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André LOEZ, Les 100 mots de la Grande Guerre, Que-Sais-Je, Paris, PUF, 2013, 128 p.

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Avec la commémoration du centenaire de la Grande Guerre, les ouvrages se multiplient sur le sujet, en France comme à l'étranger. André Loez, docteur en histoire contemporaine, professeur agrégé et chargé de cours à Sciences Po, est l'auteur ou le coauteur de plusieurs ouvrages sur la Grande Guerre. Comme il le rappelle dans l'introduction, le centenaire, c'est aussi l'occasion de faire le point sur la recherche, des questions débattues, et de les passer au grand public, ce qui constitue le but de ces "100 mots". Volontairement, André Loez a privilégié l'univers francophone, à travers les causes de la guerre, le déroulement du conflit, les acteurs, la vie des soldats au front, celle à l'arrière, l'empreinte de la guerre, la mémoire et les débats entre historiens. Les entrées incluent d'ailleurs beaucoup de citations de contemporains. Comme il l'explique, ce Que Sais-Je vient compléter celui déjà existant et présentant une approche d'histoire militaire plus traditionnelle, écrit par Jean-Jacques Becker, que j'avais commenté récemment.

Les 100 mots s'ouvrent par l'entrée Alcool (!), dont la consommation, bien réelle, n'est pas sans susciter des remous parmi la troupe. Sur l'Alsace-Lorraine, l'historien rappelle aussi combien la population, après la victoire, fut tenue en suspicion, accusée de "germanophilie". Les anciens combattants, qui jouent un rôle très important dans l'entre-deux-guerres, sont beaucoup moins visibles après 1945, même si le décompte macabre des "derniers poilus" les remet sur le devant de la scène plus tard. L'archéologie joue un rôle de plus en plus important pour faire progresser les recherches. André Loez rappelle aussi combien la bataille de la Marne fut célébrée avec une "ferveur mystique" côté français.


 

L'entre Brutalisation est des plus intéressantes : l'historien explique combien la notion, développée par George Mosse, a du mal à correspondre au cas français. Les inquiétudes sociales naissent aussi de la crainte d'une déshumanisation des combattants. En ce qui concerne la camaraderie, il insiste sur les liens importés du monde civil, mais relativise par la violence entre soldats du même camp : les distances de classes sont souvent maintenues. La Chanson de Craonne, bâtie dès 1915, emblématique de l'offensive Nivelle de 1917, passe à la postérité par les reprises qui en fait après la guerre, par le PCF, puis le cinéma. Concernant la conscription et le volontariat, André Loez souligne qu'il y a eu un fort mouvement de volontaires à l'été 1914, dans les élites, plus important d'ailleurs dans le monde anglo-saxon ; en France ou en Allemagne, le service militaire obligatoire existe depuis des décennies et l'habitude s'est installée. Dans la Déclaration Balfour, l'historien expose comment le jeu tortueux des puissances de l'Entente est à l'origine des conflits identitaires et politiques qui surviennent par la suite.

La figure de l'embusqué renvoie aux perceptions des combattants, ce qui explique qu'un soldat en convalescence, habillé en civil, soit parfois conspué (!) ; figure ambigüe, car les soldats ne rêvent que d'y accéder, parfois. La figure de l'espion existe déjà avant la guerre, mais va obséder les nations impliquées dans le conflit. L'Action Française alimente un discours de soupçons et de xénophobie. En réalité, l'espionnage est souvent limité aux pays neutres et aux zones occupées. Les fraternisations, symbolisées par celles de Noël 1914, sont moins fréquentes que les ententes tacites, dès octobre 1914 et jusqu'à la fin de la guerre. Le front et l'arrière sont moins séparés que l'on ne l'a dit fut un temps : on insiste aujourd'hui sur la circulation entre les deux. Pendant la guerre, on fusille, après condamnation par la justice militaire : ce sont souvent des soldats incapables de remplir un ordre, commotionnés par les bombardements ou choisis pour l'exemple. Les fusillés restent un enjeu contemporain. Les généraux, honnis après la guerre, bénéficient au contraire d'une "aura" pendant le conflit : on baptise même des bébés Joffre ! Le génocide des Arméniens, qui se déroule notamment dans le désert de la province de Deir es-Zor, en Syrie, aujourd'hui en guerre, est connu et dénoncé en France dès 1916. Les Turcs ont encore du mal à le reconnaître, contrairement à leur père fondateur, Mustapha Kemal, qui avait parlé d'un "acte honteux".

Les historiens ont montré qu'on s'attendait, même avant la guerre, à une guerre courte, sentiment qui dure jusqu'en 1915, voire au-delà. Mondiale, la guerre l'est pour l'Allemagne dès 1914, et la Société des Nations de 1919 reflète cette caractéristique. La Grande Guerre est-elle une guerre totale ? On peut en discuter, notamment par le traitement des civils ou des prisonniers de guerre, tout comme le concept de totalitarisme est aujourd'hui revue. Que le processus de "totalisation" soit en marche, certainement. La mobilisation ne se fait pas "la fleur au fusil", en particulier dans les campagnes. Le phénomène des "munitionnettes" s'est rapidement refermé une fois la guerre finie. Le tourisme de mémoire se met en place dès la fin du conflit ; les musées n'adoptent une approche plus moderne qu'à partir des années 1990, et notamment via l'Historial de Péronne. ; dans les créations plus récentes, André Loez s'interroge sur la pertinence de certains dispositifs, comme les tranchées visitables, avec effet de gigantisme, mais qui servent peu à la réflexion. Le terme de no man's land est utilisé par un journaliste anglais dès décembre 1914. L'offensive, en France, est une mystique, mais aussi en Italie, avec les résultats que l'on sait. Les officiers montrent l'exemple, sont exposés, mais bénéficient parfois d'avantages qui ne plaisent pas à la troupe. En ce qui concerne les origines du conflit, sujet longtemps houleux, les historiens insistent sur le rôle moteur de l'Allemagne et de l'Autriche-Hongrie, mais également sur les alliances et la culture et les valeurs des hommes d'Etat de l'époque. Le terme poilu n'est pas nouveau, en 1914 : c'est un vieux terme d'argot militaire. Les expériences des prisonniers de guerre -6 millions- sont très variables d'un pays à l'autre, et d'un endroit à l'autre.

Le mythe des profiteurs n'est pas qu'une invention des combattants. Certaines entreprises se sont enrichies frauduleusement pendant la guerre, sans parler du marché noir. L'opprobre en France dure longtemps, par exemple contre la famille Wendel, qui empêche l'état-major de bombarder le bassin minier de Briey, en mai 1916, qui lui appartenait. La propagande, qui existe bel et bien, connaît des ratés : la population n'y croit plus forcément, comme on le voit en 1917. La prostitution est la conséquence du départ de millions d'hommes au front, privés de leurs femmes : les bordels militaires visent surtout à régler le problème des maladies vénériennes. La rumeur se diffuse au front comme à l'arrière : l'historien Marc Bloch avait compilé ses réflexions de soldats dans un ouvrage, dès 1921. Le "shell-shock", comme l'appelle les Anglo-Saxons, a bien du mal à être reconnu comme une pathologie à part entière. Les traitements, quand ils existent, sont parfois bien inadaptés (chocs électriques, hypnose, sédatifs...). L'idée de la tombe du soldat inconnu, à forte valeur symbolique, naît après la guerre, et pas seulement qu'en France. La France a mobilisé 430 000 soldats des colonies ; avant la guerre, Mangin avait dans l'idée, avec la "force noire", d'économiser le sang français. Mais en réalité, le taux de pertes, pour différentes raisons, est comparable à ceux ds soldats de la métropole, et la participation des coloniaux met aussi en marche le processus de contestation. Les témoignages sur le conflit sont nombreux, mais il faut faire l'effort, comme le rappelle André Loez, de les contextualiser. Le système des tranchées, qui s'installe dès octobre 1914, reste plus solide côté allemand, car on s'installe dans la durée, alors que les Français ne songent qu'à la prochaine offensive. L'Union Sacrée masque mal les affrontements politiques et elle est à l'origine de profondes divisions au sein de la gauche. Les gaz, comme l'ypérite, qui tuent finalement assez peu, n'en ont pas moins marqué très fortement les combattants. Le Zeppelin inaugure la frappe contre les civils, et la peur du bombardement aérien obsédera désormais la population, jusqu'aux conflits de l'entre-deux-guerres et à la Seconde Guerre mondiale.

Voilà un petit ouvrage qui est idéal pour s'initier à la connaissance de la Grande Guerre, vue du côté français essentiellement, à travers les mots importants et les enjeux récents. A noter qu'en plus des 5 ou 6 titres de référence indiqués en bibliographie, on peut télécharger une bibliographie plus conséquente sur le site des PUF, ici (72 pages !).



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