Personnage complexe et parfois insaisissable que Louis-Napoléon Bonaparte, alias Napoléon III. La légende noire, en grande partie forgée de son vivant et développée sous la IIIème République, a certes beaucoup influencé l'historiographie, mais elle est écartée aujourd'hui au profit d'une "légende dorée" qui ne tend plus à voir que les aspects positifs du régime, en "gommant" les zones d'ombre, comme le coup d'Etat de 1851 ou la répression. J'avais fait, aux débuts de ce blog, un tour historiographique de la question, alors que certains membres du gouvernement alors au pouvoir cherchaient à réhabiliter Napoléon III. Est-il finalement possible d'envisager une histoire débarrassée de ces deux écueils ? La biographie de Pierre Milza, en replaçant l'homme dans son époque, y tendait un peu.
Malheureusement dépourvu d'une introduction qui aurait été pourtant nécessaire pour présenter le sujet et la problématique, le livre commence directement sur la naissance de Louis-Napoléon Bonaparte, fils de Louis, roi de Hollande, un des frères de Napoléon, et de Hortense de Beauharnais, fille de Joséphine, la première épouse de l'empereur. On a beaucoup glosé sur la filiation supposée du futur Napoléon III, sans doute à tort : il est probablement bien le fils de Louis. Né en 1808, Louis-Napoléon est encore tout jeune enfant lorsqu'il est le témoin de la débâcle de son oncle en 1814, sa mère ménageant les intérêts de ses enfants avec les vainqueurs, en attendant de revenir vers l'empereur, pendant les Cent-Jours, en 1815.
Hortense est ensuite contrainte à l'exil. Réfugiée à Arenenberg, ce n'est qu'alors qu'elle commence à se soucier de l'éducation de ses fils, et en particulier de celle de Louis-Napoléon. Faute de père, celui-ci dispose comme modèle d'un oncle, Eugène de Beauharnais, l'une des anciennes gloires de l'Empire, jusqu'à sa mort en 1824. La famille se déplace en Italie à partir de 1823. A 20 ans, Louis-Napoléon résume assez bien l'esprit romantique du temps. Il s'y forge une conscience politique, autour des patriotes italiens et des idées de liberté et de nation. Il veut partir en Grèce combattre les Ottomans, mais sa mère l'en dissuade.
Alors que la Restauration s'effondre, en 1830, Louis-Napoléon et son frère sont impliqués dans les soulèvements en Italie centrale contre les Autrichiens. Mais la France ne peut intervenir en faveur des insurgés qui sont bientôt écrasés par l'armée de Habsbourg. En fuite, contraint de se cacher avec sa mère, Louis-Napoléon perd son frère, victime de la maladie. Hortense tente de fléchir Louis-Philippe pour revenir en France, mais celui-ci ne peut céder tant la menace est perçue comme importante. Le neveu de l'empereur et sa mère cherchent refuge en Angleterre. En plus de jouer les séducteurs, il prête déjà d'oreille à des conspirations pour rétablir un pouvoir bonapartiste en France. De 1831 à 1836, il séjourne en Suisse, et c'est en 1832 que disparaît l'Aiglon, faisant de lui l'héritier le plus en vue de l'empereur. Revenu en Angleterre en 1832-1833 pour six mois, il y découvre la modernité du pays, passé à l'âge industriel. C'est alors qu'il couche ses premiers écrits : Rêveries politiques, et deux ouvrages plus techniques, sur l'armée suisse et l'artillerie.
Louis-Napoléon est poussé à se marier, mais le projet d'épouse une des filles de Jérôme Bonaparte, Mathilde, n'aboutit pas. De même qu'une première tentative de soulèvement bonapartiste, à Strasbourg, en octobre 1836, montée avec l'aide de Persigny. Louis-Napoléon est finalement exilé aux Etats-Unis, où il ne se plaît guère. Il revient assister sa mère qui se meurt d'un cancer. La mort de cette figure qui l'a beaucoup influencé semble l'avoir mûri. Il part pour l'Angleterre car la monarchie de Juillet, qui a tremblé à Strasbourg, ne veut pas prendre de risques. Il continue d'incarner une sorte d'aventurisme romantique, et publie en 1839 Des idées napoléoniennes, qui fixe déjà un semblant de programme politique. Une nouvelle tentative de soulèvement, à Boulogne, en 1840, échoue pourtant piteusement.
Jugé, Louis-Napoléon est condamné à la réclusion dans le fort de Ham. Une cage dorée, de fréquentes visites, et même des satisfactions sexuelles sont le lot du prisonnier de marque. Louis-Napoléon en profite pour lire énormément, écrit aussi, de nouveau, sur des questions techniques, comme l'industrie sucrière ou, encore, l'artillerie. L'Extinction du Paupérisme, en 1844, traduit l'influence des saint-simoniens, mâtinée de paternalisme et d'autoritarisme. Cependant, Louis-Napoléon, malade (il conserve une claudication suite à l'humidité et une fragilité qui sera peut-être à l'origine de sa malade fatale) ne songe qu'à s'évader. Comme on lui refuse d'aller voir son père qui se meurt et le réclame, il profite de travaux dans le fort pour s'évader au printemps 1846, déguisé en ouvrier, ce qui lui vaudra le fameux surnom de "Badinguet".
Revenu à Londres, il noue une relation durable avec Miss Howard, une Anglaise devenue sa maîtresse. La révolution de février 1848 jette finalement à bas la monarchie de Juillet, mais se méfie encore de l'héritier napoléonien. Celui-ci sait se faire discret mais ses fidèles travaillent à rassembler les mécontents au sein d'un parti de l'Ordre qui est très hétéroclite. Elu député, il se présente finalement au suffrage universel pour la présidence. Certains ténors du parti de l'Ordre pensent naïvement avoir affaire à un ingénu aisé à manipuler. Peine perdue, Louis-Napoléon sait très bien ce qu'il veut et fédère tous ceux qui sont hostiles à la République bourgeoise, et qui ont fait écraser les ouvriers parisiens en juin 1848.
Le prince-président s'installe à l'Elysée, lieu napoléonien par excellence. Il est entouré de fidèles dont son demi-frère Morny. Il affirme son autorité en faisant réprimer les patriotes italiens qui menacent le pape. Les élections législatives de 1849 confirment la victoire du parti de l'Ordre. Louis-Napoléon cherche à la fois à se démarquer de ses adversaires mais aussi, parfois, de ses propres soutiens qui n'ont souvent rien de bonapartistes... Un tournant réactionnaire se dessine dès 1850 avec la loi Falloux et par la suite, Louis-Napoléon réfléchit à la prise de pouvoir par la force.
Les choses s'accélèrent après le rejet par l'Assemblée d'une révision constitutionnelle permettant au prince-président de se représenter pour un nouveau mandat. Dès le mois d'août 1851, le coup d'Etat est en préparation, non sans mal pour trouver des chefs capables en particulier de rallier l'armée. En outre, c'est un secret de polichinelle, à tel point que tout le monde l'attend, ou presque. Le coup d'Etat du 2 décembre, qui contribue évidemment fortement à la légende noire du personnage, confirme l'évolution en filigrane depuis juin 1848. Si la résistance est vite étouffée à Paris, avec tout de même quelques centaines de morts sur les barricades, elle est beaucoup plus dure dans le Midi, en particulier. 30 000 personnes sont arrêtées, des meneurs sont envoyés au bagne à Cayenne, plus de 9 000 autres partisans de l'insurrection déportés en Algérie. Louis-Napoléon lui-même a été effrayé par l'ampleur de la répression et en a atténué les conséquences judiciaires. Un plébiscite rapidement organisé sanctionne la prise du pouvoir par le prince-président.
Celui-ci fait d'abord établir par une constitution une "république consulaire". Un an après le coup d'Etat, le rétablissement officiel de l'Empire est proclamé, le 2 décembre 1852. L'empereur va finalement épouser Eugénie de Montijo, une descendante de bonne famille espagnole rencontrée en 1849, mais qu'il va devoir conquérir jusqu'à l'emporter en 1853. Il exerce le pouvoir seul, avec l'aide de conseillers informels, les assemblées n'ayant plus qu'un rôle de figuration ou presque. La société est surveillée par les préfets, dont bon nombre sont maintenus en place, et par une police urbaine, en particulier, qui est nettement renforcée. La censure serrée et une propagande habile complètent l'ensemble. L'empereur fait des gestes en direction de l'Eglise catholique pour rallier les soutiens. Mais il reste méfiant à l'égard des ultramontains. L'opposition est alors modeste et divisée, mais des républicains entrent au Corps Législatif aux élections de 1858.
Elevé surtout par des femmes, l'empereur, autodidacte, conserve une certaine timidité mais un charme reconnu. Il se jette à corps perdu dans son travail. La personne qui l'a le plus influencé, c'est bien sa mère, dont on retrouve chez lui de nombreux traits. L'impératrice, étrangère et mal vue de ce fait, sait pourtant s'imposer : catholique fervente, son avis compte, mais pas au point de supplanter celui de l'empereur, sauf au moment de la guerre avec la Prusse, circonstances particulière obligent. Les relations avec le reste de la famille Bonaparte sont compliquées. L'empereur est excédé par son cousin Napoléon-Jérôme, "Plonplon". Il est servi par des fidèles comme Morny, ainsi que dans son personnel politique et administratif : Rouher, Baroche, Magne, Fould, etc. Napoléon III continue d'avoir ses "petites distractions" malgré son mariage avec l'impératrice.
"L'empire, c'est la paix", avait déclaré Napoléon III en 1852, pour rassurer les puissances européennes. 18 mois plus tard, la France est déjà en guerre. Le souci de remodeler la carte de 1815 et de soutenir les nationalités l'entraîne à multiplier les interventions militaires. Mais si l'outil diplomatique français est excellent, les moyens militaires sont plus fragiles. Une "belle armée, mais pas une bonne armée" comme l'avait dit Philippe Séguin. Les troupes coloniales sont solides mais cette spécificité n'est pas compensée par une qualité au regard d'affrontements plus traditionnels et surtout par le manque d'incorporation des nouveaux outils de la guerre industrielle. L'effectif est limité. En revanche, la marine française est puissante. La vapeur triomphe, sous la houlette de Dupuy de Lôme. En 1870, la marine compte plus de 300 bâtiments ! Napoléon III se retrouve bientôt entraîné dans une guerre avec la Russie, sur la question des Lieux Saints. En réalité, l'intransigeance du tsar, avide de dépecer l'empire ottoman jugé moribond, a pesé. En outre, Napoléon III cherche à consolider son rapprochement avec l'Angleterre. Mais France et Angleterre ne se sont pas préparées à une telle campagne longue distance, qui aura finalement lieu en Crimée, de 1854 à 1856. Le siège de Sébastopol est long et coûteux. Napoléon se résigne finalement à ne pas prendre le commandement des troupes, accueille Victoria et Albert en France (une première depuis 400 ans !) et fait le voyage retour. Le congrès de Paris en 1856 sanctionne finalement la victoire d'une politique des nationalités, certes chèrement acquise.
C'est alors que commence à se poser sérieusement la question de l'unification de l'Italie. Le Piémont, qui s'est engagé dans la guerre de Crimée, a besoin d'un allié puissant pour défaire les Autrichiens. L'attentat d'Orsini, en janvier 1858, force la main de l'empereur. Celui-ci ne souhaite pas l'unification de l'Italie mais libérer les populations du nord de la férule autrichienne et exercer une sorte d'influence sur ce qui en sortira. Fragile sur le plan diplomatique, l'effort français est tiré par les estocades de Turin, dont les préparatifs militaires entraînent un ultimatum de l'Autriche en avril 1859. La France intervient alors, dans une campagne qui sera difficile. Magenta est une victoire à la Pyrrhus, Solférino une véritable boucherie, qui suscite d'ailleurs la vocation d'Henri Dunant. Les Autrichiens sont battus mais non vaincus. Napoléon se résout à la paix. Cavour et Victor-Emmanuel, avec le renfort de Garibaldi, mettent la main sur le reste de la péninsule jusqu'en 1861.
A ce moment, en interne, le régime connaît un apogée, entre 1858 et 1861. Après le tournant autoritaire suite à l'attentat d'Orsini, Napoléon prend les premières mesures de libéralisation : ce faisant, l'opposition de droite se renforce, autour de la question italienne et de la place du pape en Italie, mais aussi de la politique libre-échangiste voulue par l'empereur. Un groupe se constitue en ce sens, promoteur du libre-échange, autour de Michel Chevalier. Le décret avec l'Angleterre de 1860 est suivi par d'autres avec les Etats euoropéens voisins. Les débats du Corps législatif sont rendus publics. D'aucun y ont vu les signes d'un changement profond.
Napoléon III est l'un des hommes Etats contemporains de la France qui s'est le plus intéressé à l'économie. Il essaie d'appliquer les principes saint-simoniens adaptés à ses propres réflexions. Une politique volontariste, pour doter la France d'une économie moderne, et la stimuler. La conjoncture économique est en outre favorable. Le Second Empire pourvoit la France de son réseau ferroviaire, 20 000 km de voies ferrées en 1870. Les routes sont entretenues, la navigation fluviale développée après 1860. La marine marchande s'accroît. Marseille et Le Havre prennent la tête des ports, le télégraphe électrique se répand partout. Des régions comme la Sologne ou les Landes sont réaménagées sur volonté expresse de l'empereur, qui cherche aussi à démocratiser le crédit et à utiliser la Banque de France pour sa politique économique. Mais la croissance ne touche que certains secteurs et pas sur toute la période. L'agriculture reste derrière l'industrie. Le secteur commercial reste arriéré malgré la naissance de grands magasins. Les deux expositions universelles de 1855 et 1867 cachent mal aussi le règne de "l'argent facile". En termes sociaux, l'empereur se contente d'abord de mesures paternalistes, puis change de tactique après 1861 et le retournement du parti de l'Ordre contre sa politique italienne, en essayant de se concilier les ouvriers. Il leur donne le droit de grève en 1864 et laisse se former des associations, ce qui paradoxalement accélère la décomposition du régime.
Pour Paris, Napoléon veut en faire la capitale de l'Europe. La population a doublé en cinquante ans sur un espace inchangé. Il s'agit surtout d'assurer la sécurité des personnes mais aussi du pouvoir lui-même. Haussmann, chargé du chantier parisien, a su faire des compromis pour traduire dans la réalité les souhaits de l'empereur. La ville est en chantier pendant 20 ans : 20 000 bâtiments rasés, 43 000 construits. Paris est désengorgée, les gares sont reliées par des axes transversaux. La ville s'accroît en taille et en population, la périphérie est absorbée. Etablissements scolaires, casernes, mairies, marchés se multiplient. Le palais de l'Industrie et l'opéra Garnier comptent parmi les bâtiments modernes. Conséquence : les populations pauvres sont chassées du centre vers la périphérie. Le modèle haussmannien s'exporte à Lyon et Marseille, et dans des métropoles régionales, qui, au prix parfois de financements douteux, construisent des quartiers entiers qui remontent encore aujourd'hui à cette période.
Paris est aussi le théâtre de la fête impériale. La Cour des Tuileries montre le faste de l'Empire. Des villégiatures existent aussi en province : Biarritz doit beaucoup à l'impératrice, Saint-Cloud et Compiègne sont aussi des étapes du ballet de l'année. Paris s'organise autour des salons. Offenbach et Verdi animent la vie culturelle parisienne. Les fêtes civiques populaires, comme celle du culte impérial le 15 août, son récupérées par le régime.
L'opinion se réveille à partir de 1862 cependant. L'opposition de droite se cumule avec une opposition de gauche, légale ou illégale. Les élections de 1863 marquent le recul des candidats officiels. La santé de l'empereur se dégrade, surtout à partir de 1865, en raison d'un calcul vésical non traité. Eugénie se préoccupe de plus en plus d'assurer la continuité dynastique pour son fils. L'empereur compense en s'intéressant à César, Vercingétorix et la Guerre des Gaules, pour lesquels il a beaucoup fait et écrit. La libéralisation du régime s'amorce, entamée par la mort de Morny en 1865, qui lui était favorable. Napoléon n'a pas réussi à se rallier les ouvriers. En revanche, Victor Duruy a commencé la démocratisation de l'école, notamment dans l'enseignement primaire et l'enseignement secondaire féminin. Les heurts avec l'Eglise sont d'ailleurs fréquents jusqu'en 1868, moment où les partisans de la ligne dure du régime triomphent. Préoccupé par un probable affrontement avec la Prusse, Napoléon veut modifier le système de recrutement pour disposer de davantage d'effectifs. Mais l'opposition est déjà tellement puissante que la proposition de Niel est rejetée.
Dans la politique extérieure, les succès ne vont pas être au rendez-vous. La question romaine n'est pas réglée, l'expédition du Mexique tourne au désastre, et les conquêtes coloniales sont des succès qui ne sont pas approuvés par tous, car ils détournent les efforts sur d'autres continents. En Italie, la défaite du Piémont contre l'Autriche en 1866 est patente. La progression sur Rome est arrêtée par Napoléon III, qui sauve le pape en déplaçant des troupes dans la Ville. Le soulèvement de la Pologne contre le tsar, en 1863, montre les limites de la politique napoléonienne sur les nationalités, et distend les relations avec la Russie. Napoléon réoriente l'effort vers les colonies, et notamment vers l'Algérie. Il avait voulu se faire proclamer "roi d'Algérie", accorder un statut particulier aux indigènes, à la grande fureur des colons. La famine de 1867-1868 et les soulèvements en eurent raison. La France s'installe aussi dans d'autres endroits stratégiques comme l'océan Indien. Ce sont aussi les débuts de ce qui va devenir l'Afrique Occidentale Française, l'intervention en Chine de 1859-1860, les prémices de la conquête de l'Indochine et la prise de la Nouvelle-Calédonie. L'expédition au Mexique, qui démarre en 1861, répond à des ambitions économiques de Napoléon, liées aussi au déroulement de la guerre de Sécession, dans l'hypothèse d'une victoire confédérée. Mais l'empereur Maximilien, déniché par Napoléon, n'a pas assez de légitimité ni de troupes pour s'imposer et écraser l'opposition. La victoire nordiste change la donne. Le corps expéditionnaire français se retire en 1867, Juarez l'emporte, Maximilien est fusillé. Napoléon s'est brouillé avec les Etats-Unis et avec l'Autriche, dont l'un des siens a été sacrifié pour peu de choses. En Europe, la victoire de Sadowa renforce pour la France le péril prussien, et Napoléon n'arrive pas à trouver d'allié solide.
Les dernières années du Second Empire (1868-1870 voient la montée d'une opposition radicale. De nouveaux ténors apparaissent, comme Gambetta ou Rochefort dans la presse. Les élections de 1869 confirment le recul du parti de l'Ordre et des candidats officiels, mais la poussée républicaine est limitée par le nombre de députés conservateurs. Persigny et l'empereur penchent pour un empire parlementaire, qui est finalement adopté. Le Corps Législatif retrouve ses prérogatives et Emile Ollivier sert de caution. Quelques mois plus tard, le 8 mai 1870, un plébiscite valide l'orientation prise par Napoléon, même si l'armée, par exemple, a aussi manifesté son opposition plus que de coutume. C'est cependant un empereur malade qui affronte les manoeuvres de Bismarck pour la candidature du trône d'Espagne des Hohenzollern. Autour de l'impératrice et des partisans de l'empire autoritaire, toute une coterie pousse et la guerre et l'empereur ne peut mettre le hola ; Bismarck sait en profiter. Certes, le maréchal Leboeuf proclame que "pas un bouton de guêtre ne manque", mais quand la guerre est déclarée, le 19 juillet 1870, l'armée française est en infériorité numérique, son artillerie est dépassée, et elle fait face à une armée prussienne rompue à la manoeuvre stratégique depuis une décennie. La France est isolée diplomatiquement. Napoléon, conscient de toutes ses faiblesses, prend la tête de l'armée alors qu'il ne peut déjà plus monter à cheval. Eugénie prend les commandes à Paris et consacre la victoire du parti autoritaire. L'issue est rapide. L'empereur, encerclé avec ses troupes et qui veut éviter un bain de sang parmi ses soldats, capitule à Sedan, le 2 septembre. Deux jours plus tard, le Second Empire tombe à Paris face à la rue.
Passant par la Belgique, Napoléon est détenu au château de Wilhelmshöhe, qui a connu les fastes du Premier Empire. Il écrit, se réconcilie avec Eugénie, tandis que Bismarck cherche à le manipuler pour négocier une paix favorable aux vainqueurs, en parallèle des nouvelles autorités de la République. Ce n'est qu'après l'armistice de janvier 1871 et la chute de Paris que Napoléon est libéré et part en exil, à nouveau, en Angleterre. L'empereur déchu ne désespère pas de récupérer son trône, entretenu dans ses espoirs par les fidèles qui l'ont suivi. Une conspiration est même esquissée en 1872, alors que l'état de santé de Napoléon s'aggrave. Il consent finalement à être opéré, mais décède des suites de l'opération, le 9 janvier 1873.
Mis en terre par les Anglais, Napoléon n'est pas beaucoup pleuré en France : on lui reproche d'être responsable de la défaite et de l'amputation du territoire. La légende noire se construit parce que la République a besoin d'un repoussoir. La dénonciation du césarisme, de la dérive autoritaire, devient partie prenante de la République parlementaire. Après les travaux de La Gorce et Ollivier, l'historiographie républicaine reste largement hostile à Napoléon III jusqu'en 1914. La réhabilitation -voire l'hagiographie- se développe déjà dans l'entre-deux-guerres et surtout après 1945. Après les travaux de Dansette, deux héritiers de courants de droite signent des biographies du personnage : Louis Girard, dans le courant libéral, et Philippe Séguin, pour le courant "bonapartiste" au sens que lui donnait René Rémond. Pour Milza, le bonapartisme n'est pas vraiment un corps de doctrine, c'est la combinaison de plusieurs éléments : autorité, respect affiché de la souveraineté populaire, concentration des pouvoirs, méfiance envers les institutions parlementaires. Le modèle de Napoléon III, c'est César. Le régime correspond à une démocratie qui serait autoritaire, et a connu différentes phases, ce qui le rend assez inclassable. Il n'y jamais eu de parti bonapartiste en tant que tel, il n'y en aura pas après la mort de l'empereur, et de son fils en 1879 contre les Zoulous. Les dernières organisations ne sont mises en sommeil, cependant, qu'en 1940. Pour Milza, l'influence du bonapartisme se voit surtout dans sa rencontre, à la fin du XIXème siècle, avec le fond contre-révolutionnaire qui donne naissance à une extrême-droite qui en fait la synthèse, comme on peut le voir au moment de l'affaire Dreyfus, après l'épisode Boulanger. Pourtant, à droite, un courant légaliste se maintient, comme l'illustre l'exemple du parti de La Rocque puis le RPF de De Gaulle, avec des influences bonapartistes. Reste que pour l'historien, Napoléon III et le Second Empire ont participé à leur façon à la construction politique de ce qu'est devenue la France aujourd'hui.
Comme le précise Fabien Cardoni dans sa propre recension pour la Revue d'histoire du XIXème siècle, Milza multiplie les coquilles, et consacre peut-être un peu trop de pages à Verdi, dont il est aussi le biographe. Par ailleurs, il avance assez fréquemment la comparaison entre Napoléon III, et Mussolini, qu'il connaît surtout pour en être, cette fois, le spécialiste, mais ce n'est pas poussé jusqu'au bout, notamment dans la filiation politique : cela laisse un peu sur sa faim. Visiblement, Pierre Milza a voulu faire une -grosse- synthèse à destination du grand public, bien à jour sur le plan historiographique, mais qui peut décevoir, effectivement, comme le souligne Cardoni, le connaisseur, car elle n'apporte rien de nouveau, particulièrement dans l'analyse. Reste le plaisir de lire une somme qui ne fait ni partie de la légende noire, ni de la légende dorée. Par les temps qui courent, c'est plus que bienvenu.