Quantcast
Channel: Historicoblog (3)
Viewing all articles
Browse latest Browse all 1172

Au commencement était la guerre...19/Bloody Rising Sun : les Japonais et le combat tactique à Khalkhin-Gol/Nomonhan (1)

$
0
0

« Une guerre étrange ».C'est ainsi que le New York Times qualifiait, dans son édition du 20 juillet 1939, les affrontements entre l'Armée Rouge et l'armée impériale japonaise aux confins des steppes de la Mongolie. Et il est vrai qu'en raison de la géographie, du secret posé sur les combats par les deux camps et du déclenchement, peu de temps après, de la Seconde Guerre mondiale, la bataille de Khalkhin-Gol reste encore assez mal connue du grand public. Pourtant, les Soviétiques y ont déployé une masse blindée de plus de 1000 chars et ont commencé à faire preuve d'une maîtrise certaine de l'arme mécanisée, sous le commandement d'un chef talentueux promis à un brillant avenir, Joukov. Les Japonais, fantassins dans l'âme, tombent victimes du double enveloppement soviétique. Pendant longtemps, l'Armée Rouge considère encore la bataille de Khalkhin-Gol comme le modèle d'une guerre frontalière limitée réussie. Ce n'est pas un hasard si les Soviétiques publient beaucoup sur la bataille au moment des affrontements avec la Chine Populaire dans la même région, en 1968-1969. L'état-major nippon se sert aussi de l'exemple de Khalkhin-Gol dans le cadre des cours de tactique avancée des Forces d'autodéfense japonaises.

Résumant l'étude d'Edward Drea, l'analyse reviendra plus particulièrement ici sur les tactiques mises en oeuvre par les Japonais au niveau du bataillon et de la compagnie pour contrer les Soviétiques. Les Japonais ont peaufiné, en effet, leur doctrine tactique face à l'Armée Rouge, un adversaire supérieur en hommes et en matériel. L'analyse est faite à partir de l'exemple du 2ème bataillon, 28ème régiment d'infanterie de la 7ème division d'infanterie japonaise. Cette unité a conservé son journal des opérations et elle a opéré de manière indépendante sous les ordres de plusieurs commandants japonais. En outre, elle a à la fois participé aux opérations offensives et défensives de l'armée impériale pendant la campagne, ce qui en fait un bon exemple pour une étude de cas tactique.




La Mandchourie prise entre deux feux


Depuis le début du XXème siècle, l'armée impériale japonaise considère la Russie tsariste, puis l'URSS, comme son adversaire principal. La victoire japonaise pendant la guerre de 1904-1905 élimine temporairement la menace russe et conduit à des tâches de garnison en Mandchourie, théâtre principal des opérations. Un office de gouverneur-général est créé dès 1905 et deux divisions japonaises restent cantonnées sur place. Ces unités sont progressivement retirées et, en 1910, seuls six bataillons de réservistes stationnent encore en Mandchourie. Les soldats réguliers reviennent en 1916 et, en 1919, c'est la création du quartier général de l'armée du Kwantung qui contrôle les troupes de garnison en Mandchourie, soit environ 10 000 hommes.



Les officiers de l'état-major de l'armée du Kwantung se considèrent avec suffisance comme les gardiens des frontières du Japon, en l'occurrence une frontière où 160 000 Japonais ont payé le prix du sang lors de la guerre avec les Russes. Ils pensent que le ministère de la Guerre et l'état-major de l'armée à Tokyo ne mesurent pas assez le danger posé par l'URSS sur les territoires contrôlés par les Japonais. Ils vont donc chercher à créer un casus belli avec un seigneur de guerre mandchou de façon à consolider la mainmise nipponne sur la région. En 1931, un incident provoqué par les Japonais autorise une première opération qui conduit à l'érection de l'Etat fantoche du Mandchoukouo l'année suivante.

Cependant, pour les officiers de l'armée du Kwantung et ceux de l'état-major de l'armée à Tokyo, la création du Mandchoukouo n'est qu'une étape vers l'affrontement avec l'URSS. L'armée impériale japonaise compte exploiter au mieux les ressources de la Mandchourie pour se préparer à la guerre. En 1937, les Japonais sont pourtant engagés en Chine, un théâtre d'opérations immense qui occasionne assez rapidement de lourdes pertes -100 000 tués et blessés dès le mois de décembre. L'état-major général et le ministère de la Guerre tentent de conclure rapidement l'affaire chinoise, tout en étant divisé entre expansionnistes (ceux partisans d'une politique de force contre la Chine) et anti-expansionnistes (ceux qui pensent que la guerre en Chine gaspillent des ressources nécessaires à un prochain conflit contre l'URSS). Les combats continuent, pourtant, si bien qu'en 1939, 25 divisions, soit un million d'hommes, sont engagées dans les opérations en Chine.

La mission principale de l'armée du Kwantung étant de protéger la Mandchourie contre l'Armée Rouge, ses forces ne sont majoritairement pas déployées en Chine. Les Japonais continuent d'accroître leurs effectifs, puisque l'armée du Kwantung passe de 5 à 9 divisions entre 1937 et 1939, alors que l'armée impériale gonfle de 24 à 41 divisions d'infanterie. Il n'est pas difficile à l'armée du Kwantung de justifier cet accroissement : escarmouches, incidents et enlèvements se multiplient le long de la frontière, de même que les bunkers, barbelés et détachements de gardes frontaliers. Dès 1936, des affrontements opposent l'aviation et des forces mécanisées. C'est un cercle vicieux : en face, le dispositif soviétique augmente également de 6 divisions en 1931 à 20 en 1936, appuyées par un millier de chars et le même nombre d'avions. L'armée d'Extrême-Orient devient si importante que Staline s'en défie : en 1935, il crée le district militaire Trans-Baïkal pour retirer à l'armée sa portion occidentale. Après l'incident du lac Khasan en 1938, il abolit cette armée et crée à la place les 1ère et 2ème armée Bannière Rouge, responsables respectivement des secteurs de l'Oussouri et de l'Amour, et directement subordonnées au commissariat à la Défense. En 1938, le 57ème corps spécial de fusiliers est placé en Mongolie Extérieure.

En 1938, la 19ème division d'infanterie japonaise affronte pendant douze jours l'Armée Rouge, au milieu de l'été, près du lac Khasan, au nord de la Corée. Les Japonais tiennent le terrain conquis malgré de féroces contre-attaques soviétiques, mais au prix de lourdes pertes : 500 tués et 900 blessés. L'Armée Rouge perd 236 tués et 911 blessés. Pour l'état-major nippon cependant, la prestation soviétique n'établit rien de neuf sur le plan tactique ou sur celui du déploiement des troupes et confirme la désorganisation provoquée par les purges de Staline. En conséquence, début 1939, l'armée du Kwantung adopte une posture plus agressive pour briser toute intrusion soviétique future en Mandchourie.


Les premières embuscades (mai 1939)


En avril 1939, l'armée du Kwantung édicte donc de nouvelles règles d'engagement, expliquées par son commandant, le général Ueda Kenkichi. L'ordre d'opérations n°1488 autorise les troupes japonaises à pénétrer en Mongolie extérieure ou tout autre territoire soviétique pour bloquer les tentatives d'intrusion. Dans pareil cas, les morts et les blessés seront ramenés avec les tués ennemis et les prisonniers dans le Mandchoukouo. Localement, les patrouilles doivent être agressives. Le 11 mai, deux semaines après l'instauration de ces nouvelles règles, 70 à 80 cavaliers de Mongolie extérieure armés de mitrailleuses légères et lourdes franchissent la rivière Halha (Khalkhin-Gol) à la recherche de terrain de pâture et d'eau pour leurs chevaux, dans un territoire contesté du Mandchoukouo. Près du village de Nomonhan, ils attaquent une petite force de sécurité. Un bataillon du Mandchoukouo contre-attaque et rejette les assaillants au-delà de la rivière Halha. Les Mongols abandonnent 5 tués, 4 chevaux et quantité d'armes et de munitions. Le 13 mai, un nombre identique de cavaliers apparaît au sud-ouest de Nomonhan mais une nouvelle contre-attaque échoue à les rejeter. C'est le début de ce que les Japonais appelleront ensuite l'incident de Nomonhan et les Soviétiques, la bataille de Khalkhin-Gol.

Le général Komatsubara Hichitaro, commandant la 23ème division d'infanterie qui a en charge le secteur où a eu lieu l'incident, voit celui-ci comme un cas typique d'escarmouche frontalière. Il pense qu'une réaction en force rapide mettra fin rapidement aux combats. Les premiers rapports, exagérés, font état de l'entrée de 700 cavaliers mongols. Hichitaro dépêche donc une force de reconnaissance (une compagnie de cavalerie, une d'automitrailleuses et un élément d'état-major, 593 hommes en tout) et le 1er bataillon du 64ème régiment d'infanterie (moins deux compagnies), avec une section de canons de 37 mm à tir rapide et 100 véhicules. Les officiers japonais ont du mal à localiser Nomonhan sur leurs cartes, mais sont confiants.

La 23ème division d'infanterie est une unité relativement jeune, activée en juillet 1938 et envoyée en Mandchourie pour son entraînement un mois plus tard. La plupart de ses recrues sont des soldats japonais dans leur première ou deuxième année de service qui viennent de villes du sud du Japon, Fukuoka, Hiroshima, Oita, d'ordinaire des combattants plutôt efficaces dans les opérations offensives. Le quartier général de l'armée impériale prévoit au départ d'utiliser cette division pour des tâches de garnison en Chine. Mais en raison des besoins de l'armée du Kwantung, la 23ème division est affectée dans une province du nord-ouest du Mandchoukouo. Les officiers d'état-major de l'armée du Kwantung la considèrent comme structurellement déficiente pour s'opposer à la menace soviétique.

La 23ème division d'infanterie aligne une brigade d'infanterie avec trois régiments. Les divisions régulières d'avant 1937 de l'armée du Kwantung, comme la 7ème division, sont des divisions « carrées » : deux brigades d'infanterie à deux régiments chacune, chaque régiment comprenant trois bataillons. Les divisions triangulaires comptent 12 000 hommes là où les « carrées » en alignent 15 000. En outre, les divisions triangulaires manquent d'artillerie pour combattre la puissance de feu des divisions standard de l'Armée Rouge. La 23ème division dispose de seulement 65 pièces dont 17 canons de 37 mm, comparées aux 64 canons et 16 canons de 37 mm organiques de la 7ème division.


Le dogme de l'offensive à outrance


Le débat a fait rage parmi les Japonais pendant une décennie pour savoir si le schéma triangulaire devait être adopté. Finalement, il en a été ainsi pour accroître, en particulier, le nombre de divisions. Lorsque la réforme est adoptée en 1936, 6 nouvelles divisions sont tirées des 17 existantes dans l'armée impériale japonaise. Les économies ainsi faites sont investies dans le développement des chars et des avions. Les opérations en Chine favorisent aussi une structure légère : les nationalistes ne font que peu d'usage de leurs blindés et les communistes n'en ont pas.

Quel que soit le type de division, le bataillon est la dernière unité tactique à pouvoir mener indépendamment des opérations. Il comprend une compagnie d'état-major et quatre compagnies de fusiliers à 194 hommes chacune, une compagnie d'armes lourdes avec 8 mitrailleuses de 7,7 mm, et une section d'artillerie avec deux pièces de 70 mm destinées au soutien d'infanterie et à la destruction des nids de mitrailleuses. Chaque compagnie comprend trois sections de fusiliers qui à leur tour comprennent chacune trois escouades. Chaque escouade aligne 11 fusiliers et une mitrailleuse légère de 6,5 mm, et chaque escouade de la compagnie d'armes lourdes intègre 11 fusiliers et trois grenadiers armés du lance-grenades de 50 mm baptisée mortier Knee. Il n'y a pas d'état-major de bataillon : le commandant et son adjoint doivent assumer toutes les fonction de logistique, de renseignement, des opérations et de communications. Dans l'idéal, le bataillon rassemble un millier d'hommes, mais une comparaison avec le 2ème bataillon du 28ème régiment d'infanterie engagé dans le Nomonhan montre que les unités sont souvent à 80% de leur effectif ou en-deçà.

Toutes les divisions japonaises de l'armée du Kwantung ont subi un entraînement intensif dans la perspective d'un combat contre l'Armée Rouge. Pour la 7ème division, celui-ci porte sur le combat d'infanterie, le combat au corps-à-corps et les tactiques d'infanterie face à des attaques utilisant la combinaison des moyens. Un entraînement « spirituel » insuffle la certitude dans la victoire, la loyauté et le sens du sacrifice, la tradition militaire et l'esprit de corps, et surtout l'esprit offensif à chaque combattant. L'amélioration des armements depuis 1904-1905 signifie que le fantassin nippon doit être capable de continuer à avancer même si c'est après avoir vu tomber ses camarades, blessés ou tués. Le manuel de 1909 insiste sur la nécessité d'inspirer une ardeur sans faille à la troupe. Les Japonais en viennent à penser que le facteur moral peut suppléer aux déficiences technologiques ou matérielles. Dans le manuel de 1932, il est conseillé aux commandants de divisions, s'ils sont acculés par l'ennemi à la défensive, de chercher néanmoins le moyen de porter un coup fatal à l'ennemi en attaquant coûte que coûte.

La doctrine de combat de l'armée impériale japonaise est fondée sur des opérations offensives audacieuses. Il faut donc adapter les tactiques à l'ennemi que représente l'Armée Rouge. La guerre russo-japonaise et la Première Guerre mondiale ont montré que l'âge des formations d'infanterie compactes sur le champ de bataille était révolu. L'armée japonaise continue pourtant de se reposer sur l'infanterie, chargée d'engager l'ennemi et de le détruire au corps-à-corps. Les tacticiens nippons doivent alors garantir que les fantassins arrivent sur les positions ennemies avec le minimum de pertes. Dans un premier temps, ils cherchent à disperser les fantassins pour leur éviter la puissance de feu des armes modernes, tout en développant le combat de nuit, au corps-à-corps et la capacité de décision des officiers subalternes et sous-officiers. Ce postulat repose sur un corps d'officiers subalternes bien entraîné, soucieux de ses hommes et qui reste en permanence avec leurs unités. Cependant, les pertes en Chine entraînent un raccourcissement de la formation de ces officiers et sur le terrain, des promotions rapides aux grades de major ou de lieutenant-colonel pour combler les trous. En 1941, seuls 36% des officiers de l'armée sont diplômés de l'académie militaire et la proportion est encore moindre dans les rangs subalternes.

La version révisée du manuel d'infanterie de 1928 insiste alors sur la nécessité du couvert pour l'infanterie, afin de réduire les bonds en avant de 50 à 30 m environ. Le manuel met cependant encore lourdement l'accent sur le combat nocturne et les manoeuvres, tout en recommandant l'emploi intensif des mitrailleuses légères et des mortiers Knee. La nature offensive des opérations japonaises culminant dans le combat au corps-à-corps ne change pas, fondamentalement. Dans la décennie 1930, les Japonais comprennent qu'ils ne peuvent remporter une guerre d'attrition contre l'URSS, qui monte en puissance. Ils envisagent alors une guerre limitée, pour aboutir rapidement à une conclusion décisive. Le but est d'encercler l'adversaire et de l'anéantir. Les tactiques doivent reposer sur la mobilité, l'initiative, la concentration des forces, le combat de nuit et une bonne coordination entre infanterie et artillerie. Ajouté au moral de fer du soldat japonais, ces choix tactiques produisent une infanterie parmi les plus redoutables au monde. Cependant, cette qualité reflète aussi l'état inquiétant de l'armée impériale en ce qui concerne l'équipement en matériel moderne. La doctrine en vient à suppléer le manque de matériel.

En 1939, ce choix semble pertinent aux Japonais au regard de l'expérience contre les Chinois et les Soviétiques. En Chine, des soldats nippons inférieurs en nombre ont fréquemment vaincu des effectifs chinois supérieurs. En 1938, au lac Khasan, la victoire japonaise contre l'Armée Rouge est moins nette mais montre les qualités de l'infanterie japonaise en combat nocturne et au corps-à-corps. Le 31 juillet 1938, le 1er bataillon, 75ème régiment d'infanterie de la 19ème division japonaise lance une attaque de nuit contre une ligne de crête à 150 m de hauteur tenue par les Soviétiques près du lac Khasan. Les Soviétiques refluent après un violent combat au corps-à-corps et les Japonais tiennent les positions acquises pendant 12 jours, en dépit de lourdes pertes, face aux contre-attaques de l'Armée Rouge. Le succès de l'attaque nocturne initiale japonaise renforce les tacticiens dans l'idée que cette idée est la clé pour leur infanterie. En revanche, ces mêmes tacticiens s'intéressent davantage à la défensive puisque la bataille montre qu'une division bien retranchée sur une position naturelle peut bloquer l'avance frontale de trois divisions d'infanterie. Mais ils évacuent la puissance de feu de l'infanterie et de l'artillerie soviétique pour continuer à privilégier le moral du fantassin japonais qui doit s'affirmer dans l'assaut de nuit se terminant au corps-à-corps.

Les nouveaux conscrits de la 7ème division japonaise s'entraînent donc aux trois exercices cardinaux de l'infantere nipponne : baïonnette, tir et manoeuvre. Ils apprennent que la charge frontale sur l'ennemi jusqu'au corps-à-corps est le paroxysme du combat. La plupart des fusiliers termine alors la première année d'instruction au niveau de la compagnie, une année avec 38 semaines d'entraînement au combat nocturne soit une moyenne de 10 heures par semaine. Ils étudient l'attaque de nuit à différents échelons, l'enlèvement d'obstacles, la dissimulation, la discrétion, l'orientation, les patrouilles et les tâches de sécurité. En mai 1939, les hommes de la 7ème division sont sans doute jaloux que ce soient leurs camarades de la 23ème division qui ouvrent les hostilités contre l'Armée Rouge.

Le 14 mai 1939, le détachement de reconnaissance de la 23ème division, commandé par le lieutenant Azuma Yaozo, arrive près de Nomonhan. Le jour suivant, celui-ci lance un mouvement en pinces pour piéger les cavaliers mongols à l'est de la rivière Halha avec 150 cavaliers du Mandchoukouo. L'attaque commence à 13h00 : les Mongols parviennent à échapper à l'encerclement et se replient à l'ouest de la rivière Halha. Trois escadrilles japonaises attaquent le secteur depuis les airs et endommagent des yourtes. Les Mongols s'étant repliés au-delà de la frontière, le général Komatsubara considère alors l'incident terminé. Mais quelques jours plus tard, des reconnaissances aériennes et de cavalerie signalent que 60 cavaliers mongols ont à nouveau franchi la rivière Halha au sud de sa confluence avec la rivière Holsten. Le 21 mai, de 300 à 400 hommes avec au moins deux canons et des chars légers sont vus en train de construire des positions fortifiées au nord et au sud de la rivière Holsten. Ce même jour, le général Komatsubara dépêche une force ad hoc commandée par le colonel Yamagata Takemitsu, chef du 64ème régiment de la 23ème division, pour détruire l'ennemi. Le 64ème régiment (moins deux bataillons), le détachement de reconnaissance du lieutenant-colonel Azuma, une section de transmissions, une unité de transport et une autre médicale composent l'ensemble. Ils se mettent en marche pour traquer l'ennemi dans les steppes dénudées autour de Nomonhan.


Un terrain inhospitalier


Une fine pellicule de sable recouvre le sol autour de Nomonhan, mais le terrain permet le passage des véhicules à roues. Le paysage est assez dénudé et fournit peu de repères pour le fantassin. Du côté est de la rivière Halha, tenu par les Japonais, des dunes de sables s'étendent entre 20 et 40 m de hauteur : elles offrent une bonne protection à l'infanterie mais sont de peu d'utilité contre les blindés. L'ouest de la rivière, occupé par les Soviétiques, est une vaste plaine désolée. Les Japonais descendent depuis Nomonhan en direction de la Holsten, seule source d'eau potable, mais avec de nombreux puits salés et des marécages. Le véritable obstacle est la rivière Halha, large de 100 à 150 m, avec un courant très fort. Une bande marécageuse l'enserre sur un ou deux kilomètres de chaque côté. La rive ouest, plus élevée, donne l'avantage de l'altitude aux Soviétiques. Le climat est rude, avec des températures en juillet-août entre 30 et 40° la journée mais qui descendent à 17-18° la nuit. La pluie abondante apporte l'humidite qui fragilise le soldat, tout comme les moustiques et les criquets nombreux dans la région. Un brouillard recouvre généralement la zone à l'aube avant d'être chassé par le vent, et empêche l'observation à moyenne distance.

Le caractère désolé de la région entrave l'acheminement logistique. Le ravitaillement japonais arrive par chemin de fer à 200 km de distance, mais pour les Soviétiques, la base de chemin de fer la plus proche est à 700 km. Comme les Japonais ne conçoivent pas une opération multidivisionnaire à moins de 250-200 km d'une base logistique sur voie ferrée, ils pensent que les Soviétiques ne peuvent monter une opération d'envergure près de Nomonhan. En conséquence, ils ne s'attendent qu'à trouver des cavaliers mongols et les éléments locaux de la 7ème brigade de garde-frontières, et pensent qu'une division suffira pour régler le problème. La route terrestre qui arrive du nord à Nomonhan est à la merci des attaques aériennes ; celle qui arrive du sud se transforme en bourbier dès fin juin en raison des pluies. Yamagata compte envelopper les cavaliers mongols et les garde-frontières de l'Armée Rouge au nord de la rivière Holsten, sur la rive est de l'Halha. Une compagnie montera une attaque frontale de diversion pendant qu'un bataillon tournera l'ennemi par le nord. Pendant ce temps, le lieutenant-colonel Azuma s'emparera du pont de Kawamata, la seule échappatoire possible pour les Soviétiques. Azuma est tellement confiant qu'il n'emmène pas les canons de 37 mm, persuadés de rencontrer des cavaliers et de l'infanterie de seconde ligne qui fuiront à la seule vue des fantassins japonais.


Première défaite japonaise


A l'aube du 28 mai 1939, les 220 hommes et officiers d'Azuma arrivent à 2 km de leur objectif lorsqu'ils sont attaqués par des fantassins mongols et soviétiques et 10 chars sur leurs flancs, et pilonnés par l'artillerie tirant depuis la rive ouest de l'Halha. Les hommes d'Azuma s'enterrent tant bien que mal dans le sable en creusant avec le casque. Les Soviétiques attaquent aussi le bataillon de Yamagata pour l'empêcher de renforcer Azuma, qui à la tombée de la nuit n'a plus de munitions. Les deux escouades de ravitaillement envoyées dans la nuit par Yamagata sont quasiment anéanties. Le 29 mai, 400 hommes et 10 chars soutenus par l'artillerie attaquent à nouveau Azuma. Acculé, celui-ci mène une charge désespérée à la tête de 70 hommes pour briser l'étau. Quelques fantassins arrivent à percer mais pas leur chef, tué d'une balle en plein coeur par un Soviétique. Le détachement Azuma a perdu 8 officiers et 97 hommes tués et 33 blessés, soit 63% de son effectif. Dans la nuit du 30 mai, les Japonais récupèrent les corps de leurs camarades. Le général Komatsubara ordonne au détachement de se replier.

Les Japonais ont été surpris par l'intensité du combat : dans les poches des Mongols abattus, ils ne trouvent pas de cigarettes ou de nourriture mais des munitions supplémentaires et des grenades. Komatsubara et l'état-major de l'armée du Kwantung décident que la rencontre est un match nul, car ce désert ne vaut pas une once de sang japonais. Début juin cependant, il leur est difficile d'ignorer les rapports faisant état de la présence soviétique autour de Nomonhan. Mi-juin, le renseignement japonais signale des concentrations de troupes de part et d'autre de la rivière Halha. L'aviation soviétique mène des reconnaissances quotidiennes et fournit un appui aérien à de petites attaques sur des détachements du Mandchoukouo. Komatsubara demande alors à l'état-major de l'armée du Kwantung la permission de repousser l'envahisseur avec sa 23ème division.

L'état-major accepte car il pense que les Soviétiques ne comprendront que le langage de la force. Deux régiments de chars, avec 73 blindés et 19 automitrailleuses, et le 2ème bataillon, 28ème régiment de la 7ème division d'infanterie sont détachés auprès de Komatsubara. Certains officiers d'état-major comme le major Tsuji Masanobu pensent que le commandement opérationnel devrait revenir à la 7ème division, unité d'élite en Mandchourie. Mais relever Komatsubara irait à l'encontre de la pratique dans l'armée impériale japonaise. En outre celui-ci, avec ces renforts, doit avoir les moyens de mener une guerre limitée et décisive.


Le 2ème bataillon, 28ème régiment d'infanterie marche au combat


Ce bataillon est alors considéré comme une excellente unité. Les recrues viennent du nord d'Hokkaïdo et du sud de l'île de Sakhaline, et sont appréciés pour leur robustesse. En juin 1939, l'unité stationne depuis 16 mois en Mandchourie. Le major Kajikawa Tomiji, le commandant de bataillon, est diplômé de l'Académie militaire et spécialiste du kendo. C'est un vétéran qui a commandé la 9ème compagnie du bataillon dans le Nord de la Chine en 1932. Seuls 4 officiers sont des diplômés comme lui de l'Académie : 6 autres sont issus de l'école des aspirants officiers et 12 autres sont des réservistes. La plupart des recrues entame leur deuxième ou leur première année de service et reçoivent l'entraînement qui leur inculque la fierté d'une unité dont les traditions remontent à la guerre russo-japonaise.

Le 20 juin, après minuit, les hommes du bataillon sont tirés de leur baraquement : on leur annonce qu'ils vont servir d'escorte à un détachement blindé envoyé à Nomonhan. Ils embarquent dans des trains tandis que les officiers annoncent les mesures à prendre en cas de raid aérien. Le bataillon fait la jonction avec le 63ème régiment d'infanterie et les 3ème et 4ème régiments de chars. Les troupes japonaises quittent Aarshan le 23 juin à 2h20 sous couvert de l'obscurité : bien que mécanisée, la colonne compte surtout sur les moyens hippomobiles pour transporter sa logistique et son artillerie. La marche se fait dans une route embourbée qui ne facilite pas la tâche du fantassin nippon. En 24 heures, le bataillon avale 64 km de marche, mais le moral est très élevé, en dépit de la soif provoquée par l'absorption de rations pendant le mouvement. Les Japonais pensent venir aisément à bout des Soviétiques, en particulier parce qu'ils disposent cette fois d'une artillerie.

Le regard japonais sur l'Armée Rouge est forgé, notamment, par un manuel sur le sujet datant de 1933. Le soldat soviétique y est décrit comme un automate abandonnant la ligne de front à la première occasion : les combats de 1938 ont conforté les Japonais dans ces stéréotypes. Dans ce manuel, il est également précisé que le soldat soviétique peut être tenace en défense, mais que les défauts propres à cette nation le rendent incapable de monter des manoeuvres coordonnées ou des encerclements. Une attaque de flanc qui couperait la ligne de ravitaillement des Soviétiques aboutirait obligatoirement à une déroute complète. Le manuel correspond en fait à la recherche d'une guerre limitée marquée par la victoire décisive qui anéantirait d'un seul coup l'Armée Rouge.

Viewing all articles
Browse latest Browse all 1172

Trending Articles