Merci à Mathieu Morant pour l'identification des matériels et à https://twitter.com/green_lemonnn?lang=fr pour la traduction des textes en arabe.
La
ville d'al-Qaryatayn fait partie de la province de Homs. C'est une
oasis du désert syrien. Palmyre est proche au nord-est, tandis que
la partie nord-est du Qalamoun, avec al-Nabek, se trouve au sud-ouest
de la localité. Celle-ci comptait probablement 15 000 habitants au
début de la révolution syrienne, majoritairement des sunnites et
des chrétiens.
Depuis
le déclenchement du conflit en 2011, al-Qaryatayn avait été
relativement épargnée par les combats. Mais elle dispose d'une
position stratégique : le régime contrôle l'essentiel de la
grande autouroute M5 reliant Damas à Homs, plus au nord. Une autre
artère (la route 7) passe par al-Qaryatayn et permet, par une route parallèle à
l'est, de rejoindre également Homs (rout 3), au nord-ouest, ou Palmyre, au
nord-est. C'est pourquoi le régime ou les rebelles ont utilisé
cette route pour acheminer des troupes ou du ravitaillement.
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Vue satellite d'al-Qaryatayn. |
La
ville est néanmoins occupée par les forces du régime. En mai 2015,
profitant du redéploiement d'une partie des troupes loyalistes en
direction de la province d'Idlib, où les rebelles syriens ont
multiplié les succès depuis deux mois, l'Etat Islamique lance une
offensive en direction de Palmyre. A la fin du mois, malgré les
contre-attaques du régime, l'Etat Islamique s'empare de Palmyre et
continue de progresser vers l'ouest.
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Situation dans la région est de Homs après la prise de Palmyre par l'EI-Source : https://twitter.com/archicivilians?lang=fr |
La
position du régime à l'ouest de Palmyre est alors particulièrement
critique car elle prend la forme d'un saillant entouré par l'Etat
Islamique sur trois côtés, à l'est, au nord et au sud. L'EI est en
position pour s'emparer de la base aérienne de Tiyas, du champ
gazier de Shaer (pris par l'EI en juillet 2014, puis repris par les
loyalistes ; réinvesti fin octobre 2014 par l'EI, puis repris
par les loyalistes début novembre). Surtout, en avançant plus à
l'ouest, l'EI serait en mesure de gêner les communications du régime
entre Damas et Homs et de s'approcher de la capitale syrienne.
C'est
pourquoi dès le 8 juillet 2015, le régime, avec les Forces
Nationales de Défense, mais aussi des unités régulières comme la
fameuse brigade « Tigre » du colonel Hassan,
soutenue par le Hezbollah tente de reprendre la ville de Palmyre à
l'EI. Les combats sont furieux mais chaque camp marque le pas :
le régime ne parvient pas à remettre la main sur la cité antique,
tandis que l'EI n'arrive pas non plus à progresser plus à l'ouest.
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Situation au 5 août 2015, jour de la prise d'al-Qaryatayn par l'EI-Source : https://twitter.com/PetoLucem?lang=fr |
L'EI
choisit donc d'attaquer par le sud du saillant, à al-Qaryatayn,
secteur probablement moins bien défendu, et qui en outre présente
l'avantage pour l'EI de pouvoir faire la jonction avec ses forces
stationnées dans l'est du Qalamoun. L'Etat Islamique a réussi, tant
bien que mal, à s'implanter dans la province de Damas, où il a dû
faire face à l'hostilité des autres groupes rebelles en
particulier. Après s'être implanté dans le sud de Damas dès
février 2014,
il a dû soutenir de violents combats dès avant la proclamation de
l'Etat Islamique en juin 2014, mais a réussi à rallier des
partisans dans le Qalamoun, tout en étant durement pressé par Jaysh
al-Islam, le mouvement de Zahran Alloush qui est la formation rebelle
la plus puissante de la région.
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Source : ISW. |
Une
vidéo publiée récemment par l'Etat Islamique montre l'opération
ayant mené à la capture d'al-Qaryatayn, le 5 août 2015. Elle est
baptisée « Le raid d'Abū Ḥasān al-Khatha’mī :
la libération d'al-Qaryatayn-Wilayat Dimashq ».
Ce document permet, encore une fois, d'avoir un aperçu des tactiques
militaires employées par l'Etat Islamique.
La
conquête d'al-Qaraytayn
La
vidéo de l'Etat Islamique, comme de coutume, est remarquablement
bien montée, produite dans un délai de vingt jours maximum après
l'événement. Une carte de situation et un zoom permettent de situer
al-Qaryatayn.
La
première scène, assez classique, montre un sermon avant la
bataille. Autour du prêcheur, on distingue une trentaine de
combattants, pour la plupart armés d'AK-47. L'un d'entre eux au
moins dispose d'un M-16 américain, un autre porte un RPG-7. On
remarque au moins 3 hommes équipés de caméras numériques filmant
la scène sous différents angles, ce qui montre le souci évident
porté à la publicité des opérations.
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Prêche avant la bataille. On reverra l'homme barbu au centre à la fin de la vidéo, sur un T-62 de prise. |
Les
hommes se dirigent ensuite vers les véhicules. On remarque un
combattant transportant un fusil de précision SVD Dragunov dans un
étui. Outre au moins 4 pick-up mobilisés pour le transport, on note
la présence d'un Humvee capturé sur l'armée irakienne et
rapatrié en Syrie.
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Au centre, un homme avec SVD Dragunov dans son étui. |
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Embarquement sur pick-up. |
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Un Humvee pris à l'armée irakienne utilisé par l'EI en Syrie. |
L'assaut
sur al-Qaraytayn se fait dans trois directions différentes. Selon un
schéma désormais connu, l'EI lance 3 kamikazes sur véhicule pour
oblitérer 3 checkpoints du régime gardant les abords de la
localité : un au nord-est, un au sud-ouest et enfin un au
sud-est. Le premier kamikaze, qui lance son engin suicide sur le
checkpoint au nord-est, est appelé Abu hafiz al Tunisi, ce
qui en fait probablement un Tunisien. C'est le seul des trois qui
fait un discours d'une minute environ devant la caméra. Le deuxième
kamikaze est Abu Faris al Jazrawi, qui est donc probablement un
Saoudien : il jette son véhicule sur un checkpoint au
sud-ouest de la ville. Le dernier kamikaze, Abu Ishaq al Ansari, est
quant à lui vraisemblablement syrien : il attaque une position
au sud-est de la place. Notons qu'à chaque fois, dans la vidéo, une
carte avec point de localisation permet de situer les attaques.
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Abu hafiz al Tunisi, checkpoint nord-est. |
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Abu Faris al Jazrawi, checkpoint sud-ouest. |
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Abu Ishaq al Ansari, checkpoint sud-est. |
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Ci-dessus, les 3 kamikazes dans leurs véhicules et leurs attaques. La carte montre les 3 points d'explosion, dans l'ordre-Carte de l'auteur. |
Après
l'intervention des 3 véhicules suicides, l'EI fait entrer en action
un canon soviétique M46 de 130 mm, récupéré sur le régime
syrien. Les fantassins attaquent ensuite une position du régime qui
semble organisée autour d'un bâtiment. Les combats sont visiblement
assez durs pour en venir à bout, malgré la prière d'un combattant
filmée par le caméraman. Un homme de l'EI est même tué d'un balle
ou d'un éclat en pleine tête.
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Canon M46 de 130 mm en action. |
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Prière pendant le combat. |
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Un homme de l'EI (au centre-droit, en haut) prend une balle ou un éclat en pleine tête. |
Les
combattants de l'EI entrent enfin dans la localité. Comme cela a
déjà été fait précédemment, pour donner encore plus de réalisme
au tournage, une caméra est fixée sur le côté de l'AK-47 d'un
des fantassins, ce qui donne des séquences évidemment esthétiques.
Outre un tir de RPG-7, on peut voir l'intervention d'un technical,
Toyota Land Cruiserarmée
d'un tube KPV de 14,5 mm, tandis que le canon M46 continue son
pilonnage.
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La position du régime a été neutralisée ; les fantassins progressent. |
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Tir au RPG-7 |
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Technical avec KPV de 14,5 mm. |
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Dans la peau d'un AK-47 : technique de propagande. |
L'assaut
ayant commencé au crépuscule, la nuit tombe et le combat se
prolonge de nuit, ce qui là encore ne semble pas poser
particulièrement problème aux hommes de l'Etat Islamique. La scène
de nuit est d'ailleurs filmée en vision nocturne. La ligne de front
est garnie de mitrailleuses PK ; au moins un technical
participe aussi aux échanges de tirs. Les hommes de l'EI pénètrent
dans un bâtiment occupé par l'adversaire. Outre deux cadavres, on
voit aussi un prisonnier dont on ignore le sort final. Un pick-up est
abandonné devant le bâtiment, qui recèle des uniformes de l'armée
loyaliste, qui semblent ceux de l'unité baptisée les Faucons du
Désert,
comme cela est confirmée plus tard par la prise d'un véhicule. Un
combattant de l'EI prend plaisir à fracasser des bouteilles d'alcool
trouvées dans le camp adverse.
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La ligne, derrière un talus, est garnie de mitrailleuses PKM. |
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Technical en action nocturne. |
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Véhicule du régime abandonné. |
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Uniforme capturé ; on reconnaît l'emblème des Faucons du désert (cf ci-dessous),
صقور الصحراء |
Le
jour revient. Le M46 continue de matraquer les positions adverses,
ainsi que le technical armé d'un KPV de 14,5 mm. On peut voir une
bonne quinzaines de corps de soldats loyalistes. L'aviation du régime
intervient : les combattants de l'EI filment un Su-22 en train
de lâcher un projectile sur leurs lignes. Un char T-62 manipulé par
les hommes de l'EI est vu ensuite en train d'ouvrir le feu : il
s'agit probablement d'un véhicule pris sur place et réutilisé tout
de suite, ce qui montre la faculté de l'organisation à se servir du
matériel capturé (car aucun autre char n'est vu précédemment :
l'EI n'en a pas utilisé jusque là durant l'assaut). On peut voir
ensuite 5 cadavres de loyalistes ; un combattant de l'EI montre
ensuite les cartes d'identité des soldats morts, et un emblème
représentant Bachar el-Assad et Hassan Nasrallah, le secrétaire
général du Hezbollah libanais.
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Le M46 toujours en action. |
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KPV 14,5 mm sur technical. |
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Corps de soldats loyalistes. Plusieurs dizaines sont visibles durant la bataille. |
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Un Su-22 de l'aviation du régime intervient en soutien des défenseurs. |
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Un T-62 de prise immédiatement réutilisé par l'EI. |
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Les prises : cartes d'identité des soldats morts, emblèmes du régime... |
Le
butin matériel comprend, visibles à l'intérieur d'un bâtiment,
des caisses remplies d'obus de 115 mm (probablement pour les chars
T-62 que l'on voit capturés, dont celui immédiatement réutilisé)
ainsi qu'un missile antichar Kornetqu'on reconnaît bien dans
la caisse à son nom (9133M-1, version à charge tandem HEAT). A
l'extérieur, on voit également des caisse d'obus de 122 mm pour
obusier D30 soviétique (alors que curieusement, aucune pièce de ce
type n'apparaît dans les images). L'EI capture en revanche une autre
pièce M46 de 130 mm. Au niveau des véhicules, l'EI met la main sur
1 char T-55, 5 chars T-62 (sur lequel se hisse un combattant âgé
visible dans la toute première scène de la vidéo), un
lance-roquettes multiple BM-21 sur camion Ural-375D, un automoteur
antiaérien ZSU 23/4M Shilka, un Toyota Hilux avec le drapeau
syrien peint à l'arrière, un GMC Sierra 2500HD 4x4 transformé en
technical des Faucons du Désert, dont on reconnaît le
camouflage. On peut revoir à la fin de la vidéo le Hummer vu
au début. Les combattants de l'EI s'empressent, après leur
victoire, d'abattre les portraits du dirigeant syrien et les emblèmes
du régime dans la ville. Par rapport au matériel engagé dans
l'assaut par l'EI, le butin est donc plus que conséquent.
Matériels
capturés par l'EI à al-Qaryatayn |
Chars | Véhicules | Artillerie | Munitions |
1 char T-55
(n°188103 )
5 chars T-62 | 1 LRM BM-21 Grad
1 ZSU 23/4M
1 Toyota Hilux
1 GMC
Sierra 2500HD 4x4 des Faucons du Désert | 1 canon M46 de 130
mm | Caisses d'obus de
115 mm (T-62)
Caisses d'obus de
122 mm (obusier D30)
Caisses de
missiles antichars Kornet 9133M-1 |
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Caisse de missile Kornet. |
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Obus de 115 mm pour T-62. |
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Obus de 122 mm pour D30. |
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Le même combattant âgé que pendant le prêche vu sur un T-62 de prise. |
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ZSU 23/4M Shilka |
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T-62 capturé. |
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Un M46 de 130 mm qui viendra s'ajouter à celui utilisé pendant l'attaque... |
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On note la protection improvisée sur ce T-62. |
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Un BM-21 Grad. |
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Un technical des Faucons du Désert, dont on reconnaît le camouflage (cf ci-dessous)
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Un Toyota de prise. |
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Le même Humvee qu'au début de la vidéo. |