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Fury (2014) de David Ayer

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Comme de nombreux autres passionnés de la Seconde Guerre mondiale et "apprentis-historiens", je suis récemment allé voir au cinéma Fury, le film de char de David Ayer. Un film qui s'est déjà vu affublé de critiques à mon sens plus ou moins justifiées, et qui ne touchent d'ailleurs pas qu'à la question du réalisme, vieil apanage des films de guerre. M'étant moi-même prêté au jeu il y a quelques temps sur certains films, j'en mesure maintenant toute l'inanité. A choisir, entre les qualités et les défauts, ce sera plutôt des qualités dont je vous parlerai ici, sans oublier bien sûr de souligner les problèmes que posent le film.




Le petit texte introductif, un peu court, précise que les équipages de chars américains souffrent le martyre face aux Panzer. Plutôt que de retenir qu'un film de char américain ne parle pas des autres alliés et de leur contribution à la victoire (dans un registre récent, le film russe Tigre Blanc, autre film de char intéressant au demeurant, ne parle pas non plus de la contribution des Américains ou des Britanniques à la victoire sur le IIIème Reich. Cela enlève-t-il à la qualité du film ? Assurément pas), je retiens surtout que le réalisateur a manifestement lu certains ouvrages qui tendent à accréditer l'idée selon laquelle les chars américains n'étaient que des cercueils ambulants. C'est faire fi de l'histoire puisque le Sherman, principal char américain du moment, est certes inférieur techniquement pour certains aspects aux mastodontes allemands, mais supérieur sur d'autres. En outre, si vraie crise il y a eu, c'est surtout durant l'année 1944 et particulièrement durant la bataille des Ardennes, où le décalage entre les deux camps est effectivement très prononcé, à tel point que les récriminations des équipages sont légion. En avril 1945, les premiers M26 Pershing, à canon de 90 mm, certes peu nombreux, sont arrivés au front depuis le mois précédent, et le nombre de Sherman à canon de 76 mm -dont le char Fury du film, un M4A2E8 Easy Eight HVSS, évolution ultime du Sherman pendant la guerre, en quelque sorte- est beaucoup plus important (cela ne résout pas tout, mais ça aide). Sans parler du fait que le Sherman est intégré dans un ensemble tactique qui ne se limite pas qu'aux chars. Sans parler aussi du fait que la conception du Sherman, son choix, sa non évolution ou presque pendant plusieurs années a une histoire, qu'il pourrait être utile de connaître avant de dire des bêtises. Passons.



L'un des aspects les plus intéressants de Fury est probablement de faire baigner le spectateur dans cette atmosphère immonde, il n'y a pas d'autre mot, qu'a pu être le combat de chars durant la Seconde Guerre mondiale et particulièrement durant ces dernières semaines de combats à l'ouest. La première scène donne le ton : au milieu de colonnes de véhicules détruits, Brad Pitt élimine à l'arme blanche, en sautant de son char, un officier allemand à cheval passant au milieu des décombres. L'ambiance est placée d'entrée. Fury vient de perdre un membre d'équipage, le co-pilote. Revenu tant bien que mal à la base, le chef de char, le sergent Collier, reçoit un "bleu", Norman, un dactylo expédié en urgence pour boucher les trous dans les unités blindées. Scénario qui effectivement s'est souvent produit dans les divisions blindées américaines pendant la guerre. Les marquages de Fury laissent voir que le char appartient au 66th Armored Regiment, 2nd Armored Division. Cette division blindée, rattachée à la 9th US Army de Simpson comme cela est dit dans le film, a franchi le Rhin fin mars 1945 et a formé la pince nord de l'encerclement du groupe d'armées B allemand dans la poche de la Ruhr. Elle a ensuite atteint la Weser début avril avant d'être la première division américaine sur l'Elbe, où elle s'arrête à la fin du mois d'avril 1945. Durant l'encerclement de la Ruhr, son homologue, la 3rd Armored Division, a rencontré pendant quelques jours une farouche résistance devant la ville de Paderborn, perdant même son commandant, le général Rose, tué par un équipage de Tigre II. Elle a fait face, notamment, à des unités de la Waffen-SS. Je pensais initialement que c'était là la source d'inspiration du film mais il y en a, en réalité, plusieurs, dont ne fait pas partie la bataille autour de Paderborn, et par ailleurs, la période donne effectivement de quoi faire.



Car c'est l'autre intérêt du film que de montrer, ce qui là encore est tout à fait authentique, que l'entrée des Américains en Allemagne fin mars-début avril 1945 n'a pas été, loin s'en faut, une promenade militaire. Sans aller jusqu'à dire qu'on y a vu des combats de l'intensité du front de l'est à la même époque (la comparaison elle-même étant de très loin superflue, à tel point que comparer les deux fronts n'a guère de sens), il faut bien dire que certaines formations de la Wehrmacht ou de la Waffen-SS, mais aussi les autorités locales, ou une combinaison de ces éléments, ont parfois posé problème à l'US Army en marche vers la fin de la guerre. Outre l'exemple de Paderborn que j'ai déjà traité ailleurs, on pourrait rappeler pour mémoire les féroces combats de la 4th Armored Division et de la 45th Infantry Division à Aschaffenbourg, que j'ai là encore évoqués, ou ceux, moins longs mais tout aussi violents, de la prise de Nuremberg (où l'on retrouve encore la 45th Infantry Division). Fury s'inspire encore d'un autre exemple de résistance allemande en avril 1945. Bref, voilà un moment de la Seconde Guerre mondiale qui est clairement à redécouvrir, ne serait-ce que pour ne pas tomber dans le dénigrement d'un film qui, sur ce point-là au moins, n'est pas outrancier. Et pour éviter de faire de faux parallèles, aussi, avec le front de l'est : les situations sont complètement différentes. Et pourtant, à l'ouest, les Allemands ne se sont pas toujours laissés faire, loin s'en faut.



Fury fait découvrir le caractère sordide de la guerre par les yeux du "bleu", Norman, qui rencontre l'intérieur d'un char en montant dedans pour la première fois, et en nettoyant les restes de son prédécesseur déchiqueté à sa place. Norman incarne l'innocence confrontée à la réalité d'une guerre brutale, et d'autant plus atroce qu'elle touche à sa fin. Les autres membres de l'équipage combattent depuis l'engagement de la 2nd Armored Division en Afrique du Nord : la guerre est devenue leur métier, comme ils le disent souvent, et même, pour Collier, un chez soi. Le réalisateur n'épargne rien au spectateur : les tirs de Panzerfäuste sur les Sherman à bout portant, par des adolescents aussitôt fauchés au StG 44 de prise par un sergent Collier impassible ; l'officier en flammes qui sort du Sherman touché et qui préfère se tirer une balle dans la tête pour ne mourir carbonisé ; l'exécution d'un prisonnier allemand, de force, par le bleu, sous la contrainte de Collier, pour le faire rentrer "dans l'atmosphère" de la guerre. Scène qui met mal à l'aise mais qui correspond, là encore, à une certaine réalité, particulièrement en Allemagne en avril 1945 où les combats prennent un côté inexpiable, surtout après les massacres de prisonniers commis pendant la bataille des Ardennes par les Waffen-SS, qui ont connu côté américain une abondante publicité. Quant au réalisme des deux premières scènes de combat, les prétendus experts y trouveront toujours à redire. Oui, les fantassins américains marchent bien alignés derrière les 4 Sherman qui montent à l'assaut des positions allemandes : et pourtant, sur des images d'actualité américaines d'avril 1945, on peut voir exactement les mêmes scènes dans les environs de Coblence, par exemple. Même si la prise est peut-être montée pour la caméra, il n'en demeure pas moins que Fury s'inspire au moins de la propagande. En soi c'est déjà intéressant pour être relevé. De même que la courte scène de combat urbain dans la petite localité allemande reflète probablement assez bien une partie des brefs combats de rues rencontrés par les Américains : là encore le réalisateur s'inspire assez directement d'images de l'époque, aisément identifiables, avec quelques raccourcis.


La scène d'intérieur dans la localité, où Collier et Norman se retrouvent attablés avec deux Allemandes, a quelque chose de poignant. Rarement dans un film de guerre américain on aura autant montré l'ambivalence des soldats entrant en Allemagne en 1945, la "grande croisade" par excellence prenant fin, aussi, sur l'occupation d'un territoire. Or les soldats américains n'ont pas été forcément exemplaires, sans être tous des soudards sans foi ni loi. Cependant Fury se fait l'écho d'un cinéma américain montrant les choses, déjà depuis un certain temps, de façon beaucoup plus nuancée. Mais c'est aussi là qu'on commence à voir les faiblesses du film : Brad Pitt écrase tout le casting, les rôles secondaires sont peu travaillés, même si Norman fait figure de "bleu" crédible ; les autres membres du char sont quasiment insignifiants. C'est souvent une faiblesse dans les films de guerre ; dans un film de char, en huis clos, cela prend davantage d'importance, au vu du sujet. D'autant que la partie finale du film est sans doute la plus décevante.



Quoiqu'en pensent les "experts", le film s'inspire pour la scène finale d'un épisode tout à fait authentique (à la différence près, de taille certes, qu'il n'y avait pas qu'un seul char côté américain...) : une contre-attaque d'une unité de la Waffen-SS qui a rejeté, en avril 1945, des formations américaines d'une ville à peine conquise, menaçant de couper certaines de leurs arrières. Episode critique vite résolu, mais qui existe bel et bien. Fury se retrouve seul, les trois autres chars ayant été détruits par un Tigre I solitaire. D'aucuns ont poussé des cris d'orfraie devant cette scène où le géant allemand finit achevé au canon de 76 mm par derrière. Ils oublient un peu vite que le Tigre pulvérise facilement 3 Sherman, pour n'être détruit que par le dernier. En outre les équipages allemands de 1945, sauf exception, ne sont parfois pas plus entraînés que le "bleu" américain qui grimpe dans Fury. Enfin, à signaler tout de même, c'est un vrai Tigre I que met en scène le film : le seul exemplaire mondial encore en état de marche, celui du musée de Bovington, un Tigre de début de production (capturé en Tunisie en 1943), ce qui, après de multiples montages depuis 1945 (y compris dans Saving Private Ryan), est exceptionnel. Un des seuls films à compter un vrai Tigre au casting était jusque là... La gloire est à eux, film quasi documentaire sur les combats d'Arnhem tourné par les Britanniques en 1946. C'est suffisamment rare pour le souligner.



Le parallèle avec la fin de Saving Private Ryan, dans Fury, peut paraître évident. Néanmoins, même si la survie du char (temporaire) au milieu de centaines de Waffen-SS semble quelque peu déplacée, la scène en rappelle une autre : celle du film To Hell and Back (1955), qui raconte le parcours d'Audie Murphy, un des soldats américains les plus décorés de la guerre, et qui gagne sa Medal of Honor, en janvier 1945, en tirant à la mitrailleuse cal. 50 d'un tank destroyer M10 Wolverine en flammes, en Alsace. Il y a quelque part du Audie Murphy dans le personnage incarné par Brad Pitt, même si la fin est différente, bien sûr. Alors il est vrai que les Waffen-SS n'arrivent pas à "crâmer"Fury au Panzerfaust. C'est oublier que ce lance-roquettes portable n'est pas le principal responsable des pertes en Sherman à l'ouest, en 1944-1945 : la part du lion revient au canons antichars, tractés ou mobiles (Panzerjäger, StuG, etc), ce qui est somme toute logique. La portée pratique du Panzerfaut se comptant en dizaines de mètres, le sort du tireur est souvent celui vu dans le film, tragique. Sauf contexte particulier comme le combat de rues ou en sous-bois. Et même si, reconnaissons-le, cette dernière partie du film n'est pas trop crédible. La fin est d'ailleurs proprement bâclée par le réalisateur, ce qui est regrettable.



J'avais dit dès le début de ce billet que j'insisterai sur les qualités de Fury. Ce n'est pas le film de guerre du siècle. Il ne "révolutionnera" pas le genre comme avait pu le faire il y a presque 20 ans Saving Private Ryan. Et pourtant, à son humble niveau, pour un public américain ou occidental, il montre que même une guerre "juste" comme la Seconde Guerre mondiale, côté allié, a été effroyablement brutale, amère, violente. On est loin de la guerre vue comme un wargame que certains se complaisent à imaginer dans un certain confort : ici les corps sont écrasés sous les chenilles (un instant flash qui rappelle une scène de Croix de Fer de Peckinpah), les Allemands brûlent au phosphore, tout comme brûlent les équipages de Sherman touchés, les hommes sont décapités par les obus, les obus à haute vélocité sifflent dans les airs, les Allemands pendent ceux qu'ils estiment lâches avec des pancartes accrochées au cou (tout à fait authentique, y compris sur le front ouest), les Américains exécutent les prisonniers. Fury montre la violence crue (tarantinesque, diront certains) de la guerre telle qu'elle est, dans le contexte particulier du combat blindé. Ce qui manque peut-être, et l'on revient ici sur les faiblesses des acteurs et du scénario, c'est justement quelque chose de plus profond sur cette brutalité, sur cette violence de guerre. On peut regretter que David Ayer ne fasse du spectateur, finalement, qu'un témoin de cette violence, sans le faire réfléchir davantage. Le nom du char, qui donne celui du film, renvoie à ses créatures de la mythologie grecque (Erinyes, Furies en latin) qui poursuivent les criminels à la fois sur terre et aux enfers : le char devient pour les hommes une sorte de malédiction. Des hommes qui ne vivent que par et pour la guerre depuis des années, voyant la fin de celle-ci approcher, ne peuvent que s'y jeter à corps perdu : c'est bien ce qu'illustre le personnage de Collier, qui cimente tout l'ensemble. Au final, dans Fury, il y a beaucoup plus à prendre qu'à laisser. Quoiqu'en pensent certains, je crois pour ma part que c'est un des films de guerre américains sur la Seconde Guerre mondiale parmi les plus intéressants depuis longtemps. A découvrir, sans le jeter aux orties d'entrée.

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