Merci à Yann pour cet envoi.
Le n°38 de Ligne de Front, sorti en septembre-octobre 2012, a cette particularité de proposer... un dossier sur l'armée allemande pendant la Seconde Guerre mondiale, en lieu et place des articles habituels. Ce dossier semble une réponse au numéro 7 de Guerres et Histoire, dont j'avais fait la recension ici, sorti en mai-juin 2012. La rédaction entend prendre le contre-pied de ce dossier du magazine animé par Jean Lopez, en se demandant quelles étaient les qualités mais aussi les défauts de la Wehrmacht pendant la Seconde Guerre mondiale. Une comparaison s'impose donc même si le dossier de Guerres et Histoire balaye plus large, le dossier revenant plus largement sur l'art militaire allemand depuis Frédéric II, en gros. Par certains côtés, ce n'est donc pas si pertinent, mais quand même, l'intention est là. Pour ce faire, j'ai également relu le dossier de Guerres et Histoire n°7.
Le n°38 de Ligne de Front, sorti en septembre-octobre 2012, a cette particularité de proposer... un dossier sur l'armée allemande pendant la Seconde Guerre mondiale, en lieu et place des articles habituels. Ce dossier semble une réponse au numéro 7 de Guerres et Histoire, dont j'avais fait la recension ici, sorti en mai-juin 2012. La rédaction entend prendre le contre-pied de ce dossier du magazine animé par Jean Lopez, en se demandant quelles étaient les qualités mais aussi les défauts de la Wehrmacht pendant la Seconde Guerre mondiale. Une comparaison s'impose donc même si le dossier de Guerres et Histoire balaye plus large, le dossier revenant plus largement sur l'art militaire allemand depuis Frédéric II, en gros. Par certains côtés, ce n'est donc pas si pertinent, mais quand même, l'intention est là. Pour ce faire, j'ai également relu le dossier de Guerres et Histoire n°7.
- cependant, un premier article de Xavier Tracol consiste en la deuxième partie d'une étude consacrée aux tactiques de combat en milieu urbain. Ici, le front de l'ouest et les Britanniques. Intéressant exposé sur les tactiques prévues par l'Angleterre en cas d'invasion en 1940, par contre on reste un peu sur sa faim, faute de place, sur les tactiques utilisées pendant la phase offensive, en 1943-1945.
- le dossier commence par une présentation de l'art de la guerre allemand de Vincent Bernard, du blog Le Cliophage. Celui-ci insiste sur la Prusse, devenue au XVIIIème siècle "une armée avec un Etat" et sur la réforme consécutive aux premiers échecs devant Napoléon (1813). La réorganisation de 1860 montre déjà ses limites pendant la guerre contre l'Autriche (1866) et surtout contre la France (1870-1871). Vincent Bernard insiste aussi sur l'ambition impérialiste de Guillaume II. En 1914, l'armée allemande est une machine bien rôdée. Le plan initial échoue. Une culture de guerre des tranchées spécifique à l'armée allemande apparaît et l'Allemagne cherche à regagner l'initiative en misant sur l'infanterie et l'artillerie lourde.
Dans le dossier de Guerres et Histoire, c'est ce point même de l'art militaire allemand (en existe-t-il un spécifique ?) qui est au coeur du propos. La revue des batailles menées par la Prusse puis l'Allemagne à partir de Frédéric II s'inspire ainsi fortement de l'ouvrage de Citino (cité d'ailleurs en bibliographie ; recension ici) sans en éliminer les limites. L'analyse du modèle de Cannes fait la part belle à la responsabilité de Schlieffen, qui a laissé son nom à un plan qui n'en était pas vraiment un.
- Xavier Tracol et Yann Mahé reviennent ensuite sur la supériorité tactique allemande pendant la Seconde Guerre mondiale. Pour les deux auteurs, les Allemands sont restés sur une vision tactique, héritée de la reprise de la guerre de mouvements à la fin de la Première Guerre mondiale, etde concepts plus anciens. Il y a un passage intéressant sur l'oeuvre de von Seeckt (militarisation de la société, Auftragstaktik) et sur la mise en oeuvre de la guerre mécanisée, notamment grâce à Guderian. Les deux auteurs expliquent ensuite comment la défense élastique, concept appliqué pendant la Première Guerre mondiale, n'est pas repris correctement durant la Seconde, notamment en raison de l'entêtement d'Hitler qui veut tenir le terrain parfois à tout prix. Elle n'a vraiment été mise en oeuvre sur la durée qu'en Italie. L'efficacité tactique tient aussi à quelques unités d'élite. Je suis plus sceptique sur Rommel en parangon de la Bliztkrieg (il a ses défauts justement hérités de la façon dont sont façonnés les officiers allemands...) et sur une vision de l'ennemi soviétique qui reste très convenue, gagnant par la simple supériorité numérique... on sait que je pense qu'il n'en a rien été, et c'est un peu daté.
Il n'y a pas d'article équivalent dans Guerres et Histoire, en revanche un lexique propose des termes qui sont aussi définis dans l'article de Ligne de front. L'historique est plus claire dans Ligne de Front que dans Guerres et Histoire pour le terme Blitzkrieg. En revanche, les forces et les faiblesses du Kampfgruppe sont mieux précisées dans Guerres et Histoire.
- Yann Mahé présente ensuite la dimension technologique de la Heer. Le paradoxe tient à ce que l'Allemagne, comptant entrer en guerre en 1943 voire 1945, est moins bien équipée ou à niveau égal par rapport à ses adversaires du début de la guerre. La supériorité technologique n'est acquise qu'en 1943. Cela n'empêche pas les Allemands d'avoir innové, comme avec le jerrycan, présenté aussi dans un numéro de Guerres et Histoire. A la fin de la guerre, ils sont des pionniers dans le développement des automoteurs de DCA et du tir infrarouge... même si le génie blindé reste le parent pauvre de l'arme mécanisée. Les armes d'infanterie restent célèbres : MG 42, Panzerfaust, StG 44... mais comme le dit Yann Mahé en conclusion, l'armée allemande s'est surtout reposée sur le triptyque Panther, MG 42 et StG 44 à la fin de la guerre, le reste étant souvent à l'état du prototype. Yann Mahé offre aussi un tableau nuancé des armes V, présentant leur côté révolutionnaire tout en soulignant les limites de ces expériences face à celles menées sur la bombe atomique dans l'autre camp.
Dans Guerres et Histoire, un passage de l'article des p.56-63 revient justement sur la technologie. Pour Benoist Bihan, la recherche allemande sous l'ère nazie est surtout plombée par son caractère désordonné et par un culte de la performance, de la technologie pour la technologie reposant entre autres sur le nazisme. L'encadré p.61 se termine sur l'idée que la supériorité technologique allemande est largement surfaite, les Alliés étant en avance dans des domaines clés (moteurs d'avion, électronique, nucléaire).
- Yann Mahé liste ensuite une série d'erreurs stratégiques commises par les Allemands au début de la Seconde Guerre mondiale. Elles tiennent aux décisions politiques, à la focalisation sur la tactique et aussi à l'idéologie nazie. On peut discuter l'impact réel de certains exemples mais c'est instructif.
Il n'y a pas à proprement parler d'équivalent dans Guerres et Histoire.
- Alexandre Thers revient alors sur l'économie de guerre allemande, réveillée tardivement. Il décrit une situation chaotique mais accorde peut-être un peu trop d'importance à Speer, qui certes a eu un rôle certain, mais le renversement de vapeur avait déjà été enclenchée avant son arrivée.
Dans Guerres et Histoire, on retrouve des considérations sur l'économie de guerre dans l'article précité. Pour Benoist Bihan, le nazisme devient le boulet de l'économie de guerre par son chaos et son système "féodal". L'Etat nazi, paradoxalement, n'arrive pas à soumettre l'industrie à une planification cohérente !
- les deux derniers articles du dossier sont parmi les plus intéressants. Alexandre Thers se penche sur la capacité combattive du Landser. L'alchimine tient au mélange entre le vieux fond prussien militariste et l'idéologie nazie. Outre l'endoctrinement, l'entraînement est valorisé dès la Reichswehr puis avec la Wehrmacht. Le soldat allemand est en général plus jeune et mieux équipé (paquetage, nourriture) que ses adversaires du début de la guerre, au moins. Quant à la Waffen-SS, son instruction dépend beaucoup de la Wehrmacht jusqu'en 1943 (ce qui annule la différence que l'on met souvent entre les deux...) et même si la dureté est là, les Waffen-SS ne se manifestent guère au-delà de succès tactiques. Fanatisés, les soldats allemands se battent globalement jusqu'au bout, malgré des redditions importantes lors de certaines phases du conflit.
Dans le dossier de Guerres et Histoire, l'interview de Pierre Jardin revient, davantage sur le long terme, sur le corps des officiers (p.54-55). Les officiers se laissent séduire par le nazisme, et Hitler leur sacrifie les SA avant d'implanter des éléments nazis fidèles dans l'armée. Le vieux corps prussien qu'Hitler cherche à amoindrir suit pourtant dans sa majorité le régime jusqu'au bout, à l'exception de quelques conspirateurs.
- enfin, Alexandre Thers s'intéresse dans un dernier article au poids de l'idéologie. L'auteur remonte assez loin dans le temps en évoquant aussi les massacres commis par les troupes du Kaiser contre les Hereros, que d'aucuns qualifient parfois comme le premier génocide. Il y aussi les représailles contre les populations opérées dès la guerre de 1870 et encore plus en 1914. A l'est, l'Allemagne mène à partir de 1941 une guerre raciste, d'extermination, qui gonfle le mouvement partisan dès 1942. Les Allemands cherchent à renverser la vapeur en 1943 mais il est trop tard : et l'armée Vlassov ne reste qu'un épouvantail... Hitler s'est mis à dos des populations qui auraient pu se retourner contre l'URSS : pour autant, en avait-il vraiment le désir ?
Il n'y a pas d'équivalent à cet article dans Guerres et Histoire. C'est d'ailleurs peut-être un manque, que je n'avais pas relevé au moment de la recension : le magazine évacue un peu la dimension idéologique de l'armée allemande pendant la Seconde Guerre mondiale, même si un article traite de la naissance du mythe de la supériorité militaire pendant la guerre froide (avec un encadré sur Mabire, peut-être pas assez incisif à mon goût).
Pour terminer, un point sur la bibliographie. Dans Ligne de Front, seul Vincent Bernard rappelle la sienne dans un encadré (avec uniquement des titres français, ce qui étonnant au vu du sujet traité ?). Quelques ouvrages apparaissent ensuite furtivement dans les notes, dont certains communs avec Guerres et Histoire. Dans ce dernier magazine, la bibliographie est présente p.67. On n'y trouve que des titres anglophones sauf l'ouvrage de Wette, lui-même une traduction. Comme cela a déjà été dit, dans le cas du Citino, le magazine colle peut-être d'un peu trop près à certaines idées sans en voir les limites ou les nuances à apporter.
S'il fallait donner un avis tranché, je dirais que le propos de Ligne de front me semble un peu plus équilibré, même s'il n'est pas exempt d'absences ou de faiblesses. La performance de l'armée allemande pendant la Seconde Guerre mondiale est bien décrite et ses limites soulignées. La dimension idéologique est amenée correctement. Reste peut-être un manque de recul sur la stratégie allemande et l'héritage sur le long terme que l'on trouve dans Guerres et Histoire, plus fin sur ces aspects. Mais aussi un peu outrancier : en voulant à tout crin montrer qu'un art allemand de la guerre spécifique existe depuis Frédéric II et se périme largement au XXème siècle, Guerres et Histoire ne voit peut-être pas assez que le modèle fluctue aussi selon d'autres considérations. Ainsi, le magazine se focalise sur les campagnes et n'évoque pas assez, peut-être, des éléments relevant de l'histoire-bataille totale : influences étrangères sur l'art de la guerre allemand, dimension économique initiale dans la Prusse, nationalisme et idéologie... etc.