Vincent Bernard, auteur dans la presse spécialisée (éditions Caraktère, etc), qui tient le blog Le Cliophage, signe cette année, en plus d'une première biographie française de Robert E. Lee, ce petit volume dédié aux poilus du sud-ouest. Plus précisément ceux de la XVIIIème région militaire, qui formera en temps de guerre le 18ème corps d'armée. Sur 406 000 hommes partis, 63 000 sont restés sur les champs de bataille de la Grande Guerre. Le format et l'intention de l'auteur se résument à une évocation, assez rapide, du parcours de ces poilus du sud-ouest, peu connu d'après lui.
Le propos se divise en six chapitres. Dans le premier, Vincent Bernard rappelle bien à propos l'organisation de l'armée française en 1914, ce qui n'est finalement pas un mal pour bien comprendre la contribution des poilus du sud-ouest. Même si la reconstruction de l'armée française depuis 1870 aurait pu, p.19-22, se faire à la suite dans le texte et non pas peut-être comme un catalogue de dates. De même que le lexique des unités militaires, p.26-28, aurait pu être reporté en annexe. On voit aussi apparaître un problème fréquent dans ce genre de petits ouvrages : l'absence d'apparat critique. Des notes permettraient de renvoyer, ponctuellement, vers les références citées en bibliographie, pour prolonger tel ou tel aspect qui n'est ici qu'évoqué succinctement, justement, ou renvoyer à des travaux plus savants dépassant la simple évocation.
Le deuxième chapitre s'intéresse à la définition de ce que sont les poilus du sud-ouest. Un "grand Sud-Ouest", en vérité, puisque les XIIème, XVIème et XVIIème régions de corps d'armée s'étalent de la Charente à la Creuse en passant par l'Aude et le Tarn pour arriver au Lot-et-Garonne et jusqu'aux Pyrénées-Orientales. Suit la présentation détaillée, toujours un peu fastidieuse à la lecture, du 18ème corps d'armée et de ses subdivisions fournis par la XVIIIème région militaire. Vincent Bernard n'oublie pas les cavaliers, les artilleurs, la Coloniale et même l'aviation. D'ailleurs l'encadré en double page sur l'arrivée de la Coloniale à Bordeaux (p.52-53) aurait pu figurer dans le texte, et non pas sous cette forme. Les réservistes ne sont pas omis, tout comme la territoriale.
Le troisième chapitre décrit le départ des soldats en 1914. C'est l'un des plus intéressants, notamment parce qu'il emprunte beaucoup à des témoignages d'époque (là encore l'encadré sur la loi du 5 août 1914, p.63, ne pouvait-il pas figurer dans le texte ?). Le tableau sur l'enchaînement des déclarations de guerre et des mobilisations en revanche trouve davantage sa place dans le fil du chapitre (p.69-70).
Le quatrième chapitre revient sur les combats de 1914. Les soldats du sud-ouest, dont les premiers engagés au front ont été les cavaliers, se font décimer le 23 août 1914 lors des premiers combats en Lorraine. Placé sur le flanc gauche, le 18ème corps d'armée, sous l'autorité de Lanrezac, contre-attaque à Guise pour freiner la progression des Allemands. Terribles combats avant la retraite. Le corps participe à la bataille de la Marne puis à l'avance jusqu'à l'Aisne, là encore au prix de pertes sensibles. Vincent Bernard a manifestement tenu à consacrer un chapitre entier aux soldats tombés en 1914, dont l'été a été le plus meurtrier de toute la guerre -cf l'exemple du 49ème RI p.108. En volume, le morceau 1914 est le plus gros du livre.
Le cinquième chapitre revient sur la guerre de tranchées. Les faits sont connus, mais illustrés ici par l'exemple des poilus du Sud-Ouest (par exemple sur les fraternisations de Noël, qui n'existent pas trop dans leur cas). Les poilus trompent l'attente entre deux combats par l'artisanat de tranchée, le courrier. Vincent Bernard décrit la rancoeur contre les embusqués, en particulier dans l'infanterie : néanmoins cette rancoeur s'accompagne de l'envie secrète d'en faire partie, comme le rappelle l'historien A. Loez dans ses 100 mots de la Grande Guerre. C'est peut-être dans ces passages moins descriptifs et qui s'approchent de l'analyse que manquent le plus les notes qui renverraient vers tel ou tel ouvrage, ou article, pour indiquer des références sûres. De la même façon, quand l'auteur évoque l'affaiblissement de la logique de recrutement régional, la fusion de la réserve et de l'active, et le "brassage" social qui s'effectuerait alors, on pourrait y mettre un bémol, en citant la même source que tout à l'heure.
Le dernier chapitre décrit plus rapidement le parcours vers la victoire. Au moins 12 régiments du sud-ouest "tournent"à Verdun, surtout jusqu'au mois de mai 1916. Les poilus du sud-ouest participent aussi à l'offensive du Chemin des Dames d'avril 1917, qu'ils connaissent bien pour y avoir stationné en 1915. C'est cette dernière offensive, ratée, qui entraînent les mutineries, passage où là encore quelques notes auraient été bien utiles, puisque Vincent Bernard ne veut pas rentrer dans les "polémiques" (p.145) de ces dernières années sur le sujet. Les poilus du sud-ouest connaissent les troubles, et comptent quelques fusillés. Ils subissent de plein fouet les offensives allemandes du printemps 1918, avant l'arrivée massive des Américains -qui débarquent entre autres à Bordeaux. Et vient la victoire, l'armistice du 11 novembre 1918. Le Sud-Ouest, qui a mobilisé environ 20% de sa population, en a perdu 63 000, ce qui n'est pas sans conséquences démographiques, et même géogaphiques, puisque c'est alors que La Rochelle prend le pas sur Rochefort.
Comme il l'indique en bibliographie, Vincent Bernard a surtout utilisé, pour son petit ouvrage, des témoignages d'époque, les journaux de marche des opérations et historiques d'unité, ce qui explique le caractère très descriptif du livre. Quant aux références solides, certaines y sont aussi : Bach, Becker, Cazals, Cochet, Le Naour, Offenstadt pour ne citer que les plus connues. De même qu'apparaissent dans la sitographie des sites visibles, le CRID, le Chtimiste (mais pas l'Historial de Péronne ?). Le tout est également illustré d'un livret cental court mais bien présent, et par quelques cartes d'époque disséminées au fil du texte (ce qui est appréciable, pour suivre les mouvements). Le contrat est rempli : le travail constitue une évocation, plus ou moins détaillée (plus pour la période de l'été 1914, moins pour le reste de la guerre, notamment après la diminution de la logique régionale de recrutement, même si des passages comme Verdun reviennent un peu à ce qui été fait pour l'été 1914), du parcours des poilus du sud-ouest, une bonne base de départ pour le lecteur qui part de rien ou presque (comme moi). On regrette peut-être l'absence d'un apparat critique qui permettrait d'éviter les raccourcis dans le texte et d'aller un peu plus loin que la simple description tirée des témoignages bruts ou des historiques d'unités, ces fameuses "études historiques classiques et exhaustives consécutives à des années de recherche" que l'auteur cite en introduction. Et qui sont le fait d'historiens à proprement parler. Vincent Bernard, probablement faute de place, se concentre surtout sur le parcours des poilus du sud-ouest en 1914, sans le plus emblématique "régionalement" parlant.