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Georges DUBY, Le dimanche de Bouvines, Folio Histoire, Paris, Gallimard, 1985, 375 p.

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Voici un ouvrage fondamental du renouveau de l'histoire-bataille -et plus généralement de l'histoire événementielle- au sein de l'historiographie française. A ranger aux côtés de celui de J.-P. Bertaud,consacré à Valmy, et sorti d'ailleurs à peu près en même temps. Georges Duby (1919-1996), professeur au Collège de France, membre de l'Académie française, a beaucoup fait pour le renouvellement des études médiévales en s'intéressant aux réalités économiques, aux structures sociales et aux systèmes de représentation.

Dans l'avant-propos de cette édition de 1985, soit douze ans après la parution initiale, l'historien rappelle combien participer à la collection "Les trente journées qui ont fait la France", en traitant l'événement, n'allait pas de soi à cette époque. Il l'a fait d'abord par plaisir, ensuite pour replacer la bataille de Bouvines dans une histoire longue, en suivant les traces de Fernand Braudel. Une histoire à trois niveaux : l'ethnographie de la pratique militaire au XIIIème siècle (Evénement) ; l'appréhension de ce que signifie au XIIIème siècle la guerre, la paix, la trêve, dans le champ du politique et du sacré (Commentaire) ; enfin, la mémoire de Bouvines jusqu'au XXème siècle (Légendaire). Au final, c'est cet ouvrage qui a donné à Duby l'envie de travailler sur un des personnages célèbres contemporains de la bataille, Guillaume le Maréchal, dont il écrivit ensuite une biographie.

Duby ne renie pas cependant l'héritage de l'école française de son époque (les Annales et leurs successeurs) en replaçant Bouvines dans l'histoire des structures et des mentalités. Il a des pages très intéressantes sur la paix au XIIIème siècle, de même que sur les tournois -sans doute parmi les meilleures du travail. La bataille, qui n'est pas la guerre, devient une sorte de tournoi, une liturgie, un Jugement de Dieu où l'on ne tue que rarement. La dernière partie, sur la postérité de Bouvines, est amenée à faire des émules, bien que Duby se concentre en fait sur certaines périodes, sautant plusieurs siècles entre la fin du Moyen Age et 1800. D'ailleurs, l'historien se laisse quelque peu emporter à la fin de cette dernière partie "Légendaire" en posant des réflexions sur le XXème siècle qui nous éloignent quelque peu du sujet médiéval. Qui pourrait s'intéresser à Bouvines, dit-il, dans le cadre d'une Europe unie, alors qu'on en avait fait l'une des premières victoires françaises contre les Allemands ? Eh bien il est frappant de constater que le nouveau programme d'histoire en 5ème consacre une étude de cas entière à Bouvines, mais pas forcément dans le sens qu'aurait probablement souhaité Georgies Duby...

L'une des forces de cette dernière partie est aussi de montrer comment les chroniques contemporaines présentent Bouvines comme la victoire du Bien contre le Mal, dans une perspective éminemment chrétienne, ce qu'il est difficile de saisir à notre époque. Duby expose ainsi l'un des premiers efforts de "propagande" royale en France, qu'elle ait été consciente ou non. Cette propagande réunit en fait l'adhésion de bon nombre de milieux du royaume : les clercs bien sûr, mais aussi les seigneurs et le peuple. Bouvines, c'est aussi le début d'un certain sentiment national, bien que très circonscrit géographiquement, comme le rappelle Georges Duby : c'est la victoire du peuple de la région parisienne, de la Normandie, d'une partie nord de la France. Le sud de la Loire reste encore un autre monde, peu concernée, où les structures ne sont pas les mêmes.

Mais c'est assurément la deuxième partie (Commentaire) qui est au coeur du propos, comme on l'a déjà évoqué, celle où manifestement l'historien a pris le plus de plaisir à écrire. Duby y décrit comment l'idéal de la paix, avancé par l'Eglise, transforme profondément la guerre au Moyen Age. Or la guerre, c'est l'argent pour une aristocratie prodigue de ses revenus. On s'y prépare dans les tournois. D'où la volonté de conduire "une bonne guerre", où la bataille devient en quelque sorte un Jugement de Dieu, où les Bons triomphent des Méchants.

Outre que le style en fait un ouvrage évident de vulgarisation par un médiéviste phare de se génération, Le dimanche de Bouvines a cette vertu de montrer que même un historien des Annales -école que l'on réduit volontiers comme s'intéressant à la longue durée, aux structures économiques et sociales, aux statistiques- peut renouveler l'histoire-bataille, et de manière générale, l'histoire militaire, en partant d'un événement martial pour éclairer toute une époque. Il cherche à concilier l'histoire événementielle avec celle promue par les Annales. En ce sens, le pari est indéniablement réussi et fait de l'ouvrage de Georges Duby un modèle pour les historiens du fait militaire jusqu'à aujourd'hui. Duby n'a d'ailleurs pas été le seul, dans l'école des Annales, à s'intéresser à l'histoire militaire ou événementielle, ce que l'on a trop tendance à oublier. L'histoire militaire et la "nouvelle histoire bataille" telle qu'on la promeut actuellement doivent beaucoup à Georges Duby, sans que certains en soient forcément conscients.


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