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Daniel FELDMANN et Cédric MAS, Montgomery, Guerres et Guerriers 27, Paris, Economica, 2014, 183 p.

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Après un premier volume dans cette collection Guerres et Guerriers d'Economica consacré à Rommel, avec des qualités certaines mais aussi quelques défauts liés au format, en particulier, Daniel Feldmann (effectivement bon connaisseur de la Seconde Guerre mondiale, même si le quatrième de couverture en rajoute un peu...) et Cédric Mas (auteur de nombreux articles dans la presse spécialisée en histoire militaire, et donc de plusieurs ouvrages, même si, là encore, le quatrième de couverture est assez dithyrambique) récidivent avec un Montgomery. Sans surprise, on retrouve un contenu propre à la collection et un style également propre aux deux auteurs : le propos se focalise essentiellement sur l'histoire militaire, en termes analytiques plus que descriptifs, et se destine davantage aux passionnés et aux spécialistes de la chose qu'au grand public, même si celui-ci peut y trouver matière à découverte.

Le ton est donné dès la (courte) introduction : les deux auteurs proposent une réhabilitation de Monty, certes adulé par les Britanniques, mais détesté par les Américains. Il est vrai que le personnage a suscité bien des controverses et qu'un regard posé, même en français (la bibliographie anglo-saxonne étant plus qu'abondante), peut être bienvenu. Pour le couple d'auteurs, la grande force militaire de Montgomery est de se concentrer sur le commandement, l'organisation de l'armée, l'entraînement, la planification. Il a une vision "systémique" du champ de bataille : les succès de Monty sont dus à une préparation méticuleuse qui ne laisse aucune chance à l'adversaire.



Fils de prêtre anglican, Montgomery est surtout élevé par sa mère, notamment à partir de l'installation en Tasmanie en 1889. Rebelle à l'autorité, il trouve peut-être un échappatoire avec l'armée, qui satisfait son besoin de reconnaissance. Il n'y entre d'ailleurs pas facilement et manque d'en être renvoyé, son caractère facétieux lui jouant des tours. En 1908, il est lieutenant au Royal Warwickshire Regiment et effectue son premier service en Inde. L'armée britannique, à la veille de la Première Guerre mondiale, souffre de graves carences. Monty n'en a pas forcément conscience mais il est déjà très critique à l'égard de l'institution.

En août 1914, Monty débarque en France avec le corps expéditionnaire britannique et connaît son premier combat le 26, où il manque d'ailleurs de se faire tuer. Son baptême du feu se termine en effet en désastre. Blessé en octobre, Monty termine ici son expérience de la Grande Guerre. Il devient instructeur en 1915. De retour en France avec la 35ème division en janvier 1916, Montgomery assiste à un autre désastre sur la Somme, où il prend véritablement conscience des lacunes de l'armée britannique.

En janvier 1917, il passe à la 33ème division et perfectionne sa formation d'officier d'état-major. Il assiste aux troisième bataille d'Arras et troisième bataille d'Ypres et en retient certaines leçons. Son corps subit de plein fouet une des offensives allemandes de 1918, en mai, sur le Chemin des Dames, qui est un sérieux revers pour les Britanniques. Monty termine la guerre avec la 47ème division. Il n'a pas brillé pendant la guerre, mais il a déjà rempli au pied levé, sans formation, des fonctions d'état-major et a acquis des capacités d'organisateur, tout en se montrent assez critique de la performance de l'armée britannique.

Par un tour de génie, il arrive à se faire nommer étudiant au Staff College. En 1921-1922, il sert en Irlande, où les Britanniques font face à la guérilla nationaliste -on aurait d'ailleurs aimé que ce passage soit davantage développé : quel est le rapport de Monty face à ce type de conflit, face aux Irlandais ? On voit là l'un des principaux défauts de la collection, l'incapacité, faute de place, à replacer tel ou tel personnage militaire dans son époque, au-delà de la simple histoire militaire, même analytique. Dans l'entre-deux-guerres, il continue l'instruction, suit les débats doctrinaux sans y participer au premier plan. En 1927, il épouse Elizabeth Carver, dont il a un fils l'année suivante. Instructeur à l'école de Camberley, il sert ensuite en Egypte, puis à Quetta, au Pakistan, entre 1934 et 1937. Cette dernière année survient la mort prématurée de son épouse, qui l'accable de chagrin. Réfugié dans l'armée, Monty est envoyé en Palestine, en 1938 et 1939, où les troubles entre colons juifs et habitants arabes se multiplient. Là encore, on aurait aimé en savoir plus sur l'appréhension par Montgomery des prémices du conflit israëlo-arabe, de sa vision coloniale pour ainsi dire, et de sa vision de la contre-insurrection. Il est nommé à la tête de la 3ème division, en Angleterre, quelques jours seulement avant le début de la Seconde Guerre mondiale.

Débarqué en France, Monty se lie d'amitié avec son commandant de corps, Brooke. La 3ème division subit un entraînement intensif, qui tranche avec l'apathie de nombre d'unités alliées, y compris britanniques. L'attaque allemande du 10 mai ne donne encore une fois à Monty que l'occasion de se distinguer pendant une retraite. Sa division couvre largement l'embarquement de Dunkerque, mais elle a au final peu combattu. De retour en Angleterre, Monty, qui déjà se couvre de succès sans proportion avec la réalité, tempête contre l'institution, qu'il juge responsable du désastre. Brooke, heureusement pour lui, le fait nommer à la tête d'un corps d'armée. Succédant à Auchinleck, il veut trancher avec le style de son prédécesseur, et multiplie les frasques jusqu'en 1941, comme s'il voulait, ainsi que le disent les auteurs, imposer son style à l'armée toute entière. Durant deux ans, Monty réalise en fait beaucoup de gesticulation, de manoeuvres, dont on peut s'interroger sur leur efficacité réelle quant à la préparation des hommes à la guerre. C'est Monty qui prépare le plan de l'attaque sur Dieppe, qui se termine par l'échec que l'on sait. On regrette peut-être d'ailleurs ici que les auteurs ne s'étendent pas davantage sur la controverse, dont les Canadiens sont toujours friands aujourd'hui. C'est par un coup du sort, le même mois que le raid, que Monty devient commandant de la 8th Army en Afrique du Nord en lieu et place de Gott, disparu dans son avion abattu.

Monty arrive en pleine crise. La 8th Army est démoralisée, la situation est dégradée. D'office, il impose son style de commandement, cherche à créér l'équivalent du DAK en groupant les divisions blindées, fait sa publicité pour contrer la propagande allemande, privilégie la défense statique. Le changement est net lors de la bataille d'Alam El Halfa : Monty, qui a bien senti la manoeuvre de Rommel, brise l'assaut allemand sans prendre le risque de contre-attaquer. Son plan offensif est complexe, et fragilisé par le fait que les tankistes britanniques manquent encore de confiance pour l'exploitation. L'opération Lightfoot est un piège tactique dans lequel les Allemands viennent s'enferrer : tandis que l'infanterie germano-italienne est progressivement grignotée, ils usent leurs précieux blindés sans pouvoir briser définitivement la force d'attaque britannique. Supercharge achève de briser la pointe allemande, complètement élimée. La poursuite, en revanche, n'a absolument pas été préparée et n'est pas menée, tout simplement. Monty a adapté la guerre du désert, pour les Britanniques, aux caractéristiques de leur armée, et aux circonstances tactiques.

Il connaît dès lors la célébrité dans le monde entier. Il cherche en parallèle à tirer les leçons du succès à El Alamein. Pourtant, c'est encore une attaque frontale, cette fois pas couronnée de succès, qui est menée contre la ligne Mareth, au sud de la Tunisie : Monty, trop distant du champ de bataille, a sans doute péché par optimisme. La première rencontre avec Eisenhower, en mars 1943, est déjà froide. Monty remporte en revanche un beau succès à l'oued Akarit, en avril 1943, mais les Allemands se retirent en bon ordre. La 8th Army a montré ses capacités durant la campagne, qui contrastent avec le premier engagement des Américains, peu reluisant-mais la performance de la 1st British Army n'a pas été non plus des meilleures...

Monty s'est beaucoup impliqué, dès avant la fin de la campagne tunisienne, dans la genèse de Husky, le plan d'invasion de la Sicile. C'est lui qui impose ses propres vues alors que le plan d'origine est relativement faible, victime du caractère désordonné de la planification. Néanmoins son attitude de fanfaron le rend déjà détestable aux yeux des Américains, ce qui augure mal d'une guerre de coalition rendue nécessaire par l'hétérogénéité du camp allié en Méditerranée. Un voyage en Angleterre conforte Monty dans la très haute opinion qu'il a de lui-même. Lors de l'invasion de la Sicile, il a l'avantage de pouvoir quasiment dicter ses ordres à Alexander, qui chapeaute l'opération. La campagne n'est pas aussi prometteuse qu'espérée pour Monty, d'autant qu'à son terme, Eisenhower le relègue dans un rôle secondaire pour l'invasion de l'Italie continentale, Patton ayant été lui aussi écarté pour ses frasques. La lente progression depuis la botte italienne jusqu'aux lignes fortifiées allemandes ne convient guère à Monty qui veut jouer les premiers rôles pour l'invasion de l'Europe. Ce qui arrive finalement le 24 décembre 1943.

Monty cherche encore une fois à imposer ses vues. Il modifie le plan du COSSAC, sans doute inadéquat, pour le débarquement, n'en veut pas d'un second en Provence qui lui ferait de l'ombre et divise les ressources. Ceci étant dit, Eisenhower s'est lui-même consacré à l'élargissement du plan initial de l'invasion, peut-être davantage encore que Monty. S'il se consacre largement au moral des troupes et à la planification générale de l'opération, il délaisse étrangement l'entraînement concret pour le Jour J, ce qui n'est pas sans créér des faiblesses.

Montgomery débarque en Normandie dès le 8 juin. Entouré d'un état-major de fidèles, réduit mais à sa dévotion, il s'isole quelque peu du reste du commandement dans sa caravane de campagne. S'il donne priorité dans un premier temps à la prise de Cherbourg, quelle est ensuite la stratégie : tenir à l'est en prenant Caen pour laisser aux Américains le temps de percer à l'ouest ? La situation n'avait probablement pas été envisagée, le front devant s'étendre de Caen à Falaise avant que les Américains ne percent vers le sud-ouest. C'est par défaut que Monty tient le rôle "d'aimant" pour les Allemands. Lesquels auraient probablement concentré leurs Panzerdivisionen pour bloquer la route de Paris et contrer un second débarquement qui est toujours jugé possible, pendant longtemps. Les offensives britanniques à l'est ne débouchent pas, et l'armée britannique manque cruellement d'hommes. Mais les Allemands s'épuisent à tenir le front devant les Britanniques à l'est. Les Américains peuvent mener à bien Cobra, qui débouche sur l'encerclement de Falaise, lequel n'est pas parfait, mais plus par responabilité collective qu'uniquement de Monty, comme veulent le faire croire les Américains. Comme la supériorité des Alliés est évidente dès les premiers jours de la campagne, Monty veut empêcher les Allemands se créer une réserve pour une contre-attaque, d'où les attaques incessantes à l'est. Il joue la sécurité en étant parfaitement conscient des capacités et des limites de son armée.

A la fin de l'été 1944, les Britanniques ne jouent plus que les seconds rôles face aux Américains. Eisenhower prend le commandement des opérations en Europe ce qui agace profondément Monty, qui se juge bien plus brillant soldat que Ike. Se pose alors la question de la suite à donner à la campagne, alors même qu'une pause logistique apparaît évidente. Mais les généraux n'en ont cure : faut-il progresser sur un front large, ou sur un axe précis ? Monty propose de sauter le Rhin, pour atteindre la Ruhr, via les Pays-Bas et Arnhem. L'opération Market-Garden, aux antipodes de la planification méticuleuse de Montgomery, échoue. On aurait d'ailleurs apprécié que les auteurs consacrent plus de pages à cet échec assez cinglant de Monty qui montre là ses limites de stratège et où ses qualités d'organisateur, d'entraîneur semblent complètement se dissoudre. C'est probablement une des faiblesses principales du livre. Monty néglige aussi la capture du port d'Anvers et le nettoyage de l'estuaire pendant un bon mois. Il achève de ruiner sa crédibilité auprès des Américains en venant à leur secours pendant la bataille des Ardennes, mais non sans son mépris habituel. Encore une fois, Monty montre là qu'il est bien mal taillé pour une guerre de coalition. Les opérations menées début 1945, notamment pour le franchissement du Rhin, sont expédiées assez rapidement : dommage à nouveau, car il y aurait eu peut-être matière à développer sur ces succès finalement peu connus de Monty (Plunder notamment). D'autant qu'ici, comme le disent les auteurs en conclusion du chapitre, Montgomery tire quelques leçons des échecs de l'automne 1944, et les appliquent, ce qui montre qu'il est capable de rebondir.

Gouverneur militaire de la zone d'occupation britannique en Allemagne après la capitulation, Monty ne mène pas une politique revancharde et se désinteresse rapidement d'un rôle non-militaire. Devenu chef d'état-major impérial en 1946 à la place de Brooke, il s'active beaucoup mais avec de piètres résultats. Il se met à dos tout le monde, ne modernise pas l'armée britannique, est en retard sur la question des colonies. Il devient patron du Comité de Défense de l'Europe occidentale, puis adjoint de Ike à l'OTAN. Prenant sa retraite en 1958, il écrit ses mémoires, voyage, multiplie les interventions plus ou moins opportunes (défendant par exemple le régime de l'apartheid en Afrique du Sud...). Sa santé se dégrade après 1964. Il décède en 1976.

Monty est très soucieux de son image pour la postérité. D'autant que les Américains donnent rapidement le premier rôle à Ike dans les premiers ouvrages écrits après la guerre. Dans ses mémoires, Monty se donne le beau rôle, et comme de coutume, se montre très condescendant avec les autres. Il intervient à la télévision, un média qui la convient assez. Practicien, il n'a jamais écrit d'ouvrage sur son art militaire ou la méthode. Les historiens américains le dénigrant assez rapidement, les historiens britanniques, en réaction, l'encensent. Mais des positions intermédiaires existent comme celle de Wilmot. Un renouveau historiographique britannique (Hart, French, Buckley) décèle, dans la décennie 2000, le véritable système militaire appliqué par Monty, que l'on retrouve décrit dans ce livre (ce sont les sources principales du travail des deux auteurs).

En conclusion, C. Mas et D. Feldmann soulignent qu'étudier Montgomery ne peut laisser indifférent. Le personnage est volontiers dominateur. C'est d'abord un practicien de la guerre. Il a développé une capacité d'analyse systémique qu'il peut appliquer à une situation donnée. Tout son travail est rendu vers cette maîtrise de ce système complexe qu'est devenue une armée au XXème siècle. Monty cherche à écraser l'adversaire là où il est le plus fort. Il a quelque chose de très "Première Guerre mondiale" dans cette recherche de la destruction de toute réserve adverse pour ensuite faire s'écrouler le front comme un fruit mûr. Et pourtant Mongtomery n'a jamais pris le temps de véritablement coucher par écrit sa pratique militaire : les auteurs pensent qu'ils n'étaient peut-être pas conscients de ses qualités de chef. Pour autant, la citation qui ouvre l'introduction du livre, où Monty prétend qu'à côté de Napoléon et Alexandre, il est le troisième plus grand chef militaire de l'histoire, plaide plutôt pour le contraire... C'est son incapacité à communiquer sur ce sujet qui a forgé une image parfois très négative du personnage : il en est donc le premier responsable.

La synthèse (assez remarquable au point de vue de l'écriture et de la méthode, dans le cadre d'un ouvrage analytique) de Cédric Mas et de Daniel Feldmann a le mérite de mettre à la portée du lecteur français (passionné ou un peu plus spécialiste, d'une façon ou d'une autre) les acquis récents de l'historiographie anglo-saxonne sur Montgomery : le livre se suffit à lui-même de ce côté. En revanche, on a l'impression, en lisant entre les lignes, que les deux auteurs mènent une réhabilitation de Monty qui peut se contester. Ils insistent davantage sur les succès (El Alamein, etc) que sur les échecs ou les revers (Dieppe, Arnhem). Ils s'attardent plus sur les talents de Montgomery (et notamment ce qui la force de son style de commandement, à raison) que sur ses défauts (incapacité à évoluer dans une guerre de coalition, mépris et recherche avide de gloire préjudiciables à l'effort militaire, etc). Mais les uns ne sont-ils pas aussi importants que les autres ? Il faut donc, quelque part, remettre un peu l'ouvrage à sa juste place : c'est une synthèse des plus intéressantes du point de vue de l'histoire militaire du personnage, très analytique, stimulante même, mais elle ne dépasse pas ce niveau, notamment en ne replaçant pas, faute de place, le personnage, plus largement, dans son époque. D'autant que la bibliographie se limite très clairement cette fois à des sources secondaires (ouvrages plus qu'articles d'ailleurs), les principales sources étant indiquées au début de chaque chapitre ou partie importante (en tout, une quarantaine d'ouvrages essentiellement, ce qui n'est déjà pas rien) en notes (plutôt réduites en nombre, mais ce n'est pas l'essentiel). Le couple d'auteurs a donc davantage la fonction de "passeur" en français des acquis de la recherche étrangère (surtout anglo-saxonne), mâtinée d'un effort appréciable de synthèse et d'organisation.



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