Antoine Bangui-Rombaye, né en 1933 à Bodo, dans le sud du Tchad devenu cotonnier de par l'entreprise du colonisateur français, a été ministre du premier président du Tchad indépendant, François Tombalbaye, à partir de 1962. Dix ans plus tard, en juillet 1972, Antoine Bangui est jeté en prison par le président tchadien. A ce moment-là, Tombalbaye, qui fait face à une rébellion, le FROLINAT, affaiblie mais non éradiquée par l'intervention française durant l'opération Limousin (1969-1971), se rapproche des pays musulmans et se lance dans un nationalisme débridé tout en se posant en champion du tiers-mondisme. Remodelant son régime à parti unique, Tombalbaye fait arrêter Antoine Bangui qui, selon Bernard Lanne, spécialiste de l'histoire politique tchadienne, avait eu l'imprudence de demander la création d'un poste de Premier Ministre. La version d'Antoine Bangui, à prendre avec des pincettes comme tout témoignage qui se respecte, est évidemment légèrement différente. Néanmoins, il passe bien trois années en prison avant d'être libéré par le coup d'Etat qui renverse et tue Tombalbaye en avril 1975.
Antoine Bangui, de par son expérience de prisonnier, expose dans son témoignage tous les défauts d'un régime présidentiel à parti unique, où l'exécutif concentre tous les pouvoirs. Bangui prétend avoir été arrêté par Tombalbaye en raison de la menace supposée qu'il représentait comme concurrent à la présidence, ce qui est un des prétextes effectivement avancés par le président. Appréhendé dans le sud par les Compagnies Tchadiennes de Sécurité, la garde prétorienne de Tombalbaye, Bangui est ramené à N'Djamena, où il doit subir des séances d'interrogatoires devant un président qui, d'après son récit, abuse de l'alcool (whisky en particulier), et demeure entouré par ses acolytes, véritables béni oui-oui.
En prison, Bangui a la chance de pouvoir compter, malgré des conditions de détention déplorables, sur des soutiens extérieurs qui lui permettent de vivre à peu près correctement. Il ne sera jamais torturé, contrairement à d'autres prisonniers du régime tchadien. En août 1972, Bangui est déplacé dans une prison répugnante de sa ville natale, pour subir une humiliation publique devant les habitants du cru. De retour à N'Djamena, les conditions d'emprisonnement suscitent l'ennui, la lassitude, l'abattement même, chez Bangui.
En juillet 1973, Bangui est transféré par les CTS dans la prison de Bongor, au sud du Tchad. Il a peur d'être exécuté mais il atterrit en fait dans une prison où la discipline est plus relâchée mais où les détenus n'en souffrent pas moins. La nourriture est atroce, l'hygiène affolante. Les Massas, qui habitent la région et qui forment le gros des détenus de droit commun, sont régulièrement battus au fouet ou collés en cellule disciplinaire pour les tentatives d'évasion. Bangui arrive cependant à obtenir des cigarettes et même, une fois, un canard, par un co-détenu qui a ses entrées à Bongor. C'est en prison que Bangui apprend le retour à l'authenticité voulu par Tombalbaye (les villes rebaptisées, comme Fort-Lamy qui devient N'Djamena), le retour de l'initiation, pratique traditionnelle, les tortures en prison, l'assassinat de l'opposant Bono à Paris. Après l'enlèvement des 3 Européens par les Toubous du FROLINAT, en avril 1974, ceux-ci proposent des les échanger notamment contre des détenus emprisonnés par Tombalbaye, dont Bangui fait partie. Le 13 avril 1975, un coup d'Etat militaire voit la mort du président, et la libération d'Antoine Bangui.
Le témoignage d'Antoine Bangui laisse, quelque part, une impression d'inachevé. Si sa description de son emprisonnement, pendant presque trois ans, permet de voir le virage de Tombalbaye à la fin de son règne de l'intérieur, il n'en demeure pas moins que le livre commence en 1972 et pose l'auteur comme simple victime d'un régime de plus en plus policier. Or Antoine Bangui a été l'un des plus proches collaborateurs de F. Tombalbaye pendant dix ans, de 1962 à 1972, et les motifs de son arrestation ne sont peut-être pas complètement spécieux, comme il l'affirme ici -Bernard Lanne indiquant clairement, dans un article de référence sur la vie politique tchadienne, qu'A. Bangui a fait pression sur le président pour la création d'un poste de Premier Ministre taillé pour lui, ce que l'auteur n'évoque jamais. A ce jour, Bangui, auteur de plusieurs ouvrages relatant son implication dans la vie politique tchadienne jusqu'à aujourd'hui, n'est jamais revenu sur cette décennie passée aux côtés de Tombalbaye, et ce n'est probablement pas un hasard.