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Claude QUETEL, L'effrayant docteur Petiot. Fou ou coupable ?, Points Crime, Paris, Perrin, 2014, 211 p.

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Claude Quétel, historien français, a dirigé le mémorial de Caen de 1992 à 2005. Plutôt spécialisé dans l'histoire de la psychiatrie et de la psychohistoire, il est depuis 2005 historien "consultant" et auteur d'ouvrages, ou bien conseiller d'édition.

C'est dans la nouvelle collection "Points Crime" de Stéphane Bourgoin que l'historien publie cette nouvelle histoire du docteur Petiot, l'assassin de la rue Lesueur, à Paris, pendant la Seconde Guerre mondiale. Malgré les ouvrages, les BD, et même un film, C. Quétel pense que l'histoire de Petiot n'a jamais été abordée sous l'angle de la folie. Par ailleurs, l'histoire de Petiot reste entourée de zones d'ombre : combien de victimes, des complices ou non, le mode de mise à mort. Petiot a souvent été présenté comme le produit de son époque (l'Occupation). L'historien préfère lui retracer le parcours du docteur depuis son enfance...

Petiot, né en 1897, est le fils d'un fonctionnaire des Postes d'Auxerre. A l'école, Petiot, bien que doué, se signale par des comportements violents. Il est craint de ses autres camarades, il passe bientôt au vol. La mère décédée, le père s'installe à Joigny. En 1914, alors qu'il étudie à Auxerre et loge chez sa grand-mère, une boîte aux lettres est fracturée près du Palais de Justice et sa porte dérobée. Plusieurs autres boîtes aux lettres sont ensuite vidées de leur contenu. La police mène l'enquête et arrête rapidement Petiot. Celui-ci, examiné par des psychiatres, est déjà décrit comme "anormal" puisque le délit a été commis de manière assez gratuite. Avec la Grande Guerre, il  bénéficie d'un non-lieu, mais on le place en résidence surveillée dans une maison de santé à Paris.



Son bac en poche, Petiot prépare des études de médecine. Il s'engage cependant comme simple soldat en janvier 1916. Rejoignant le 89ème régiment de Sens, il monte au front en novembre. Il combat au Chemin des Dames et se retrouve blessé par des éclats de grenade le 20 mai 1917. Il erre dans les hôpitaux militaires ; on perd sa trace puis on le retrouve interné, en février 1918, dans un centre psychiatrique de l'armée près d'Orléans. Après l'armistice, il est encore dans les hôpitaux ; une commission militaire se réunit plusieurs fois pour conclure à sa maladie mentale, alors même que Petiot poursuit ses études et devient médecin en 1921. Le dernier examen en 1927 lui octroie une pension d'invalide à 50%. Est-il vraiment fou ou a-t-il simulé la folie ? Ou bien l'est-il devenu après l'avoir simulé ?

En mars 1922, il s'installe à Villeneuve-sur-Yonne. Très à l'aise, il conquiert rapidement sa clientèle, même si certaines de ses manières gênent un peu la population bourgeoise. Petiot se mêle ensuite de politique : s'engageant à gauche, il entre dans l'équipe du maire sortant, Auguste Milachon. De fil en aiguille, il est élu maire en 1926. Il entreprend de moderniser la commune, alors que l'opposition commence à l'attaquer sur son passé. Des indélicatesses de gestion se font jour, mais Petiot, bien soutenu, est réélu régulièrement. Il se marie en 1927, un fils naît l'année suivante. Toutefois, à partir de 1929, la police enquête sur des larcins qui rejoignent tous le maire. Celui-ci reste cependant inamovible ; véritable proconsul, un journal de Joigny le compare à Mussolini. Après la découverte d'une gestion occulte, de fausses factures, Petiot est finalement débarqué du rôle de maire en 1931 ; mais il réussit à rester conseiller général... et n'est battu aux élections municipales qu'au deuxième tour. Il est néanmoins condamné en 1933 pour vol d'électricité, ayant branché une installation pirate sur le réseau d'approvisionnement de la commune... surtout, on relie des disparitions ou des décès au docteur. Sa bonne Louisette, engagée en 1924, ne sera jamais revue. Le 11 mars 1930, une coopérative laitière est incendiée ; le cadavre de Mme Debove, la femme du gérant, présente des marques de coups à la tête avant l'incendie, une forte somme d'argent a été dérobée.

En septembre 1933, Petiot s'est installé à Paris, rue Caumartin. Comme à son habitude, il vante ses mérites par des prospectus qu'on considèrerait aujourd'hui comme charlatans. Dès novembre 1934, le commissaire Albayez, de la police mobile, enquête sur un trafic de stupéfiants : Petiot ferait un trafic de morphine, et délivre des ordonnances de ce produit à des toxicomanes. Une de ses patientes, Raymonde Hanss, serait décédée suite à une piqûre pour un abcès dentaire. Pourtant Petiot mène une vie qui semble réglée, si l'on excepte une passion frénétique pour les bibelots, les antiquités, et une avarice rapace aux dires de certains témoins parfois peu fiables. Le 12 avril 1936, Petiot se fait prendre en flagrant délit de vol d'un ouvrage à la librairie Gibert. Il explique son geste en évoquant, pour la première fois, ses antécédents psychiatriques. Il est interné d'office en août, mais il demande rapidement à sortir. Réexaminé, l'aréopage de médecins ne nie pas la folie, mais note en revanche que Petiot n'est pas irresponsable sur le plan pénal. Il sort le 20 février 1937.

Jusqu'à la guerre, on sait peu de choses sur la vie de Petiot. Il gagne beaucoup d'argent comme docteur mais son train de vie est modeste. Il collectionne, il achète un immeuble rue de Reuilly, une maison à Auxerre. Il devient le spécialiste des ordonnances de complaisance pour toxicomanes, dans une bonne partie de la ville, fréquente déjà "le milieu". Avec la débâcle de 1940, la police relâche sa surveillance ; on cherche un médecin pour l'état civil du 9ème arrondissement, Petiot se présente ; on est peu regardant vu les circonstances du moment. Petiot continue ses achats frénétiques en vélo ; comme il manque de place, il achète, le 11 août 1941, un hôtel rue Lesueur, dans le 16ème arrondissement. Fin 1941, Petiot fait surélever le mur d'enceinte pour empêcher la vue par les voisins, puis fait aménager un cabinet de consultation, menant sur un couloir qui débouche sur une pièce triangulaire, sans fenêtre, aux murs renforcés. Joachim Guschinow serait sa première victime : Juif polonais, marié à une Française, qui veut quitter la France. Petiot lui propose de le faire contre 25 000 francs. Guschinow quitte son épouse le 2 janvier 1942 et ne sera jamais revu. Petiot rassure sa femme en lui montrant de fausses lettres de son mari venues d'Argentine, technique qu'il utilisera constamment (les lettres semblent des faux, ou écrits sous la contrainte, mais on ne saura jamais le fin mot de l'histoire). Les deux victimes suivantes sont des témoins du trafic de stupéfiants de Petiot : van Bever et Marthe Khayt, qui disparaissent en mars 1942. Petiot est condamné pour les deux affaires en mai, mais s'en tire avec une amende, défendu pour la première fois par Floriot, avocat qui le suivra jusqu'au procès final. En juin, c'est Nelly Hotin, une femme venue se faire avorter probablement, qui disparaît, puis le docteur juif Braunberger qui cherchait lui aussi à quitter la France. Petiot raffine sa méthode : il recrute deux rabatteurs, Fourrier et Pintard, se présente comme le docteur Eugène, chef d'un réseau clandestin de passage en zone sud. La famille Kneller, les deux époux et leur fils de 8 ans, qui ont échappé à la rafle du Vel'd'Hiv', sauvés par une Française, sont les premières victimes de la nouvelle organisation en juillet 1942. Petiot liquide aussi des clients qui semblent plus dangereux : 2 souteneurs, Joseph Réocreux et François Albertini, et 3 de leurs prostituées qui les accompagnaient, en août. En mars 1943, il s'agit d'un criminel condamné pour meurtre, Joseph Piereschi, de son comparse Adrien Estébétéguy et de leurs compagnes. Dès novembre 1942, Petiot a recruté une autre rabatteuse : Eryane Kahane, juive d'origine roumaine, vaguement infirmière. En décembre, elle ramène les époux Wolff et la mère du mari, Juifs allemands réfugiés en France cachés dans son immeuble sous une fausse identité. Des amis des époux Wolff, les Basch, disparaissent aussi avec leurs parents respectifs. Les époux Cadoret (la femme est juive polonaise) se méfient : la femme en particulier redoute Petiot et a peur des vaccinations que celui-ci prétend faire pour le voyage... ils ne partent pas. D'autres personnes prétendent plus tard avoir échappé à Petiot après l'avoir contacté. Le docteur, lui, continue d'accumuler aussi les vols, sans aucune discrétion.

Depuis novembre 1942, avec l'invasion de la zone libre, toute la France est occupée par les Allemands. La Gestapo parisienne commence alors à s'intéresser à la filière du docteur "Eugène". La section 131 des affaires juives, est dirigée par le commissaire Jodkum. Conseillé par Guélin, un collabo, Jodkum recrute Yvan Dreyfus, un Juif détenu en camp de concentration à Compiègne, pour servir d'appât. Mais Petiot sème la filature de la Gestapo : on ne reverra jamais Dreyfus. C'est le docteur Berger, chef de la section 530 chargée de la sécurité des troupes allemandes, qui utilise un ancien prisonnier de guerre français, Beretta, pour piéger d'abord Fourrier, le rabatteur, puis après torture de celui-ci, finit par arrêter Petiot. La Gestapo investit tous les locaux sauf l'hôtel de la rue Lesueur, qui passe inaperçu. Petiot est emprisonnné jusqu'en janvier 1944, torturé : la Gestapo veut avoir du connaissance de la filière d'évasion, mais Petiot ne peut évidemment rien dire... relâché, il part quelques temps à Auxerre, puis revient à Paris dès février 1944.

Petiot a fait transporter par son frère Maurice, d'Auxerre, 400 kg de chaux vive (!) pour "nettoyer" l'hôtel de la rue Lesueur. Le 11 mars 1944, le voisin du 22 prévient qu'une épaisse fumée pestilentielle s'échappe de l'hôtel. La police essaie de trouver le propriétaire ; quand les pompiers rentrent, ils découvrent des restes de cadavres en train de brûler. Petiot se permet le luxe de venir sur les lieux, sans être reconnu, pour se mêler aux policiers et aux pompiers. Le commissaire Massu, as de la brigade criminelle, qui inspire le personnage de Maigret, prend l'enquête en main. Il cherche à retrouver Petiot, qui a disparu ; les corps sont examinés par le docteur Paul, médecin légiste qui avait pratiqué le corps de Bonnot, celui de Jean Jaurès, ou de Paul Doumer.

Massu recueille vite des témoignages accablants : les voisins ont vu les personnes partir avec Petiot, les meubles et les effets entreposés dans l'hôtel, des hurlements ont été entendus. La presse s'en donne à coeur-joie : les collaborationnistes chargent Petiot, qui ne peut être qu'un franc-maçon (sic). Massu retrouve la trace des valises des personnnes disparues, que Petiot a stockées. Les déclarations du frère de Petiot sont plus qu'ambigües.

Petiot se cache chez l'un de ses patients, Georges Redouté, qui croit que Petiot est de la Résistance. Lors de l'insurrection à Paris, Petiot rejoint les barricades, prend le pseudonyme de Valéri, se fait remettre les papiers d'un médecin, Wetterwald, s'engage dans le service de santé du 1er régiment de marche de Paris. Il est à la caserne de Reuilly. Lorsqu'en octobre, un intellectuell, Jacques Yonnet, écrit un article de presse assimilant Petiot à un collaborateur, celui-ci se sent suffisamment confiant pour répondre au journal. Les services spéciaux de la sécurité militaire, après une enquête rapide, l'arrêtent le 31 octobre 1944. Petiot prétend être de la Résistance, avoir tué des traîtres et des Allemands, à la tête d'un mystérieux groupe "Fly-Tox" -du nom d'un pulvérisateur d'insecticide...

Outre le contexte de la Libération et de transition, se pose le problème, pour le juge d'instruction, de l'absence de corps. Le juge Goletty ne croit pas un instant à la fable sur la Résistance : Petiot ne peut donner aucun nom ; en outre à défaut de véritable cadavre, les valises, les effets des disparus jouent contre lui. Le dossier est transmis en novembre 1945.

En prison, Petiot écrit un livre, Le Hasard Vaincu, sur les jeux de hasard, qui témoigne de sa personnalité trouble. Il paraît le 18 mars 1946, le jour même de l'ouverture de son procès. Petiot est jugé seul, ses proches ont déjà été acquittés : toute l'attention est focalisée sur lui. Le procès est surmédiatisé, couvert par Frédéric Pottecher pour la Radiodiffusion française. Petiot ne dévie pas de sa ligne de défense ; un juge des parties civiles montre qu'il ne connaît pas le plastic, cet explosif fourni par les Anglais largement utilisé par les résistants. Petiot ne peut donner aucun nom, aucun renseignement sur sa filière d'évasion. On compare son procès à celui des dirigeants nazis à Nuremberg, qui a lieu au même moment. La cour se rend à l'hôtel de la rue Lesueur, sans grand résultat. Les experts débattent de la méthode de mise à mort : gazage après injection de morphine, piqûre létale ? Les corps en tout cas ont été dépecés par quelqu'un pratiquant la médecine.

Le 6 avril 1946, Petiot est reconnu coupable des 27 morts qu'on lui attribue, à la quasi unanimité sur tous les cas. Il est enfermé à la Santé, pendant qu'on remet en état la guillotine, pas utilisée depuis la Libération. Et puis le bourreau, Desfourneaux, pose problème : le 17 juin 1939, l'exécution de Weidmann, autre criminel notoire, a eu lieu en public, avec force éclaboussures de sang. Les exécutions publiques ont été interdites depuis. Pendant l'Occupation, le bourreau exécute des résistants et des communistes aux côtés des condamnés de droit commun, ainsi que la première femme depuis longtemps, en janvier 1943. Certains de ses aides ont démissionné. Pour Desfourneaux, c'est donc l'occasion de se racheter. Petiot passe sur la guillotine le 25 mai 1946, à une époque où l'affaire ne fait déjà plus la une de l'actualité.

La police surveille de près les suites de l'affaire, la femme et le fils de Petiot en particulier. L'argent pris sur les victimes ne sera jamais retrouvé. Dans les années 1990, on fait retirer ses restes du carré des suppliciés au cimetière d'Ivry, sans explication. Par la suite, des BD, un film en 1990, mettent en scène le docteur. On le voit souvent comme un produit de l'Occupation. Un peu comme Landru après la Grande Guerre, d'autant qu'aucun n'a fait des aveux. Petiot, sous la plume de certains auteurs, est devenu un gestapiste, un exécuteur de basses-oeuvres d'un réseau de résistance communiste. Pour l'historien, reste aussi la question de la folie de Petiot. D'après lui, il est évident qu'il aurait pu être arrêté avant, au vu de tous les signes avant-coureurs précédant la période de l'Occupation.

Le travail de C. Quétel se présente surtout comme une synthèse sur le docteur Petiot, basée sur quelques sources (récapitulées en une seule page, dont 3 témoignages) et des travaux secondaires assez hétéroclites, pour beaucoup anciens, où l'on trouve un peu de tout (sur une page et demi seulement). Fort utile sans aucun doute pour les lecteurs comme moi qui veulent découvrir le sujet ; pour ceux qui ont déjà une bonne connaissance de l'affaire, à part l'approche sur la folie (qui n'est peut-être pas aussi développée que l'on pouvait l'escompter, sauf en conclusion), je pense qu'ils n'apprendront rien de neuf.

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