les T-54/55 forment encore 36,5% du parc soviétique, les T-62 25%, et la proportion est encore plus importante dans les pays alliés. Suite à l'expérience en Afghanistan, où les T-55, nombreux dans les unités engagées, ont souffert des RPG et des mines, un programme de modernisation est lancé notamment pour améliorer la protection face à ces menaces. Les T-55M et AM bénéficient de nombreuses améliorations. Le projet Drozd prévoit un système de défense actif contre les missiles antichars avec des roquettes et un équipement électronique pour intercepter et détruire les missiles lancés contre le char en vol. Il n'est finalement adopté que par l'infanterie de marine soviétique, car le coût, élevé, est le même que s'il s'agissait de choisir des T-72. 250 exemplaires sont produits mais stockés. Le blindage réactif Kontakt fait partie des dernières améliorations apportées par les Soviétiques au T-55. Les Israëliens, qui en capturent dès 1967, développent leurs propres versions, les Tiran, avant d'utiliser le châssis du char pour le véhicule blindé Achzarit. L'Irak ou la Finlande développent aussi des versions modifiées, et l'usine d'Omsk tourne encore pour apporter des modifications à l'exportation. En Chine, le Type 59, copie du T-54, est produit dès 1958 dans une usine à l'ouest de Pékin, jusque dans les années 1980. Après avoir capturé un T-62 pendant les escarmouches contre les Soviétiques de 1969, les Chinois produisent le Type 69 qui ressemble plus au T-55. La Chine exporte le Type 59, notamment au Pakistan.

Le T-44 n'a pas été engagé au combat contre les Allemands. Le T-54 connaît son baptême du feu en 1956 lors de la répression de l'insurrection hongroise : plusieurs sont détruits dans les combats de rue à Budapest. Les Britanniques, qui ont observé le char, vont donc développer un nouveau canon de 105 mm. Plus de 20 000 T-54/55 sont exportés, plus 6 000 copies chinoises. L'Egypte et la Syrie emploient massivement ces chars pendant les guerres israëlo-arabes dès 1967, mais la qualité des équipages israëliens fait souvent la différence. Les blindés sont aussi de la partie dans les conflits entre l'Inde et le Pakistan, puis sont utilisés par le Nord-Viêtnam en 1972 et avec plus de succès en 1975. En Afrique, les Etats issus de la décolonisation emploient de préférence le T-55, bon marché. On le retrouve en Angola, au Tchad. En Amérique latine, il est même utilisé lors du conflit au Nicaragua ! L'Irak en dispose dans la guerre contre l'Iran, puis pendant les deux guerres du Golfe. Il sert aussi dans la guerre en Yougoslavie, dans le Caucase, bref, il est encore loin d'avoir disparu des champs de bataille...

Comme toujours, le format (une trentaine de pages à peine) permet surtout d'insister sur la dimension technique, la naissance et l'évolution du blindé. On reste sur sa faim par contre quant à l'utilisation du char sur le champ de bataille et le lien avec la doctrine soviétique, les conceptions d'emploi, etc. Néanmoins, cette petite base est solide, claire, avec une bibliographie d'ailleurs essentiellement russe, car il est vrai que même en anglais, les ouvrages sur les T-54/55 ne sont pas légion. Le tout complété par les illustrations habituelles.


Fabrice BALANCHE, Atlas du Proche-Orient arabe, Paris, PUPS, 2012, 134 p.

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Fabrice Balanche, géographe français, est l'un des spécialistes de la Syrie. Il vient de soutenir son habilitation à diriger des recherches, en novembre2013 ; jusqu'ici maître de conférences à l'université Lyon 2-Louis Lumière, il est directeur du Groupes d'Etudes et de Recherches sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (GREMMO). On l'a vu régulièrement dans les médias -bien que trop peu- depuis le début de l'insurrection en Syrie. Fabrice Balanche est surtout un spécialiste du pouvoir alaouite, depuis le coup d'Etat de 1963 ; ses analyses du conflit ont parfois prêté à débat, comme par ce trio de chercheurs qui a mené une enquête de terrain, en Syrie, pour cerner un peu mieux les origines du soulèvement puis son développement.

Dans ce livre, Balanche se propose de faire un atlas du Proche-Orient, contour assez flou en France, qui englobe la Syrie, le Liban, la Jordanie, la Palestine et Israël. La région est largement déterminée par le conflit israëlo-palestinien. Cette région correspond à une réalité géographique, le Bilad es-Sham des Omeyyades (VIIème siècle), qui a toujours été disputée par les conquérants étrangers. L'émir Faycal avait essayé de l'unifier en 1918, mais les mandats français et britanniques et la colonisation juive ont consommé la fragmentation politique. Depuis 1948, en raison du conflit israëlo-palestinien, cet espace ouvert à l'époque ottomane s'est progressivement fermé. Le conflit a influencé la construction des Etats arabes, même si les voies politiques et économiques sont parfois différentes ; néanmoins les pays appartiennent à la même aire culturelle. Fabrice Balance explique qu'il a préféré comparer les territoires palestiniens à Israël, ce qui peut soulever des interrogations, car c'est reproduire, in fine, le schéma du conflit israëlo-arabe. Le propos se divise en 8 chapitres. Les trois premiers posent le cadre physique et l'histoire récente de la région. Les trois suivants abordent les dynamiques socioéconomiques. Le septième chapitre, sur les territoires palestiniens, apparaît du coup quelque peu incongru dans l'ensemble, conclu par un dernier chapitre sur les conflits pour le contrôle du Proche-Orient.




Dans le premier chapitre, la menace de l'aridité, les cartes et le texte montrent que le Proche-Orient est une table inclinée d'ouest en est. La plaine littorale est étroite car elle rencontre les premiers reliefs calcaires : montagne alaouite, Liban, Galilée. Les montagnes ont souvent été des refuges pour les minorités religieuses persécutées. Le Proche-Orient est de faite une vaste trouée est-ouest qui relie la Mésopotamie à la Méditerranée. S'il appartient au climat méditerranéen, l'aridité est présente dès qu'on dépasse la plaine côtière. Le climat levantin, variante du méditerranéen, est très sec en été, et l'hiver provoque souvent gel et fortes neiges. Les versants occidentaux des montagnes sont plus arrosés que les versants orientaux car le relief fait un effet d'abri. Le Proche-Orient est pénalisé par une mauvaise répartition des précipitations. Toutes les ressources hydrauliques de la région sont donc fortement mobilisées, le Liban étant le seul pays qui puisse encore développer des équipements. L'agriculture et l'urbanisation entraînent une importante consommation d'eau. Les paysages levantins sont dégradés par une urbanisation plutôt anarchique. Le massif des Cèdres au Liban a quasiment disparu ; en Syrie, le nord perd sa végétation et retourne au désert, en raison de l'irrigation et de l'urbanisation, même si le Proche-Orient aride est en fait plus steppique que désertique.

Le Proche-Orient a connu pendant longtemps des dominations étrangères. Modernisé par les réformes du Tanzimat sous l'Empire Ottoman, à partir de 1839, il compte deux grandes métropoles : Alep et Damas. Le Liban s'impose comme le grand port, le littoral étant plus ouvert sur l'extérieur que l'intérieur des terres. Avec l'implantation britannique en Egypte et à Suez, et la colonisation juive en Palestine, le sultan favorise les intérêts français et allemands pour faire contrepoids, tandis que les relations est-ouest l'emportent sur celles nord-sud, préfigurant le découpage ultérieur. Espace ouvert, le Proche-Orient ne se développe pas économiquement en raison du blocage interne à l'Empire ottoman. Les sunnites, majoritaires (et 90% de la population est alors arabe), contrôlent les villes, alors que les minorités religieuses sont rejetées en périphérie. Pour contrôler les nomades sunnites qui gagnent du terrain, les autorités installent parfois des minorités religieuses pour faire tampon, aux lisières de la steppe. La colonisation juive en Palestine met en valeur le littoral et le nord de la vallée du Jourdain, insalubres. Trois grandes puissances s'affrontent alors au Proche-Orient : les Britanniques, obsédés par le contrôle des routes maritimes ; les Français, qui veulent faire de la Méditerranée un "lac français", et les Russes, qui souhaitent un débouché. Après l'obtention d'un protectorat sur l'Egypte en 1882, les premiers sont surtout obsédés par le contrôle du canal de Suez. Pendant la Première Guerre mondiale, l'Empire ottoman se range du côté de l'Allemagne. Par les accords Sykes-Picot de 1916, l'Entente commence son démantèlement. Les Français veulent une grande Syrie que les Britanniques minorent en avançant l'émir Faycal. Finalement, le littoral libanais revient à la France, le sud de l'Irak aux Anglais ; la Syrie intérieure est sous influence française, Bagdad sous influence britannique ; la Palestine est internationalisée, Jérusalem obtient un statut à part. Russes et Italiens gagnent également des territoires en Anatolie. Le plan s'écroule avec la révolution bolchevique et la naissance de la République turque de Kemal. Le découpage entre Français et Anglais annonce les futurs Etats de la région. La France conserve le Liban et la Syrie : elle va séparer les deux entités, contenant se maintenir sur le littoral et favorisant dans son jeu les minorités contre les sunnites. Le Grand Liban, séparé de la Syrie en 1924, comprend le grand port de Tripoli, détaché de la Syrie. Viable sur le plan économique, il l'est beaucoup moins sur le plan confessionnel, car les chrétiens maronites sont minoritaires et leur place ne va cesser de reculer. Le plan d'un Etat refuge pour les minorités échoue : le dernier recensement date de 1932... en 1943, chaque communauté se voit attribuer un nombre de places au Parlement, mais les maronites ont l'avantage avec la fonction de président de la République, qui a le plus de pouvoirs. Les Français ne quittent le Liban qu'en 1946. En Palestine, l'émigration juive porte la part des Juifs dans la population à un tiers en 1945. L'écart socio-économique se creuse avec les Palestiniens, qui sont enfermés par le mandat britannique. La grande révolte de 1936 fait écho à une émigration juive prononcée depuis trois ans. Le mouvement national palestinien est brisé, ce qui permettra aux Juifs de s'imposer plus facilement en 1948, malgré les restrictions posées trop tard à l'immigration en 1939. La France, en Syrie, a créé deux Etats éphémères en 1922 : l'Etat alaouite et l'Etat druze. Diviser pour mieux régner, d'autant que les minorités s'engagent dans les troupes spéciales du Levant. Les deux Etats ne sont pas viables sur le plan économique et les élites, nationalistes arabes, militent pour l'intégration à la Syrie dès 1936 -trois ans après que le grand mufti de Jérusalem ait reconnu que les alaouites appartenaient bien à l'islam.

Après l'indépendance, les Etats vont s'efforcer de maintenir la cohésion nationale. Il n'y a qu'en Syrie où le communautarisme politique est aboli. Le nationalisme arabe doit contrer les clivages religieux. La République Arabe Unie entre la Syrie et l'Egypte ne dure pas. La Syrie, avec cette arabisation forcenée, malmène les Kurdes et les Turkmènes, particulièrement après le coup d'Etat baathiste de 1963. Les Bédouins sont également les victimes de ces constructions nationales. La réorganisation du réseau de transports confirment la centralisation autour de la capitale et le quadrillage du territoire, surtout en Syrie et en Jordanie. Il sert à contrôler les marges steppiques et frontalières. Seule la Syrie poursuit le développement du chemin de fer. Les liaisons internationales terrestres sont délaissées, sauf entre la capitale et les pays voisins. Le maillage administratif participe au contrôle du territoire, en réduisant le poids des métropoles régionales. C'est en Jordanie où il est le plus développé. La Syrie a favorisé les petites mailles. Les muhafaza (provinces) sont les entités les plus importantes. En Syrie, après une période d'instabilité politique, le coup d'Etat de 1963 puis la prise du pouvoir par Assad entraînent une politique volontariste, et la région côtière, fief du clan au pouvoir, est favorisée selon des logiques clientélistes. Le pays connaît une crise économique dès les années 1980 mais les acquis sociaux favorisent encore l'unité nationale. Bachar el-Assad, à partir de 2000, accélère la libéralisation enclenchée par son père mais cesse de développer les régions périphériques. Damas s'affirme comme la ville dominante et l'activité se concentre dans les villes, comme le montrent les migrations intérieures. Le Liban lui n'a jamais adopté de politique d'aménagement du territoire. La politique du président Chebah, après 1958, se heurte à des résistances. Les 15 années de guerre civile (1975-1990) ravagent le pays. Les nouvelles élites orientent la reconstruction en fonction de leurs intérêts, le clan Hariri, par exemple, se concentrant sur celle de Beyrouth. La population jordanienne est la plus homogène mais la crise identitaire vient du fait qu'elle est originaire pour bonne part de l'exil palestinien. Le roi s'est donc appuyé sur les tribus bédouines et une garde tcherkesse. La construction nationale est heurtée par l'alliance avec les Etats-Unis et Israël face au sentiment pro-palestinien et parfois islamiste de la population.

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Densément peuplé, le Proche-Orient connaît néanmoins de fortes disparités. Les Libanais se concentrent sur le littoral, les Jordaniens à 90% sur 10 000 km² au nord-ouest du pays ; il n'y a qu'en Syrie où la population est plus dispersée. La population est urbanisée à plus de 80% en Jordanie et au Liban. En Syrie, le processus est moins avancé. Mais le clivage villes-campagnes a largement disparu. La croissance démographique est galopante depuis la seconde moitié du XXème siècle. La Syrie passe de 3,25 millions d'habitants en 1950 à 17,8 millions au recensement de 2004. La fécondité et l'immigration expliquent l'explosion. La Syrie et la Jordanie sont en transition démographique, le Liban l'ayant achevé. Les vagues de réfugiés, en particulier palestiniens, ont été nombreuses (10% de la population au Liban, 5% en Syrie, pour les Palestiniens). L'analphabétisme a fortement régressé et les femmes rattrapent les hommes. En Syrie, l'enseignement public a un quasi monopole, contrairement à la Jordanie ou au Liban. L'enseignement supérieur est devenu un marché concurrentiel. La population fait souvent de gros sacrifices pour favoriser l'éducation des enfants. Les femmes prennent une place croissante dans la vie économique. Elles poursuivent davantage leurs études que les hommes. Sur le plan légal, en revanche, elles n'ont pas l'égalité, et la place des femmes en politique est très réduite. Les réfugiés sont nombreux : un million de Palestiniens entre 1948 et 1967, deux millions d'Irakiens depuis 2003. Les Arméniens se sont relativement bien intégrés ; les Palestiniens, en revanche posent problème. Au Liban, on hésite à leur donner la nationalité en raison des tensions communautaires ; en Syrie, les camps sont devenus des quartiers comme les autres. Les Irakiens ont choisi majoritairement la Syrie (1,2 millions). Il faut aussi souligner les échanges importants de population entre la Syrie et le Liban. Le régime syrien a toujours encouragé la natalité, ce qui renforce aussi le poids des minorités face aux sunnites. Au Liban, les tensions communautaires expliquent l'absence de recensement, même si la perspective d'un Liban à majorité chiite s'éloigne. La Jordanie ne connaît pas de problèmes communautaires mais plutôt d'identité nationale. L'endogamie communautaire, en revanche, est très forte en Syrie.

L'économie du Proche-Orient reste fragile. La culture d'entreprise repose sur la famille et sur une méfiance assez vive envers l'Etat. Les services jouent un rôle important : au Liban, tourisme et banque prédominent. En Syrie, l'économie dirigée laisse la place à une économie sociale de marché tandis que la Jordanie se spécialise dans l'informatique et les nouvelles technologies de l'information et de la communication. Depuis 2001, la hausse du prix des hydrocarbures a profité à l'économie de la région, surtout pour la Syrie. Les pays du Golfe investissent. L'agriculture, en revanche, n'est plus capable de nourrir la population : les Etats procèdent à des importations massives de produits alimentaires. Cependant la Syrie exporte de l'huile d'olive, la Jordanie des produits maraîchers, le Liban ayant développé, lui, une industrie agro-alimentaire. La Syrie a développé une industrie lourde publique ; au Liban, la guerre civile a fragilisé l'industrie, laminée ensuite par la libéralisation économique. En Jordanie, les zones franches industrielles attirent les investisseurs. Les trois pays ne sont pas des destinations touristiques, et les touristes voyagent plus de manière individuelle que collective. Le littoral, les montagnes et quelques sites archéologiques concentrent le gros des visiteurs. La Syrie est la seule à disposer d'hydrocarbures, mais la consommation n'encourage guère à l'économie. La Jordanie a converti ses centrales thermiques au gaz en 2003. L'électrification est achevée en Jordanie, problématique en Syrie et au Liban. Sous la période mandataire, le pétrole irakien est évacué par le littoral. Après 1948, et la fermeture de Haïfa, et la prise du Golan en 1967, la Syrie devient, surtout après le début de la guerre civile libanaise en 1975, le seul débouché. Aujourd'hui, les conduites contournent le Proche-Orient par la Turquie et l'Egypte. La façade maritime a perdu de son attractrivité, malgré les efforts syriens à Lattaquié et Tartous, en raison notamment du conflit israëlo-arabe.

Depuis les années 1970, la région dépend fortement des pétromonarchies du Golfe, par des aides financières pour la Jordanie et la Syrie, plus par des remises d'émigrés pour le Liban. Ce n'est qu'à partir de 1997 que les investissements se multiplient au Liban et en Jordanie, puis à partir de 2000 en Syrie. La Chine s'installe également dans la région. La Jordanie est la plus attractive, le Liban étant aussi un paradis fiscal. Le réseau urbain est dominé par quatre métropoles : Damas, Alep, Amman et Beyrouth. La capitale de la Syrie demeure la principale métropole du Proche-Orient, avec une agglomération de plus de 5 millions d'habitants. L'urbanisation s'accélère depuis les années 1980. Amman, née à la fin du XIXème siècle, ressemble plus à une ville du Golfe que du Proche-Orient. Beyrouth, port moderne depuis le XIXème siècle, est déchirée par la guerre civile, dont les séquelles marquent toujours le paysage. Le nouveau centre semble réservé aux touristes alors que les quartiers rivaux selon les confessions ou les camps s'opposent. Alep, deuxième ville de l'Empire ottoman, s'est d'abord effacée devant Damas, avant de connaître un regain à partir des années 1990, même si elle est excentrée, l'autoroute Alep-Lattaquié ayant pris du retard pour des raisons politiques.

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De part et d'autres de la ligne verte, la densité de population est très forte chez les Israëliens comme chez les Palestiniens. La population est massivement urbaine. La Cisjordanie est dominée par le trio Ramallah-Jérusalem-Béthléem. Dans la bande de Gaza, la colonisation israëlienne avait découpé le territoire en quatre tronçons, qui sont restés : Gaza, Deir el Balah, Khan Younes et Rafah. La natalité reste élevée chez les Israëliens, encore plus chez les Palestiniens, même si elle commence à chuter depuis les années 2000. L'économie palestinienne reste assistée et contrôlée de l'extérieur. 90% des importations des territoires occupés proviennent d'Israël. La dépendance économique est aussi un moyen de pression de la communauté internationale sur les Palestiniens. Depuis 1998, le taux de scolarisation des Palestiniens dégringole, alors que plus de 70% de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté. Les Palestiniens vivent une forte insécurité alimentaire et sont tributaires de l'aide de l'UNRWA. Les services constituent 75% des emplois. Le travail en Israël et dans les colonies juives est une véritable bouffée d'oxygène pour la Cisjordanie ; les femmes en revanche sont sous-employées. Le plan de partage, prévu dès 1936, a été rejeté par les Arabes en 1947, après modifications, car il avantageait généreusement les colons juifs. A l'issue de la première guerre israëlo-arabe, l'Etat hébreu a chassé 80% de la population arabe. La colonisation israëlienne commence à Gaza et en Cisjordanie après la conquête de 1967. La première est abandonnée en 2005, mais les Israëliens ont laissé faire le renforcement de la colonisation en Cisjordanie et le mur de séparation entérine un redécoupage du territoire. La colonisation juive en Cisjordanie a coupé ce territoire en deux, et les 500 000 colons présents en 2010 empêchent de détacher ce morceau d'Israël. L'Etat hébreu a également voulu implanter le maximum de colons dans Jérusalem-Est; pour rétablir l'équilibre démographique. Le conflit israëlo-arabe, rapidement intégré dans la guerre froide, a d'abord prioritairement opposé Israël à l'Egypte, jusqu'en 1973. Après les accords de Camp David, le front nord devient prioritaire : c'est la guerre au Liban. L'apaisement ne revient qu'avec la fin de l'URSS. Mais les négociations échouent pour créer un Etat palestinien et la question du Golan n'est pas réglée, une nouvelle guerre froide s'installe entre les Etats-Unis et l'Iran, qui cherche à devenir une puissance régionale, face à l'Arabie Saoudite. Le Proche-Orient est donc une zone d'affrontement indirect. Israël, suite aux conflits israëlo-arabes et aux annexions, contrôle une bonne partie des ressources en eau. Le Golan, conquis en 1967 et annexé officiellement en 1981 par Israël, reste une pomme de discorde avec la Syrie. La population a refusé la nationalité israëlienne. L'Etat hébreu considère le plateau comme indispensable à sa sécurité : il constitue une barrière naturelle contre une offensive syrienne et le bassin versant du Golan alimente le lac de Tibériade, où Israël prélève un tiers de sa consommation d'eau. En mai 2011, Bachar el-Assad, face aux premiers signes d'une révolution, a réinstrumentalisé cette "Alsace-Lorraine" syrienne en organisant des manifestations nationalistes qui n'ont pas eu l'écho escompté. Les Etats-Unis sont devenus le principal acteur géopolitique du Proche-Orient, mais c'est pour eux une zone secondaire, à sécuriser pour protéger le Moyen-Orient riche en hydrocarbures. En revanche, l'alliance avec Israël ne se dément pas, et aurait même tendance à se renforcer depuis 2001, même si l'élection de Barack Obama en 2008 marque une inflexion, pas un changement radical. Il faut neutraliser l'Iran, tenir à l'écart les Russes, briser l'axe anti-américain, d'où l'importance du conflit syrien. Le Liban, Etat-Tampon, est écartelé entre les politiques de puissance des Américains et de leurs alliés, de l'Iran et de ses alliés, et de l'UE. La Turquie, quant à elle, ambitionne également de retrouver un statut de puissance régionale.

La situation actuelle du Proche-Orient, on le voit bien, est liée à la résolution du conflit israëlo-arabe. Dominé par les puissances extérieures, le Proche-Orient est fragilisé par des constructions nationales incomplètes. La politique a primé sur l'économie : la région est donc mal intégrée à la mondialisation, ce qui explique qu'elle soit devenue une périphérie des Etats pétroliers du Golfe, dominants au Moyen-Orient. Pour Fabrice Balanche, des strates se combinent sur cet espace :  les constructions nationales depuis la fin de l'Empire ottoman ; la libéralisation économique contemporaine ; la combinaison de la géopolitique et d'un communautarisme réactivé. Une fragmentation territoriale est à l'oeuvre.

L'ouvrage est complété par une bibliographie "occidentale" et un glossaire. L'atlas s'intéresse surtout aux transformations de l'espace régional, en se concentrant sur la période contemporaine (post-indépendance), et montre les points communs et les particularités du Proche-Orient. Très pédagogique, l'atlas comprend des textes denses et des illustrations de qualité. C'est incontestablement une réussite sur un sujet pourtant éculé. On peut regretter, peut-être, qu'il manque dans le dernier chapitre la vision de certains acteurs, comme les pétromonarchies du Golfe, qui ont un rôle important. En outre, Fabrice Balanche se concentre surtout sur les Etats et moins sur les visions correspondant aux divisions internes, confessionnelles ou autres. On ne voit pas forcément dans l'atlas les liens entre celles-ci et le grand jeu régional. La construction de certaines cartes pose problème, pour certains géographes, en raison de l'absence de données suffisantes. L'atlas n'aborde pas, également, la problématique militaire, pourtant importante, vu le sujet. Il est vrai aussi que Fabrice Balanche, en séparant volontairement Israël des Etats arabes, évite de montrer la fragmentation de la société israëlienne et les divisions au sein des seconds. Ces choix expliquent aussi ceux qui sont soumis à la critique dans l'analyse du conflit syrien.

Mourir pour Assad ? Les combattants étrangers pro-régime en Syrie (2/2)

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Les miliciens étrangers


Le Hezbollah est coutumier de la formation, de l'entraînement et de l'encadrement de milices. Il l'avait déjà fait pendant la guerre Iran-Irak (1980-1988) aux côtés des Gardiens de la Révolution iraniens. Le Hezbollah participe ainsi à la formation de Jaysh al-Shabi (puis des Forces Nationales de Défense), l'armée populaire liée à la structure de l'armée syrienne en pleine recomposition depuis le début de la guerre civile. Cette initiative prouve d'ailleurs que le régime syrien a su reconfigurer son armée pour faire face à une menace irrégulière et asymétrique, avec une milice formée sur le modèle de la Basij iranienne1. Dès le début 2012, Jaafar Athab, membre d'une milice irakienne pro-iranienne, Asa’ib Ahl al-Haq, est tué à Hama2. C'est le général Suleimani, le commandant de la force Qods, qui aurait donné l'ordre aux milices irakiennes pro-iraniennes, Asa’ib Ahl al-Haq et les Brigades du Hezbollah notamment, d'envoyer leurs combattants en Syrie dès 2012. Pour les Iraniens, le contrôle de la zone autour du sanctuaire de Zaynab, au sud de Damas, est essentiel : non seulement les rebelles pourraient encercler la capitale et assiéger l'aéroport international de Damas, mais en outre, comme on l'a dit plus haut, le pélerinage sert de couverture au transit des Gardiens de la Révolution et autres activités clandestines. Le plus grand hôtel de Sayyeda Zaynab, l'hôtel As-Safir de Damas, est possé par la riche famille des Nahas, une famille chiite qui a des liens étroits avec le clan Assad. Le général Shafiq Fayyad, le cousin de Hafez el-Assad, a commandé la 3ème division blindée qui a joué un grand rôle dans la répression du soulèvement des Frères Musulmans en 1982 puis dans l'échec de la tentative de coup d'Etat de Rifaat, le frère de Hafez, en 1984. Or Fayyad a marié son fils dans la famille Nahas. On mesure combien, pour l'Iran, la Syre constitue la « 35ème province » du pays3.

Source : http://azelin.files.wordpress.com/2013/05/untitled17.png?w=300&h=199


Les premiers indices de la participation de miliciens chiites étrangers aux combats en Syrie commencent à filtrer à l'automne 2012, par des interviews avec ces combattants ou par le biais du gouvernement irakien4. La plupart de ces miliciens servent dans la brigade Liwa Abou Fadl al-Abbas. Leur nombre est difficile à évaluer mais un milicien irakien parlait déjà, en octobre 2012, de 200 Irakiens partis en Syrie, provenant de scissions du courant de Moqtada al-Sadr et de milices armées formées par l'Iran sous l'occupation américaine de l'Irak. L'organisation Badr, un mouvement politique créé par l'Iran dans les années 1980 pour combattre Saddam Hussein, annonce que le mouvement s'arme et s'équipe pour éventuellement participer au conflit. Début octobre 2012, Abou Hajeer, le chef de la brigade Liwa Abou Fadal al-Abbas, revendique déjà 500 combattants. Cette brigade rassemble plusieurs sous-unités dont certaines portent des noms importants de la religion chiite : brigade Ali Akbar, brigade al-Qasim, brigade Malik al-Ashtar. Au moins une unité est nommée d'après un des martyrs de la brigade (Ahmad Karaya). En Irak, l'organisation du recrutement de volontaires s'est accéléré à partir de la fin 2012 : des convois entiers de bus de pélerins transportent des combattants et des armes. En octobre 2012, le comité de recrutement de la province de Diyala, où l'affrontement entre chiites et sunnites irakiens est très vif (c'est un bastion de l'Etat Islamique en Irak), prétend avoir expédié 70 combattants en Syrie. Si la majorité des volontaires sont chiites, il y a aussi des sunnites et des Druzes. La plupart des combattants chiites irakiens sont motivés par le désir de prévenir, en Irak, le renouveau des violences sectaires de 2006, qui avaient coûté la vie à des centaines de chiites et de sunnites. Pour le moment, la plupart de ces milices restent basées en Irak, et expédient des combattants en Syrie : les groupes armés présents en Syrie ne cherchent pas, comme les factions rebelles, à contrôler des territoires syriens5.




  • Les groupes armés irakiens qui envoient des combattants en Syrie

La présence de miliciens chiites irakiens en Syrie commence à apparaître au grand jour entre janvier et mai 20136. En mars, les premières photos et notices de « martyrs » tués au combat apparaissent : les morts appartiennent à deux organisations, Asa’ib Ahl al-Haq (La ligue des Justes) and Kata’ib Hizballah (Les Brigades du Hezbollah). Pour le premier groupe, il n'y a pas eu d'annonces officielles, simplement des funérailles dans plusieurs villes irakiennes. Les Brigades du Hezbollah, au contraire, ont massivement diffusé sur le web (le premier martyr est Ahmed Mahdi Shuweili), même si les deux groupes n'indiquent jamais où les combattants ont été tués. Créés sous l'occupation américaine de l'Irak, ces deux groupes armés ont reçu une aide massive du Hezbollah et des Gardiens de la Révolution iraniens. On peut donc considérer que ces deux milices sont de simples paravents du régime de Téhéran. Plus tard, certaines notices de martyrs prouvent d'ailleurs que les miliciens sont d'abord passés par l'Iran avant de gagner la Syrie ; leurs corps sont rapatriés via la frontière irako-iranienne. On apprend en outre que les combattants d'Asa’ib Ahl al-Haq servent en fait au sein de la brigade Liwa Abou Fadl al-Abbas7. A partir du mois de mai, la confusion est grande dans l'identification des morts en raison de l'engagement massif du Hezbollah à al-Qusayr ; or certains membres du Hezbollah qui font partie de la brigade Liwa Abou Fadl al-Abbas sont aussi tués près du sanctuaire de Zaynab, au sud de Damas. Un grand nombre de chiites irakiens tués en Syrie appartient aussi à la brigade Asa’ib Ahl al-Haq, qui a des liens étroits avec le Hezbollah8. Cette milice (qui comprend 2 à 3 000 hommes), formée en 2006 par une scission de l'Armée du Mahdi de Moqtada al-Sadr, avait combattu les Américains pendant l'occupation de l'Irak et avait notamment aidé à introduire les fameux IED « explosively formed penetrator ». Au vu du nombre de martyrs, c'est sans doute l'un des pourvoyeurs les plus importants. En juillet 2013, le groupe annonce que les combattants dépêchés en Syrie font partie d'une unité spéciale : Liwa Kafil Zaynab. Les vidéos du groupe insistent maintenant sur la coopération avec l'armée syrienne et le Hezbollah. Un ancien leader sadriste, Muhammad al-Tabatabai, qui fait peut-être partie de l'encadrement du groupe, est venu visiter les combattants en Syrie en juillet 20139. Quant aux Brigades du Hezbollah (400 hommes d'élite), elles ont des liens étroits avec la force Qods des Gardiens de la Révolution iraniens : basées à Baghdad, elles font passer en contrebande et stockent des armes iraniennes en Irak. En décembre 2009, le groupe avait acquis une certaine notoriété en piratant un drone Predator américain. Jamal Jafar Muhammad, alias « l'Ingénieur », qui serait le chef de l'organisation, pourrait également être l'un des bras droits du général Suleimani, qui dirige la force Qods. Il aurait participé aux attentats de 1983 contre les ambassades américaine et française au Koweït, et à une tentative d'assassinat de l'émir du pays en 1985, à l'époque où l'Iran essayait d'empêcher le soutien occidental à l'Irak pendant le conflit contre ce pays10.


  


Harakat Hizballah al-Nujaba est un groupe créé par les Brigades du Hezbollah et Asa’ib Ahl al-Haq pour acheminer les combattants en Syrie. Il a formé, en plus de Liwa’a ‘Ammar Ibn Yasir, la principale milice, qui opère à Alep, et de Liwa’a al-Imam al-Hasan al-Mujtaba, qui elle est dans l'est de la Ghouta (voir plus loin), une autre milice, Liwa’a al-Hamad, à partir de juillet 2013. Le premier martyr n'apparaît que le 5 décembre. Il n'y a quelques vidéos qui montrent ce dernier groupe en action11.

Emblème de KSS-Source : http://azelin.files.wordpress.com/2013/06/untitled187.png?w=277&h=275


Autre milice irakienne qui intervient dans les combats en Syrie : Kata’ib Sayyid al-Shuhada (KSS : 200 hommes), présente au sud de Damas pour défendre le tombeau de Zaynab, et qui semble être surtout un réservoir de miliciens pour ce faire12. La première mention du groupe date du 14 avril 2013 : elle a porté plusieurs noms, Kata’ib Karbala et Kata’ib Abu Fadl al-Abbas, et a envoyé des combattants qui ont servi dans la brigade Abou Fadal al-Abbas. Certaines sources affirment que la milice serait issue de scissions des Brigades du Hezbollah, et que Abu Mustafa Sheibani, un des personages importants ayant participé à la création de ces groupes spéciaux soutenus par l'Iran en Irak, en serait le chef. Sheibani, qui a la double nationalité irakienne et iranienne, était connu en Irak pour diffuser les « explosively formed penetrator (EFP) roadside bombs ». Là encore, des corps de combattants tués en Syrie passent par la frontière Iran-Irak, révélant la source du financement important du groupe. Une seule vidéo, en juin 2013, mettait en scène la milice en Syrie. Au moins 4 de ses combattants ont été tués en Syrie ; le recrutement semble se faire notamment à Bassorah. Fin août 2013, le total des morts est porté à 8. Il est possible que cette milice soit la branche militaire en Syrie d'une organisation irakienne de Bassorah, le mouvement Sayyid al-Shuhada. A l'été 2013, elle prétend avoir envoyé 500 combattants en Syrie, qui serviraient, pour la plupart, dans l'est de la Ghouta, les zones rurales autour de Damas. L'organisation a peut-être, selon Philip Smyth, servi de paravent à l'organisation Badr irakienne. 8 combattants sont tués ou portés disparus dans l'est de la Ghouta à la fin août, au moment des fameuses attaques chimiques. A noter que sur les vidéos et photographies mises en ligne, les miliciens portent un emblème distinctif bien reconnaissable. Cette milice se distingue aussi des autres par le grand nombre de photos ou de vidéos mettant en scène des cadavres de rebelles, parfois mutilés. Dans son iconographie de propagande, elle montre seulement Khamenei et l'Ayatollah Muhammed Baqir Hakim, l'un des fondateurs de l'organisation Badr en Irak, ce qui renforcerait l'hypothèse des liens avec cette organisation13.



En février 2013, Hadi al-Amiri, le chef de l'organisation Badr irakienne (liée à Téhéran), prend prétexte de la livraison d'armes de la Turquie et du Qatar à al-Qaïda comme déclaration de guerre à l'Irak14. Au départ, l'organisation Badr est la milice du Conseil Suprême pour la Révolution Islamique en Irak, avant de s'en détacher et de se constituer comme formation politique. En 2006, elle aurait rassemblé 10 000 miliciens. Le groupe a reçu fonds, entraînement et armement de l'Iran, et ce même avant de devenir autonome. L'organisation durcit sa posture après le 20 mai 2013, jour où un attentat vise un bus de pélerins chiittes près de Tikrit, en Irak, visant peut-être des conseillers iraniens visant former des combattants de la milice. Le 17 juin, l'organisation Badr annonce la mort d'un premier milicien, Yasin Muhammed al-Zayn, qui aurait péri à Zaynab. Le 13 juillet 2013, elle annonce avoir déjà envoyé 1 500 combattants en Syrie. L'organisation pleurt ses morts qui appartiennent à une formation spéciale créée pour les besoins de la guerre syrienne, Quwet Shahid al-Sadr15. Le 28 juillet, après l'annonce de la mort d'un deuxième martyr, l'organisation Badr rebaptise cette force expéditionnaire Quwet al-Shahid Muhammed Baqir al-Sadr, d'après le nom de l'ancien chef du mouvement Dawa en Irak. Sadr a joue un rôle important, comme clerc à Nadjaf, dans la formation de l'idéologique qui sera appliquée en Iran à partir de 1979 par Khomeini : il a été exécuté en 1980 par Saddam Hussein. Les miliciens utilisent plus fréquemment que les autres les versions du M-16 (dont la carabine M-4) dont certains équipés de lunettes de visée. Ils utilisent aussi ce qui est apparemment la copie iranienne du fusil anti-sniper Steyr HS. 5016.

Logo de l'organisation Badr.-Source : http://azelin.files.wordpress.com/2013/06/untitled249.png?w=162&h=268

Al-Muqawama al-Islamiyya fi al-Iraq-Faylaq al-Wa’ad al-Sadiq, un groupe dirigé par Al-Muqawama al-Islamiyya fi al-Iraq-Faylaq al-Wa’ad al-Sadiq, serait basé à Nadjaf, en Irak. Le nom du groupe renvoie aux provocations du Hezbollah et à la capture de deux soldats israëliens qui avait entraîné la guerre contre Tsahal en 2006. On ne sait pas si le groupe a été créé à cette date ou plus tard, en 2010-2011. En août 2012, il annonce se tourner vers des projets civils, mais un an plus tard, il envoie ses premiers combattants en Syrie. La première vidéo ne date que de janvier 2014 mais a pu être tourné avant : on y voit une subdivision de la milice, Kata’ib Musa al-Khadhim-Sariyya ‘Ammar Ibn Yasir, attaquer un Humvee. Comme Harakat al-Nujaba, le groupe semble être un paravent iranien reconfiguré pour envoyer des combattants irakiens en Syrie. De manière intéressante, le groupe prétend combattre à Alep, où opère déjà Liwa’a ‘Ammar Ibn Yasir : cela confirme effectivement la présence remarquée de davantage de miliciens chiites dans le secteur en décembre 2013-janvier 201417.


  • Les milices irakiennes basées en Syrie :


La brigade Liwa Abou Fadl al-Abbas (LAFA) est apparue à l'automne 2012 et confirme si besoin est que la guerre civile syrienne s'oriente vers un conflit de plus en plus sectaire18. L'organisation se fixe comme objectifs la défense du sanctuaire chiite de Sayida Zaynab et des populations chiites environnantes au sud de Damas. Elle réunit une minorité de combattants syriens et une majorité de combattants chiites étrangers. Dans l'esprit, elle reflète ce qu'ont pu être les brigades internationales pendant la guerre d'Espagne. Cependant, cette milice fait appel à de nombreux combattants de Asa’ib Ahl al-Haq ou des Brigades du Hezbollah, soutenues par l'Iran, a des uniformes, des armes flambant neuf, une structure de commandement et s'identifie avec le Hezbollah libanais. L'influence de l'Iran est évidente dans la structure de l'organisation. Le nom du groupe lui-même renvoie à la rupture historique entre les chiites et les sunnites, Abou Fadl al-Abbas étant un combattant chiite qui s'illustre à la bataille de Kerbala et qui était le porte-drapeau de l'imam Hussein. Une vidéo fameuse montre un combattant de la brigade hissant le drapeau de celle-ci sur le dôme doré du sanctuaire de Zaynab.


Source : http://azelin.files.wordpress.com/2013/05/untitled35.png?w=960

Le groupe armé rassemble à la fois des chiites irakiens, formés et armés par l'Iran, et des chiites libanais, dont des combattants du Hezbollah. Les uniformes et la tactique du tir semi-automatique, pour améliorer la précision et économiser les munitions, relieraient LAFA au mouvement libanais. Mais dès le mois d'août 2012, le Hezbollah était présent autour du sanctuaire de Zaynab : Hassan Selim Meqdad, capturé par les rebelles, est supposé être un cadre de l'organisation libanaise. Sous la torture, visiblement, il avait reconnu la présence de 250 hommes autour du site. En avril 2013, Haidar Haj Ali est tué en Syrie : on croit d'abord qu'il est de la LAFA, mais il appartient en réalité au Hezbollah, et il a manifestement péri près du sanctuaire de Zaynab. Les emblèmes utilisés par LAFA rapprochent celle-ci du Hezbollah, et, derrière, de l'Iran. On sait que la milice a un secrétaire général, comme le Hezbollah, Abou Ajeeb (qui vient du vilage de Nubl, près d'Alep) ; un autre chef important est Abou Hajar (il s'agit de noms de guerre). Des photos où l'on voit le groupe opérer avec des véhicules de police ou des équipements plus lourds de l'armée syrienne laissent penser que la milice est intégrée, d'une façon ou d'une autre, aux opérations des forces du régime. Equipée de technicals, de fusils de précision Dragunov, d'armes légères flambant neuf et même de pièces d'artillerie, LAFA semble opérer de manière efficace en combat urbain. On sait par ailleurs que LAFA est soutenu, près du tombeau de Zaynab, par les miliciens syriens19. Au total, la brigade LAFA comprendrait entre 500 et 1 500 hommes, selon les sources.



Le 5 juin 2013, le jour même de la victoire à al-Qusayr, une nouvelle milice chiite basée à Damas, Liwa’a Zulfiqar (LZ), apparaît sur Facebook20. En réalite, ce nouveau groupe est issu de LAFA, probablement dans l'intention d'agir sur le moral des rebelles en laissant croire qu'un véritable flot de combattants chiites afflue en Syrie pour aider le régime. La plupart des miliciens sont tirés de Liwa’a al-Yum al-Mawud -de Moqtada al-Sadr-, de Asa’ib Ahl al-Haq et des Brigades du Hezbollah. D'après une dépêche de Reuters datée du 19 juin, il se pourrait que LZ soit une création nouvelle suite à des combats ayant opposé les forces du régime syrien aux miliciens irakiens chiites eux-mêmes (!) à Damas ! Malgré tout, les miliciens chiites irakiens demeurent dépendants de l'armée syrienne pour obtenir le matériel lourd (blindés, artillerie, etc) nécessaire à certaines opérations. La création de LZ correspondant aussi à un changement d'emblème pour LAFA. Le nom de la nouvelle formation lui-même est symbolique : Zulfiqar est l'épée à deux pointes de Mahomet, que celui-ci aurait donnée à Ali sur son lit de mort, symbolisant pour les chiites la passation de pouvoir de l'un à l'autre. Les combattants de LZ se distinguent aussi par le port de tenues à camouflage désertique, contrairement à ceux de LAFA.

Source : http://azelin.files.wordpress.com/2013/06/untitled236.png?w=300&h=225





Liwa’a ‘Ammar Ibn Yasir (LAIY) est le premier groupe composé de miliciens chiites irakiens à ne pas combattre au sanctuaire de Zaynab21. LAIY intervient dans la zone au nord d'Alep et dans la cité elle-même, ce qui tend à prouver que contrairement à ce que l'on pensait jusque là, les miliciens étrangers ne sont pas employés qu'à Damas ou dans de grandes offensives comme à al-Qusayr, mais aussi pour des opérations de combat urbain plus quotidiennes. Le groupe apparaît fin mai 2013 sur le web et le 4 juin procède aux funérailles très hautes en couleur de 7 combattants tués en Syrie. Le nom de l'unité lui-même est encore une fois très instructif : Ammar Ibn Yasir était l'un des compagnons d'Ali, connu pour sa loyauté. Sa tombe, à Raqqa, en Syrie, a été détruite par les insurgés après la prise de la ville en mars 2013. La milice met souvent en avant dans ses documents iconographiques Akram al-Kaabi, le chef d'une autre milice chiite, Asa’ib Ahl al-Haq, ce qui suggère qu'encore une fois, ce nouveau groupe n'est peut-être qu'un paravent d'une structure antérieure. En plus des 7 tués du 4 juin 2013, un autre mort est enterré le 3 juillet suivant. Sur Youtube, les vidéos sont postées sous un utilisateur appelé Brigades de l'Armée du Mahdi, une référence explicite à Moqtada al-Sadr, qui a été réticent à envoyer des combattants en Syrie et qui est en délicatesse avec le pouvoir iranien. La milice cherche probablement ainsi à se gagner les faveurs de volontaires irakiens supplémentaires. Sur les vidéos, on peut voir très nettement que les miliciens chiites irakiens arborent un brassard jaune : pour les insurgés, cela les identifie immédiatement comme combattants étrangers. Le Hezbollah avait distribué des brassards identiques pendant la bataille d'al-Qusayr et on sait que LAFA en porte aussi à Damas. En août 2013, LAIY avait déjà perdu 10 tués en Syrie22.

Logo de LAIY.-Source : http://azelin.files.wordpress.com/2013/07/untitled273.png?w=300&h=166

Le 23 juillet 2013 apparaît une nouvelle milice, Liwa’a al-Imam al-Hasan al-Mujtaba-Sariyya Shahid Ahmed Kayara (LIHM), qui combat dans les environs urbains et ruraux de Damas, et particulièrement au sud-est de la capitale, près de Shebaa. La milice porte le nom du 2ème imam chiite. Elle se singularise par la reconnaissance, en son sein, de plusieurs bataillons. Elle prétend en effet disposer d'une unité de mortiers, d'une autre de roquettes, et de plusieurs bataillons d'infanterie, dont une force d'intervention rapide, le bataillon Ashtar. La propagande de la milice colle moins aux Iraniens, ce qui serait peut-être une façon d'élargir le recrutement dans le monde chiite. Comme les autres milices, LIHM met en valeur , en particulier dans ses vidéos, les snipers23.

Fin septembre 2013, une autre milice se fait jour : Sariyya al-Tali’a al-Khurasani (STK), nommée d'après Abou Muslim al-Khurasani, un combattant du VIIIème siècle qui a contribué à la chute des Omeyyades. L'organisation prétend être basée à Erbil, au coeur du Kurdistan irakien : elle opère uniquement dans les zones rurales autour de Damas. La création officielle date du 8 octobre 2013. Comme les autres milices, elle met en avant la défense du tombeau de Zaynab et l'idéologie iranienne. L'organisation met en ligne de nombreuses photos et vidéos de ses combattants avec une insistance particulière sur des poses à côté du drapeau de la milice. Le logo est inspiré de celui des Gardiens de la Révolution. La milice ne semble pas recevoir de combattants d'autres groupes irakiens. Contrairement aux autres groupes également, elle donne rapidement le nom de son chef, Ali al-Yasiri. L'armement est semblable à celui des autres formations, le groupe utilisant aussi des mortiers légers. Comme l'organisation Badr, les photos montrent régulièrement des clercs chiites aux côtés des combattants24.

Logo de STK-Source : http://azelin.files.wordpress.com/2013/10/untitled416.png?w=218&h=243

Si la majorité des combattants étrangers venus soutenir le régime Assad vient d'Irak et du Liban, et suit l'idéologie iranienne, d'autres ne viennent pas forcément de pays arabes avec de fortes minorités chiites25. Des rumeurs font ainsi état de la présence de combattants afghans, pakistanais et même d'un Africain de l'ouest du continent au sein de LAFA, la principale milice pro-iranienne. Dès la fin janvier 2013, les rumeurs s'accumulent sur la présence chiites afghans, peut-être issus de la minorité des Hazaras. Les rebelles en particulier s'ingénient à insister sur la présence d'Afghans et de Pakistanais, impossible à vérifier, d'autant que les éléments restent épars. Muhammed Suleiman al-Kuwni, dont la mort est annoncée par LAFA puis par l'Iran les 26-27 juillet 2013, serait un combattant venu de Côte-d'Ivoire, où vit un demi-million de musulmans chiites. On sait que le Hezbollah a développé un réseau de financement et même de recrutement dans ce pays, mais on ne peut là encore vérifier que ce combattant en est bien originaire.

Récemment, un journal afghan a affirmé, le 15 janvier 2014, que les Gardiens de la Révolution recruteraient effectivement parmi la communauté chiite afghane. Ils auraient expédié 120 hommes en Syrie rien que durant les deux derniers mois, dont 28 ont été tués et 8 blessés. Les morts ont été enterrés dans le cimetière iranien de Mashad et les blessés soignés dans un hôpital des Gardiens de la Révolution. D'après des vétérans eux-mêmes, les Gardiens recrutent parmi la communauté afghane réfugiée en Iran (2,5 millions de personnes) en promettant notamment la résidence permanente aux volontaires. Fin novembre, un journal lié aux Gardiens de la Révolution avait déjà annoncé la mort de 10 Afghans réfugiés en Syrie : deux des martyrs avaient été enterrés à Qoms, ce qui tend à prouver que les Gardiens fournissent une compensation financière aux familles des volontaires26.


  • Les autres milices


Le nationalisme arabe, contrairement à ce que l'on pourrait croire, est loin d'être mort. Il est même encore présent dans de nombreux pays arabes d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Les nationalistes arabes ont ainsi formé leur propre milice en soutien du régime syrien, la Garde Nationaliste Arabe27. Formée en avril 2013, celle-ci comprend 4 bataillons, dénommés Wadih Haddad (un chrétien palestinien, nationaliste arabe, membre du FPLP), Haydar al-Amali (un penseur nationaliste arabe libanais, mort en 2007), Mohamed Brahmi (un Tunisien fondateur du Mouvement Populaire Arabe Nationaliste et Socialiste, tué en juillet 2013 par les islamistes) et Jules Jammal (un chrétien syrien officier de la marine syrienne, passé au rang de héros pour avoir soi-disant coulé un navire français en 1956 pendant la crise de Suez).

L'idéologie du groupe rallie le discours du régime syrien, face aux intérêts sionistes, insiste sur la libération de la Palestine, vante les mérites de Nasser et ceux de la République Arabe Unie entre la Syrie et l'Egypte entre 1958 et 1961. Dans l'iconographie figurent aussi Hugo Chavez, le Hezbollah et Saddam Hussein. La Garde Nationaliste Arabe procède à des recrutements via des réseaux comme la Jeunesse Nationaliste Arabe, présente à Sidon au Liban, à Gaza et en Egypte. La milice comprend de nombreux combattants du monde arabe, dont des Irakiens et des Egyptiens. Elle collabore étroitement avec l'armée syrienne et se trouve dans les provinces de Damas, Homs, Alep et Deraa. Elle est surtout présente à Damas et aux alentours, et aurait pris part à l'offensive dans le Qalamoun en novembre 2013.


  • Encadrement et caractéristiques des milices étrangères en Syrie :

Dans la presse et les médias, les volontaires irakiens sont souvent présentés comme désorganisés, mal entraînés28. En réalité, insister sur les volontaires fait partie d'un récit cherchant à regrouper l'effort irakien, en particulier parmi les chiites, derrière le bouclier iranien. Les volontaires constituent la majorité des recrues mais ils sont sélectionnés par les autorités syriennes et iraniennes et soumis à un entraînement sévère, notamment assuré par le Hezbollah. Sur le plan idéologique, les volontaires acquiescent au discours véhiculé en Iran. L'apparition des milices irakiennes à partir de mars 2013 permet de constater que les recrues viennent essentiellements des provinces de Bassorah, Maysan, Nadjaf et Bagdad.

L'entraînement des miliciens irakiens se ferait notamment en Iran, sous la direction des Gardiens de la Révolution. Il durerait deux semaines dans des camps de Sanandaj, une ville de l'ouest du pays. Les volontaires reçoivent 50 dollars par jour. Les Iraniens forment également plus longtemps certaines recrues dans des camps spéciaux tenus par la force Qods à Varamin. Les volontaires sont ensuite expédiés par groupes de 10 à 15 en avion à Damas. Une fois arrivé, après une rencontre avec les chefs de milices chiites, ils sont convoyés en bus. Les vétérans des combats en Irak ont parfois l'expérience des combats urbains et en rase campagne. Les milices chiites irakiennes emploient des fusils d'assaut AK-47 et dérivés, des mitrailleuses PKM, des fusils de précision et des RPG-7. Non seulement elles montent des checkpoints ou des positions défensives, des embuscades et des contre-embuscades, mais elles servent parfois, aussi, d'infanterie appoint pour les unités blindées/mécanisées syriennes. Elles manoeuvrent également leurs propres technicals. Les miliciens chiites insistent sur la manipulation de telle ou telle arme : cela fait partie de leur entraînement en Iran, où ils reçoivent une formation spécifique sur un armement donné pendant 45 jours. Les snipers, en particulier, sont mis en avant par LAFA, LAIY et LZ, avec des fusils d'assaut FAL ou Steyr SSG 69 à lunette, et des versions modifiées du Dragunov SVD. Les tireurs d'élite servent parfois au sein d'escouades ou de manière plus indépendante, en solitaire ou en binôme.

Depuis octobre 2013, Philip Smyth note, parmi les photos et vidéos de combattants des milices chiites, une présence plus important des armes anti-snipers29. Ces armes sont peut-être des copies iraniennes du Steyr HS. 50 de 12,7 mm, une arme qui porte jusqu'à 1 500 m. L'Iran en avait reçu 800 en 2007 (les Américais en ont retrouvé une centaine en Irak, et au moins un soldat a été tué par une telle arme), mais il est probable que les miliciens manipulent, de fait, des copies, le Sayad-230. Téhéran a pu en convoyer au régime syrien par avion ou celui-ci s'est « servi » lors de livraisons précédentes d'armes par l'Iran au Hezbollah, en tant qu'intermédiaire de transit. En Syrie, en plus du Hezbollah libanais, les milices alimentées par Harakat Hizballah al-Nujaba sont fréquemment vues avec cette arme. Cette augmentation des images de matériel anti-sniper est peut-être destinée à des fins de propagande ; l'arme est probablement devenue plus répandue avec la prolifération des milices chiites ; enfin, le régime a mené plusieurs offensives à l'automne qui ont pu conduire à davantage utiliser cet équipement.

Un membre de LAIY avec un fusil anti-sniper cal.50.-Source : http://azelin.files.wordpress.com/2013/12/untitled467.png?w=300&h=338



La question du nombre de miliciens, en particulier irakiens, qui participent aux combats en Syrie est l'une des plus sensibles. Comme on l'a dit au début de cet article, certaines sources parlent de 3 500 à 4 000 hommes. En juin 2013, Philip Smyth faisant le décompte suivant : entre 800 et 2 000 combattants31. Dans un article du journal Elaph, basé à Londres, Viviane Aqiqi, qui écrit depuis Beyrouth, évoque le chiffre de 5 000 miliciens chiites irakiens déjà formés et expédiés en Syrie par les Gardiens de la Révolution : 500 pour As’ib Ahl al-Haq, 600 pour les Brigades du Hezbollah, 400 pour Kata’ib Sayyid al-Shuhada, 2 000 pour Liwa al-Youm al-Mawud, 200 pour Saraya Tala’i al-Khurasani, 300 pour Quwet al-Shahid Muhammed Baqir al-Sadr, 500 pour Liwa Abul-Fadl al-Abbas et 150 pour les brigades de l'imam Hussein32. En juin 2013, Philip Smyth, d'après les notices des martyrs, avait établi qu'une à deux douzaines de combattants irakiens chiites étaient tués chaque mois en Syrie33. Les chiffres semblent cependant dérisoires face aux besoins militaires du régime : d'après une étude rebelle (à prendre avec précaution, mais qui recoupent certains observations de spécialistes), Assad ne pourrait compter que sur à peine 40 000 hommes de l'ancienne armée régulière, et jusqu'à 45 000 miliciens, des Forces Nationales de Défense ou autres34. Ce qui est quasiment certain, c'est que les effectifs de l'armée syrienne, qui comptait plus de 300 000 hommes en 2011, sont tombés à 100 000, ou même un peu moins, aujourd'hui. D'où le recours aux miliciens, regroupés en 2013 sous l'ombrelle des Forces Nationales de Défense, mais qui n'alignent encore que 50 000 hommes. D'où l'importance des contingents étrangers, souvent rapidement disponibles et prêts à combattre, et qui ont souvent fait la décision là où ils sont intervenus (comme le Hezbollah à al-Qusayr)35.



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Carl Yonker, Iran’s Shadow Warriors: Iraqi Shiʿi Militias Defending the Faithful in Syria and Iraq, Tel Aviv Notes, The Moshe Dayan Center, Volume 7, Number 23, 10 décembre 2013.

The Qods Force, an elite unit of the Iran's Islamic Revolutionary Guards Corps, spearheads Iran's global terrorist campaign, The Meir Amit Intelligence and Terrorism Information Center, 21 août 2012.

Hezbollah Involvement in the Syrian Civil War, The Meir Amit Intelligence and Terrorism Information Center, 17 juin 2013.

Following the victory at Al-Qusayr Hezbollah is preparing to support the Syrian army forces to take over Aleppo, The Meir Amit Intelligence and Terrorism Information Center, 19 juin 2013.

Hezbollah Operatives Killed in Syria (Updated to the end of July 2013), The Meir Amit Intelligence and Terrorism Information Center, juillet 2013.

In late 2013, Hezbollah again intensified its military involvement in the Syrian civil war, suffering heavy losses, The Meir Amit Intelligence and Terrorism Information Center, 22 décembre 2013.




1Matthew Levitt et Aaron Y. Zelin, « Hizb Allah’s Gambit in Syria », CTC Sentinel, août 2013, special issue . Vol 6. Issue 8, p.14-17.
2Will Fulton, Joseph Holliday, et Sam Wyer, Iranian Strategy in Syria, Institute for the Study of War, mai 2013.
3Will Fulton, Joseph Holliday, et Sam Wyer, Iranian Strategy in Syria, Institute for the Study of War, mai 2013.
4Christopher Anzalone, « Zaynab’s Guardians: The Emergence of Shi`a Militias in Syria », CTC Sentinel jjuillet 2013 . Vol 6. Issue 7, p.16-21.
5Carl Yonker, Iran’s Shadow Warriors: Iraqi Shiʿi Militias Defending the Faithful in Syria and Iraq, Tel Aviv Notes, The Moshe Dayan Center, Volume 7, Number 23, 10 décembre 2013.
6Phillip Smyth, « Hizballah Cavalcade: Roundup of Iraqis Killed in Syria, Part 1 », Jihadology.net, 11 mai 2013.
7Phillip Smyth, « Hizballah Cavalcade: Roundup of Iraqis Killed in Syria, Part 2 », Jihadology.net, 17 mai 2013.
8Phillip Smyth, « Hizballah Cavalcade: Roundup of Iraqis Killed in Syria, Part 3 », Jihadology.net, 2 juin 2013.
9Phillip Smyth, « Hizballah Cavalcade: Asa’ib Ahl al-Haq’s Liwa’a Kafeel Zaynab », Jihadology.net, 14 août 2013.
10Thomas Strouse, « KATA’IB HEZBOLLAH AND THE INTRICATE WEB OF IRANIAN MILITARY INVOLVEMENT IN IRAQ », The Jamestown Foundation, Terrorism Monitor, VOLUME VIII, ISSUE 9, H 5, 5 mars 2010.
11Philip Smyth, « Hizballah Cavalcade: Liwa’a al-Hamad: Harakat al-Nujaba’s Latest Shia Militia in Syria », Jihadology.net, 21 décembre 2013.
12Phillip Smyth, « Hizballah Cavalcade: Kata’ib Sayyid al-Shuhada: Another Supplier of Iraqi Shia Fighters in Syria », Jihadology.net, 3 juin 2013.
13Phillip Smyth, « Hizballah Cavalcade: Kata’ib Sayyid al-Shuhada Emerges: Updates on the New Iraqi Shia Militia Supplying Fighters to Syria », Jihadology.net, 9 septembre 2013.
14Phillip Smyth, « Hizballah Cavalcade: Breaking Badr: Is Iraq’s Badr Organization Operating In Syria? », Jihadology.net, 25 juin 2013.
15Phillip Smyth, « Hizballah Cavalcade: Breaking Badr, The New Season: Confirmation of the Badr Organization’s Involvement in Syria », Jihadology.net, 12 août 2013.
16Phillip Smyth, « Hizballah Cavalcade: The Badr Organization’s Syrian Expeditionary Force: Quwet al-Shahid Muhammed Baqir al-Sadr », Jihadology.net, 18 octobre 2013.
17Phillip Smyth, « Hizballah Cavalcade: Faylak Wa’ad al-Sadiq: The Repackaging of an Iraqi “Special Group” for Syria », Jihadology.net, 13 janvier 2014.
18Phillip Smyth, « Hizballah Cavalcade: What is the Liwa’a Abu Fadl al-Abbas (LAFA)?: Assessing Syria’s Shia “International Brigade” Through Their Social Media Presence », Jihadology.net, 15 mai 2013.
19Hezbollah Involvement in the Syrian Civil War, The Meir Amit Intelligence and Terrorism Information Center, 17 juin 2013.
20Phillip Smyth, « Hizballah Cavalcade: Liwa’a Zulfiqar: Birth of A New Shia Militia in Syria? », Jihadology.net, 20 juin 2013.
21Phillip Smyth, « Hizballah Cavalcade: Liwa’a ‘Ammar Ibn Yasir: A New Shia Militia Operating In Aleppo, Syria », Jihadology.net, 20 juillet 2013.
22Matthew Levitt et Aaron Y. Zelin, « Hizb Allah’s Gambit in Syria », CTC Sentinel, août 2013, special issue . Vol 6. Issue 8, p.14-17.
23Phillip Smyth, « Hizballah Cavalcade: Liwa’a al-Imam al-Hasan al-Mujtaba: A Shia Militia Fighting in Rif Dimashq/Ghouta », Jihadology.net, 5 octobre 2013.
24Phillip Smyth , « Hizballah Cavalcade: Sariyya al-Tali’a al-Khurasani: A New Combat-Tested Shia Militia in Syria », Jihadology.net, 29 octobre 2013.
25Phillip Smyth, « Hizballah Cavalcade: The Lion of Damascus, and Afghans, and Africans! Oh My!: Fighters From Exotic Locales In Syria’s Shia Militias », Jihadology.net, 30 juillet 2013.
27Aymenn Jawad Al-Tamimi, « The Arab Nationalist Guard: A Pro-Assad Militia », Brown Moses Blog, 1er janvier 2014.
28Phillip Smyth, « From Karbala to Sayyida Zaynab: Iraqi Fighters in Syria’s Shi`a Militias », CTC Sentinel, août 2013, special issue . Vol 6. Issue 8, p.28-32.
29Phillip Smyth, « Hizballah Cavalcade: Khamenei’s Cannon: .50 Caliber Anti-Material Rifles & Shia Fighters in Syria », Jihadology.net, 24 décembre 2013.
31Michael Knights, « Iran's Foreign Legion: The Role of Iraqi Shiite Militias in Syria », PolicyWatch 2096, The Washington Institute, 27 juin 2013.
33Michael Knights, « Iran's Foreign Legion: The Role of Iraqi Shiite Militias in Syria », PolicyWatch 2096, The Washington Institute, 27 juin 2013.
35Jeffrey White, «  Assad's Indispensable Foreign Legions », PolicyWatch 2196, The Washington Institute, 22 janvier 2014.

[Nicolas AUBIN] Vincent ARBARETIER, L'école de la guerre, Sedan 1940 ou la faillite du système de commandement français, Economica, 2011, 150 p.

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Une nouvelle fiche de lecture proposée par Nicolas Aubin. Merci à lui ! Je précise que l'avis exprimé dans cette fiche n'engage bien sûr que son auteur.



Le Lt-Colonel Vincent Arbarétier est officier des transmissions et docteur en Histoire (sa thèse de doctorat portait sur la stratégie allemande en Méditerranée). Cette double casquette lui donne toute la légitimité pour aborder ce sujet souvent ignoré ou brocardé. Quand je l'ai feuilleté, ce livre m'a paru remarquable. L'introduction posait en particulier fort bien les enjeux de l'étude :


"La problématique consiste alors à se demander si les Français ont été vaincus à cause de leur retard technologique dans le domaine de leur système de commandement, ou bien, si les Allemands ont réellement élaboré une doctrine en matière de commandement, qui leur a permis de vaincre si vite celle qui passait alors pour la 1ere armée du monde. Cette étude prend pour base le cas concret de la 55e DI face au XIXe corps blindé de Guderian qui, mal renseignée, a tenté de réagir face à un ennemi écrasant, sans avoir la possibilité de coordonner son action avec d'autres grandes unités". Vincent Arbarétier saisit bien que la question implique de se pencher tant sur la technique (les transmissions françaises étaient-elles matériellement inférieures ?), que sur les méthodes et l'organisation de commandement mais aussi sur sa doctrine (penser le commandement) ce qui explique que une approche comparative.


Hélas, l'introduction est la meilleure partie de l'ouvrage.






Le plan s'organise en trois thèmes :



Une approche générale des concepts de commandements et sur la place des transmissions avant-guerre (chap 1 et 2, sur une trentaine de pages)


Une étude de cas comparative portant sur les deux journées des 13-14 mai 40 à Sedan (35 pages)


Une généralisation et des enseignements (chap 6 et 7), toujours une trentaine de pages


On le voit l'ensemble fait finalement une centaine de pages d'études et le livre se termine en deux soirées.


Après avoir rapidement comparé la doctrine du "commandement par objectifs" allemand avec la doctrine de "bataille préparée" française, l'auteur s'intéresse donc à l'héritage de la 1ere GM et présente (trop) rapidement la divergence entre l'évolution allemande d'une arme – les transmissions. Indépendante, modernisée par Fellgiebel en particulier, la radio en Allemagne est mise au service d'une gestion rapide et décentralisée du commandement. L'évolution française voit les transmissions rester éclatée, soit gérée par une sous-branche du Génie, soit une excroissance négligée des armes combattantes (les transmetteurs de corps de troupe). On devine que l'auteur dénonce un immobilisme coupable mais il ne développe pas. On aurait pu avoir de beaux passages concernant la France, des passages soulignant la cohérence entre, d'une part la doctrine de commandement postulant une bataille lente permettant l'établissement de réseaux filaires sécurisés avec un commandement centralisé, et, sa conséquence, une politique d'équipement en matériel de transmissions qui néglige le matériel radio car jugé inutile et dangereux. Mais rien de tout cela n'est vraiment fouillé, on en reste à des généralités.


Les chapitres suivants se concentrent sur l'étude de cas : les combats entre les 55e et 71e DI (+2 BCL) et les 1. et 10. PZ Div. L'auteur s'efforce d'étudier la bataille sous l'angle des transmissions et du commandement démontrant assez efficacement les lenteurs françaises aggravées par les certitudes des chefs et la crainte de se découvrir. Tout cela conduit à commander à contre-temps et avec des demi-mesures (ex : l'absence de matraquage des troupes ennemies découvertes sur la berge Nord de la Meuse à l'aide de l'artillerie est édifiant : tout d'abord Lafontaine qui commande la 55e DI a été dépouillé de l'autorité sur son artillerie divisionnaire, pas plus que sur la nombreuse artillerie de corps d'armée présente dans son secteur, et quand il reçoit, à 9h, un message lui rendant son AD, il doit encore attendre 2h30 avant qu'il puisse en user administrativement et encore en tenant compte de dotations d'artillerie limitées. Ensuite, il est trop tard car le réseau de communication filaire a été bouleversé par les bombardements aériens allemands. Ce qui n'empêche pas Lafontaine de refuser d'user de la radio par peur d'interceptions, au profit de l'estafette). D'une manière générale, les bombardements rendent Lafontaine vite aveugle et muet. De commandement, il n'y a plus.


La contre attaque menée par les BCL est ensuite décrite. Une nouvelle fois on constate que les officiers français peinent à avoir une vision correcte de la situation, programment des attaques interarmes qui se révèlent des attaques décousues menées sans coopération par manque de transmissions et d'entrainement. Les BCL arrivent au front sans aucune connaissance de la situation, épuisés par des heures de route, avec un matériel déjà déficient et attaquent en aveugle. Tout cela est intéressant mais extrêmement difficile à suivre, la prose étant confuse et répétitive, les cartes illisibles (sans parler de la présence d'une médiocre saisie d'écran d'un jeu informatique censée présenter la contre-attaque des BCL), l'iconographie erronée (la photo censée illustrer des chars FCM … avec à l'image un H 39 me semble-t-il), des copies d'organigrammes tirés des manuels (parfois en allemand) absolument incompréhensibles pour le profane (la palme page 98). On sait que les auteurs doivent littéralement se battre avec les éditeurs pour illustrer efficacement leur prose mais là on atteint le fond.

A l'opposée des atermoiements français, l'auteur affirme que les généraux allemands conservent une vision correcte des opérations en s'étant portés en première ligne.


Mais au final, qu'a-t-on appris ?… bah pas grand-chose, tout cela a déjà été dit dans les ouvrages préhistoriques de Goutard (la guerre des occasions perdues, Hachette, 1956) ou de Rocolle (la guerre de 1940, Armand Colin, 1990). Révélateur, les deux derniers chapitres consacrés aux systèmes de commandements et aux enseignements sont construits uniquement en puisant des citations d'auteurs anciens (Paillat, Shirer..) et à l'aide de témoignages, eux aussi anciens. L'auteur semble convaincu que l'on est confronté à un combat classique entre des "anciens" sclérosés et des jeunes "modernes" qui savent employer le nouvel outil à leur disposition. Ainsi, cela conduit l'auteur à penser que le vaincu l'est parce qu'il n'a pas fait ce qu'a fait le vainqueur ou, dit autrement, qu'il n'y avait qu'une façon de vaincre. Or s'il est évident que la doctrine française était inadaptée, les études récentes ont aussi mise en évidence que la doctrine allemande n'était pas la panacée. L'auteur adhère clairement à une mythique du commandement de l'avant. Il se lance dans un panégyrique des transmissions radio qui auraient, selon lui, permis la réapparition de la race des Seigneurs de la guerre et il semble très admiratif des Guderian, Patton, Leclerc et Moshé Dayan.


Or des chefs modernes (comme le colonel israélien Eshel) ont mis en garde contre les défauts d'un commandement uniquement de l'avant et l'erreur de le poser en modèle (Rommel en particulier comme le montre une étude qui vient de paraitre de Cédric Mas). Un article de ce mois-ci dans Guerre et Histoire sur la guerre du Kippour souligne très bien les limites d'une défense reposant uniquement sur des initiatives locales décentralisées qui conduisent à une déperdition des efforts. On pourra enfin se reporter sur les réflexions du colonel Goya faites en 2008, http://lavoiedelepee.blogspot.fr/2014/01/les-facteurs-de-la-puissance-militaire.html, montrant que le système de commandement est un "arbitrage entre la qualité de la coordination des moyens [dont la planification est une clé] et la vitesse d’exécution. On peut ainsi avoir des armées qui agissent et réagissent très vite, généralement grâce à une décentralisation du commandement, mais avec une grande déperdition des efforts [cas de la Wehrmacht quand elle est en position défensive de 1944-1945 ou d'Israël en 1973] et d’autres qui, au contraire, planifient très bien les opérations mais au prix de délais qui donnent systématiquement l’initiative à l’ennemi [cas des Français en 1940 ou des Britanniques]. Les plus efficaces sont bien évidemment celles qui parviennent à concilier coordination des moyens et vitesse [cas de la Werhmacht dans l'offensive en 1939-1941 ou de l'armée américaine en 1944-1945]". Les conclusions du livre ne m'ont donc pas totalement convaincu même si elles sont loin d'être des contresens.


Ensuite l'ouvrage souffre de plusieurs faiblesses majeures :


1) Méthodologiquement, l'auteur fait le choix de se concentrer sur une étude de cas, ce qui est judicieux à condition ensuite, soit d'en démontrer le caractère exemplaire, soit d'en pointer les éventuelles divergences par rapport à d'autres affrontements. Ce n'est pas le cas à l'exception d'une comparaison avec la bataille de la "ferme chinoise" de 1973 bien éloignée des commandements français et allemands, objets de l'étude. C'est d'autant plus gênant que le choix est en fait contestable. L'auteur compare un acteur en position offensive (Guderian) et un en position défensive (Lafontaine), or les impératifs du commandement sont différents dans l'offensive et dans la défensive comme el dit Louis Martel sur ATF40, http://www.atf40.fr/ATF40/Sedan, la faillite du système de commandement, Arbarétier. "Dans l'offensive, l'idée de manœuvre est préétablie, les ordres donnés et expliqués, le chef peut donc accompagner les éléments qui remplissent le rôle essentiel, être là où il pense qu'un pépin risque de tout remettre en cause. Il y a une désynchronisation entre la conception et l'action qui permet au chef de privilégier la fonction "contrôle". Dans la défensive, il y a au minimum simultanéité entre action et réflexion voire une désynchronisation dans le sens contraire. Le chef, s'il veut peser sur l'action, doit comprendre la manœuvre adverse. Or, il ne peut le faire que là où les renseignements sont centralisés et synthétisés, généralement, son poste de commandement. Ce n'est qu'ensuite qu'il peut aller au point d'application de l'effort principal de l'ennemi pour soutenir ses troupes ou aller contrôler le déroulement des actions qu'il a décidé et dont il attend un renversement de situation". La comparaison de l'action de Lafontaine et celle de Guderian n'a donc pas la portée exemplaire que lui prête Vincent Arbarétier. Comparer la 55ème DI à Sedan avec la 57ème ID à Abbeville en aurait eu plus. Avec une situation similaire (toutes les deux attaquées par une GU blindée ennemie et connaissant un mouvement de panique) on peut en tirer des conclusions pertinentes. De même, on peut comparer les actions de de Gaulle et celles Guderian.


2) Autre point de méthode qui suscite la surprise, l'auteur abandonne sa définition initiale ou plus exactement la restreint chemin faisant. En introduction, nous apprenons que le commandement dépend :



1 De la capacité à anticiper et à se prépositionner de manière pertinente et flexible
2 de la collecte de renseignements à tous les échelons
3 De la rapidité à les compiler, les intégrer et prendre des décisions adaptées
4 De la rapidité à les répercuter à tous les échelons inférieurs
5 De la capacité à tous les échelons inférieurs à les interpréter et les exécuter rapidement en tenant compte de l'évolution de la situation tactique



A tous les niveaux les communications occupent une place décisive et celles-ci dépendent non seulement de la qualité du matériel mais aussi de la place que la doctrine lui accorde. Mais dans le développement, l'auteur se focalise quasi-uniquement sur la transmission des ordres minorant les fonctions de renseignement (collecte, synthèse, analyse et diffusion) et occultant les fonctions de contrôle. La réponse n'est donc pas complète. Si le commandement ne peut se faire sans transmissions, il ne s'y réduit pas.


3) Se pose ensuite le choix des sources. Si le versant français est nourri à la source, pour l'autre côté de la colline, il faut se contenter de quelques affirmations élogieuses a-posteriori faites par Fuller, Hooker, Jones, Masson, Liddell Hart déjà lues cent fois et qui pour certaines ont été sérieusement remises à leur place depuis 50 ans ! Dans son ouvrage précédent Rommel et la stratégie de l'axe en Méditerranée, l'auteur n'hésitait pourtant pas à se coltiner avec les Bundesarchiv et en est familier. Curieusement, il n'utilise presque jamais Frieser car, quitte, à ne pas aller à la source, on aurait pu s'attendre à une exploitation de travaux récents. D'ailleurs, des Allemands, il n'est guère question dans l'ouvrage si ce n'est concernant le chapitre sur les enseignements de la bataille.


Bref, si le sujet est excellent - je suis convaincu que l'opposition doctrinale à l'origine de la divergence dans les structures de communications et de commandements est une des clés essentielles pour comprendre la bataille – l'ouvrage n'y répond pas définitivement, loin de là. On aurait pu avoir un beau panorama de l'équipement en transmissions des deux armées, une comparaison fine de l'utilisation des dites transmissions, une mise en perspective doctrinale mais, si tout cela est évoqué, rien n'est traité de manière approfondie. Par exemple la partie, essentielle, sur l'évolution des systèmes de commandement est expédiée en en 10 pages. La forme comme le fond sont à revoir et on est bien loin d'un "Command or Control. Command, training and tactics in the british & german armies 1880-1918" de Martin Samuels qui traite du même thème. Il est vrai que la critique est facile et l'art difficile d'autant que mes critiques doivent être comprises à l'aune de la complexité du sujet choisi et du talent indéniable de l'auteur. Il suffit de se tourner vers son autre ouvrage paru chez Economica, le très riche, Rommel et la stratégie de l'axe en Méditerranée pour s'en convaincre. Comblant un vrai manque historiographique, il est aussi des plus solides. Quant au travail définitif, - si tant est que cela existe en Histoire – sur les différences doctrinales entre l'art de la guerre français et son homologue allemand, il reste à écrire.


Nicolas Aubin

Publication : Histoire et Stratégie n°17 : L’arme blindée américaine, fer de lance de l’US Army (février-avril 2014)

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Le prochain numéro de Histoire et Stratégie sera bientôt disponible à la vente. C'est le deuxième numéro de ce magazine que je signe, après un premier consacré aux opérations aéromobiles. Vous pouvez trouver le sommaire sur le blog de DSI, ici, ainsi que l'éditorial, ici.

La rédaction d'un numéro d'Histoire et Stratégie est toujours un travail considérable, prenant, mais exigeant et passionnant. Exigeant parce qu'il faut aborder un sujet non pas simplement sous l'angle du récit ou de la dimension matérielle, mais plus largement, sous l'angle de l'analyse, de la réflexion, de la remise en perspective des évolutions doctrinales, des opérations, etc. Bref, d'une histoire militaire un peu plus "totale" que dans d'autres publications. Passionnant parce qu'après avoir défini le sujet, que l'on a choisi en accord avec la rédaction, on peut s'y lancer à corps perdu, l'ampleur du magazine permettant de développer davantage que dans d'autres publications.


J'avais choisi, donc, de traiter de l'arme blindée américaine, de 1917 à nos jours. Un sujet qui me tentait depuis un certain temps maintenant, notamment pour éclaircir certaines zones d'ombre, ou pour aborder des choses moins connues mais qui m'étaient plus familières (comme l'emploi des blindés au Viêtnam). Comme de coutume, je fournirai au moins un supplément en ligne et une ou deux vidéos seront publiées cette semaine pour présenter le numéro.

Bonne lecture !

Vidéo : Histoire et Stratégie n°17 (février-avril 2014)

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Voici la vidéo de présentation du dernier numéro de Histoire et Stratégie. J'évoque le découpage en trois parties, le tout entrecoupé de petits extraits vidéos, comme de coutume, en rapport avec chacune. Bon visionnage !



Helmut BORSCH-SUPAN, Antoine Watteau, h.f. Ullmann, 2007, 140 p.

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Premier volume, je crois, où je n'accroche pas vraiment, dans cette collection pourtant peu onéreuse (4 euros), superbement illustrée et avec un texte dense (bien qu'un peu trop petit, peut-être). Il faut dire que la période n'est pas non plus parmi mes préférées. Mais il m'a semblé ici que le spécialiste parlait... pour le spécialiste, et pas forcément pour un public un peu plus large. Il faut dire que la vie d'Antoine Watteau, né en 1684, est assez énigmatique. On dispose de très peu d'écrits de sa main, il a mené une vie modeste et retirée. Son oeuvre reste finalement la meilleure source sur lui-même. S'il a développé son talent à Paris, à partir de 18 ans, il n'est jamais devenu un peintre de cour.

Sa plus grande oeuvre, L'Enseigne de Gersaint, relève à la fois de la provocation et d'une certaine résignation. Il s'inspire des modèles flamands et des Grands Vénitiens, non des Français. Watteau s'est aussi beaucoup servi de la commedia dell'arte, dont il était un fervent partisan. L'enseigne vise à la fois à attirer les clients du magasin et à les critiquer. La beauté associée à l'ironie.

L'Enseigne de Gersaint (1720). Source : http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/9/94/Gersaint.jpg


Arrivé à Paris en 1702, Watteau a pour maître Claude Gillot. Il se consacre beaucoup à la peinture décorative avec figures et ornements. Mais Watteau a également traité des sujets militaires, à partir de 1709, ce qui n'est pas une surprise pour un natif de Valenciennes, place encore disputée à l'époque. Il peint surtout des scènes de bivouac ou de marche, pas des scènes de bataille avec la cavalerie, modèle du genre à l'époque. Mais la grande passion de Watteau, c'est donc le théâtre : il représente des scènes de masse, qui étaient appréciées dans l'art flamand. Les compositions à nombreux personnages sont fréquentes jusqu'en 1712. Il fait ainsi un portrait de la Comédie Italienne qui peut revenir en France, sur autorisation du Régent, en 1716. Pierrot est son personnage favori. Watteau inscrit de plus en plus la réalité dans ses tableaux du monde du théâtre.

Pierrot.-Source : http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/f/f5/WatteauPierrot.jpg


Le Pélerinage à l'île de Cythère (1717) est l'une de ses oeuvres les plus emblématiques. La scène est basée sur le mouvement et comporte de nombreux personnages, comme La Mariée du village, où les 108 personnes constituent un ensemble harmonieux. Dans ses tableaux, Watteau insère souvent des statues ou des bustes antiques, et notamment ceux de Vénus. Admis à l'Académie, il est désigné peintre des fêtes galantes. Il s'inspire de Rubens, se sert des statues pour indiquer des choses sur le tableau. La composition de ces fêtes galantes est très variée. Watteau est en outre un grand dessinateur, en particulier de personnages, en préparation de ses toiles. Il réalise des portraits à la sanguine et à la pierre noire. Il représente des Savoyards, des Persans, des petits Noirs. Il inaugure l'art français du dessin du XVIIIème siècle qui se poursuivra avec François Boucher et Honoré Fragonard. Watteau n'a fait que quelques scènes d'intérieur. Dès 1712, il place ses tableaux dans des parcs aménagés, puis s'inspire des paysages des Italiens (Titien) à partir de 1716. Les enfants, qui tiennent une part de plus en plus importante au fil des années, sont représentés comme en harmonie avec la nature. Après un séjour en Angleterre, dont on ne sait pas grand chose, Watteau revient en France et y meurt en 1721. Les séjours de peintres français à Londres étaient fréquents à la fin du XVIIème siècle. Boucher s'inspirera de Watteau, mais de façon très personnelle. Malheureusement, la dernière page de la conclusion a été coupée, et il nous manque les derniers mots...



Le volume se complète comme d'habitude par une chronologie du peintre, un glossaire et une bibliographie sélective. 




André LOEZ, Les 100 mots de la Grande Guerre, Que-Sais-Je, Paris, PUF, 2013, 128 p.

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Avec la commémoration du centenaire de la Grande Guerre, les ouvrages se multiplient sur le sujet, en France comme à l'étranger. André Loez, docteur en histoire contemporaine, professeur agrégé et chargé de cours à Sciences Po, est l'auteur ou le coauteur de plusieurs ouvrages sur la Grande Guerre. Comme il le rappelle dans l'introduction, le centenaire, c'est aussi l'occasion de faire le point sur la recherche, des questions débattues, et de les passer au grand public, ce qui constitue le but de ces "100 mots". Volontairement, André Loez a privilégié l'univers francophone, à travers les causes de la guerre, le déroulement du conflit, les acteurs, la vie des soldats au front, celle à l'arrière, l'empreinte de la guerre, la mémoire et les débats entre historiens. Les entrées incluent d'ailleurs beaucoup de citations de contemporains. Comme il l'explique, ce Que Sais-Je vient compléter celui déjà existant et présentant une approche d'histoire militaire plus traditionnelle, écrit par Jean-Jacques Becker, que j'avais commenté récemment.

Les 100 mots s'ouvrent par l'entrée Alcool (!), dont la consommation, bien réelle, n'est pas sans susciter des remous parmi la troupe. Sur l'Alsace-Lorraine, l'historien rappelle aussi combien la population, après la victoire, fut tenue en suspicion, accusée de "germanophilie". Les anciens combattants, qui jouent un rôle très important dans l'entre-deux-guerres, sont beaucoup moins visibles après 1945, même si le décompte macabre des "derniers poilus" les remet sur le devant de la scène plus tard. L'archéologie joue un rôle de plus en plus important pour faire progresser les recherches. André Loez rappelle aussi combien la bataille de la Marne fut célébrée avec une "ferveur mystique" côté français.


 

L'entre Brutalisation est des plus intéressantes : l'historien explique combien la notion, développée par George Mosse, a du mal à correspondre au cas français. Les inquiétudes sociales naissent aussi de la crainte d'une déshumanisation des combattants. En ce qui concerne la camaraderie, il insiste sur les liens importés du monde civil, mais relativise par la violence entre soldats du même camp : les distances de classes sont souvent maintenues. La Chanson de Craonne, bâtie dès 1915, emblématique de l'offensive Nivelle de 1917, passe à la postérité par les reprises qui en fait après la guerre, par le PCF, puis le cinéma. Concernant la conscription et le volontariat, André Loez souligne qu'il y a eu un fort mouvement de volontaires à l'été 1914, dans les élites, plus important d'ailleurs dans le monde anglo-saxon ; en France ou en Allemagne, le service militaire obligatoire existe depuis des décennies et l'habitude s'est installée. Dans la Déclaration Balfour, l'historien expose comment le jeu tortueux des puissances de l'Entente est à l'origine des conflits identitaires et politiques qui surviennent par la suite.

La figure de l'embusqué renvoie aux perceptions des combattants, ce qui explique qu'un soldat en convalescence, habillé en civil, soit parfois conspué (!) ; figure ambigüe, car les soldats ne rêvent que d'y accéder, parfois. La figure de l'espion existe déjà avant la guerre, mais va obséder les nations impliquées dans le conflit. L'Action Française alimente un discours de soupçons et de xénophobie. En réalité, l'espionnage est souvent limité aux pays neutres et aux zones occupées. Les fraternisations, symbolisées par celles de Noël 1914, sont moins fréquentes que les ententes tacites, dès octobre 1914 et jusqu'à la fin de la guerre. Le front et l'arrière sont moins séparés que l'on ne l'a dit fut un temps : on insiste aujourd'hui sur la circulation entre les deux. Pendant la guerre, on fusille, après condamnation par la justice militaire : ce sont souvent des soldats incapables de remplir un ordre, commotionnés par les bombardements ou choisis pour l'exemple. Les fusillés restent un enjeu contemporain. Les généraux, honnis après la guerre, bénéficient au contraire d'une "aura" pendant le conflit : on baptise même des bébés Joffre ! Le génocide des Arméniens, qui se déroule notamment dans le désert de la province de Deir es-Zor, en Syrie, aujourd'hui en guerre, est connu et dénoncé en France dès 1916. Les Turcs ont encore du mal à le reconnaître, contrairement à leur père fondateur, Mustapha Kemal, qui avait parlé d'un "acte honteux".

Les historiens ont montré qu'on s'attendait, même avant la guerre, à une guerre courte, sentiment qui dure jusqu'en 1915, voire au-delà. Mondiale, la guerre l'est pour l'Allemagne dès 1914, et la Société des Nations de 1919 reflète cette caractéristique. La Grande Guerre est-elle une guerre totale ? On peut en discuter, notamment par le traitement des civils ou des prisonniers de guerre, tout comme le concept de totalitarisme est aujourd'hui revue. Que le processus de "totalisation" soit en marche, certainement. La mobilisation ne se fait pas "la fleur au fusil", en particulier dans les campagnes. Le phénomène des "munitionnettes" s'est rapidement refermé une fois la guerre finie. Le tourisme de mémoire se met en place dès la fin du conflit ; les musées n'adoptent une approche plus moderne qu'à partir des années 1990, et notamment via l'Historial de Péronne. ; dans les créations plus récentes, André Loez s'interroge sur la pertinence de certains dispositifs, comme les tranchées visitables, avec effet de gigantisme, mais qui servent peu à la réflexion. Le terme de no man's land est utilisé par un journaliste anglais dès décembre 1914. L'offensive, en France, est une mystique, mais aussi en Italie, avec les résultats que l'on sait. Les officiers montrent l'exemple, sont exposés, mais bénéficient parfois d'avantages qui ne plaisent pas à la troupe. En ce qui concerne les origines du conflit, sujet longtemps houleux, les historiens insistent sur le rôle moteur de l'Allemagne et de l'Autriche-Hongrie, mais également sur les alliances et la culture et les valeurs des hommes d'Etat de l'époque. Le terme poilu n'est pas nouveau, en 1914 : c'est un vieux terme d'argot militaire. Les expériences des prisonniers de guerre -6 millions- sont très variables d'un pays à l'autre, et d'un endroit à l'autre.

Le mythe des profiteurs n'est pas qu'une invention des combattants. Certaines entreprises se sont enrichies frauduleusement pendant la guerre, sans parler du marché noir. L'opprobre en France dure longtemps, par exemple contre la famille Wendel, qui empêche l'état-major de bombarder le bassin minier de Briey, en mai 1916, qui lui appartenait. La propagande, qui existe bel et bien, connaît des ratés : la population n'y croit plus forcément, comme on le voit en 1917. La prostitution est la conséquence du départ de millions d'hommes au front, privés de leurs femmes : les bordels militaires visent surtout à régler le problème des maladies vénériennes. La rumeur se diffuse au front comme à l'arrière : l'historien Marc Bloch avait compilé ses réflexions de soldats dans un ouvrage, dès 1921. Le "shell-shock", comme l'appelle les Anglo-Saxons, a bien du mal à être reconnu comme une pathologie à part entière. Les traitements, quand ils existent, sont parfois bien inadaptés (chocs électriques, hypnose, sédatifs...). L'idée de la tombe du soldat inconnu, à forte valeur symbolique, naît après la guerre, et pas seulement qu'en France. La France a mobilisé 430 000 soldats des colonies ; avant la guerre, Mangin avait dans l'idée, avec la "force noire", d'économiser le sang français. Mais en réalité, le taux de pertes, pour différentes raisons, est comparable à ceux ds soldats de la métropole, et la participation des coloniaux met aussi en marche le processus de contestation. Les témoignages sur le conflit sont nombreux, mais il faut faire l'effort, comme le rappelle André Loez, de les contextualiser. Le système des tranchées, qui s'installe dès octobre 1914, reste plus solide côté allemand, car on s'installe dans la durée, alors que les Français ne songent qu'à la prochaine offensive. L'Union Sacrée masque mal les affrontements politiques et elle est à l'origine de profondes divisions au sein de la gauche. Les gaz, comme l'ypérite, qui tuent finalement assez peu, n'en ont pas moins marqué très fortement les combattants. Le Zeppelin inaugure la frappe contre les civils, et la peur du bombardement aérien obsédera désormais la population, jusqu'aux conflits de l'entre-deux-guerres et à la Seconde Guerre mondiale.

Voilà un petit ouvrage qui est idéal pour s'initier à la connaissance de la Grande Guerre, vue du côté français essentiellement, à travers les mots importants et les enjeux récents. A noter qu'en plus des 5 ou 6 titres de référence indiqués en bibliographie, on peut télécharger une bibliographie plus conséquente sur le site des PUF, ici (72 pages !).


Steven ZALOGA et Tony BRYAN, T-62 Main Battle Tank 1965-2005, New Vanguard 158, Osprey, 2009, 58 p.

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Steven Zaloga, un des spécialistes fétiches d'Osprey pour l'armée soviétique et l'armée américaine, signe encore ce volume de la collection New Vanguard consacré, cette fois-ci, au char T-62. Ce blindé montre combien le développement des chars en URSS a pu être fonction des contingences politiques et des pressions d'une usine de production montante du coeur du pays. Ce char est finalement produit en masse pour l'Armée Rouge dans les années 1960 et jusqu'au début des années 1970. Son canon à âme lisse a servi à développer de nouveaux types de munitions. Surtout, le T-62 a été massivement exporté : il joue un rôle important dans la guerre du Kippour, reste en première ligne en Afghanistan, pendant le conflit Iran-Irak et sur d'autres champs de bataille depuis, comme en Syrie.

Le T-62 trouve son origine dans la question de l'armement des chars. Dans les années 1950, le canon de 100 mm soviétique commence à manquer de punch face aux M48A2, M60 ensuite et au Chieftain britannique. Les Soviétiques disposent d'obus APC et HEAT; mais n'ont pas développé les APDS (Armor Piercing Discarding Sabot). La compétition fait alors rage entre les bureaux de dessins de l'usine de Nijni-Tagil, issue d'un déménagement effectué en 1941, et celle de Kharkov, revenue à sa place d'origine pendant la guerre, mais qui est à l'origine de la première. Le bureau de Nijni-Tagil expérimente un prototype avec canon de 100 mm à âme lisse, et un autre capable de tirer des missiles. Khrouchtchev encourage le bureau à poursuivre dans la voie des chars lance-missiles, tirant le Drakon. Le projet est cependant abandonné avec la chute de Khrouchtchev en 1964, et l'on passe à des expérimentations d'un canon T-12 Rapira avec projectile APFSDS. Nijni-Tagil développe alors un nouveau canon à âme lisse de 115 mm, qui suppose de modifier la tourelle du T-54/55. En décembre 1960, le M60 arrive au sein des unités américaines en Europe. Tchouïkov, qui commande les forces terrestres soviétiques, exige d'avoir un canon de calibre supérieur au nouveau canon de 105 mm du char américain M60. Le T-62, avec son canon à âme lisse de 115 mm, est donc adopté en 1962. Le nouveau char arrive aux unités du groupe d'armées en Allemagne dès 1963. La production continue jusqu'en octobre 1973 : 19 019 T-62 sont fabriqués à Nijni-Tagil. A cette date, le char constitue 75% du parc des forces du groupe d'armés soviétique en Allemagne. En Occident, il est découvert surtout au moment du printemps de Prague, en 1968.


Le T-72 sera en grande partie construit sur l'expérience du T-62. L'idée d'un char lance-missiles n'est pas abandonnée, on tente encore de monter des AT-3 Sagger sur le T-62. Le T-62 modèle 1972 dispose d'une mitrailleuse antiaérienne de 12,7 mm pour lutter contre les hélicoptères. Entre 1981 et 1985, 785 T-62 voient leur blindage modernisé pour la version M, qui dispose aussi de meilleurs contrôles de tir. Le T-62 n'a pas été produit en dehors de l'URSS, à l'exception de 80 exemplaires seulement par la Bulgarie. En revanche, 5 000 des 19 000 exemplaires construits par Moscou ont été exportés dans les années 1970 et 1980, l'Irak, la Syrie et l'Egypte étant les trois premiers bénéficiaires en nombre. Les Chinois capturent un T-62 pendant les escarmouches de 1969, qui leur servira à développer leurs propres blindés. En 1973, l'Egypte a touché 200 T-62 et la Syrie 500. Dans le Sinaï, puis dans le Golan, c'est moins les caractéristiques techniques que les conditions tactiques et la qualité des équipages qui font la différence. Sur le Golan, les Israëliens sentent bien que le T-62 est meilleur que le Centurion Shot : meilleur blindage, meilleure puissance de feu. Les Irakiens ont le même problème pendant la guerre Iran-Irak et les grandes batailles de chars, jusqu'en 1982. On peut dire aussi que les pertes syriennes au Liban, déjà, sont moins importantes. Le T-62 se retrouve en première ligne lors de l'invasion de l'Afghanistan, la 40ème armée du sud de l'URSS ayant des matériels plus anciens que les autres fronts plus critiques. Les Soviétiques perdent 385 chars durant la guerre, presque tous des T-62, mais les pertes totales sont de 1 340 chars, toutes causes confondues. L'armée afghane actuelle aligne encore quelques-uns de ces chars fournis par les Soviétiques au gouvernement de l'époque. En 1991, il ne reste plus que 3 000 T-62 en service au sein de l'Armée Rouge mais la plupart sont dans des zones de crise : les T-62 verront le combat en Tchétchénie et même en Géorgie en 2008. L'Irak aligne encore 500 T-62 pendant la guerre du Golfe, il est en service dans les meilleures unités de l'armée régulière, l'élite de la Garde Républicaine étant passée au T-72.

A nouveau, le volume est très instructif sur la partie technique, d'autant que le T-62 a un parcours original, et qu'il a été moins abordé que d'autres chars soviétiques (d'ailleurs la bibliographie est entièrement russe). Mais on peut encore regretter que la partie analyse soit réduite à la portion congrue : même sur le plan de l'emploi au combat à l'exportation, Zaloga se contente de rabâcher le sujet archi-connu du Kippour, alors que d'autres conflits beaucoup moins connus (comme la guerre Iran-Irak, pour n'en citer qu'un) aurait mérité cette place. Dommage ! A noter qu'à cette date, les illustrations ne sont plus au centre avec légendes à la fin, mais sont disséminées au fil du texte, ce qui rajoute en confort de lecture.



François NEVEUX, L'aventure des Normands VIIIème-XIIIème siècle, Tempus 252, Paris, Perrin, 2009, 387 p.

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François Neveux, professeur d'histoire médiévale à l'université de Caen, a pris sa retraite en 2009, l'année même de parution en poche de cet ouvrage, initialement paru en 2006. C'est un spécialiste de la Normandie médiévale, un disciple de Lucien Musset.

Ecrit en collaboration avec Claire Ruelle, le livre commence par un prélude, trois épisodes de la geste normande : l'arrivée des Vikings à l'embouchure de la Seine, le 12 mai 841 ; la bataille de Hastings, le 14 octobre 1066 ; et le couronnement de Roger II de Sicile, le 25 décembre 1130. Il cherche à montrer quels étaient les points communs entre les Normands de ces trois épisodes. Le livre, écrit par un universitaire, est très abordable, ce qui est sans doute sa principale qualité.

Les Normands sont les hommes du Nord, appelés aussi païens ou Danois (le peuple le plus anciennement organisé) par les chrétiens. Ils désignent ensuite les habitants du duché de Normandie, fondé au Xème siècle. Les Scandinaves sont entrés en contact avec l'Occident au VIIIème siècle, à travers des expéditions navales, commerciales ou guerrières. Nous n'avons quasiment que la vision des vaincus, les chrétiens victimes des attaques. Le terme viking, lui, n'apparaît qu'au XIXème siècle. Avant le contact avec l'Occident, peu de sources : des inscriptions runiques, et des sources écrites toutes postérieures ou presque, dont les fameuses sagas. L'archéologie reste la plus prometteuse pour apporter de nouvelles connaissances. La langue, le proto-norrois, est comprise dans toute la Scandinavie. Agriculteurs, pasteurs, les Scandinaves développent leurs échanges à partir du VIIIème siècle. Villes et comptoirs font leur apparition. La société, moins égalitaire qu'on ne l'a dit, comprend trois classes, et la richesse divise les hommes libres. La polygamie est pratiquée pour les hommes. Le père est chef de famille. L'assemblée n'est pas non plus, comme le prétend une croyance fort répandue, démocratique : les plus puissants la dominent. La royauté n'apparaît que progressivement : élective, sacrée, on la voit émerger d'abord au Danemark. En Norvège et en Suède, elle est plus fragile. La religion, complexe, vénère surtout quelques dieux : Odin, Thor, etc. Les âmes des morts jouent un rôle considérable dans la vie des vivants. Le culte est familial, les usages funéraires variés.



A partir du VIIIème siècle, et jusqu'au XIème, les Scandinaves se lancent à l'assaut de l'Occident. L'hypothèse de la surpopulation, longtemps évoquée, ne tient plus. En revanche, le fonctionnement interne des sociétés scandinaves apporte des réponses : les hommes libres tentent de s'enrichir pour gagner prestige et considération, les jarls et rois mènent des expéditions pour leur compte. En outre, les échanges commerciaux leur ont permis de constater la faiblesse des pays visés : les Scandinaves reculent toujours quand l'adversaire est trop fort. Ils capitalisent sur la tradition de navigation en mer du Nord, qui leur donne des embarcations adaptées, avec le bordage à clins. Le navire a des noms différents : snekkja pour celui de guerre (qui donne esnèque), knörr pour le navire de commerce. Le mot drakkar, inspiré d'une saga, n'apparaît qu'au XIXème siècle. Les Scandinaves emploient l'épée à double tranchant, la hache à deux mains, possèdent des casques et des boucliers. Ils combattent à pied, volent ou achètent des besoins si nécessaire. Aucune supériorité technique, donc. Le succès tient à l'effet de surprise et à la rapidité d'action avant la riposte. Les Norvégiens colonisent l'Irlande, puis l'Islande, découvrent ensuite le Groënland et fréquentent probablement la côte est du Canada. Les Danois se concentrent sur l'Angleterre et l'Empire franc et rivalisent avec les Norvégiens en Irlande. Les armées se font plus importantes au fil des années. Lucien Musset distingue trois phases dans l'action des Vikings : raids de pillage, imposition du tribut (Danegeld), prise en main directe des territoires. Une pause survient entre 930 et 980, après quoi les Danois, en particulier, repartent à la reconquête de l'Angleterre.

Les Vikings attaquent l'empire de Charlemagne alors qu'il se trouve à son apogée. La Neustrie, entre Seine et Loire, a été négligée, mais avec les premiers raids, Charlemagne et ses descendants vont être forcés de s'en occuper. En outre, les Bretons insoumis commencent à mordre sur ce qui deviendra la Normandie. A partir de 841, les Vikings remontent fréquemment la Seine, avec un pic entre 846 et 852. Dès 860, le roi Charles le Chauve fait barrer le fleuve avec des ponts fortifiés. Le pouvoir construit des châteaux, mais des fortifications privées sont également bâties. Une réorganisation administrative a lieu, un nouveau commandement militaire est créé pour faire face aux raids. C'est le début de l'ascension de Robert le Fort, ancêtre des Capétiens. La Seine reste le lieu privilégié des incursions pendant un demi-siècle. Les Vikings commencent d'ailleurs à coloniser l'embouchure. Rollon, le fondateur historique, a des rapports anciens avec le pouvoir royal. Le traité de Saint-Clair-sur-Epte, que l'on date généralement de 911, concède aux Vikings le duché de Normandie, dont les limites ne sont pas très claires, en particulier à l'ouest. C'est surtout la reconnaissance d'une implantation scandinave de plus en plus prononcée.

Si la Normandie est la seule construction scandinave à avoir survécu, elle le doit largement à ses fondateurs, qui ont su réaliser l'union de la population, intégré la classe dirigeante du royaume, et consolider leur emprise. Le terme duc n'apparaît pas avant le milieu du XIème siècle. Rollon agrandit le territoire du traité et prépare sa succession. Son fils Guillaume Longue-Epée poursuit l'extension vers l'ouest, doit faire face à une révolte sérieuse, mais s'intègre dans l'aristocratie du royaume. Richard Ier gouverne pendant plus de 50 ans (942-996). Il change d'alliance et passe des Carolingiens aux Robertiens. Son fils Richard II, très pieux, attire les clunisiens. Les Normands essaient de pousser vers la Bretagne et la Picardie, mais dès le règne de Guillaume Longue-Epée, le territoire est à peu près fixé. Au sud, il reste encore des possibilités d'expansion. Le christianisme ne commence à s'imposer que sous Guillaume, et Richard Ier restaure la structure ecclésiastique délaissée. Trois évêchés vacants sont pourvus, mais les ducs instaurent une pratique consistant à placer des membres de leurs familles sur les sièges épiscopaux. Grands seigneurs, les évêques normands vont se heurter à la réforme grégorienne de la papauté, que les ducs vont finir par appuyer, tout en encourageant aussi le mouvement monastique. Fécamp en est le point de départ, avec Guillaume de Volpiano. Les ducs ont des épouses légitimes, mais beaucoup de leurs descendants proviennent de concubines. Les liens avec l'Angleterre sont étroits ; la Manche n'a rien d'une frontière et les ducs mènent une politique indépendante du roi de France, accueillant même les exilés de la famille régnante chassés par l'invasion danoise.

Robert le Magnifique, le père du Conquérant, tranche avec le portrait des autres ducs. Succédant à Richard III mort prématurément, il doit affronter les évêques et s'empare de biens d'Eglise. La légende s'est vite emparée de la naissance de Guillaume. Il régularise ensuite sa situation avec l'Eglise puis commence à intervenir en dehors de son alliance avec le roi de France, en particulier en Flandres. Il a les yeux rivés sur l'Angleterre. Son pélerinage est une décision mûrement réfléchie, mais il meurt sur le retour, à Nicée, en 1035.

Le règne de Guillaume est sans doute le point culminant de l'aventure normande. Agé de 8 ans à la mort de son père, le prince ne peut imposer son autorité aux seigneurs les plus rebelles qui tentent même, en 1042, de l'enlever ou de le supprimer. Guillaume demande l'aide du roi de France et les rebelles sont mis en déroute à Val-ès-Dunes, en 1047. Il épouse bientôt Mathilde de Flandres, bravant l'interdiction du pape. Il développe Caen, et le couple ducal fait construire deux abbayes. Guillaume tourne ensuite son attention contre l'Anjou. Le roi de France, inquiet, lance plusieurs attaques contre la Normandie, en 1054 et en 1057, mais il est battu à chaque incursion. Guillaume fait ensuite campagne dans le Maine et en Bretagne. Edouard le Confesseur, qui a longtemps séjourné en Normandie, est roi d'Angleterre. Il souhaite léguer son royaume à Guillaume, et envoie Harold, rejeton dominant de la famille anglo-saxonne la plus puissante, au duc de Normandie. Mais quand Edouard meurt, en 1066, Harold s'empare de la couronne. Guillaume prépare alors son armée et sa flotte, mais patiente, d'autant qu'un autre candidat, le roi Harald Hardrada de Norvège, débarque en Angleterre en septembre, est vaincu et tué. Guillaume débarque les 28-29 septembre et marche sur Hastings, où s'est retranché Harold accouru du nord après sa victoire contre le roi de Norvège. La bataille de Hastings, le 14 octobre, voit la défaite et la mort de Harold. Guillaume doit maintenant s'imposer dans toute l'Angleterre. L'occupation normande entraîne cependant rapidement des révoltes. Dès 1070, il abandonne la politique de cohabitation et impose des Normands, écrase les soulèvements, dresse l'état du royaume en 1086 avec le Domesday Book. Plus grand personnage de l'épopée normande, Guillaume, qui a contribué à façonner l'Angleterre moderne, a pourtant mauvaise presse outre-Manche.

Les Hauteville, quant à eux, vont se tailler un royaume en Italie du Sud. Les chroniqueurs évoquent, entre 999 et 1015, l'arrivée de pélerins normands et bientôt de mercenaires, qui apportent avec eux le maniement de la lance à cheval, assez inédit dans la région à l'époque. Alliés aux Byzantins, puis aux Lombards, les Normands se taillent des principautés. Les premiers arrivés viennent par réaction contre le pouvoir ducal en Normandie, et attirés par les richesses de l'Italie. Le pape Léon IX fait les frais de la valeur militaire des Normands à Civitate, en 1053. La Papauté se place, dès 1059, sous la protection des Normands, bientôt emmenés par Robert Guiscard et son frère Roger. Il faut 30 ans, de 1060 à 1091, à ces derniers, pour conquérir la Sicile, déchirée entre émirs musulmans. C'est une suite d'escarmouches, d'embuscades, de raids, de sièges. Guiscard se lance ensuite contre Byzance, mais doit faire face à aussi rusé que lui avec le nouvel empereur Alexis Ier Comnène. Sa mort en 1085 met fin à ses prétentions impériales.

Dès 1130, Roger II se fait couronner roi par le pape, à Palerme. Deux royaumes normands existent d'un bout à l'autre de la chrétienté occidentale. La succession sera difficile dans les deux cas. Robert, fils aîné du conquérant, ne s'entend pas avec son père. Guillaume le Roux hérite de l'Angleterre, Robert de la Normandie. Ce dernier tente de se révolter, sans succès, et part alors à la Première Croisade. Guillaume meurt en 1100. Henri Beauclerc, un troisième frère, prend la couronne, défait Robert revenu en Normandie à Tinchebray, en 1106. A la mort d'Henri, en 1135, faute d'héritiers, s'ouvre une période d'anarchie. Etienne de Blois affronte l'impératrice Mathilde, bientôt remariée à la famille des Plantagenêt, laquelle hérite finalement de l'Angleterre, de la Normandie puis des terres d'Aliénor d'Aquitaine après le mariage d'Henri II. Si l'Etat Plantagenêt est vaste, il est aussi disparate, la Normandie créant une passerelle. Richard Coeur de Lion, malgré l'intermède de la troisième croisade, réussit à maintenir l'ensemble ; son frère Jean Sans Terre n'a pas l'envergure suffisante face à Philippe Auguste, qui reprend la Normandie en 1204. Les Normands d'Italie, Bohémond et Tancrède, ont aussi participé à la Première Croisade. Guillaume Ier et Guillaume II sont les derniers rois de Sicile avant la crise de succession qui porte finalement l'empereur Henri VI sur le trône. Mort prématurément, il faudra l'appui des papes (notamment Innocent III) à son successeur, Frédéric II, pour s'imposer, jusqu'en 1250. Les Hohenstaufen laissent ensuite la place à la branche angevine française.

Ce qui rassemble les Normands, c'est l'esprit d'aventure, pour acquérir des richesses. Les Normands étaient des pillards, audacieux mais organisés. On ne s'explique pas sinon comment Guillaume le Conquérant conserva sa conquête anglaise. Le royaume de France s'inspire largement du modèle d'administration du duc ensuite. En Italie du Sud, les Normands ont su s'imposer mais cohabiter aussi avec les populations locales. Les Normands ont réussi par métissage culturel : parmi les envahisseurs de l'Italie du Sud, ce sont les seuls à avoir été relativement bien acceptés. Ils ont marqué l'histoire de l'Occident en créant plusieurs Etats forts et administrés. Leur empreinte reste celle de bâtisseurs d'empire. Tous les documents habituels (cartes, arbres généalogiques, chronologie) sont reportés en fin d'ouvrage, où l'on trouvera également la bibliographie. Seul regret : que l'historien n'évoque pas plus d'épisodes de l'épopée normande, car il délaisse volontairement les Varègues, mais, plus près de son sujet, la conquête danois de l'Angleterre. L'ensemble est néanmoins très réussi.

Le Viêtnam depuis 2000 ans, Les collections de l'Histoire n°62 (janvier-mars 2014)

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Le dernier numéro des collections de l'Histoire est consacré au Viêtnam, alors que l'on entame en 2014 une année France-Viêtnam. Comme le rappelle l'avant-propos, les historiens dépassent aujourd'hui le face-à-face entre colonisateurs et colonisés pour montrer la naissance d'une armée moderne, et un Etat moderne, sur le modèle soviétique et chinois. Mais le Viêtnam n'est pas né avec la conquête française. Son histoire commence il y a 2 300 ans dans la vallée du Fleuve Rouge, s'émancipe de la tutelle chinoise au Xème siècle puis descend vers le sud. Les Français s'appuient, dès 1858, sur un empire administré dans la tradition chinoise. Le Viêtnam, coeur de l'Indochine coloniale, forge l'imaginaire asiatique des Français. Le communisme et la guerre ont cependant accouché d'une puissance émergente dont les habitants n'ont pas été forcément le relais du colonisateur, comme a l'air de le penser l'auteur dudit avant-propos. Le propos se découpe en quatre parties : le Viêtnam avant la colonisation, pendant la colonisation, durant la "guerre de trente ans" (1945-1975) et après.

Philippe Papin décrit comment un prince chinois, au IIIème siècle avant notre ère, fonde le royaume d'Au-Lac, même si ce royaume devenu indépendant revient rapidement dans l'orbite chinoise. Une élite sino-viêtnamienne se forme durant le millénaire de présence chinoise. Le Viêtnam prend cependant son indépendance au moment de la fragmentation de l'empire Tang, processus consacré en 1010. Le pays reste tributaire de la Chine, mais le bouddhisme rivalise avec le confucianisme des Chinois. Il résiste aux invasions mongoles, puis défait la domination des Ming sous la direction de Le Loi, en 1428. Un âge d'or s'installe jusqu'en 1497, date à laquelle le pays se divise en deux : ancienne dynastie Lê au nord, dynastie des Nguyen au Sud. Ces derniers progressent vers le sud, jusqu'au Cambodge. Le commerce se développe, même si des révoltes ont lieu, et que les Chinois doivent être à nouveau chassés en 1789. Un rejeton de la famille Nguyen réunifie le pays dès 1802. Calqué sur le modèle chinois, le nouvel empire est enfin devenu une puissance régionale. Andrew Hardy rappelle cependant que le pays est une mosaïque de populations. Les anthropologues le découvrent au début du XXème siècle et insistent désormais sur les très fortes structures internes de ces sociétés. Les minorités ont en fait été repoussées par le processus de construction du pays à partir du XVème siècle, comme les ethnies des Hauts-Plateaux, séparées d'un commun accord des Viêtnamiens par la construction d'une muraille, comme l'ont montré des fouilles récentes. Les Français, en 1946, tentent d'instrumentaliser les minorités. Les civilisations des montagnes ont beaucoup souffert des guerres d'Indochine et du Viêtnam. Le pouvoir communiste cherche à sédentariser les tribus et écrase par la force les soulèvements. Mais l'armée se charge en même temps de bâtir l'infrastructure. Le Parti n'est plus le seul vecteur d'intégration : les évangélistes ont investi le terrain, le café planté sur les terres est exporté, et les minorités, bien que fières de leurs origines, deviennent viêtnamiennes. Emmanuel Poisson insiste sur le fait que le mandarinat était une bureaucratie moderne, mais pas selon les critères occidentaux. Les fonctionnaires, contrôlés par le pouvoir, sont en fait peu nombreux. Ils subjuguent par leur apparat. Ils sont recrutés par concours, et un certain nombre de villages sont de véritables pépinières. Mais dès le XVème siècles, certains employés ou soldats sont nommés mandarins pour faits d'armes. Le mandarin est formé à sa future tâche. Il n'exerce pas dans sa circonscription d'origine, envoie des rapports tous les trois ans. A partir du XVIème siècle, les mandarins préfèrent le retrait à l'engagement. C'est sur leur base que se greffe l'Etat colonial au XIXème siècle.



De 1858 à 1887, ainsi que le raconte Pierre Brocheux, la France conquiert ce qui devient l'Union Indochinoise, centrée sur l'Annam, le Tonkin et la Cochinchine. Les intérêts économiques jouent un rôle essentiel dans la conquête, qui n'est guère facile. Seule la Cochinchine devient une colonie : Cambodge et Annam ont des protectorats, Tonkin et Laos un régime mixte. Paul Doumer crée en 1897 les structures coloniales de l'Indochine, qui devient une colonie d'exploitation, non de peuplement. La Banque d'Indochine gagne une influence considérable, les Français développent des infrastructures au service de l'exploitation des ressources. Ces derniers justifient la domination par l'oeuvre économique, éducative et sanitaire. L'amélioration des soins provoque cependant une poussée démographique qui entraîne des situations de crise, au Tonkin et dans l'Annam. Une élite locale émerge, mais la minorité européenne reste au sommet de la hiérarchie. La politique coloniale française n'accepte pas les revendications des modérés comme des radicaux. La situation des paysans s'aggrave, les difficultés sont associées à la présence étrangère, nourrissant le nationalisme et le communisme. Hô Chi Minh sait en tirer parti. La France ne voit que trop tard les évolutions que sa présence a entraîné, et ne fait pas les concessions nécessaires. Les Français avaient pourtant tenté de créer un monarque à leur botte, Bao Dai. Elevé à Paris, le futur empereur sert de légitimation à la présence coloniale, comme le montre sa participation à l'Exposition coloniale de 1931. La monarchie coloniale, à travers Bao Dai, symbolise paradoxalement le "sujet colonial" de l'empire français, comme le dit Christopher Goscha. Vichy ne change rien aux habitudes de la IIIème République. Exilé à Hong-Konk, Bao Daï est rappelé en 1949 dans le cadre de la guerre d'Indochine, pour soutenir les prétentions de la France. Mais il reste volontairement en retrait, alors que Sihanouk, au Cambodge, incarne les prétentions de son peuple face aux Français. Bao Dai, évincé par Diêm, meurt dans l'indifférence générale, ou presque, en 1997. Saïgon, investie en 1859, est rapidement rebâtie par les Français, qui souhaitent en faire un nouveau Singapour. La "perle de l'Extrême-Orient" reste encore, en 1914, une ville de la Belle Epoque, en dépit de l'exploitation coloniale et de la misère paysanne environnante. Albert Calmette avait organisé le premier Institut Pasteur d'Indochine, en 1891. Alexandre Yersin, qui a découvert le bacille de la peste en 1894, meurt à Nha Trang en 1943. Les médecins viêtnamiens, formés par la France, sont eux aussi divisés et beaucoup rejoignent le combat pour l'indépendance en 1945. Deux voies s'ouvrent après la partition de 1954. Avec la réunification, Hanoï donne les directives. En 1986, le Viêtnam est confronté au virus du SIDA. Un réseau moderne se développe progressivement.

Pierre Grosser mentionne à juste titre que la guerre pour l'indépendance a en fait duré 30 ans, de 1945 à 1975. Pour les historiens, la vision est souvent celle des "occasions manquées" ou des possibilités bridées. Grosser y voit surtout un immense gâchis, la politique française et américaine ayant radicalisé les communistes viêtnamiens. On remet au centre de l'analyse les acteurs viêtnamiens eux-mêmes, ce qui permet de voir que Hanoï a recherché un soutien extérieur, et que d'autres organisations politiques, qui proposaient d'autres voies, ont été éliminées. La défaite de la France en 1940 sape l'autorité du colonisateur. Les Japonais favorisent les mouvements anticoloniaux dès 1943. La mise en coupe réglée du pays en 1945 laisse, après la victoire, un pays fragmenté, où le Viêtminh tente de s'imposer alors que la France revient. L'armée française ne parvient pas à anéantir Hô Chi Minh et ses hommes ; avec la victoire de Mao en Chine, le conflit change de dimensions. La France peine à définir une stratégie cohérente, le théâtre d'opérations semblant bien secondaire face à d'autres priorités, en Europe ou ailleurs. Après Dien Bien Phu, les accords de Genève signent la fin de l'Indochine : Viêtnam coupé en deux, indépendances du Laos et du Cambodge. Mais la paix est boîteuse. Diêm, au Sud, est trop dépendant des Américains qui ne s'engagent que prudemment, même s'ils le font renverser en 1963. Les durs du parti, au Nord, se servent de la guérilla au Sud pour affermir leur pouvoir politique. L'escalade a lieu en 1963-1964, les Américains s'engagent directement en 1965, mais ne parviennent pas à l'emporter. Nixon est contraint au désengagement, et le rapprochement avec la Chine et les bombardements sur le Nord permettent de signer les accords de Paris en 1973. Mais le soutien américain promis pour faire tenir le Sud en cas d'attaque ne viendra pas, et une ultime campagne voit le Nord achever la réunification en 1975. Hugues Tertrais revient sur Dien Bien Phu, dont le nom est passé dans le langage courant comme synonyme d'un désastre. Occupée pour protéger une région, la base devient l'enjeu d'une sortie de guerre, car le Viêtminh arrive pour y livrer une bataille voulue comme décisive. La bataille dure deux mois, et Giap, en trois phases, parvient à emporter le camp. Il n'y a pas d'images de la bataille, des deux côtés. Les combats sont terribles, comparés à Verdun côté français. L'écho de la défaite française réveille les pays colonisés. Pierre Asselin explique ensuite comment c'est Le Duan, devenu Premier Secrétaire du parti en 1960, qui a contribué à relancer la guerre au Sud, puis contre les Etats-Unis. Le pouvoir de Hô, dans la santé se dégrade, s'affaiblit en effet au début des années 1960. Hô était opposé à la reprise de la guerre au Sud, même s'il avait consenti à moderniser et développer l'armée. C'est sous la pression de Le Duan, notamment, qu'il concède de relancer la guérilla au Sud en 1959. Le Duan consolide son influence en décembre 1963, après l'assassinat de Diêm, soutenu par Le Duc Tho et le général Nguyen Chi Tanh. A partir de là, c'est l'escalade : le Nord envoie ses premières unités au sud quand l'insurrection échoue à emporter le pays. En ce sens, il a un rôle clé dans le déclenchement de la guerre du Viêtnam. La victoire de 1975 est aussi la sienne. François Guillemot raconte comment les vainqueurs imposent, assez brutalement, le modèle communiste au Sud après 1975. Le Viêtnam est réunifié dès 1976 et Saïgon devient Hô Chi Minh-Ville. La paranoïa de l'ennemi intérieur conduit plusieurs centaines de milliers de personnes, surtout liées à l'ancien régime, dans les camps de rééducation. Des chiffres contestés font état de 165 000 victimes. La collectivisation est imposée dès 1978. La population est redistribuée vers le sud. Entre 1975 et 1991, plus d'un million de Viêtnamiens quittent leurs pays, 250 000 seraient morts en mer. La réconciliation est ratée.

Pour Benoît de Tréglodé, le parti, d'abord sous l'influence de la Chine pendant la guerre d'Indochine, a dû choisir, après des hésitations, l'URSS en 1975. Dès 1986, face à la dégringolade de l'URSS, Hanoï met en avant l'ouverture économique. Le parti combine en fait communisme importé et ambition nationale de modernité. Aujourd'hui, le pays est dirigé par un triumvirat : le Premier Ministre, le secrétaire général du Parti et le président de la République, avec une personnalisation du pouvoir autour du premier, Nguyen Tan Dung. Des tensions opposent le Premier Ministre au Président (deux hommes originaires du Sud) en raison de la crise économique survenue en 2008. Les médias sont contrôlés par le pouvoir et l'opposition ne pèse pas lourd. La religion est également contrôlée, mais pas interdite. Le Parti attire pour faire carrière. L'ouverture économique n'élimine pas la place importante de l'agriculture et la difficulté à créer des emplois. Les inégalités augmentent. Dominique Rolland rappelle que les Viêtnamiens, notamment de Cochinchine, avaient commencé à émigrer en France avant la Première Guerre mondiale, notamment dans les ports et à Paris. 90 000 Indochinois, tirailleurs ou travailleurs, sont mobilisés pendant la Première Guerre mondiale. Un petit nombre reste en métropole. Sur les 15 000 travailleurs bloqués en France en 1940, un millier y demeure ensuite. Après 1954, une autre émigration augmente encore l'effectif. Mais c'est de 1975 à 1985 qu'arrive une masse de 43 000 réfugiés. Le flot se stabilise dès les années 1990. Pierre Journoud explique combien la réunification après la victoire de 1975 ne met pas fin aux conflits et aux difficultés : mise au pas du Sud, puis intervention militaire au Cambodge contre les Khmers Rouges, dès décembre 1978, suivie d'une invasion par la Chine en février 1979. Dès 1986, le Viêtnam s'ouvre à l'économie de marché, puis retire ses troupes du Cambodge en 1989. Après la chute de l'URSS, le pays renoue avec la Chine, dès 1991, et conserve des liens avec la France, comme le montre la visite du président Mitterrand en 1993. Les relations diplomatiques avec les Etats-Unis sont rétablies deux ans plus tard. Le Viêtnam intégre l'ASEAN en 1995 et les grandes institutions financières internationales. Le PIB triple entre 2000 et 2010. Mais les tensions reprennent avec la Chine, notamment autour des îles contestées en mer de Chine méridionale, et par ailleurs, les Etats-Unis se repositionnent en Asie face à Pékin. Le Viêtnam devient progressivement une puissance régionale en gestation.

L'ensemble est complété par une chronologie indicative (au début), un lexique, des références dans tous les domaines, livres, films, etc (à la fin) et par des cartes très utiles, en plus d'encadrés que je n'ai pas forcément commentés ci-dessus (Diêm, les boat people, etc). Les gros points forts sont assurément les parties qui remettent l'histoire du Viêtnam dans le temps long, avant la colonisation française, et celles sur l'histoire et l'évolution du pays après 1975. En revanche, on peut regretter que les guerres, d'Indochine et surtout du Viêtnam, soient si peu présentes. L'avant-propos soulignait pourtant combien l'Etat et l'armée s'étaient construits pendant les conflits. Or, il en est finalement peu question -et il y avait pourtant des spécialistes pour en parler, comme C. Goscha. La guerre du Viêtnam, en particulier, est la grande absente du numéro. D'ailleurs mon ouvrage sur l'offensive du Têt ne figure pas dans la bibliographie. Logique : ce n'est pas un travail d'historien. Mais il est dommage que la dimension de l'histoire militaire ait été un peu délaissée.

Alexander MLADENOV et Ian PALMER, Mil Mi-24 Hind Gunship, New Vanguard 171, Osprey, 2010, 48 p.

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Le New Vanguard sur le Mi-24 Hind d'Osprey est écrit par un quasi inconnu, Alexander Mladenov, un spécialiste de l'aviation soviétique et des pays de l'Est qui vit en Bulgarie.

Le Mi-24 Hind, cousin du AH-1 Cobra américain, s'en démarque pourtant : plus grand, plus lourd, il n'est pas conçu seulement comme un hélicoptère antichar ou d'appui aérien rapproché opérant en embuscade. Il correspond plus à une version héliportée de l'avion d'assaut Il-2 Sturmovik de la Seconde Guerre mondiale. Il reste encore utilisé aujourd'hui par plus de 60 forces aériennes à travers le monde, et plus de 2 300 exemplaires ont été construits entre 1969 et 2009.

Dès 1966, Mil et Kamov sont en compétition pour fournir à l'Armée Rouge son premier véritable hélicoptère de combat. Mil capitalise sur l'expérience du Mi-8 et du Mi-14 de la marine pour bâtir un prototype à deux moteurs, capable d'embarquer le missile antichar Shturm V et une mitrailleuse de 12,7 mm sous le nez. Le prototype V-24 vole en septembre 1969. Les exemplaires de pré-série sont construits à l'usine de Panki, près de Moscou, les suivants à Arsenyev, en Extrême-Orient. Le nouvel hélicoptère souffre de défauts des jeunesse, qu'il faut corriger. Les premiers Mi-24A entrent en service dans un centre d'entraînement de Voronej en 1970. Le 319ème régiment indépendant d'hélicoptères, qui est la première formation à toucher le Mi-24A, est proche de l'usine d'Arsenyev. Chaque régiment de l'Armée Rouge comprend deux escadrilles d'hélicoptères d'attaque ; avec 15 régiments au début des années 1980, ce sont pas moins de 400 Mi-24 qui sont en ligne. En 1989, 44 régiments indépendants sont équipés du Mi-24, ainsi que 40 escadrilles indépendantes. Le Mi-24 est aussi en service dans d'autres branches armées de l'Armée Rouge. La Russie, qui hérite d'une bonne partie de la flotte après 1991, aligne encore 200 machines.




Le Mi-24A n'est qu'une version de transition, entrée en service en 1972. Les pilotes se plaignent de la mauvaise visibilité et du manque de protection de la cabine. Une version B est rapidement développée et les 240 Mi-24A/U (version d'entraînement) sont exportés pour beaucoup dans les pays amis. Le Mi-24D, version améliorée, commence à être produite à Arsenyev en 1973, et à Rostov-sur-le-Don pour l'exportation (Mi-25). En tout 650 exemplaires sont produits jusqu'au milieu des années 1980. Le Mi-24V reste la version la plus populaire du Hind (Mi-35 à l'export). Un millier d'exemplaires sont construits entre 1976 et 1986, et 400 de plus pour l'étranger. Le Mi-24P, lui, embarque un canon de 30 mm au lieu de la mitrailleuse de 12,7 mm : 620 sont construits entre 1981 et 1989. Le Mi-24VP, construit à seulement 25 exemplaires à partir de 1989, dispose d'un canon de 23 mm. Il existe également une version de guerre NBC du Hind et une autre pour l'observation d'artillerie. Les Russes ont développé le Mi-24PN, pour le combat de nuit, qui entre en service en 2004. Le Mi-35M, version améliorée, est vendu au Vénézuela et au Brésil. Les compagnies israëlienne IAI et sud-africaine ATE proposent chacune des ajouts supplémentaires à l'appareil, de même que SAGEM, qui a développe les Mi-24 de l'Ouzbékistan.

Le Mi-24 reste attaché à la guerre d'Afghanistan menée par les Soviétiques, qui a vu plus de 400 opérations héliportées d'envergure. Au départ, il n'y a que 6 Mi-24A déployés dans le pays, mais deux mois après l'invasion, on compte déjà 40 Mi-24D. Les Mi-24 remplissent une multitude de rôles. Les opérations héliportées les plus conséquentes, au milieu des années 1980, réunissent jusqu'à 60 hélicoptères. 122 Hinds auraient été perdus entre 1979 et 1989. 36 Mi-24 avaient également été cédés aux Afghans. Le Hind avait connu son baptême du feu pendant la guerre de l'Ogaden (1977-1978) opposant l'Ethiopie à la Somalie : on le retrouve plus tard pendant la guerre entre l'Ethiopie et l'Erythrée (1998-2000) dans les deux camps. Les Hinds irakiens ont parfois affronté les hélicoptères iraniens pendant la guerre Iran-Irak, mais ont surtout servi à l'arrière, contre les soulèvements intérieurs. Ils ont également appuyé les opérations héliportées lors de l'invasion du Koweït en 1990. En revanche, la flotte reste au sol pendant les guerres du Golfe. La Libye a engagé des Hinds au Tchad et la Syrie au Liban. On retrouve les Hinds en Angola, au Sierra Leone et au Soudan. L'armée indienne et celle du Sri Lanka les emploient contre les Tigres Tamouls, jusqu'en 2009. Le Nicaragua et le Pérou ont également utilisé le Mi-24 au combat, de même que la Croatie pendant le conflit en ex-Yougoslavie, et la Macédoine un peu plus tard. Récemment encore, la guerre en Géorgie a vu l'emploi de Mi-24 dans les deux camps, en 2008. En Tchétchénie, le Hind, plutôt discret lors du premier conflit (1994-1996), est plus visible durant le second, à partir de 1999, bien qu'une trentaine de machines seulement soit engagée. Les Mi-24, au départ, réalisent 30% de missions en chasse libre.

Encore une fois, ce volume de la collection New Vanguard illustre les choix qui sont faits par l'éditeur : il s'agit avant tout d'une présentation technique de l'appareil. L'histoire et l'analyse de l'emploi opérationnel sont limitées à la portion congrue : les deux exemples les plus traités sont l'Afghanistan et la Tchétchénie, bien connus par d'autres publications par ailleurs. En outre, le propos est affaibli ici par l'absence complète de sources, ce qui est plutôt rare dans les volumes récents d'Osprey. Et c'est bien dommage, même si l'auteur connaît indéniablement son sujet. Cela ne dispense pas, malgré tout, de suivre un minimum de méthode. Les illustrations, pour finir, ne sont pas des meilleures.



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