Hubert Védrine a toujours été un proche de François Mitterrand, de par son père d'abord et ensuite directement, dans l'opposition puis au pouvoir après 1981. On se souvient de lui comme le ministre des Affaires Etrangères du gouvernement Jospin pendant la troisième cohabitation de la Vème République. Il préside l'Institut François Mitterrand depuis 2003. Difficile, au vu de ce parcours, de présenter un récit objectif d'un des grands personnages de la Vème République. Mais Hubert Védrine s'en sort relativement bien, malgré quelques silences significatifs...
Enfant de la Saintonge et de l'Aquitaine, François Mitterrand vit une enfance heureuse, pour l'époque, dans un milieu plutôt rural auquel il restera toujours profondément attaché par nostalgie. Elevé dans un milieu catholique conservateur, il reste fidèle à cette tradition pendant longtemps, et ce dès sa montée sur Paris comme étudiant en 1934. Ce qui ne l'empêche pas de déplorer la montée du nazisme en Allemagne. Mobilisé, fait prisonnier pendant la campagne de France, Mitterrand réussit à s'évader au bout de trois tentatives en décembre 1941. Encore maréchaliste, comme bon nombre de Français, il gagne ensuite Vichy pour avoir une situation. Mais il finit par rejoindre la Résistance dès 1942, tout en menant un double-jeu délicat qui lui vaut d'être décoré de la francisque par Pétain. Obligé de partir en Angleterre en novembre 1943, il rencontre De Gaulleà Alger -moment houleux- puis regagne la France occupée en février 1944. Il participe à la fusion des mouvements de résistance des anciens prisonniers de guerre. A la Libération, pourtant, il refuse les fonctions qu'on lui propose : il n'entre véritablement en politique qu'en 1946. En janvier 1947, après avoir rejoint l'UDSR, il est choisi comme ministre des Anciens Combattants par le président du Conseil Paul Ramadier.
Dès 1954-1955, il est pressenti comme possible président du Conseil lui-même, mais cela n'arrivera pas en raison de l'expérience algérienne. Il occupe néanmoins des fonctions importantes, notamment à l'Outre-Mer, où il préfigure la loi-cadre de Defferre adoptée en 1956. C'est aussi à ce moment-là qu'il s'implante dans la Nièvre, son territoire d'élection, en tirant sur la gauche après s'y être présenté, au début, plutôt à droite. Ministre de l'Intérieur de Pierre Mendès-France en 1954, et alors que commence la crise algérienne, Mitterrand semble se rallier au discours classique de la classe politique de la IVème République, contrairement à ce qu'avance Hubert Védrine -peut-être une des seules faiblesses du propos. On le voit bien en 1956 quand, garde des Sceaux de Guy Mollet, il signe le décret sur la justice militaire en Algérie. En 1958, avec l'avènement de la Vème République, il s'engage dans l'opposition à De Gaulle. Mis en difficulté dans la Nièvre, il parvient à rebondir. C'est en 1965, en mettant en ballotage le général à l'élection présidentielle, que Mitterrand crée la surprise et incarne la direction de la gauche française.
Mitterrand doit alors réussir son pari, l'union de la gauche, des centristes aux communistes. Entouré d'un groupe d'amis, sa stratégie semble fonctionner aux législatives de 1967. L'ouragan de mai 1968 balaye cette progression et, logiquement, Mitterrand choisit de ne pas se présenter en 1969. Pour accomplir son oeuvre, il réussit, au congrès d'Epinay de 1972, à prendre le contrôle du parti alors qu'il n'en était même pas membre auparavant ! La SFIO devient le PS. C'est lui qui fait adopter l'emblème de la rose et du poing et le slogan "Changer la vie" pour les élections de 1973. Il cherche ensuite à établir un programme commun avec les communistes. Battu une nouvelle en 1974 par Giscard, Mitterrand ne désarme pas et devient la figure de ralliement de la gauche aux élections de 1981. Année où le 10 mai, il est enfin élu président de la République.
Mitterrand veut réformer, et vite. Mais la crise économique rattrape les socialistes au pouvoir. Le président se sait aussi, cette année-là, atteint d'un cancer qu'il va dissimuler pendant dix ans. Pourtant, dès 1982, Mitterrand doit abandonner ses ambitions de changement pour la rigueur et afin de maintenir la France dans la CEE : la sociale-démocratie s'impose. Fabius a remplacé Mauroy comme Premier Ministre en 1984. Deux ans plus tard, la droite remporte les législatives : c'est la première cohabitation, et le FN réalise une première percée qui le fait entrer à l'Assemblée. Pour désamorcer les tensions, Mitterrand se rapproche d'Helmut Kohl, de Thatcher, de Reagan, s'aligne sur l'OTAN contre la menace des SS-20 mais apprécie déjà Gorbatchev. Bien que souhaitant maintenir un lien privilégie avec les pays arabes, il est en bons termes avec Israël et plus souple avec les Anglo-Saxons que ne l'était De Gaulle. En 1988, il remporte à nouveau l'élection présidentielle contre Jacques Chirac.
Mitterrand lance un nouveau train de réformes avec son Premier Ministre Michel Rocard, sérieux opposant du PS. Il règle aussi la question de la Nouvelle-Calédonie, éminemment complexe. Mais le parti se déchire en 1990 au congrès de Rennes, devant les ambitions de Michel Rocard et celles, déçues, de Lionel Jospin, face au dauphin désigné, Laurent Fabius. Mitterrand gère cependant très bien la chute de l'URSS et la réunification de l'Allemagne, tout comme la guerre du Golfe : échaudé par les reculades des années 30, il a toujours réagi vivement aux invasions militaires. En revanche, il doit suivre contraint et forcé la dislocation de l'ex-Yougoslavie à laquelle il n'était pas favorable, contrairement au voisin allemand. Son voyage éclair à Sarajevo en juin 1992, en plein milieu du siège, a marqué les esprits. Il a moins de réussite avec ses Premiers Ministres : Edith Cresson, première femme à ce poste, rapidement mise hors-jeu, et Pierre Bérégovoy, dont le suicide reste un épisode sombre de la geste mitterrandienne. La seconde cohabitation, à partir de 1993, est marquée par la révélation du passé vychistes de Mitterrand à la publication du livre écrit par Pierre Péan. Un passé dont tout le monde avait connaissance sous la IVème République et qui était fréquemment utilisé par ses adversaires, mais que tout le monde avait oublié depuis. Survient également l'épisode tragique du Rwanda, où le rôle du gouvernement français est au mieux ambigu -ce qu'Hubert Védrine ne met pas beaucoup en lumière... Cette même année 1994, le public prend connaissance de l'existence de sa fille Mazarine. Avant l'élection de 1995, il faut inaugurer, déjà bien diminué par la maladie, la BNF. Jacques Chirac est élu président.
Mitterrand succombe le 8 janvier 1996. Lionel Jospin, dont la relation à l'ancien président est compliquée, prend la suite au PS. Celui-ci est devenu un grand parti de gouvernement mais manque, après Mitterrand, d'une vision aussi inspirée et de l'habileté manoeuvrière qui étaient le génie du personnage pour les temps nouveaux. Il a laissé un souvenir vivace à ses partisans comme à ses adversaires, et chez les chefs d'Etat étrangers qu'il a côtoyés. Son rôle pendant la guerre d'Algérie et le génocide rwandais restent sans doute les deux seules polémiques encore vives aujourd'hui. Aujourd'hui, les Français placent Mitterrand parmi les grands personnages de la Vème République, juste après De Gaulle : un roi républicain dont la vie a épousé celle des Français.
Les textes fournis en annexe sont plutôt élogieux à l'égard de Mitterrand, même si l'auteur insère les remarques de ses adversaires. Si l'ensemble est correct, il demeure le fait que le livre est écrit par un ancien proche du président, ce qui se voit immédiatement. Hubert Védrine a pris soin, à tort ou à raison, de ne pas trop insister sur les sujets qui fâchent, du moins les plus contestés.