Les éditions Caraktère, fondées par Yannis Kadari en novembre 2003, étaient au départ l'occasion de mettre à disposition du public de passionnés en histoire militaire un certain nombre de photographies inédites. Aujourd'hui, le groupe édite et diffuse 5 revues, dont la dernière Los !, consacrée à la guerre navale, a été lancée l'an passé.
Parallèlement, Caraktère innove encore en créant une collection d'ouvrages, Archives de guerre, où est retracé le parcours de grandes unités mécanisées de la Seconde Guerre mondiale. L'occasion de mettre en avant des clichés inconnus ou méconnus : un retour aux sources pour Caraktère, en somme.
Ce premier volume est signé Rolf Steiner (?) et porte sur une unité de la Waffen-SS : la 5. SS-Panzerdivision Wiking. Une division d'élite de la Waffen-SS, mais peut-être moins bien connue que ses trois consoeurs, la Leibstandarte, la Das Reich et la Totenkopf. La Wiking rappelle à beaucoup, en revanche, le recrutement étranger à l'intérieur de la Waffen-SS, puisque la division a intégré des volontaires danois, norvégiens, suédois, finlandais ou estoniens, entre autres. En français, à part l'ouvrage de Jean Mabire -disparu en 2006 et pour le coup, pas franchement l'idéal en ce qui concerne le sujet...-, il n'existe aucune référence monographique sur l'unité.
D'aucuns pourraient s'étonner d'un énième ouvrage consacré à une division de la Waffen-SS, sujet par ailleurs fortement suspect de sympathie nostalgique envers le régime nazi et ses Gardes Noirs, un penchant qui existe bel et bien dans le milieu. Mais ce n'est pas le cas ici. Bien que germanocentré, et dépourvu de sources/bibliographie indicative comme fréquemment dans les magazines des éditions Caraktère, cet ouvrage tord le cou à un certain nombre de mythes.
Sur le recrutement étranger, d'abord : il a été plus que chaotique, certains Néerlandais, abusés par les mensonges des recruteurs de la Waffen-SS, croyant partir en récréation sportive, demandent à être démobilisés dès qu'ils découvrent le caractère martial de l'entraînement ! Prise en main par Felix Steiner, un des grands tacticiens de la Waffen-SS, la division Wiking trouve finalement une certaine cohésion et intègre mieux les volontaires suédois et finlandais -tel Lauri Törni, ce vétéran de la guerre d'Hiver menant un détachement chargé des pénétrations à longue distance sur les arrières soviétiques et qui finit au MACV-SOG au Viêtnam, tué en 1965 lors du crash de son hélicoptère !
Autre mythe démonté, celui des Waffen-SS soldats d'élite aux mains propres : comme le rappelle le début du chapitre 2 consacré à l'engagement de la division dans Barbarossa, la Wiking se signale surtout, d'ailleurs, dès les premières semaines de combat, par des massacres de prisonniers soviétiques et la participation régulière aux exécutions de la "Shoah par balles". La Wiking opère dans le secteur sud du front de l'est et prend part, notamment à la poussée sur Rostov-sur-le-Don, tout en subissant une des premières contre-attaques soviétiques d'envergure contre cette même ville.
La Wiking est également du Fall Blau, l'offensive de l'été 1942 en direction des champs pétrolifères du Caucase. Elle compte d'ailleurs dans ses rangs un certain Joseph Mengele... plus connu pour avoir ensuite mené d'atroces expériences sur les détenus à Auschwitz. C'est tout à l'honneur du livre de le souligner. Autre unité originale, le Sonderkommando "Jankuhn", du nom d'un archéologue nazi membre de l'Ahnenerbe, chargé avec son équipe de déceler la présence "germanique" dans le Caucase et qui se livre à un pillage en règle des musées, notamment à Maïkop.
Ci-dessous, la Wiking participe à la reconquête de Rostov, en 1942, une cité dans laquelle elle avait déjà combattu l'année précédente...
Ci-dessous, la Wiking participe à la reconquête de Rostov, en 1942, une cité dans laquelle elle avait déjà combattu l'année précédente...
En 1943, après la retraite consécutive à la défaite devant Stalingrad, la Wiking participe à la destruction du groupe blindé soviétique Popov et combat aussi devant Izioum. En réserve pour l'opération Zitadelle, elle est toutefois engagée sur le Mious pour contrer une attaque de diversion préparant la grande offensive d'été soviétique, Roumantsiev. Encerclée dans la poche de Tcherkassy, la Wiking est l'âme de la résistance allemande jusqu'à la percée de février 1944.
C'est en 1944 que la Wiking réalise ses performances les plus conséquentes. Elle secourt la garnison encerclée de Kovel, avant de se dégager elle-même de l'étau soviétique qui s'est refermé sur ses arrières. En juillet, elle contribue, aux côtés d'autres unités, à briser l'avance soviétique devant Varsovie, après le désastre de l'opération Bagration. Du coup, elle est en première ligne pour briser le soulèvement polonais qui se déclenche à Varsovie en août 1944. Les combats sont particulièrement féroces et la Wiking y laisse quelques plumes, se signalant à nouveau par des exactions et contribuant à la déportation des survivants.
La Wiking perce pour délivrer la garnison de Kovel (mars-avril 1944).
La Wiking perce pour délivrer la garnison de Kovel (mars-avril 1944).
Regroupée avec la Totenkopf dans le IV. SS Panzerkorps, la Wiking est expédiée fin décembre 1944 en Hongrie pour participer aux ultimes contre-offensives allemandes sur place. Fin mars-début avril, après la chute de Budapest et le renouveau de la poussée soviétique, la division passe en Autriche où, du 8 au 12 mai, les survivants se rendent aux troupes américaines.
Le livre se veut un récit factuel sur les opérations menées par l'unité : les amateurs ne seront pas déçus. Le texte reste relativement bref mais ponctué d'éléments intéressants, signalés ci-dessus. On apprécie le système des noms mis en gras qui renvoient aux encadrés avec biographies, détails, etc. L'intérêt majeur de l'ouvrage réside évidemment dans les photographies. Elles sont nombreuses et plutôt bien légendées. Seul regret, comme trop souvent, les périodes les mieux couvertes correspondent aux heures de gloire de l'unité : l'année 1945 est réduite à la portion congrue. On peut aussi, peut-être, regretter l'absence d'un introduction et d'une conclusion qui amèneraient un début d'analyse, un peu absente ici, notamment sur la performance de l'unité (comparaison avec d'autres divisions de la Waffen-SS ?) et sur la question idéologique (sachant que cette division n'a combattu qu'à l'est, ce qui est rare dans les divisions d'élite de la Waffen-SS). Manifestement, ce n'est pas le but de Caraktère. Dommage aussi de ne pas voir un commencement de bibliographie, simplement pour se rediriger vers les ouvrages phares (celui de Jean-Luc Leleu, etc). Si l'on excepte ces quelques reproches, on conviendra que les éditions Caraktère fournissent là un volume conforme aux ambitions de leurs magazines : un propos à destination de passionnés, mais qui ne tombe pas dans les errements d'un parti pris favorable aux Waffen-SS, comme c'est parfois le cas dans ce genre de publications. En ce sens, le pari est donc rempli.