Jean-Christophe Notin est un auteur qui a évolué avec le temps. A partir de 2000, il commence par écrire des ouvrages portant sur l'histoire militaire, particulièrement de l'armée française (une biographie de Leclerc, par exemple, en 2005). Puis, entre 2005 et 2008, il signe plusieurs romans qui collent toujours à la même thématique, avant de reprendre un peu, en 2008, l'écriture d'ouvrages d'histoire. Enfin, depuis 2011, il se met à travailler sur les conflits contemporains dans lesquels la France est intervenue : services secrets en Afghanistan, guerre en Libye, et ce livre sorti l'an passé sur la Côte d'Ivoire -Notin préparant en outre un livre sur l'opération Serval, au Mali. Pour ma part, je n'avais lu de cet auteur que la biographie du maréchal Leclerc, il y a fort longtemps d'ailleurs, à tel point que je m'en souviens à peine. Je reprends donc contact avec cet auteur à la faveur de cette lecture.
Le titre provient d'une fable africaine qui est censée résumer l'esprit de l'ouvrage (et qui semble, au passage, conforter une vision bien particulière de l'Afrique...). Un ouvrage qui veut "faire la lumière" sur l'explosion de cette "vitrine" qu'a été la Côte-d'Ivoire, modèle de l'Afrique francophone jusqu'en 1993 et la disparition de Félix Houphouët-Boigny. Le règne de Laurent Gbagbo a complètement détruit cette vitrine de façade, selon l'auteur.
En décembre 1999, le président Henri Konan Bédié est renversé par un coup d'Etat du général Guéï. A l'automne 2000, Laurent Gbagbo, opposant historique à Houphouët-Boigny, est élu président aux termes d'une campagne électorale des plus houleuses où il a joué du concept d'"ivoirité" pour exclure ses opposants, Bédié et Alassane Ouattara. Le général Guéï cherche à se maintenir au pouvoir, et Gbagbo n'est finalement élu que de manière contestée, par une fraction de la population. Le maniement de "l'ivoirité" est pour bonne partie responsable du déclenchement de l'insurrection, en septembre 2002, dans le nord du pays, plutôt musulman, alors que le sud est davantage chrétien (très grande approximation, pour simplifier...). Les populations du nord, notamment les Malinkés, se sentent exclues, de même que les nombreux travailleurs immigrés originaires des pays voisins et qui ont pu bénéficier jusqu'ici de la nationalité ivoirienne.
Pour Jean-Christophe Notin, la France a été prise de court, notamment parce que la DGSE et les autres services de renseignement se sont retrouvés face à une multiplication pléthorique des réseaux de renseignement qui a gravement nui à l'efficacité de la collecte (restes des réseaux Foccart, réseaux développés sous Mitterrand, anciens fonctionnaires ou militaires venus travailler à titre privé dans le pays...). L'opération Licorne, déclenchée en septembre 2002 sous mandat de l'ONU, est d'abord là pour protéger les ressortissants français, mais elle sert aussi de force d'interposition dans une guerre civile sur le point d'éclater.
Dispositif important (jusqu'à 4 000 hommes), Licorne doit, officiellement, ne pas prendre parti. Mais elle subit le harcèlement des partisans de Gbagbo : jeunes patriotes de Goudé, bombardement du marché d'Abobo au mortier, puis, enfin, bombardement de l'ancien lycée Descartes transformé en caserne, à Bouaké, le 6 novembre 2004. Deux Su-25 pilotés par des Biélorusses tuent 9 soldats français et en blessent 33. En représailles, la France détruit à coups de missiles antichars les appareils ivoiriens.
A partir de ce moment, les relations entre le pouvoir ivoirien et Paris ne cessent de de dégrader. Gbagbo ne consent à remettre son mandat en jeu qu'en 2010, croyant pouvoir l'emporter : mais son adversaire, Ouattara, autorisé cette fois-ci à participer à l'élection, l'emporte. Le résultat est reconnu par l'ONU et l'Union Africaine. Gbagbo refuse cependant de quitter le pouvoir et va jusqu'à l'épreuve de force qui aboutit à son éviction, le 11 avril 2011. La France y tient un grand rôle, notamment par l'intervention de ses forces spéciales et de l'ALAT. Les premières mènent des opérations spectaculaires, comme la reprise de l'ambassade du Japon investie par des mercenaires libériens à la solde de Gbagbo. La seconde détruit, à coups de missiles et de canons, des pièces antiaériennes soviétiques ou des blindés qui auraient pu menacer les forces au sol, à savoir les partisans de Ouattara.
En refermant le livre, on pourrait se dire qu'on a là une histoire fort honnête des relations franco-ivoirienne entre 1999 et 2013, comme annoncé sur la couverture. En réalité, l'ouvrage souffre de plusieurs problèmes importants. D'abord, la mise en contexte se fait a minima : l'histoire de la Côte-d'Ivoire depuis l'indépendance est expédiée en 15 à 20 pages à peine dans le premier chapitre, ce qui est tout de même peu pour comprendre les enjeux propres au pays. En outre, la structure du livre, prolongeant cette première remarque, est manifestement déséquilibrée : plus de la moitié du propos traite de la période 2010-2011, la période 1999-2010 obtenant peu ou prou la même place, même si l'intention de l'auteur est à l'évidence d'apporter davantage d'éclairage sur la chute de Laurent Gbagbo en avril 2011, et il est vrai qu'on lit des choses inédites, sur l'intervention française en particulier. Mais ce constat est lié à un autre, qui constitue sans doute le principal reproche que l'on peut adresser à Jean-Christophe Notin : quelles sont ses sources ? La bibliographie mentionnée, qui tient en deux pages, mélange allègrement, dans une trentaine de titres, témoignages d'acteurs (surtout français) et ouvrages de journalistes ou de spécialistes. Le fond du livre tient sans doute davantage, en fait, aux témoignages très officiels recueillis par l'auteur et qui sont cités juste après la bibliographie, et qui sont d'ailleurs, en réalité, aussi importants, en place, que celle-ci. Le défaut de la méthode, c'est que Jean-Christophe Notin se fait ainsi le relais d'une vision très "officielle", justement, de l'histoire des relations franco-ivoiriennes, vues du côté français. Il n'y a pour ainsi dire pas de contrepartie ivoirienne, ni, malheureusement, il faut bien le dire, de distance critique par rapport à l'action de la France, le plus souvent. Ce type d'ouvrage pose donc la question de la manière d'écrire sur des conflits très contemporains, à peine terminés, qui relèvent parfois de ce que l'on pourrait appeler une "histoire immédiate". Si je prends l'exemple de mon propre travail sur le conflit syrien, que j'espère prochainement transformer aussi en ouvrage, ce serait comme si je bâtissais mon livre en utilisant des témoignages recueillis auprès de Bachar el-Assad et des cadres politiques, militaires et administratifs du régime syrien, le tout mâtiné d'emprunts à quelques ouvrages généraux ou un peu plus spécialisés ayant trait à la Syrie ou au conflit encore en cours. Il est évident que cela ne peut être satisfaisant sur le plan de la méthode.