Shelby L. Stanton est un ancien officier de l'US Army ayant servi plusieurs années au Viêtnam. Blessé, il a été décoré. Depuis la fin du conflit, il s'est reconverti, à partir de la décennie 1980, dans l'écriture d'ouvrages dédiés particulièrement à la guerre du Viêtnam mais aussi à l'histoire militaire américaine.
L'ouvrage de Stanton est préfacé par le colonel Harry Summers, l'homme qui avait déclaré en 1973 à un général nord-viêtnamien lors des accords de Paris que "l'armée américaine n'avait jamais perdu une guerre, et de toute façon n'en perdrait jamais une" . Il est alors, au moment de la publication de ce livre, l'un des tenants de l'école historiographique dite révisionniste au sujet de la guerre. Cette école, proche du pouvoir sous l'ère Reagan, cherche à revaloriser la prestation de l'armée américaine au Viêtnam et conclut fréquemment sur l'idée que celle-ci a remporté une victoire militaire, tout en étant victime des errements des politiques et des élites. C'est exactement ce que fait Summers dans cet avant-propos : il vide son sac pour ainsi dire sur les soi-disants experts qui pointent les erreurs ou les faiblesses de l'armée américaine, sur le président Kennedy qui aurait voulu à tout crin imposer un "art spécial" de la contre-insurrection, etc. Pour Summers, le GI ou le Marine a mené au Viêtnam un combat plutôt conventionnel contre le Nord-Viêtnamien voire le Viêtcong, en particulier dans l'assaut de positions retranchées et autres complexes de bunkers. L'infanterie américaine a tenu la dragée haute à l'adversaire tout en lui infligeant des pertes considérables. Bref, l'armée n'a pas démérité.
Comme le dit Stanton dans son introduction, il cherche quant à lui à dresser un tableau de la levée et de l'engagement des unités de l'US Army et de l'USMC au Sud-Viêtnam, tout en évoquant en parallèle l'armée sud-viêtnamienne, l'ARVN -une ambition malheureusement presque pas réalisée dans le livre. Il écarte cependant volontairement l'évocation des pertes, jugeant les statistiques produites par l'armée américaine peu fiables au regard de la course au body count, tandis que les pertes américaines sont elles aussi manipulées par le commandement. Comme l'indique la bibliographie présente en fin d'ouvrage, Stanton se repose essentiellement sur des documents officiels, des ouvrages produits par l'US Army et l'USMC, et sur quelques sources secondaires. On ne peut pas véritablement classer Stanton dans l'école révisionniste, car à l'inverse de Summers, il n'élude pas les carences et les problèmes propres à l'engagement de l'armée américaine au Viêtnam : simplement, il passe très vite dessus et à tendance à les relierà des causes extérieures à l'armée. On pourrait le qualifier, avec un brin de provocation, de "compagnon de route" du révisionnisme.
Le plan est chronologique, avec cinq parties consacrées aux cinq premières années de l'engagement américain, de 1965 à 1969, la première partie comprenant un rappel du soutien américain au Sud-Viêtnam avant l'intervention directe. Comme souvent, les trois dernières années du conflit, de 1970 à 1973 jusqu'au retrait, sont expédiées assez vite dans une sixième et dernière partie.
Stanton s'attache à montrer d'abord comment, au moment du choix de l'intervention directe en 1965, l'armée américaine est prise en flagrant délit d'impréparation. Le général Westmoreland doit en outre faire face à un véritable casse-tête logistique au regard de la situation de pays en développement du Sud-Viêtnam au moment de l'acheminement des troupes. Les Marines, la 173rd Airborne Brigade et la 1st Cavalry Division sont les premières formations engagées au combat dès 1965 contre le Viêtcong et les Nord-Viêtnamiens. Si la First Cavvalide les concepts de l'aéromobilité lors de la campagne de la vallée de Ia Drang, celle-ci confirme le choix de Westmoreland d'une guerre d'attrition qui va se révéler mal adaptée à la situation que doivent en fait affronter les Américains dans ce conflit avant tout politique.
Le renforcement du dispositif américain se poursuit jusqu'à l'automne 1966 avec l'arrivée, entre autres des4th, 9th et 25th Infantry Divisions et de la 1st Marine Division qui vient appuyer la 3rd Marine Division près de la zone démilitarisée. Les problèmes de personnel se font déjà sentir : le choix d'une conscription très sélective et le non recours à la Garde Nationale entraînent une crise des effectifs, et en particulier des cadres, fortement ponctionnés et qui ne peuvent plus instruire les conscrits. Pour protéger l'acheminement des troupes et la construction d'une capacité logistique, les Américains ciblent plusieurs zones prioritaires : la région de Saïgon, le delta du Mékong, les enclaves de Qui Nonh et Da Nang. Les troupes américaines entreprennent des opérations offensives dans ces secteurs à la place de l'ARVN. Parallèlement des restrictions sont posées quant à l'intervention au Laos et au Cambodge. A l'automne, le MACV teste son nouveau concept search an destroy avec l'opération Attleboro, qui implique pour la première fois plusieurs brigades. L'adaptation aux conditions de combat ne se fait pas sans mal, comme le montre l'exemple de la 1st Infantry Division, arrivée dès 1965 et dont le commandant est relevé en raison des piètres performances de l'unité. Les Américains innovent cependant avec l'emploi des hélicoptères et des tactiques aéromobiles : en plus de la 1st Cavalry, la 1st Aviation Brigade créée dès mai 1966 répartit des compagnies et des bataillons d'hélicoptères, contrôlant un pool de plus de 4000 machines au final. Les hélicoptères sont particulièrement précieux dans le sens où ils rassurent les combattants qui savent pouvoir être évacués rapidement en cas de blessure. L'inflation du nombre d'hélicoptères entraîne cependant, au départ, une crise aigue de pilotes. Si la 1st Cavalry Division mène de nombreuses opérations dans la zone tactique du IIème corps, les autres unités ont une activité plus réduite de même qu'autour de Saïgon. Au nord, en revanche, dans la zone tactique du Ier corps, les Marines doivent affronter en avril 1966 le soulèvement d'une partie de l'ARVN contre le gouvernement de Saïgon suite à des luttes politiques internes. Ils font face également aux divisions régulières de l'armée nord-viêtnamienne qui cherchent à s'infiltrer au sud de la zone démilitarisée et mènent une véritable guerre d'usure, bien différente de la guérilla du Viêtcong dans certains secteurs.
1967 est l'année des grandes batailles. Westmoreland dispose enfin de suffisamment de troupes américaines, appuyées par des contingents alliés et l'ARVN, pour mener sa stratégie d'attrition : nettoyer les poches ennemies autour de Saïgon, sécuriser la route n°1 et le gros de la population. Les opérations Cedar Falls et Junction City sont le symbole de cette stratégie. Paradoxalement, cette dernière a un effet pervers puisqu'elle entraîne le retrait de l'infrastructure viêtcong au Cambodge. En outre, Westmoreland souhaiterait intervenir au Laos voire au Cambodge pour couper la piste Hô Chi Minh, en particulier, des plans étant envisagés dans ce sens dès 1965, mais le pouvoir politique met son veto. Les divisions et brigades américaines s'installent aussi dans une routine, étant cantonnées la plupart du temps dans un même secteur géographique : seule la 1st Cavalry Division change régulièrement de zone. En conséquence, Westmoreland obtient l'envoi de la 101st Airborne Division dans son entier qui sera reconvertie elle aussi en division d'assaut aérien pour pouvoir servir de force mobile. Dans le secteur des Hauts-Plateaux, la 4th Infantry Division et la 173rd Airborne Brigade se heurtent à des unités régulières du Nord-Viêtnam dans des combats parfois sanglants, le cadre étant celui d'une diversion opérée par Hanoï pour attirer les Américains vers les frontières en prévision du Têt. Si les pertes des Nord-Viêtnamiens sont lourdes, celles des Américains ne le sont pas moins comme à Dak To. Les Marines, de la même façon, mènent une véritable guerre de positions face aux divisions nord-viêtnamiennes le long de la zone démilitarisée, sous les tirs d'artillerie venant d'au-delà de la séparation entre les deux Viêtnam. Pour soulager les Marines, Westmoreland recrée la 23rd Infantry Division (Americal) par l'amalgame de plusieurs brigades d'infanterie légère, afin de garder la zone côtière des provinces au nord du Sud-Viêtnam. L'Americal Division se signalera surtout par une prestation en demi-teinte durant tout le conflit, se signalant au feu mais commettant aussi de nombreux abus (massacre de My Lai) et connaissant un certain relâchement.
En 1968, l'armée américaine, en raison du Têt, arrive au maximum de ses capacités. Westmoreland installe un poste de commandement avancé du MACV en février pour gérer les combats dans la partie nord du Sud-Viêtnam. Les Américains subissent deux fois plus de pertes en 1968 qu'en 1967. La réserve stratégique de l'armée américaine est quasiment dégarnie pour alimenter les unités engagées au Viêtnam alors que de nombreuses troupes fédérales doivent être mobilisées pour faire face aux troubles intérieurs grandissants. Le commandement américain envisage alors ce qui deviendra la viêtnamisation, mais l'ARVN reste entâchée parv de nombreuses carences. En outre le recours à des travailleurs sud-viêtnamiens ou coréens dans les tâches logistiques n'est pas couronnée de succès, les Américains devant mater des émeutes en raison des mauvaises conditions de travail. Si le Viêtcong sort décimé du Têt, l'ARVN souffre tout autant même si elle tient le choc. En particulier, les unités d'élite de l'armée sud-viêtnamienne ont été saignées à blanc. Les Américains ont le sentiment d'avoir remporté une victoire militaire de taille : c'est oublier que la guerre du Viêtnam ne se résume pas simplement à la dimension militaire... les combats ont été parmi les plus durs du conflit, notamment à Hué ou autour de la base de Khe Sanh. La contre-offensive américaine, qui vient à bout du Mini-Têt en mai, se développe sans succès décisif dans la vallée d'A Shau, base logistique adverse en arrière de Hué, et le long de la zone démilitarisée. C'est aussi l'époque où apparaissent les premiers signes graves de laisser aller au sein de l'armée américaine engagée au Viêtnam. La 11th Light Infantry Brigade de l'Americal Division se signale par des problèmes de commandement et de discipline révélés par le massacre de My Lai.
En 1969, Abrams, qui remplace depuis juin 1968 Westmoreland, met en oeuvre le programme One War : l'armée américaine conduit en parallèle les opérations de combat et la pacification. Mais il s'agit surtout d'améliorer le potentiel de l'ARVN. Les Américains visent donc les bases logistiques ennemies près des frontières et se concentrent sur la zone démilitarisée. La première unité revient aux Etats-Unis dès le mois de juillet 1969. Le semblant de réédition du Têt est facilement brisé, et les Nord-Viêtnamiens s'en prennent surtout aux bases et aux convois logistiques américains. L'armée américaine entre alors dans une phase de déclin. La conscription envoie au Viêtnam les couches les plus pauvres et les moins éduquées de la société américaine, tandis qu'il y a pénurie d'officiers et de sous-officiers. Les opérations de combat sont moins nombreuses et la contestation de la guerre produit aussi son effet sur le moral. L'action se concentre sur les frontières, la bataille d'Hamburger Hilldans la vallée d'A Shau menée par la 101st Airborne Division étant l'affrontement le plus violent. Au sud, la 1st Cavalry Division et la 25th Infantry Division couplées avec des divisions de l'ARVN font écran sur la frontière cambodgienne. La 25th Infantry Division se signale par ses performances comme l'une des meilleures unités américaines de ce moment-là.
En 1970, alors que le retrait américain s'accélère, l'ARVN est engagée au combat pour tester ses capacités et regonfler son moral défaillant lors d'une invasion combinée avec les forces américaines au Cambodge. Si la destruction de la base logistique adverse fait gagner une année de survie au Sud-Viêtnam, l'ARVN ne fait toujours pas preuve d'une grande capacité de combat sans l'appui américain. Les combats s'étiolent dans le reste du Sud-Viêtnam à l'exception de la partie nord, où les Nord-Viêtnamiens ciblent en particulier les firebases et autres installations isolées américaines. La posture stratégique défensive nuit encore davantage à la prestation de l'infanterie américaine, traversée par des problèmes raciaux, l'ennui, la drogue et l'indiscipline. Le phénomène touche même les unités d'élite comme la 1st Cavalry Division. L'incursion sud-viêtnamienne au Laos de février 1971 -opération Lam Son 719- se termine en débâcle et augure mal de l'avenir de l'ARVN sans le soutien américain. La défense dynamique de l'armée américaine accentue encore les problèmes de discipline. Le fragging (jets de grenades par des soldats américains sur leurs officiers ou sous-officiers)est de plus en plus fréquent et la police militaire doit intervenir à plusieurs reprises contre des groupes de soldats retranchés avec leurs armes suite à des fragging ou autres cas d'indiscipline. L'armée doit également lancer une grande campagne antidrogue sur demande du président Nixon, qui révèle l'ampleur du problème au sein des unités encore présentes au Sud-Viêtnam. Harcelée par les Nord-Viêtnamiens, l'armée américaine accélère son retrait en 1972 mais son appui-feu demeure indispensable à l'ARVN pour briser l'offensive de Pâques.
En guise de conclusion, Stanton rappelle que la décision de Johnson de ne pas faire appel à la réserve de la Garde Nationale a fortement entravé l'accroissement en effectifs de l'armée américaine au Viêtnam dès 1965. D'après lui, l'armée américaine a joué son rôle de bouclier pendant que se reconstruisait l'ARVN, processus terminé en 1968-1969. La guerre d'attrition a été entravée par les restrictions posées à l'intervention au-delà des frontières et en raison d'une conscription mal conçue et du souhait de maintenir à plein potentiel les unités d'élite, alors que la logistique n'était pas distribuée équitablement. Pour lui, l'armée américaine a remporté une victoire militaire pendant le Têt qui aété frustrée par les décisions politiques conséquentes. La viêtnamisation entraîne la déréliction de l'armée dès 1969 et lors de l'invasion du Cambodge en 1970, le souci d'éviter les pertes conduit à un manque évident d'agressivité. Reléguées à des tâches de sécurité statiques, les troupes sont de plus en plus indisciplinées et reflètent l'état de l'opinion aux Etats-Unis. Les besoins en effectifs menacent de vider de leur substance les autres divisions américaines présentes sur le territoire national ou de par le monde. Des brigades d'infanterie légère rapidement formées ne peuvent que mal se comporter au feu, sans entraînement approprié. L'US Army et l'USMC mènent une guerre au-delà de leur potentiel humain du moment.
On l'aura compris, de par la conclusion, Stanton s'aligne plutôt sur les révisionnistes. L'ouvrage ne vaut cependant pas pour son analyse, qui reste très superficielle faute de s'élever au-dessus de la simple dimension militaire, de pas prendre en compte le reste et et de négliger aussi les Viêtnamiens eux-mêmes, du Sud comme du Nordla. Il faut le voir voircomme une relation, fourmillant de détails, de l'engagement de l'armée américaine au Sud-Viêtnam. En ce sens, c'est un manuel pratique pour retrouver une opération particulière ou revenir sur les problèmes de structure auxquels doit faire l'armée américaine, mais il ne faut pas lui en demander davantage.
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