Thierry Desjardins, qui a à son actif une longue carrière au Figaro, livre en 1975 un de ses premiers ouvrages (sur une trentaine) consacré à son périple auprès des otages français retenus au Tchad. Desjardins accompagne sur place Pierre Claustre, le mari de l'ethnologue Françoise Claustre, prise en otage en 1974 par la 2ème armée du FROLINAT commandée par Hissène Habré et Goukouni Oueddeï, dans le Tibesti, en compagnie d'un coopération français, Marc Combe, et d'un Allemand, le docteur Staewens (dont la femme a été tuée au moment de l'enlèvement).
En route pour le Tchad via Alger, Desjardins rencontre Abba Siddick, un des fondateurs du FROLINAT réfugié à l'étranger et qui est fortement contesté par les combattants du FROLINAT, en particulier ceux de la 2ème armée, qu'il n'apprécie pas beaucoup, ainsi qu'il le confie au journaliste. Passant par In Aménas, désormais de sinistre mémoire, Desjardins se crashe avec Claustre sur le Tibesti, où leur avion se pose en catastrophe. Puis ils sont récupérés par les combattants d'Hissène Habré.
Claustre et Desjardins sont hébergés dans des conditions spartiates, qui sont celles en réalité du quotidien des Toubous de l'insurrection. Le journaliste retrace à grands traits - parfois un peu trop grands- l'histoire de la contestation du régime de Tombalbaye. Il a cependant raison d'insister sur le fait que malgré l'intervention française, le FROLINAT, malgré ses difficultés et ses dissensions internes, n'a jamais été complètement éradiqué, d'autant plus pour la 2ème armée des Toubous qui est progressivement soutenue par la Libye de Kadhafi (même si Habré n'apprécie guère l'ingérence libyenne). Claustre évoque pour Desjardins le commandant Gourvennec, un Français à la triste réputation, plus ou moins lié au SDECE, qui dirige le service de renseignements de Tombalbaye. Il raconte aussi l'enlèvement de son épouse, qui fournit l'occasion aux Toubous de capturer leurs premières Land Rover -lointains prémices de la "guerre en Toyota" de 1987... Claustre prétend qu'une opération a été conçue pour libérer les otages, avec la participation de 150 paras tchadiens soutenus par les AD-4 locaux, mais qu'elle n'a jamais été mise en oeuvre en raison de problèmes insurmontables.
Desjardins a des mots durs pour le commandant Galopin, le négociateur français envoyé auprès de Hissène Habré et retenu à son tour en août 1974 -même si effectivement le personnage a participé à la répression orchestrée par le régime tchadien. Il est intéressant de voir aussi que les premiers véhicules récupérés par les Toubous sont réparés par les Français, Claustre, puis plus tard Combe - les Tchadiens savent les conduire mais n'en maîtrisent pas encore la mécanique. Desjardins sépare assez articiellement Habré, le "révolutionnaire", de Oueddeï, le "guerrier", alors que les deux oeuvrent de concert, même s'ils finiront par se brouiller. Le journaliste et Claustre sont en fait arrivés alors que Habré ordonnait l'exécution du commandant Galopin, en avril 1975. Claustre négocie la libération de sa femme contre 500 millions de francs en liquide pour acheter des armes (4 Land Rover, 2 AML, 1 500 paires de chaussures, 1 000 fusils FN FAL, etc) et 500 millions sur des comptes en banque en Suisse. Pour Desjardins, l'enlèvement des otages par Habré sert surtout à ce dernier à obtenir une image internationale, et des fonds, pour se propulser à la tête du FROLINAT en évincant Siddick, réfugié à l'extérieur, tout en ralliant les autres composantes du mouvement.
Dans la nuit du 12 au 13 avril 1975, Tombalbaye est renversé par un coup d'Etat militaire qui propulse au pouvoir le général Malloum. Mais les Toubous n'en ont cure. Lors des déplacements en véhicule, Desjardins décrit le ravitaillement en essence qui s'opère via des bidons cachés sur l'itinéraire. A Gouro, il rencontre Adoum Togoï, le chef d'état-major de Habré. C'est lui qui a mené l'enlèvement des otages. Il précise que la 2ème armée du FROLINAT ne compte à l'époque que 850 combattants et manque de cadres (50 à 60 seulement). Desjardins est assez déçu de sa rencontre avec l'otage Marc Combe. Au Borkou, on remarque que le FROLINAT dispose aussi de quelques Toyotas fournies par les Libyens.
Desjardins, par contre, ne verra jamais Françoise Claustre, probablement parce que Habré ne le souhaitait pas. D'ailleurs ce dernier met à l'épreuve le journaliste qui craint, un temps, d'être lui aussi retenu en otage (!). Desjardins affirme avoir eu entre les mains une feuille où Galopin avait listé pour Habré les armes et munitions à fournir par Claustre... Le 2 mai 1975, il est de retour à Paris. Un mois plus tard, Marc Combe parvient à s'évader avec un des véhicules pris par les Toubous lors de sa capture.
Le témoignage de T. Desjardins, bien que limité de par sa méconnaissance initiale du Tchad et des soubresauts survenus depuis l'indépendance (ainsi que de l'histoire longue du pays), a en revanche l'avantage de nous présenter, vu de l'intérieur, le CC-FAN -ou 2ème armée du FROLINAT) entre la fin de l'opération Limousin et l'offensive de 1977-1978 appuyée par la Libye, c'est à dire à un tournant. La prise d'otages d'Hissène Habré relance les Toubous et montre que l'insurrection tchadienne n'est pas écrasée. Avec le soutien libyen, elle prendra une nouvelle expression, entraînant l'intervention française de 1978. Je signale aussi que ce volume, que j'ai acheté d'occasion, a été visiblement annoté par un militaire français ayant participé aux opérations sur place (Limousin en particulier). Ce militaire, qui prend plaisir à insulter Desjardins ("gauchiste", "salopard", etc), fournit cependant quelques commentaires intéressants et corrige certaines des erreurs du journaliste (sur les opérations ou les thématiques miltaires, les personnages aussi, en particulier les officiers tchadiens qu'il a manifestement côtoyés). Une lecture dans la lecture, en somme...