Robert Buijtenhuijs, mort en 2004, était un africaniste néerlandais. Chercheur à l'Afrika Studiecentrum de Leyde, il est particulièrement connu pour ses travaux sur les conflits au Tchad depuis l'indépendance, qui sont pour ainsi dire devenus incontournables à toute personne s'intéressant au sujet. Buijtenhuijs a également beaucoup publié dans la revue Politique Africaine.
Le livre fait suite à un autre, chronologiquement parlant, celui sur les révoltes populaires au Tchad (1965-1976), et analyse la prise de pouvoir par le Frolinat, qui a grandement déçu l'auteur, comme il le dit lui-même dans l'introduction : le mouvement n'a pas tenu ses promesses. Il y a aussi le problème des sources, toujours difficile quand on évoque un conflit contemporain de l'écriture. 1977 marque une rupture avec l'internationalisation du conflit tchadien et la séparation de plus en plus nette entre le Nord et le Sud du pays. Dans une première partie, l'auteur revient sur la conquête du pouvoir par le Frolinat, puis décrit dans une deuxième partie l'exercice du pouvoir jusqu'en 1984. Dans la dernière partie, il dissèque le Frolinat pour montrer l'échec d'une expérience révolutionnaire.
Les premières rébellions du Tchad indépendant commencent en 1965 et aboutissent à la création du Frolinat en juin 1966. Le nord et le sud du pays s'opposent géographiquement et climatiquement, et de par leur histoire politique. La colonisation bouleverse la situation en offrant des opportunités et en développant économiquement le sud (dont la structure sociale est également modifiée avec la création des chefs de canton), jusqu'ici dominé par le nord. C'est pourquoi le réveil politique, avec le PPT, naît au sud, et que le nord reste en arrière. Le Frolinat est dès le départ, divisé : en 1976, il compte encore pas moins de 5 tendances, et stagne, même si la 2ème armée du Tibesti est en meilleure position que les autres. La situation change en janvier 1977 : la libération des Claustre, otages du Frolinat, montre le soutien libyen à Goukou Oueddeï, qui passe à l'offensive contre les forces gouvernementales du général Malloum. Ce dernier tente de se rallier Hissène Habré, qui a rompu avec Oueddeï en 1976. En janvier 1978, Oueddeï relance son offensive, réunissant apparemment tous les courants de la rébellion ou presque, mais ce n'est qu'une façade, alors qu'apparaît une 3ème armée du Frolinat soutenue par le Nigéria. En revanche le Frolinat se fait suffisamment menaçant pour que la France décide d'intervenir, avec l'opération Tacaud. Ahmat Acyl, plutôt pro-libyen, affirme sa présence lors des combats qui s'ensuivent. Hissène Habré, devenu Premier Ministre de Malloum, en profite pour se placer dans l'échiquier politique tchadien. En février 1979, jouant de la carte musulmane, il déclenche les hostilités à N'Djamena. Les FAN l'emportent, de par leurs qualités et les faiblesses de leur adversaire, mais aussi avec la bienveillance discrète de la France. Le Sud, horrifié par la prise de pouvoir des nordistes, se réfugie dans un vain désir d'autonomie. Goukouni se détache de la Libye et rallie Habré à N'Djamena, ainsi que la France, à laquelle il demande d'installer une base à Faya-Largeau pour contenir Kadhafi : peine perdue. Le succès des FAN et des FAP est à mettre à l'actif de la valeur des combattants toubous mais aussi du ralliement des élites nordistes à Habré à partir de 1979. Surtout, la Libye de Kadhafi, après avoir mis la main sur la bande d'Aouzou, tente de constituer un Frolinat pro-libyen et fournit de l'armement plus sophistiqué (SA-7, LRM) et des combattants à partir de 1978. Le Soudan, lui, soutient Hissène Habré après sa victoire contre Malloum, car il est le rebelle le plus anti-libyen. La France, après avoir soutenu Malloum, le lâche progressivement pour Hissène Habré et Oueddeï, afin de soutenir des rebelles anti-libyens, tout en essayant de recomposer le pays par la négociation ; cependant certains présupposés français sont erronnés et ne permettent pas d'arriver à ces fins. Le Nigéria intervient d'abord dans l'ombre de la France, puis conduit sa propre politique au Tchad.
La conférence de Kano instaure un partage de fait entre Oueddeï et Habré, le retrait de Malloum, une victoire pour le Nigéria et un recul pour la Libye. Le Sud entre de fait en sécession sous l'autorité du colonel Kamougué, bientôt soutenu par Kadhafi en mal de candidat tchadien. Un nouveau GUNT est alors constitué, alliant Oueddeï et Kamougué, dont Habré est le perdant. La France se retire. Les combats débutent à N'Djamena en mars 1980, opposant Habré aux forces coalisées autour de Oueddeï. Habré est vaincu mais pas anéanti, sans qu'il faille y voir forcément le résultat d'un "accord secret" franco-libyen. En réalité la France cherche surtout à ne pas affronter directement Kadhafi et à promouvoir des éléments tchadiens anti-libyens. La Libye, qui a permis le succès de Oueddeï en intervenant massivement à partir d'octobre 1980, tente de fusionner les deux pays, mais le Frolinat et les sudistes s'en offusquent. Goukouni se rapproche de la France, et son opposition entraîne le retrait des Libyens dès le mois de novembre 1981. L'occupation coûte cher en hommes et en argent, et Kadhafi sent bien que les Tchadiens sont hostiles à sa présence, d'autant que les FAN reprennent l'offensive dans l'est dès l'été 1981. Le GUNT subit une véritable déroute face aux FAN de novembre 1981 à juin 1982, alors qu'il est lâché par les sudistes et ses autres soutiens du Frolinat. Les FAN ont vaincu en raison de la division du GUNT et d'appuis extérieurs (Egypte, Etats-Unis, etc). Habré crée littéralement un Etat-FAN et investit le sud, qui vivait en quasi sécession depuis trois ans. Au printemps 1983 pourtant, les FAN ne peuvent à la fois combattre le GUNT réorganisé au nord par la Libye et une offensive du NIgéria sur le lac Tchad. La chute de Faya-Largeau entraîne un soutien discret de la France, et la reprise de la localité une intervention plus massive de la Libye. La France envoie donc de nouveau ses troupes sur place, après bien des tergiversations ; ce qui l'intéresse est de maintenir l'influence libyenne en dehors du Tchad. Le président Mitterrand tient aussi compte des fractures internes du pays, ce qui n'est pas le cas des Américains, qui envisagent le Tchad comme l'énième lieu de confrontation entre leur puissance et celle des Soviétiques, par Libyens interposés. Le statu-quo installé par l'opération Manta conduit surtout à la mainmise de la Libye sur le nord du Tchad. Cependant, le GUNT s'effrite lui aussi et connaît, comme le Frolinat avant lui, de fortes divisions. En septembre 1984, après l'échec de négociations globales, Français et Libyens concluent un accord de retrait mutuel, mais que ces derniers ne respectent pas. En réalité la France ne veut pas s'engager outre-mesure et semble accepter la partition du Tchad qui s'est installée sur le terrain depuis le déclenchement de Manta. Habré tente de juguler le mécontentement du Sud en créant les FANT, mais les "codos" sudistes rendent la région peu sûre pour le pouvoir fin 1984 et en 1985.
Pour Buijtenhuijs, le GUNT, derrière un discours révolutionnaire, a surtout été préoccupé de son maintien au pouvoir. Le bilan d'Hissène Habré est meilleur, mais depuis 1978, son idéologie tourne autour du nationalisme anti-libyen. La Libye sert de prétexte commode pour évacuer les réformes internes au pays. Le Tchad vit sous la coupe de véritables seigneurs de guerre. Les combattants tiennent une place incomparable : l'Etat, affaibli sous le règne de Tombalbaye, achève de se désintégrer avec la guerre civile de 1979. Seul le sud conserve un semblant d'organisation, sans jamais pouvoir basculer dans la sécession, qui n'aurait jamais été acceptée par les autres Tchadiens et les pays voisins. Le Frolinat échoue car il n'est pas représentatif de l'ensemble du pays, partagé entre de multiples factions. Seules les FAN ont un recrutement plus élargi, alors que le CDR incarne la fracture, étant arabe et majoritairement du centre-est. Ahmat Acyl était cependant moins pro-libyen qu'on ne l'a dit. Les divisions internes au Frolinat ou entre le nord et le sud ne sont pas seulement ethniques ou tribales, mais aussi politiques. D'ailleurs une région comme le Ouaddaï n'a jamais compté de faction rebelle propre, ce qui est intéressant. La Libye, utilisé comme moyen par des factions tchadiennes d'avancer leurs intérêts, va grandement déterminer le cours des événements. Plutôt que de sécuriser sa frontière sud, la Libye cherche plutôt à s'affirmer comme puissance régionale (contre la France) et à annexer des territoires, bande d'Aouzou, voire BET. Le Frolinat n'a jamais trouvé un chef à sa mesure, de Siddick à Oueddeï, qui a commis de graves erreurs notamment à l'égard du Sud, et qui manque d'autorité sur ses combattants et ses partisans. Habré et ses FAN sont plus organisées, car comportant plus de cadres, mais avec un sérieux penchant pour des méthodes autoritaires. Le programme révolutionnaire du Frolinat n'a pas été traduit dans les faits ; Habré, idéologiquement, se sert de l'islam plus qu'il n'y croit.
Buijtenhujjs conclut sur les difficultés économiques suite aux destructions dans la zone contrôlée par Habré et sur les problèmes démographiques entraînés par la guerre. Il signale néanmoins le rétablissement spectaculaire de la situation en 1985-1986 notamment par le ralliement des "codos" sudistes, après une sanglante répression mais des accords négociés. Le livre du chercheur néerlandais, paru il y a déjà presque 30 ans, n'a pourtant jamais été dépassé et reste une référence sur le Frolinat et les guerres civiles tchadiennes dans cette période clé de 1977 à 1984. Incontournable.