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René-Joseph BRET, Vie du sultan Mohamed Bakhit 1856-1916, la pénétration française au Dar Sila, Tchad, Paris, Editions du CNRS, 1987, 258 p.

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Les éditions du CNRS ont eu l'excellente idée, en 1987, d'éditer ce texte, une biographie écrite par un officier des troupes coloniales françaises, le capitaine Bret, et qui évoque la vie d'un sultan du Dar Sila, Etat-tampon encastré, à l'est du Tchad actuel, entre le Ouaddaï et le Darfour. La vie du sultan Mohamed Bakhit est aussi l'occasion de présenter son peuple, les Dadjo. Bret se sert d'une variété de sources : correspondance en arabe, documents français, sources orales, etc. On sait fort de peu de choses du capitaine Bret : il a peut-être été en poste à Goz Beida en 1932-1933, il est décédé en 1940. Les auteurs regrettent qu'on n'en sache pas plus sur cet officier remarquable par son talent d'écriture.

Le capitaine Bret a divisé sa biographie en trois parties. La première raconte les années de jeunesse et la formation du futur sultan, entre 1856 et 1900. Bakhit est le fils de Issakha Abou Riché, fils aîné du sultan du Dar Sila, qui monte sur le trône en 1879. En 1883, Mohamed Bakhit participe avec son père à une expédition punitive contre les Arabes du Darfour, qui viennent de lancer un raid sur le Dar Sila. Dès le premier engagement, Bakhit fait la preuve de ses qualités de combattant. Cinq ans plus tard, alors que le Soudan est ravagé par l'insurrection mahdiste, Bakhit fait partie d'une armée de coalition qui part combattre les partisans du Mahdi au Darfour. A El-Fashir, cette coalition est battue par les mahdistes, très supérieurs en nombre. Abou Riché accueille le sultan du Darfour exilé, qui abuse de son hospitalité : Bakhit, en 1889, doit le chasser par la force. Peu après, le sultan et son fils mettent en déroute les Massalit qui ont razzié le nord du Dar Sila, en utilisant de nouvelles tactiques suite à l'adoption plus massive des armes à feu. Bakhit conduit encore une expédition punitive contre les populations au sud du Dar Sila.

Il monte sur le trône à son tour, en 1900, à la mort de son père Abou Riché. Son accession au pouvoir correspond à l'entrée des Français dans ce qui va devenir le Tchad. Bakhit prend lui-même l'initiative du contact avec les Français, et les premiers soldats arrivent à Goz-Beida, capitale du Dar Sila, en 1909. Largeau, qui s'installe au Tchad en février 1911, établit une convention avec le sultan en 1912 après être venu sur place. Il laisse des instructions précises au capitaine Gillet, qui commande la compagnie maintenue dans la localité. Mais le capitaine français se plaint en raison de la lenteur des fournitures exigées du sultan. Une agression contre un officier français en mars 1912 met à son comble l'excitation du capitaine Gillet, que Largeau doit tempérer. Un mois plus tard, l'arrivée de nombreux notables dadjo exilés au Darfour fait complètement paniquer Gillet, qui veut absolument recourir à la force, soutenu par le chef de bataillon Hilaire qui commande au Ouaddaï. Or le sultan n'a manifestement aucune intention hostile : il faut tout le sang-froid de Largeau pour éviter une confrontation armée, et celui-ci remplace séance tenante les officiers belliqueux. Le capitaine Mongelous remplace Gillet, avec là encore des instructions très claires de Largeau, qui quitte le Tchad en septembre 1912. L'officier français rétablit la confiance avec Bakhit mais sait aussi se montrer ferme quand le sultan tente, sans succès, de se rapprocher des Anglais qui contrôlent le Darfour. Le colonel Julien a remplacé Hilaire au Ouaddaï. Echange de présents et relations diverses se multiplient, Bakhit étant particulièrement intéressé par l'installation de la TSF à Goz-Beida. Un incendie se déclare aux abords du poste français ; le sultan aide les soldats à reconstruire la partie incendiée. Bakhit tombe malade à la fin de l'année 1913, laissant craindre que son fils Dahab, moins favorable aux Français, ne lui succède ; mais finalement le sultan se rétablit. Mongelous est remplacé par Simonet en novembre 1913, tandis que Largeau revient au Tchad. Parallèlement, Bakhit et les Français mènent des expéditions contre les pillards du Darfour, soutenus par Ali Dinar, une vieille connaissance du sultan du Dar Sila. Dahab, le fils de Bakhit, en revanche, échoue au combat contre les Rézégat. La situation générale change cependant en août 1914 avec le déclenchement de la guerre en Europe. La mobilisation fait évacuer du Dar Sila les unités françaises qui y étaient stationnées.

Le parti belliciste, hostile aux Français, relève la tête au Dar Sila avec l'appui de Dahab, le fils du sultan. Par ailleurs, Hilaire, le va-t-en-guerre de 1912, a repris la tête de la circonscription du Ouaddaï. Hilaire, qui cherche des prétextes, se laisse influencer par des dénonciateurs à sa solde dans Goz-Beida. En mai 1916, l'armée française marche sur le Dar Sila. Les Dadjo sont défaits après plusieurs rencontres, pendant l'une desquelles Abou Richéne, frère de Dahab mais hostile à sa ligne antifrançaise, trouve la mort à la tête de ses cavaliers. Dahab, lui, s'est enfui. La traque de Bakhit, qui a également pris la poudre d'escampette, dure plusieurs mois. Rattrapés en juillet 1916, le sultan et ses proches sont exilés dans le Logone, au sud-est de Fort-Lamy, bien loin du Dar Sila. Bakhit, usé par les événements, meurt d'une crise cardiaque en décembre 1916.

Le travail du capitaine Bret est largement tributaire de ses sources. La première partie, basée sur la tradition orale, tourne parfois à l'hagiographie. Le terme "expédition punitive chez les Noirs du sud", pour désigner la chasse aux esclaves vers 1895, laisse sceptique, car les Dadjos étaient probablement aussi noirs que leurs victimes : Bret assimile peut-être inconsciemment les Dadjos aux Arabes "blancs", car musulmans, alors que les Kirdi (païens) ne peuvent être que noirs... La deuxième partie est de loin la plus intéressante car elle montre la rencontre entre le sultanat du Dar Sila et les Français, et la façon dont les relations, plutôt cordiales au début, tournent à l'hostilité et à l'incompréhension en raison du manque de sang-froid de certains officiers. Et ce même si Bret semble parfois un peu optimiste au vu de ce "protectorat" qui n'aurait peut-être pas duré indéfiniment quand on regarde la façon dont Largeau traite les autres entités politiques présentes à l'arrivée des Français, dans ce qui devient le Tchad. D'autant que le Dar Sila était frontaliter du Darfour britannique, ce qui n'est pas anodin. D'ailleurs, en 1909-1910, la première pénétration française est déjà marquée par la crainte : le deuxième groupe envoyé l'est car des rumeurs font état du massacre du premier... pour Bret, chaque camp a compté des modérés et des belliqueux. La rupture en 1916 se produit d'abord parce que les autorités françaises ont relâché le contrôle sur les officiers bellicistes, et ensuite en raison de l'affaiblissement du sultan qui ne peut plus tenir le parti anti-français. Il n'en demeure pas moins qu'on a là un ouvrage de premier plan pour comprendre comment la France a imposé sa domination à un territoire qui allait devenir une immense colonie.



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