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[Nicolas AUBIN] Cédric Mas & Daniel Feldmann, Montgomery, Economica, 2014, 180p.

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Nicolas Aubin propose cette fiche de lecture "croisée", si l'on peut dire, entre ce Montgomery écrit à quatre mains et celui paru à peu près en même temps dans la collection "Maîtres de guerre" chez Perrin. Je suis en train de lire l'ouvrage de D. Feldmann et C. Mas, en revanche, je n'ai pas encore pu me procurer celui d'A. Capet. Je rejoins déjà N. Aubin sur certaines conclusions mais j'aurais probablement un avis, aussi, un peu différent, d'autant que je connais par exemple beaucoup mieux le "cas" Rommel que le "cas" Montgomery.

Après avoir revisité Rommel, Cédric Mas et Daniel Feldmann se sont attelés à son "meilleur ennemi" Montgomery. L'ouvrage reste fidèle à la ligne éditoriale de la collection "Guerres et guerriers":
  • brièveté,
  • problématique axée sur la carrière militaire et
  • choix assumé de dépasser le récit biographique au profit d'une analyse.
Elle exige de la part des auteurs un exercice de style redoutable: conserver un subtil équilibre entre densité et clarté, entre concision et précision, entre le factuel et l'analytique. Disons-le franchement, seule une poignée d'écrivains en maîtrisent la recette et je n'ai que rarement lu des ouvrage aussi réussis de ce point de vue. Les progrès sont considérables depuis leur "Rommel". Là où ce dernier, à force d'être épuré et concentré en devenait clinique, Montgomery conserve une fraicheur remarquable. Maîtrisant parfaitement l'équilibre de leur propos, ils ont su introduire la vie privée – une vie touchante aux accents dramatiques - à bon escient donnant ainsi de la chair au récit tout en éclairant sa carrière militaire. Sceptique initialement avec ce format, je suis maintenant séduit. Le Rommel ne me paraissait pas être une biographie mais davantage une enquête sur le soldat car si l'on comprenait le Renard du désert, on ne le voyait pas vivre. Ce n'est pas le cas pour Montgomery. Son portrait moral est parfaitement cerné, son itinéraire décrit et explicité. Ma seule critique récurrente concerne la portion congrue accordée à l'appareil critique. Les auteurs n'y sont bien sûr pour rien et tentent de faire au mieux en proposant en début de chapitre une liste des ouvrages utilisés, mais ce n'est qu'un pis-aller. 



En choisissant, Montgomery, Cédric Mas et Daniel Feldmann comble un vide aussi béant qu'incompréhensible dans le paysage éditorial français, un vide propice à la circulation de clichés et d'idées-reçues qui parasitaient toute notre compréhension de la guerre en Afrique et à l'ouest. Il ne s'agit en effet pas d'un anodin général, encore moins du prétentieux médiocre, dépourvu d'imagination, incapable de saisir les opportunités offertes, auquel on l'a souvent réduit en France à la suite des Américains en y ajoutant notre "british bashing" national, mais :
  • d'un obscur lieutenant, chef de peloton sans réel appui politique, sans talent apparent mais à la motivation hors du commun, dévoué à son métier, qui s'est élevé au sommet de la hiérarchie jusqu'à devenir Chief of the Imperial General Staff. Tout au long du récit, on reste confondu devant le décalage entre sa personnalité et le monde policé de l'aristocratie militaire britannique.
  • d'un homme dont la carrière a embrassé un demi-siècle de l'Inde à la Palestine, du sable d'Egypte aux bureaux de l'OTAN
  • D'une personnalité hors du commun, vaniteux, fasciné par son image et les relations publiques et en même temps au caractère impossible ce qui est largement à l'origine des polémiques à son sujet
  • du seul Britannique aux victoires définitives remportées contre un ennemi redoutable et dont les échecs n'ont jamais été des défaites,
  • du seul général à avoir su employer une armée britannique aux lourdes carences et qui a pour cela inventé ni plus ni moins qu'une nouvelle approche du commandement,
Pour ces cinq raisons, la découverte de la vie de Monty est passionnante. Elle s'inscrit au cœur de l'histoire de la 2e guerre mondiale, au cœur de l'histoire de l'armée britannique, au cœur de l'histoire militaire.

Cédric Mas et Daniel Feldmann sont les premiers en français à se questionner sur l'art du commandement de Montgomery– en Angleterre, Stephen Hart les a précédé (cf ColossalCracks, Montgomery's 21st Army Group in NW Europe) mais sans en chercher les racines. Cédric Mas revient entre autre sur l'introduction du "piège tactique" qui lui donne la victoire à El Alamein, un "piège" que l'historien avait déjà identifié dans son El Alamein. Il s'agit en apparence d'une attaque prudente qui encourage les Allemands à faire donner leurs réserves mobiles pour repousser de suite les Britanniques. Monty parvient à réussir l'impensable : détruire, en attirant à lui les groupes mobiles ennemis et briser son appareil mécanisé sans même l'encercler. Les grandes forces de Montgomery, sont d'une part d'avoir compris que la Blitzkrieg n'était pas la solution unique à la guerre mécanisée - à la différence de nombre de ses prédécesseurs, il ne cherche pas à singer son adversaire - et d'avoir ensuite su construire un antidote efficace à la portée de ses troupes. Mais les auteurs soulignent que cette innovation tactique s'inscrit dans une pensée opérationnelle globale : "La réflexion militaire de Montgomery ne se concentre pas vers un type d'armée ou une tactique comme la Blitzkrieg ou la manœuvre des tanks, mais vers le commandement lui-même, l'organisation de l'armée, l'entraînement, la planification, la sélection des hommes et leur moral. Doté d'une motivation hors du commun, passionné par son métier au point que sa dévotion absolue à son poste déconcerte ceux qui le croisent, Montgomery à une vision "systémique" des armées qui s'opposent sur un champ de bataille, voyant au-delà des combats pour aborder les opérations avec un regard holistique, qu'il cultive comme d'autres leur vista tactique. Ses succès ne sont ni des hasards, ni l'exploitation d'erreurs de l'adversaire : il gagne parce qu'il crée une situation dans laquelle il ne laisse aucune chance à l'ennemi". Il "embrasse l'armée comme un ensemble déployé dans l'espace, le temps mais aussi dans les esprits". Sur ce plan, il est un général moderne qui prend acte de la complexification technologique et logistique, de l'irruption de la sphère médiatique. Montgomery n'est pas un tacticien, n'est pas un instinctif à la mode allemande, c'est un manager réaliste et pragmatique finalement bien plus adapté à l'emploi d'une armée du XXe s en particulier d'une armée britannique aux lourdes carences. Il est "the right man at the right place". Mais, négligeant à théoriser sa pensée, victime d'une conception de la guerre "moins sexy" que celle de Patton ou des généraux allemands, incapable après-guerre de nourrir correctement sa légende, l'apport de Monty à l'art du commandement est tombé dans l'oubli ou a été réduit à des clichés.

Au cœur d'un ensemble chronologique très cohérent, quelques chapitres ressortent : les deux sur la première guerre mondiale qui sont l'occasion à travers l'itinéraire de Monty de découvrir l'armée britannique et le monde méconnu d'officier d'état-major, ceux sur la guerre du désert et celui sur la Sicile – mon préféré – où l'on découvre comment il a évité un probable fiasco en arrachant le remaniement des plans de débarquement déjà validés par Eisenhower, imprimant de fait sa marque sur une grande partie des opérations de libération de l'Europe.

Essayant de prendre des notes, j'ai découvert à quel point les auteurs avaient su extraire la substantifique moelle de leur sujet. Il est tout simplement impossible de prétendre résumer leur propos tant ils maitrisent l'économie de mots : pas une phrase inutile, pas une répétition. Ainsi malgré ses 180 pages, le Monty de Mas et Feldmann est plus riche que son homologue paru au même moment – Montgomery, l'artiste des batailles, Perrin, 2014 - écrit par l'universitaire Antoine Capet, long de 400 pages.

Une comparaison entre les deux ouvrages tourne en leur faveur. Antoine Capet se concentre sur l'homme dans son siècle et ne tire aucun enseignement, aucune conclusion novatrice sur le modèle de commandement de Montgomery – le sous-titre "l'artiste des batailles", bien mal choisi puisque révélateur d'une incompréhension du style Monty n'est d'ailleurs pas explicité dans le corps du texte. Le livre d'Antoine Capet n'est pas mauvais, loin de là, il serait sorti seul que nous l'aurions loué d'avoir comblé ce vide mais, force est de constater en le comparant au Mas/Feldmann, qu'il s'alimente en de longues citations tirées auprès des mémoires du Vicomte d'El-Alamein – ce qui n'est pas une mauvaise idée en soi mais à condition de les confronter à d'autres archives - et comporte de longs récits des opérations au point d'en oublier Montgomery. En conséquence, à l'image des mémoires de Montgomery le récit se focalise sur les années de la 2e guerre mondiale délaissant celles que Montgomery lui-même préférait taire ( la 1ere guerre mondiale en particulier réduite à neuf pages – contre 22 dans le M/F ). Mas et Feldmann évitent ce piège. Enfin Antoine Capet, spécialiste incontesté de la société anglo-saxonne, souffre de ne pas être assez versé dans la polémologie et ne semble pas avoir consulté les ouvrages sur la nouvelle histoire de l'armée britannique : French, Buckley (et bien sûr le Colossal Cracks de Hart). Au contraire de C. Mas et D. Feldmann qui sont avant tout des experts de la dimension militaire du 2nd conflit mondial (C. Mas travaille depuis plus de dix ans le sujet et plus particulièrement la guerre du désert, leur bibliographie compte neuf pages, à comparer aux 11 titres du livre d'Antoine Capet). En conséquence bien que deux fois plus courte, leur biographie est plus complète, même si bien sûr le format oblige à être plus succinct dans la présentation des faits ou l'étalement des sources. Curieusement la où l'on pourrait attendre un universitaire – sur le terrain de la mémoire et de l'historiographie – c'est une nouvelle fois C. Mas et D. Feldmann qui consacrent un chapitre sur le mythe "fragile " de Monty.

Une telle entreprise aurait pu faire basculer les auteurs dans l'hagiographie, il n'en est rien. Ils ont su éviter l'empathie et n'ont pas été victimes d'une souche mutante du "syndrome de Stockholm" et là encore, le propos parait plus équilibré que dans le Capet. Il est d'ailleurs utile de lire en parallèle les Mémoires de Montgomery justement rééditées cette année.

Sur le fond, la seule petite critique – et encore est-ce moins une critique que l'occasion d'ouvrir un débat entre passionnés -, se trouve dans des passages quelque peu rapides sur les événements de septembre 1944. Les auteurs ne soulignent pas assez, à mon sens, que les choix risqués de Montgomery (option d'une stratégie du front étroit, op. Market-Garden, négligence à Anvers), en rupture avec sa philosophie, s'expliquent largement par les consignes que lui imposent Churchill et Brooke, à savoir maintenir l'armée britannique en pointe de l'effondrement du nazisme pour défendre au mieux le statut de grande puissance et le rayonnement de la Grande-Bretagne à un moment où le simple jeu démographique et économique relègue ce pays dans l'ombre de la superpuissance américaine.

L'ouvrage est indispensable et novateur, remarquable tant sur le fond que dans sa forme… et s'il ne fallait en lire qu'un sur Montgomery, à n'en pas douter ce serait celui-là.

Nicolas Aubin.

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