Dans
les années 1960, la Suisse a accueilli le QG des Frères Musulmans
égyptiens chassés par Nasser, à Genève. Leur membre le plus
influent était Saïd Ramadan (le père de Tariq). Mais ce début de
présence islamiste sur le sol suisse était tourné vers l'Egypte.
Dans les années 1990, des militants nord-africains ont parfois
utilisé la Suisse comme support logistique.
Ce n'est qu'après les attentats du 11 septembre 2001 que la Suisse
commence à surveiller d'un peu plus près la scène islamiste, mise
en pleine lumière par « l'affaire Saoud », après
les attentats de Riyad en mai 2003. Moez Garsallaoui,
recruteur d'al-Qaïda, arrêté en 2004, a été tué par un drone
américain au Pakistan en octobre 2012. Sa compagne Malika el-Aroud
est toujours emprisonnée. Les premiers djihadistes suisses étaient
des réfugiés disposant déjà de réseaux à l'étranger. A partir
de 2004-2005, on voit l'émergence de personnes nées en Suisse et
radicalisées sur place. Abu Saad al Tunisi a été le premier Suisse
tué en Irak, en 2006. Ensuite, des Suisses sont partis dans des
camps d'entraînement en Somalie, au Pakistan, au Yémen. Les
volontaires bénéficient non pas de recruteurs mais de
facilitateurs : radicalisés en solitaire, via Internet par
exemple, les candidats entrent en contact avec des intermédiaires,
souvent anciens combattants du djihad. C'est le cas pour le groupe
balkanique de Suisse alémanique en contact avec la scène salafiste
allemande. Le phénomène, à l'échelle du pays, reste néanmoins
marginal.
|
Moez Garsallaoui, avec sa compagne. |
|
Abu Saad al Tunisi |
Les
Suisses ne représentent qu'un petit contingent des combattants
partis se battre aux côtés de la rébellion syrienne ou de l'Etat
Islamique : en janvier 2015, l'ICSR estimait leur nombre à 40,
ce qui est très peu. Les informations sur les Suisses partant se
battre sur cette nouvelle terre de djihad sont comme souvent assez
tardives, encore plus dans le cas de ce petit contingent. A l'été
2012, la Suisse s'inquiète surtout de voir ses grenades nationales,
fabriquées par la société RUAG, être utilisées par les rebelles
syriensà Mare, au nord-est d'Alep, ville défendue actuellement par les
rebelles contre les assauts de l'Etat Islamique. Les grenades,
vendues aux Emirats arabes unis en 2003, ont fini entre les mains des
rebelles syriens.
En septembre 2012, la Suisse accueille un premier contingent de
réfugiés venus de Syrie.
|
En 2012, la Suisse s'inquiète de voir des grenades de fabrication nationale être utilisées par les rebelles syriens. |
Les
premiers articles sur le départ de Suisses en Syrie n'apparaissent
en fait qu'à l'automne 2013. Ce n'est pas surprenant : la date
suit de quelques mois la déclaration de naissance de l'Etat
Islamique en Irak et au Levant (avril 2013), et sa rupture avec le
front al-Nosra qu'il avait créé, et dont nombre de combattants
rejoignent l'EIIL. Celui-ci commence à attire de plus en plus de
combattants étrangers, notamment en Europe occidentale où les
chiffres vont fortement augmenter à partir de ce moment. En outre,
c'est en juillet que Mourad Fares gagne la Syrie : ce Français
va se retrouver en position d'intermédiaire pour recruter des
Suisses pour le djihad au sein d'al-Nosra.
En
octobre 2013,
les journaux suisses parlent d'une dizaine d'hommes qui seraient déjà
partis en Syrie. L'un d'entre eux intervient sur le forum Ansar
al-Haqq, bien connu pour être suivi par les djihadistes. Une
femme suisse est arrêtée après avoir voulu rejoindre al-Qaïda
(donc probablement le front al-Nosra). Omar Bakri, le recruteur du
mouvement Sharia4you, prétend déjà avoir réussi à faire
venir un Suisse auprès du groupe Ahrar al-Sham ; les services
de renseignement helvétiques, eux, restent remarquablement discrets
sur la question. Les djihadistes parlent de 2 Suisses combattant avec
le front al-Nosra, tandis que « Al-Swissri », à
Raqqa, serait avec l'EIIL. Ce dernier, père de famille, serait passé
de l'ASL à l'EIIL, avant de revenir à l'ASL, puis de rentrer en
Suisse, déçu par l'évolution interne aux groupes rebelles. Comme
dans le cas d'autres contingents, le recrutement est facilité par la
possibilité aisée de se rendre en Syrie ; en outre, les
candidats sont aiguillés par des intermédiaires.
En
novembre 2013, un autre quotidien suisse évoquent ses partisans du
djihad, en Suisse, près de Liestal, où se trouve une mosquée
salafiste radicale liée à la mouvance allemande. Lorenzo Vidino,
spécialiste du phénomène en Suisse, a constaté que les aspirants
djihadistes consultent beaucoup les sites djihadistes. Le SRC
(Service de Renseignements de la Confédération) continue pourtant
alors de nier les départs de Suisses en Syrie. Certaines sources
parlent pourtant de 5 Suisses ayant déjà rejoint le front al-Nosra,
dont plusieurs d'origine balkanique (parmi lesquels on trouve
beaucoup de candidats au djihad). Une autre source dit en avoir
rencontré 2 en Syrie, dont un Franco-Suisse. Les volontaires se
radicalisent de manière solitaire, puis entrent en contact avec des
intermédiaires qui facilitent leur arrivée en Syrie.
Le
phénomène s'accélère en 2014. Le 20 mars, 3 membres de l'EIIL
contrôlés à la frontière turque jettent une grenade qui tue un
policier turc, un sous-officier de gendarmerie et un conducteur de
camion. L'un des 3 est Cendrim, un Suisse originaire du Kosovo. Connu
pour ses activités criminelle, condamné pour braquage en 2011, il
est exilé au Kosovo à sa sortie de prison, où il se serait
radicalisé. Il rejoint la Syrie et l'EIIL dès juin 2013.
En avril, un ancien djihadiste revenu après avoir passé 3 mois en
Syrie témoigne devant la presse.
Romand, cet homme, fils de notable catholique converti, qui regrette
son engagement, a été radicalisé après des déboires personnels
sur Internet (Facebook) par Abou al Hassan, un Français
combattant en Syrie. Parti en avion de Lyon en Turquie à Istanbul,
il passe ensuite en bus en Syrie, via Hatay. La formation dure un
mois, puis les recrues sont expédiées au front. L'homme prend le
nom de guerre de Abu Suleyman al Suissry. Partir est plus compliqué.
On apprend plus tard que l'homme a servi dans l'EIIL, où il est
resté deux semaines seulement dans un camp d'entraînement avant de
vouloir rentrer.On
parle alors de 30 à 50 Suisses partis en Syrie ; le SRC évoque
enfin une quarantaine de départs pour le djihad, mais pas uniquement
en Syrie.
10 à 15 personnes seraient dans ce cas pour les services de
renseignement,
dont 5 certaines, avec 1 retour et 2 tués.
La plupart sont d'origine balkanique (Kosovo, Bosnie).
Mourad Fares, un djihadiste et recruteur français, avait au moins un
compagnon suisse en Syrie.
Le même mois, on apprend qu'un jeune homme de 16 ans originaire de
Neufchâtel combattrait avec l'EI à Raqqa.
En décembre 2014, deux adolescents zurichois, un frère et une soeur
de 16 et 15 ans, partent pour la Syrie, attirés par l'Etat
Islamique.
|
Le jeune de Neuchâtel apprend à piéger des voitures avec l'Etat Islamique. |
|
|
|
A droite, Mourad Fares, à gauche Abou Souleyman
al Suissery. |
En
2015, des Suisses continuent de partir pour la Syrie. Abou Souleyman
al Suissery, parti d’Orbe en octobre 2013, et qui combat avec
l'Etat Islamique, est le plus fameux. D'origine algérienne, il se
convertit à l'islam en 2012. Il gagne la Syrie en octobre 2013, via
la France et la Turquie. Il rejoint Abou Hassan, alias Mourad Fares,
un des principaux recruteurs français. Le 11 avril 2014, il poste
une photo sur Facebook
où on le voit près d'Alep, en compagnie de Fares, alors n°2 de la
brigade française du front al-Nosra derrière Omar Omsen. En mai
2014, il passe à l'Etat Islamique et rejoint Raqqa : certains
prétendent qu'il dirige depuis un groupe de combattants
francophones, ce qui n'est pas confirmé. Fares est arrêté en
Turquie le 16 août 2014 puis extradé en France ; il était
parti quant à lui en juillet 2013 pour la Syrie.
L'arrestation de Fares, en septembre 2014, provoque davantage de
discrétion chez les djihadistes francophones sur les réseaux
sociaux.
Abou Souleyman al Suissery est rejoint en février 2015 par un autre
Suisse, originaire de Genève. Le SRC place alors à 43 départs le
nombre de Suisses impliqués, dont 6 entre janvier et février 2015.
12 partis en Syrie ou en Irak seraient revenus en Suisse. 4 Suisses
auraient péri, dont 3 sûrs. L'un d'entre eux, mort en 2013, était
proches du groupe « Lies ! », un mouvement
salafiste allemand qui recrute un grand nombre de djihadistes
nationaux.
Fathi, un Thurgovien de Saint-Gall né en 1993, a été déclaré
mort par ses camarades en novembre 2013.
En mars 2015, un djihadiste d'al-Nosra, à la fois Suisse et Turc,
retient sa femme d'origine allemande en otage en Syrie, après
qu'elle l'ait rejointe, enceinte, en octobre 2014.
Un autre djihadiste, Sandro, 18 ans, de Winterthour, qui a rejoint
l'Etat Islamique en février, vante les mérites de l'organisation.
En avril 2015, pour la première fois, la Suisse arrête un jeune
homme de Zurich qui voulait se rendre en Syrie ; peu de temps
auparavant, un autre Suisse avait été arrêté à la frontière
turque près de la Syrie.
Ce même mois, le djihadiste suisse d'al-Nosra finit par relâcher sa
femme et leur enfant. |
A Gauche, peut-être Mourad Fares |
|
Ci-dessus, 4 images de Sandro, le djihadiste suisse de 18 ans de l'Etat Islamique, qui se présente lourdement armé, ou brandissant la tête d'un ennemi décapité... |
|
Le Suisse parti se battre auprès d'al-Nosra qui retenait sa femme allemande en Syrie. On remarque qu'il a fait partie du groupe salafiste allemand Lies ! comme le montre le T-Shirt. |
|
Fathi, tué en Syrie en novembre 2013. |
En
juillet 2015, 2 Suisses trouvent encore la mort en Syrie. Valdet G.,
qui décrivait l'EI comme un camp de vacances, champion du monde de
boxe thaïe, avait quitté Winterthour pour la Syrie en janvier. 3 de
ses élèves de salle de musculation sont également en Syrie. Majd
N.,
parti lui dès 2011, a également éte tué. Il a peut-être été
exécuté pour avoir été un peu trop critique à l'égard de l'EI.
Récemment, une mosquée de Genève a été pointée du doigt comme
lieu de rencontre de candidats djihadistes. Il y aurait eu deux
départs récents, dont un jeune de 20 ans, catholique converti. |
Valdet G. |