Steven Zaloga, un des spécialistes fétiches d'Osprey pour l'armée soviétique et l'armée américaine, signe encore ce volume de la collection New Vanguard consacré, cette fois-ci, au char T-62. Ce blindé montre combien le développement des chars en URSS a pu être fonction des contingences politiques et des pressions d'une usine de production montante du coeur du pays. Ce char est finalement produit en masse pour l'Armée Rouge dans les années 1960 et jusqu'au début des années 1970. Son canon à âme lisse a servi à développer de nouveaux types de munitions. Surtout, le T-62 a été massivement exporté : il joue un rôle important dans la guerre du Kippour, reste en première ligne en Afghanistan, pendant le conflit Iran-Irak et sur d'autres champs de bataille depuis, comme en Syrie.
Le T-62 trouve son origine dans la question de l'armement des chars. Dans les années 1950, le canon de 100 mm soviétique commence à manquer de punch face aux M48A2, M60 ensuite et au Chieftain britannique. Les Soviétiques disposent d'obus APC et HEAT; mais n'ont pas développé les APDS (Armor Piercing Discarding Sabot). La compétition fait alors rage entre les bureaux de dessins de l'usine de Nijni-Tagil, issue d'un déménagement effectué en 1941, et celle de Kharkov, revenue à sa place d'origine pendant la guerre, mais qui est à l'origine de la première. Le bureau de Nijni-Tagil expérimente un prototype avec canon de 100 mm à âme lisse, et un autre capable de tirer des missiles. Khrouchtchev encourage le bureau à poursuivre dans la voie des chars lance-missiles, tirant le Drakon. Le projet est cependant abandonné avec la chute de Khrouchtchev en 1964, et l'on passe à des expérimentations d'un canon T-12 Rapira avec projectile APFSDS. Nijni-Tagil développe alors un nouveau canon à âme lisse de 115 mm, qui suppose de modifier la tourelle du T-54/55. En décembre 1960, le M60 arrive au sein des unités américaines en Europe. Tchouïkov, qui commande les forces terrestres soviétiques, exige d'avoir un canon de calibre supérieur au nouveau canon de 105 mm du char américain M60. Le T-62, avec son canon à âme lisse de 115 mm, est donc adopté en 1962. Le nouveau char arrive aux unités du groupe d'armées en Allemagne dès 1963. La production continue jusqu'en octobre 1973 : 19 019 T-62 sont fabriqués à Nijni-Tagil. A cette date, le char constitue 75% du parc des forces du groupe d'armés soviétique en Allemagne. En Occident, il est découvert surtout au moment du printemps de Prague, en 1968.
Le T-72 sera en grande partie construit sur l'expérience du T-62. L'idée d'un char lance-missiles n'est pas abandonnée, on tente encore de monter des AT-3 Sagger sur le T-62. Le T-62 modèle 1972 dispose d'une mitrailleuse antiaérienne de 12,7 mm pour lutter contre les hélicoptères. Entre 1981 et 1985, 785 T-62 voient leur blindage modernisé pour la version M, qui dispose aussi de meilleurs contrôles de tir. Le T-62 n'a pas été produit en dehors de l'URSS, à l'exception de 80 exemplaires seulement par la Bulgarie. En revanche, 5 000 des 19 000 exemplaires construits par Moscou ont été exportés dans les années 1970 et 1980, l'Irak, la Syrie et l'Egypte étant les trois premiers bénéficiaires en nombre. Les Chinois capturent un T-62 pendant les escarmouches de 1969, qui leur servira à développer leurs propres blindés. En 1973, l'Egypte a touché 200 T-62 et la Syrie 500. Dans le Sinaï, puis dans le Golan, c'est moins les caractéristiques techniques que les conditions tactiques et la qualité des équipages qui font la différence. Sur le Golan, les Israëliens sentent bien que le T-62 est meilleur que le Centurion Shot : meilleur blindage, meilleure puissance de feu. Les Irakiens ont le même problème pendant la guerre Iran-Irak et les grandes batailles de chars, jusqu'en 1982. On peut dire aussi que les pertes syriennes au Liban, déjà, sont moins importantes. Le T-62 se retrouve en première ligne lors de l'invasion de l'Afghanistan, la 40ème armée du sud de l'URSS ayant des matériels plus anciens que les autres fronts plus critiques. Les Soviétiques perdent 385 chars durant la guerre, presque tous des T-62, mais les pertes totales sont de 1 340 chars, toutes causes confondues. L'armée afghane actuelle aligne encore quelques-uns de ces chars fournis par les Soviétiques au gouvernement de l'époque. En 1991, il ne reste plus que 3 000 T-62 en service au sein de l'Armée Rouge mais la plupart sont dans des zones de crise : les T-62 verront le combat en Tchétchénie et même en Géorgie en 2008. L'Irak aligne encore 500 T-62 pendant la guerre du Golfe, il est en service dans les meilleures unités de l'armée régulière, l'élite de la Garde Républicaine étant passée au T-72.
A nouveau, le volume est très instructif sur la partie technique, d'autant que le T-62 a un parcours original, et qu'il a été moins abordé que d'autres chars soviétiques (d'ailleurs la bibliographie est entièrement russe). Mais on peut encore regretter que la partie analyse soit réduite à la portion congrue : même sur le plan de l'emploi au combat à l'exportation, Zaloga se contente de rabâcher le sujet archi-connu du Kippour, alors que d'autres conflits beaucoup moins connus (comme la guerre Iran-Irak, pour n'en citer qu'un) aurait mérité cette place. Dommage ! A noter qu'à cette date, les illustrations ne sont plus au centre avec légendes à la fin, mais sont disséminées au fil du texte, ce qui rajoute en confort de lecture.