Petit complément au n°13 du magazine Histoire et Stratégie que j'ai écrit et que vous pouvez trouver actuellement en maison de la presse, ce passage, coupé faute de place, sur les voilures tournantes du IIIème Reich. Bonne lecture.
Les
hélicoptères nazis : grandeur et misère des voilures
tournantes du IIIème
Reich
Les
Allemands sont les premiers, dès 1936, à concevoir un dessin
d'hélicoptère viable et à faire voler un appareil stable. Les
scientifiques du IIIème
Reich ont mis au point, en
1945, des hélicoptères opérationnels, et ont montré leur
potentiel au combat. Dès la fin des années 30, l'Allemagne est
devenue, en fait, le centre de développement des hélicoptères.
Lors de la capitulation de mai 1945, plus de 20 modèles différents
ont été conçus dont des autogyres, des gyroplaneurs et des
cerf-volants pilotés. Les travaux allemands ne peuvent être
comparés qu'à l'oeuvre de Sikorsky qui opère alors aux Etats-Unis
et qui est d'ailleurs fortement inspiré par les réalisations
nazies.
Au
début des années 30, le professeur Heinrich Focke fabrique
plusieurs exemplaires d'autogyres de Juan de la Cierva1
sous licence et commence à expérimenter ses propres hélicoptères.
Focke travaille non pas avec son collègue Georg Wulf, mais avec Gerd
Achgelis qui pilote alors un Fw 44 « Steiglitz »
dessiné par Kurt Tank dans des shows
acrobatiques -à l'instar d'un Ernst Udet2.
Focke produit bientôt son propre modèle, le Fa-61, à deux rotors.
Le Fa-61 réalise son premier vol le 26 juin 1936, qui dure 28
secondes, aux mains d'Ewald Rohlfs. La célèbre Hanna Reitsch
effectue l'année suivante un vol de plus de 100 km entre Berlin et
Brême aux commandes du Fa-61. En février 1938, l'hélicoptère, à
nouveau piloté par Hanna Reitsch, reçoit un triomphe lors d'une
exposition à l'intérieur de la Deutschlandhalle du palais des
sports de Berlin.
L'appareil
n'est pas secret : au contraire, il sert à démontrer les
prouesses du Reich
dans la conception de nouvelles machines et il est souvent exposé en
public. Un autre concepteur va bientôt oeuvre dans le même domaine
que Focke-Achgelis, Anton Flettner. La Wehrmacht
voit rapidement le potentiel militaire de telles machines : dès
1938, Focke-Achgelis travaille sur un premier hélicoptère de
transport, le Fa 266 Hornisse,
rebaptisé plus tard le Fa 223 « Drache ».
C'est une version agrandie, en fait du Fa-61.
Le
Drache,
birotor, peut
transporter théoriquement 4 passagers dans sa soute, mais lors de
manoeuvres en 1944, il embarque 12 soldats complètement équipés.
Il peut au total transporter plus d'une tonne de fret, ayant même
soulevé un appareil de reconnaissance Fieseler
Storch et une Volkswagen
durant des essais. Le prototype du Fa 266 est terminé dès 1939 et
redésigné Fa 223. Il réalise ses trois premiers vols en août
1940. Le ministère de l'Air nazi en commande 30 pour réaliser
d'autres tests sur différentes fonctions : lutte
anti-sous-marine, reconnaissance, sauvetage, entraînement,
transport.
Le
premier prototype est cependant perdu sur accident en février 1941.
En juin 1942, les deuxième et troisième prototypes, ainsi que 7
machines de pré-série, sont détruites lors d'un raid aérien
allié. La production est déplacée de Brême à Laupheim, dans le
sud de l'Allemagne, mais ne reprend pas avant février 1943. D'autres
appareils sont encore perdus lors d'un raid sur l'usine en juillet
1944 : au total, pas plus de 12 Fa 223 ont été assemblés. 3
sont encore opérationnels à la fin de la guerre : un est
détruit par son pilote, les deux autres sont capturés par les
Américains. L'un d'entre eux est convoyé en Angleterre par Helmut
Gelsenhauer, le pilote allemand d'hélicoptère le plus expérimenté
avec 170 heures de vol d'essai. La production du Fa 223 continue
après la guerre en France (avec l'aide du professeur Focke) et en
Tchécoslovaquie où deux exemplaires sont assemblés à l'aide de
pièces détachées.
Focke-Achgelis
s'intéresse aussi aux appareils à un seul rotor. Hormis le Fa-225,
la compagnie conçoit début 1942 un appareil destiné à être
tracté derrière un sous-marin pour servir de plate-forme
d'observation aérienne et éviter ainsi les attaques de l'aviation
alliée. C'est le Fa-330 « Bachstelze ».
De conception très sommaire, il est produit à 200 exemplaires par
Weser-Flugzeugbau et déployés à bord des U-Boote
type IX mais l'on sait peu de choses sur leur emploi opérationnel.
Certains ont apparemment été utilisés par les U-Boote
dans l'océan Indien en
1943, dans un secteur où les navires marchands n'opéraient pas
forcément en convois.
Focke-Achegelis
travaille également sur des concepts originaux, comme le Fa 269, un
appareil hybride entre l'avion et l'hélicoptère qui préfigure le
V-22 Osprey
américain. Le Fa 284 est une version agrandie du Fa-223 censée
remplir le même rôle qu'un appareil postérieur lui aussi
américain, le CH-54 « Flying
Crane ». Le projet
est cependant annulé en 1943. Le dessin le plus audacieux reste sans
doute, cependant, celui du « Triebflügel »,
un appareil VTOL (Vertical
Take-Off and Landing Aircraft,
appareil à décollage et atterrisage verticaux) fonctionnant par la
rotation de trois ailes le long du cockpit et du fuselage. Les
Français et les Américains travailleront brièvement sur l'idée
dans les années suivant la fin de la guerre, avant d'abandonner eux
aussi le concept.
L'autre
créateur d'hélicoptères allemand est Anton Flettner, qui commence
par construire des autogyres à destination de la Kriegsmarine.
Le Fi-265 est opérationnel en 1937 et la Kriegsmarine
en commande 6 exemplaires l'année suivante. Le prototype réalise
son vol en 1939 avant d'être détruit par accident. D'autres
exemplaires sont utilisés à bord de croiseurs ou de sous-marins
dans la Baltique et en Méditerranée, prouvant la validité
d'appareils VTOL basés sur des navires. Les Fi-265 apparaissent
aussi dans certaines unités de l'armée pour des reconnaissances et
des tâches logistiques. Des évaluations menées par la Luftwaffe
avec un Bf 109 et un Fw 190 équipés de caméras montrent que
l'hélicoptère est très difficile à abattre, les deux chasseurs ne
plaçant aucun coup au but pendant vingt minutes d'engagement.
Le
Fi-282 « Kolibri »,
avec un rotor placé au-dessus du siège de pilote, est sans doute
l'appareil le plus abouti d'Anton Flettner. Plus de 50 hommes sont
formés par son pilote d'essai, Hans Fuisting. Très manoeuvrable,
l'appareil peut dépasser les 60 km/h. En 1942, des tests ont lieu à
bord du croiseur Köln,
qui prouvent que l'hélicoptère peut voler même par mauvais temps.
L'année suivante, 20 appareils sont en service au sein de la
Kriesgmarine
dans la Méditerranée et en mer Egée. En 1944, BMW reçoit commande
de 1000 Kolibrisà fabriquer dans ses usines de Munich et Eisenach, mais celles-ci,
ainsi que les ateliers de Flettner à Johannistal, sont victimes de
bombardements alliés : seulement 24 exemplaires ont été
produits. Une unité d'observation pour l'artillerie est cependant
établie avec 3 Fi-282 et 3 Fa-223. Il est probable que certains
appareils ont opéré dans ce rôle à partir du terrain d'aviation
de Berlin-Rangsdorf pendant les derniers mois de la guerre. Flettner
dessine aussi un appareil de transport à 20 places, le Fi 339, qui
reste au stade du projet.
Pour
en savoir plus :
Roger
FORD, Germany Secret Weapons in World War II, Motorbooks
International, Zenith Press, 2000.
1Un
inventeur espagnol qui a mis au point l'autogyre.
2Udet
est le deuxième as allemand de la Grande Guerre, derrière von
Richthofen. Il devient ensuite ministre de l'Air du IIIème
Reich.