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Colette BEAUNE, Jeanne d'Arc. Vérités et légendes, Tempus 421, Paris, Perrin, 2012, 255 p.

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Colette Beaune, spécialiste de Jeanne d'Arc, avait déjà publié un livre faisant autorité sur le sujet en 2004. Pourquoi réécrire un autre livre sur le sujet quatre ans plus tard (le Tempus est une réédition) ? En raison d'un malentendu. Sollicitée par Arte, avec certains de ses collègues français, pour un documentaire sur la Pucelle, Colette Beaune découvre plus tard que la production fait appel aux mythographes et survivalistes (partisans de la survie de Jeanne d'Arc), ce dont elle n'avait pas été prévenue. Les mythes contemporains font aussi partie de l'histoire de Jeanne d'Arc. Ils se développent surtout à partir du XIXème siècle, le siècle de l'histoire de la Pucelle. C'est pourquoi Colette Beaune décide de ne pas laisser le terrain des mythes aux seuls mythographes (!).

En 1429, la guerre fait rage depuis presque 100 ans entre la France et l'Angleterre, alternant phases de trêve et période de conflits. Le royaume de France est alors divisé en trois : les territoires occupés par les Anglais, ceux tenus par le dauphin Charles, et enfin les possessions des Bourguignons. Le duc de Bourgogne, à bien des égards, est le personnage clé du problème, dans ces années 1428-1429 bien incertaines. Jeanne d'Arc, qui naît à Domrémy, territoire dépendant du roi de France, entend des voix dès l'âge de 13 ans. Elle parvient à rencontrer le dauphin en février 1429, à Chinon. La suite est connue : la libération d'Orléans, la victoire de Patay, l'échec devant Paris, la capture devant Compiègne, le procès, le bûcher à Rouen en mai 1431. Le procès de condamnation est cassé en 1456 par le procès de réhabilitation mené par Charles VII.



Le mythe de la pauvre bergère a été créé par les Armagnacs. Elle a été proclamée bergère pour des raisons symboliques : les pauvres sont les élus de Dieu. En réalité, Jeanne est issue d'une famille de paysans plutôt aisés, ce qui reste relativement banal dans le royaume de France. Sa famille n'a jamais été noble non plus.

Le mythe de la fille cachée du roi naît au début du XIXème siècle. Pierre Caze, sous-préfet de Bergerac sous Napoléon, en est l'auteur. Le Moyen Age connaît ces situations : on a beaucoup jasé sur Jean le Posthume, fils de Louis X en 1316. Les bâtards, dans la noblesse, sont relativement bien acceptés, ce qui n'est pas le cas dans les couches populaires. Certains accèdent même au trône (en Castille par exemple). Les documents officiels contredisent la théorie d'une Jeanne d'Arc fille d'Isabeau de Bavière et de Charles VI... ou de Louis d'Orléans, car on glose, aussi, beaucoup sur la paternité de Charles VII. D'ailleurs, le bébé auquel on fait correspondre Jeanne d'Arc était un garçon (!). En réalité, Jeanne se voit comme la fille de Dieu, et rien d'autre.

Jeanne a été considérée par une prophétesse dans le camp royal. Elle s'inscrit dans le mouvement prophétique bien connu des années 1350-1450. Les rois de France, au début de la guerre de Cent, n'en tiennent d'ailleurs pas beaucoup compte. C'est avec la folie de Charles VI qu'on y prête une oreille plus attentive. Jeanne avait été "annoncée" par une devancière, Marie Robine. Elle fait craquer toutes les limites du modèle. Le camp royal l'a fait pourtant examiner de près, et les théologiens de Poitiers sont à demi-convaincu : ils attendent les signes du prophète... les 6 mois de victoires de 1429 les apportents, mais le procès de condamnation cherchera à montrer que Jeanne était une fausse prophétesse. Le procès de réhabilitation aura la tâche plus facile car toutes ses prédictions (sauf la croisade) se sont réalisées...

Les voix de Jeanne ont posé problème, y compris aux Armagnacs. C'est ce qui fait tiquer les théologiens de Poitiers. Les juges du procès de condamnation s'en servent pour discréditer Jeanne, qui doit pour la première fois nommer les voix (un saint et deux saintes). Michel d'abord, puis Catherine d'Alexandrie et Catherine d'Antioche. Au XIXème siècle, le débat fait rage sur la question des voix. Des médecins, des psychiatres, proposent des hypothèses parfois risibles (comme celle de la tuberculose contractée en gardant les troupeaux, qui aurait provoqué des lésions au cerveau et donc les visions). C'est pourquoi on fit des voix une supercherie, en se basant sur les textes parlant des Anglais observant Jeanne d'Arc par des trous secrets, dans sa cellule.

Rapidement, on fait de l'intervention de Jeanne d'Arc une manipulation. A l'hypothèse des Bourguignons (Baudricourt orchestre localement l'affaire) succède celle de Yolande d'Aragon à la fin du XIXème siècle, puis le complot généralisé au XXème siècle. Cette dernière hypothèse se base sur une "internationale franciscaine", favorisée par la maison d'Anjou, et dont Jeanne aurait fait partie. Jeanne aurait été formée par Colette de Corbie à Domrémy.

En sens inverse, certains mythographes et historiens minimisent le rôle de la Pucelle, en particulier au moment de la béatification et de la canonisation : elle n'aurait rien fait ou presque. En réalité, son rôle est décisif pour dégager Orléans, assiégée depuis octobre 1428, et dont la situation est devenue difficile en mai 1429. C'est elle, obsédée par le sacre, qui pousse le dauphin Charles à partir se faire sacrer à Reims, ce qui va bouleverser le rapport de forces, progressivement. Jeanne n'est pas morte pour la patrie : elle s'est sacrifiée, comme le Christ, pour le salut du royaume, selon ses contemporains.

Pour certains Armagnacs, la Pucelle avait été trahie. Les Bourguignons n'en disent mot. Le XIXème siècle, là encore, connaît une dispute acharnée sur le thème. Après l'assassinat du duc d'Orléans, les Bourguignons font figure de traître en puissance. Jeanne elle-même a souvent dit qu'elle ne vivrait pas longtemps. Pour autant, Guillaume de Flavy, le capitaine de Compiègne, ne semble pas l'avoir trahie. Le mythe se construit en raison de son assassinat horrible pour des motifs conjuguaux, où Charles VII pardonne facilement aux meurtriers. Sont-ce alors les capitaines de l'armée, ou le roi ? Ce dernier n'a pas fait grand chose pour elle, sans qu'il faille parler forcément de trahison. La victoire du roi sur les Anglais dissipe d'ailleurs les rumeurs, même si on prend prétexte de la mort des juges de Jeanne pour y voir une punition divine. Et Charles VII se rachète avec le procès de réhabilitation, qui le concerne aussi il est vrai.

Jeanne, putain ou sorcière ? C'est ce que s'acharne à prouver le camp ango-bourguignon, en faisant commencer le processus très tôt, dès Domrémy. Prostituée, ou même lesbienne, comme on l'a affirmé au XIXème siècle. Les juges du procès de condamnation insistent sur l'épisode de la fréquentation de l'Arbre aux Fées, à Domrémy, et sur des objets (anneau, étendard) qui auraient permis à Jeanne de lancer des sorts. Les juges pensent que Jeanne est une devineresse, mais ne peuvent prouver l'association avec le diable. Ils vont donc rechercher l'accusation d'hérésie, non de sorcellerie.

Pour certains, aucune doute : Jeanne n'a pas brûlé sur le bûcher. Elle aurait même eu droit à certains égards en prison, de la part des Anglais, ce qui ne se vérifie pas. Certes pas mise en cage, les conditions de détention restent spartiates. Elle est jugée par la faculté de théologie de Paris, par des Français, donc, et non des Anglais. Ceux-ci l'auraient fait disparaître en raison de son origine royale, selon les mythographes. Les témoins, nombreux sur la place du Vieux-Marché, n'ont pas parlé de substitution. Les Anglais, pour certains épouvantés, se hâtent cependant de faire la publicité de l'événement. L'idée que Jeanne a survécu naît dès l'époque, en Lorraine, sur la Loire, et se diffuse dans le royaume.

Les impostures abondent à la fin du Moyen Age. Certains Armagnacs sont mécontents du traité d'Arras passé avec le duc de Bourgogne. Le moment est donc favorable pour Claude des Armoises, la nouvelle Jeanne, pourtant guerrière et au comportement bien différent, qui se fait passer pour la Pucelle. Elle s'intègre dans le jeu politique de principautés du Saint-Empire, est reconnue par des personnages importants de l'épisode Jeanne d'Arc (complices ou non, on ne peut le savoir), finit par se marier (!) à Robert des Armoises, un pauvre chevalier. Elle est accueillie à Orléans au moins deux fois, reconnue par Gilles de Rais (avant son exécution), mais finit par être démasquée lors de sa rencontre avec le roi en 1440, où elle dénonce la supercherie. Elle réapparaît plus tard près de Domrémy. Ce ne sera d'ailleurs pas le seul exemple de "fausse Pucelle".

Le corps de Jeanne déchaîne aussi les passions. Il a existé plusieurs portraits de la Pucelle, de son temps, mais ils ont été perdus. Restent les miniatures et autres documents. Les mythographes recherchent ardemment une urne contenant les cendres ; les survivalistes la tombe de la dame des Armoises, qu'ils ont cru trouver un temps au château de Jaulny, lié à la famille en question. Ce fut ensuite Puligne-sur-Madon, et enfin Cléry, sépulture de Louis XI, avec le renfort d'un spécialiste ukrainien (!) de la reconstruction faciale, Gorbenko. Les analyses ADN, sur de supposés restes, se sont révélées tout aussi infructueuses.

Jeanne et Claude se ressemblent néanmoins, en ne respectant pas la condition féminine de leur époque. Elles quittent le foyer familial, ne se marient pas. Elles n'ont pas eu de descendance, même si le cas de Claude reste problématique. Elles portent l'habit d'homme et les vêtements des guerriers masculins. Elles parlent en public, Jeanne dans son rôle de prophétesse, plus facilement accepté.

Les mythographes, selon l'historienne, ne peuvent accepter qu'une femme, jeune, issue du peuple, ait joué un tel rôle, dès le XIXème siècle. Leurs récits comportent beaucoup de femmes "mauvaises" et peu de bonnes. Un mythe très conservateur, donc, qui fournit des réponses simples aux interrogations qui pèsent sur le parcours de la Pucelle, justifiant toutes les théories du complot.



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