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François NEVEUX, L'aventure des Normands VIIIème-XIIIème siècle, Tempus 252, Paris, Perrin, 2009, 387 p.

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François Neveux, professeur d'histoire médiévale à l'université de Caen, a pris sa retraite en 2009, l'année même de parution en poche de cet ouvrage, initialement paru en 2006. C'est un spécialiste de la Normandie médiévale, un disciple de Lucien Musset.

Ecrit en collaboration avec Claire Ruelle, le livre commence par un prélude, trois épisodes de la geste normande : l'arrivée des Vikings à l'embouchure de la Seine, le 12 mai 841 ; la bataille de Hastings, le 14 octobre 1066 ; et le couronnement de Roger II de Sicile, le 25 décembre 1130. Il cherche à montrer quels étaient les points communs entre les Normands de ces trois épisodes. Le livre, écrit par un universitaire, est très abordable, ce qui est sans doute sa principale qualité.

Les Normands sont les hommes du Nord, appelés aussi païens ou Danois (le peuple le plus anciennement organisé) par les chrétiens. Ils désignent ensuite les habitants du duché de Normandie, fondé au Xème siècle. Les Scandinaves sont entrés en contact avec l'Occident au VIIIème siècle, à travers des expéditions navales, commerciales ou guerrières. Nous n'avons quasiment que la vision des vaincus, les chrétiens victimes des attaques. Le terme viking, lui, n'apparaît qu'au XIXème siècle. Avant le contact avec l'Occident, peu de sources : des inscriptions runiques, et des sources écrites toutes postérieures ou presque, dont les fameuses sagas. L'archéologie reste la plus prometteuse pour apporter de nouvelles connaissances. La langue, le proto-norrois, est comprise dans toute la Scandinavie. Agriculteurs, pasteurs, les Scandinaves développent leurs échanges à partir du VIIIème siècle. Villes et comptoirs font leur apparition. La société, moins égalitaire qu'on ne l'a dit, comprend trois classes, et la richesse divise les hommes libres. La polygamie est pratiquée pour les hommes. Le père est chef de famille. L'assemblée n'est pas non plus, comme le prétend une croyance fort répandue, démocratique : les plus puissants la dominent. La royauté n'apparaît que progressivement : élective, sacrée, on la voit émerger d'abord au Danemark. En Norvège et en Suède, elle est plus fragile. La religion, complexe, vénère surtout quelques dieux : Odin, Thor, etc. Les âmes des morts jouent un rôle considérable dans la vie des vivants. Le culte est familial, les usages funéraires variés.



A partir du VIIIème siècle, et jusqu'au XIème, les Scandinaves se lancent à l'assaut de l'Occident. L'hypothèse de la surpopulation, longtemps évoquée, ne tient plus. En revanche, le fonctionnement interne des sociétés scandinaves apporte des réponses : les hommes libres tentent de s'enrichir pour gagner prestige et considération, les jarls et rois mènent des expéditions pour leur compte. En outre, les échanges commerciaux leur ont permis de constater la faiblesse des pays visés : les Scandinaves reculent toujours quand l'adversaire est trop fort. Ils capitalisent sur la tradition de navigation en mer du Nord, qui leur donne des embarcations adaptées, avec le bordage à clins. Le navire a des noms différents : snekkja pour celui de guerre (qui donne esnèque), knörr pour le navire de commerce. Le mot drakkar, inspiré d'une saga, n'apparaît qu'au XIXème siècle. Les Scandinaves emploient l'épée à double tranchant, la hache à deux mains, possèdent des casques et des boucliers. Ils combattent à pied, volent ou achètent des besoins si nécessaire. Aucune supériorité technique, donc. Le succès tient à l'effet de surprise et à la rapidité d'action avant la riposte. Les Norvégiens colonisent l'Irlande, puis l'Islande, découvrent ensuite le Groënland et fréquentent probablement la côte est du Canada. Les Danois se concentrent sur l'Angleterre et l'Empire franc et rivalisent avec les Norvégiens en Irlande. Les armées se font plus importantes au fil des années. Lucien Musset distingue trois phases dans l'action des Vikings : raids de pillage, imposition du tribut (Danegeld), prise en main directe des territoires. Une pause survient entre 930 et 980, après quoi les Danois, en particulier, repartent à la reconquête de l'Angleterre.

Les Vikings attaquent l'empire de Charlemagne alors qu'il se trouve à son apogée. La Neustrie, entre Seine et Loire, a été négligée, mais avec les premiers raids, Charlemagne et ses descendants vont être forcés de s'en occuper. En outre, les Bretons insoumis commencent à mordre sur ce qui deviendra la Normandie. A partir de 841, les Vikings remontent fréquemment la Seine, avec un pic entre 846 et 852. Dès 860, le roi Charles le Chauve fait barrer le fleuve avec des ponts fortifiés. Le pouvoir construit des châteaux, mais des fortifications privées sont également bâties. Une réorganisation administrative a lieu, un nouveau commandement militaire est créé pour faire face aux raids. C'est le début de l'ascension de Robert le Fort, ancêtre des Capétiens. La Seine reste le lieu privilégié des incursions pendant un demi-siècle. Les Vikings commencent d'ailleurs à coloniser l'embouchure. Rollon, le fondateur historique, a des rapports anciens avec le pouvoir royal. Le traité de Saint-Clair-sur-Epte, que l'on date généralement de 911, concède aux Vikings le duché de Normandie, dont les limites ne sont pas très claires, en particulier à l'ouest. C'est surtout la reconnaissance d'une implantation scandinave de plus en plus prononcée.

Si la Normandie est la seule construction scandinave à avoir survécu, elle le doit largement à ses fondateurs, qui ont su réaliser l'union de la population, intégré la classe dirigeante du royaume, et consolider leur emprise. Le terme duc n'apparaît pas avant le milieu du XIème siècle. Rollon agrandit le territoire du traité et prépare sa succession. Son fils Guillaume Longue-Epée poursuit l'extension vers l'ouest, doit faire face à une révolte sérieuse, mais s'intègre dans l'aristocratie du royaume. Richard Ier gouverne pendant plus de 50 ans (942-996). Il change d'alliance et passe des Carolingiens aux Robertiens. Son fils Richard II, très pieux, attire les clunisiens. Les Normands essaient de pousser vers la Bretagne et la Picardie, mais dès le règne de Guillaume Longue-Epée, le territoire est à peu près fixé. Au sud, il reste encore des possibilités d'expansion. Le christianisme ne commence à s'imposer que sous Guillaume, et Richard Ier restaure la structure ecclésiastique délaissée. Trois évêchés vacants sont pourvus, mais les ducs instaurent une pratique consistant à placer des membres de leurs familles sur les sièges épiscopaux. Grands seigneurs, les évêques normands vont se heurter à la réforme grégorienne de la papauté, que les ducs vont finir par appuyer, tout en encourageant aussi le mouvement monastique. Fécamp en est le point de départ, avec Guillaume de Volpiano. Les ducs ont des épouses légitimes, mais beaucoup de leurs descendants proviennent de concubines. Les liens avec l'Angleterre sont étroits ; la Manche n'a rien d'une frontière et les ducs mènent une politique indépendante du roi de France, accueillant même les exilés de la famille régnante chassés par l'invasion danoise.

Robert le Magnifique, le père du Conquérant, tranche avec le portrait des autres ducs. Succédant à Richard III mort prématurément, il doit affronter les évêques et s'empare de biens d'Eglise. La légende s'est vite emparée de la naissance de Guillaume. Il régularise ensuite sa situation avec l'Eglise puis commence à intervenir en dehors de son alliance avec le roi de France, en particulier en Flandres. Il a les yeux rivés sur l'Angleterre. Son pélerinage est une décision mûrement réfléchie, mais il meurt sur le retour, à Nicée, en 1035.

Le règne de Guillaume est sans doute le point culminant de l'aventure normande. Agé de 8 ans à la mort de son père, le prince ne peut imposer son autorité aux seigneurs les plus rebelles qui tentent même, en 1042, de l'enlever ou de le supprimer. Guillaume demande l'aide du roi de France et les rebelles sont mis en déroute à Val-ès-Dunes, en 1047. Il épouse bientôt Mathilde de Flandres, bravant l'interdiction du pape. Il développe Caen, et le couple ducal fait construire deux abbayes. Guillaume tourne ensuite son attention contre l'Anjou. Le roi de France, inquiet, lance plusieurs attaques contre la Normandie, en 1054 et en 1057, mais il est battu à chaque incursion. Guillaume fait ensuite campagne dans le Maine et en Bretagne. Edouard le Confesseur, qui a longtemps séjourné en Normandie, est roi d'Angleterre. Il souhaite léguer son royaume à Guillaume, et envoie Harold, rejeton dominant de la famille anglo-saxonne la plus puissante, au duc de Normandie. Mais quand Edouard meurt, en 1066, Harold s'empare de la couronne. Guillaume prépare alors son armée et sa flotte, mais patiente, d'autant qu'un autre candidat, le roi Harald Hardrada de Norvège, débarque en Angleterre en septembre, est vaincu et tué. Guillaume débarque les 28-29 septembre et marche sur Hastings, où s'est retranché Harold accouru du nord après sa victoire contre le roi de Norvège. La bataille de Hastings, le 14 octobre, voit la défaite et la mort de Harold. Guillaume doit maintenant s'imposer dans toute l'Angleterre. L'occupation normande entraîne cependant rapidement des révoltes. Dès 1070, il abandonne la politique de cohabitation et impose des Normands, écrase les soulèvements, dresse l'état du royaume en 1086 avec le Domesday Book. Plus grand personnage de l'épopée normande, Guillaume, qui a contribué à façonner l'Angleterre moderne, a pourtant mauvaise presse outre-Manche.

Les Hauteville, quant à eux, vont se tailler un royaume en Italie du Sud. Les chroniqueurs évoquent, entre 999 et 1015, l'arrivée de pélerins normands et bientôt de mercenaires, qui apportent avec eux le maniement de la lance à cheval, assez inédit dans la région à l'époque. Alliés aux Byzantins, puis aux Lombards, les Normands se taillent des principautés. Les premiers arrivés viennent par réaction contre le pouvoir ducal en Normandie, et attirés par les richesses de l'Italie. Le pape Léon IX fait les frais de la valeur militaire des Normands à Civitate, en 1053. La Papauté se place, dès 1059, sous la protection des Normands, bientôt emmenés par Robert Guiscard et son frère Roger. Il faut 30 ans, de 1060 à 1091, à ces derniers, pour conquérir la Sicile, déchirée entre émirs musulmans. C'est une suite d'escarmouches, d'embuscades, de raids, de sièges. Guiscard se lance ensuite contre Byzance, mais doit faire face à aussi rusé que lui avec le nouvel empereur Alexis Ier Comnène. Sa mort en 1085 met fin à ses prétentions impériales.

Dès 1130, Roger II se fait couronner roi par le pape, à Palerme. Deux royaumes normands existent d'un bout à l'autre de la chrétienté occidentale. La succession sera difficile dans les deux cas. Robert, fils aîné du conquérant, ne s'entend pas avec son père. Guillaume le Roux hérite de l'Angleterre, Robert de la Normandie. Ce dernier tente de se révolter, sans succès, et part alors à la Première Croisade. Guillaume meurt en 1100. Henri Beauclerc, un troisième frère, prend la couronne, défait Robert revenu en Normandie à Tinchebray, en 1106. A la mort d'Henri, en 1135, faute d'héritiers, s'ouvre une période d'anarchie. Etienne de Blois affronte l'impératrice Mathilde, bientôt remariée à la famille des Plantagenêt, laquelle hérite finalement de l'Angleterre, de la Normandie puis des terres d'Aliénor d'Aquitaine après le mariage d'Henri II. Si l'Etat Plantagenêt est vaste, il est aussi disparate, la Normandie créant une passerelle. Richard Coeur de Lion, malgré l'intermède de la troisième croisade, réussit à maintenir l'ensemble ; son frère Jean Sans Terre n'a pas l'envergure suffisante face à Philippe Auguste, qui reprend la Normandie en 1204. Les Normands d'Italie, Bohémond et Tancrède, ont aussi participé à la Première Croisade. Guillaume Ier et Guillaume II sont les derniers rois de Sicile avant la crise de succession qui porte finalement l'empereur Henri VI sur le trône. Mort prématurément, il faudra l'appui des papes (notamment Innocent III) à son successeur, Frédéric II, pour s'imposer, jusqu'en 1250. Les Hohenstaufen laissent ensuite la place à la branche angevine française.

Ce qui rassemble les Normands, c'est l'esprit d'aventure, pour acquérir des richesses. Les Normands étaient des pillards, audacieux mais organisés. On ne s'explique pas sinon comment Guillaume le Conquérant conserva sa conquête anglaise. Le royaume de France s'inspire largement du modèle d'administration du duc ensuite. En Italie du Sud, les Normands ont su s'imposer mais cohabiter aussi avec les populations locales. Les Normands ont réussi par métissage culturel : parmi les envahisseurs de l'Italie du Sud, ce sont les seuls à avoir été relativement bien acceptés. Ils ont marqué l'histoire de l'Occident en créant plusieurs Etats forts et administrés. Leur empreinte reste celle de bâtisseurs d'empire. Tous les documents habituels (cartes, arbres généalogiques, chronologie) sont reportés en fin d'ouvrage, où l'on trouvera également la bibliographie. Seul regret : que l'historien n'évoque pas plus d'épisodes de l'épopée normande, car il délaisse volontairement les Varègues, mais, plus près de son sujet, la conquête danois de l'Angleterre. L'ensemble est néanmoins très réussi.


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