Encore une fiche signée Nicolas Aubin. Merci à lui !
Cet ouvrage collectif propose
les actes d'un séminaire de DEA conduit par Jacques Girault pendant
trois années de 1997 à 2000 portant sur "le communisme et les
mouvements sociaux de la région parisienne et de la France au XIXè
et XXè s". Cette particularité est à la fois la grande
qualité de l'ouvrage et sa faiblesse.
Qualité car elle rend
accessible au plus grand nombre ce qui est d'ordinaire réservé à
un cercle étroit de chercheurs et d'étudiants parisiens. Qualité
ensuite car elle permet de découvrir les premiers travaux de jeunes
doctorants qui renouvellent les démarches et les problématiques.
Qualité encore car elle dépasse les querelles partisanes et réuni
toutes les sensibilités. Qualité enfin car elle confirme tout
l'intérêt d'une approche du phénomène communiste par le biais de
l'implantation ; approche que l'on doit au directeur et qu'il affine
depuis 25 ans1.
Faiblesse car
comme son titre l'indique, Des
communistes en France,
cet ouvrage embrasse un immense sujet au risque de ne pouvoir
l'étreindre correctement. Jacques Girault a du composer avec 27
intervenants différents (et encore d'autres n'ont pas rendu leurs
copies). Le plan s'organise autour de sept thèmes : la
représentation et l'élaboration de la ligne politique communiste,
la région parisienne comme enjeu politique, les rapports entre le
communisme et les mouvements sociaux, la place des communistes dans
le monde enseignant et dans le monde de l'entreprise, le communisme
municipal et enfin les communistes dans les luttes politiques et
idéologiques. Bref un véritable inventaire à la Prévert. En
outre, la diversité des intervenants a pour conséquence une grande
inégalité des contributions. Paradoxalement ce n'est pas chez les
chercheurs confirmés que l'on trouve les passages les plus
intéressants : Philippe Buton revient sur l'implantation communiste
à la Libération, Rémy Skoutelsky sur les volontaires parisiens au
sein des Brigades internationales, Jocelyne Carre-Prezeau sur le
mouvement Amsterdam-Pleyel. Bref rien de bien neuf sous le soleil,
mais il fallait sans doute ces signatures pour permettre la
publication. C'est donc grâce à la plume des dix doctorants que
l'ouvrage prend de l'altitude. Parfois simple récit, parfois
brillante analyse, les différents articles sont toujours novateurs
par le thème abordé : l'impact des mots d'ordre internationalistes
chez les communistes parisiens dans les années vingt (Sandrine
Saule), la crise de 1929 au sein de la Fédération unitaire de
l'enseignement (Loïc Le Bars), le communisme municipal (Emmanuel
Bellanger et Catherine Dupuy) et sa politique sportive (Nicolas
Ksiss).
Il est donc
délicat de dégager une problématique générale. Le coordonnateur
s'y est efforcé, tout en en reconnaissant la difficulté. L'ouvrage
se réclame de l'histoire sociale et totale. La problématique
générale de l'implantation a donc servi de point de départ et la
banlieue parisienne en constitue le terrain privilégié, mais non
exclusif. Il s'agit de comprendre la nature des mutations qui
traversent le communisme français en étudiant au plus près les
interactions entre le milieu, les idéologies, les phénomènes
culturels, les systèmes politiques, les individus, les impulsions
nationales et internationales. On retrouve le désir de présenter le
phénomène communiste dans toute sa complexité et dans sa pluralité
si prégnant dans le Siècle
des communismes2.
Le titre est ici évocateur d'un projet. Mais en "collant"
au terrain, le lecteur ne perçoit pas les dynamiques générales,
il n'a pas de vision d'ensemble du phénomène, bref il se perd dans
les études de cas. L'impression générale est donc celle d'un
capharnaüm. Certes ces faiblesses sont inhérentes à une telle
production, n'oublions pas qu'il s'agit des actes d'un séminaire.
Mais on peut regretter que Jacques Girault ne se soit pas lancé dans
une réelle synthèse, se contentant d'une présentation de 10 pages
où les résultats de la recherche sont expédiés en trois. Il n'y a
pas non plus d'articulation entre les thèmes. Enfin il manque une
présentation en ouverture des différentes parties. C'est d'autant
plus dommage que Jacques Girault dans un collectif précédent sur
l'implantation du socialisme n'avait économisé, ni les rapports de
synthèse, ni la conclusion générale… et le résultat fut tout
autre3.
Cette lacune ne doit cependant pas remettre en cause l'intégralité
du travail accompli par le coordonnateur et son équipe, ce serait
injuste. Il reste une dissection partielle des constituants du groupe
communiste et de son identité. Le lecteur y puisera d'intéressantes
informations, des démarches, des réflexions remarquables. Un index
des noms et des lieux lui facilitera la tâche. De plus l'ambition de
l'ouvrage n'a jamais été de répondre à toutes les questions et
pour reprendre sa phrase finale, "ce livre ne constitue qu'une
étape".
Dans ce corpus, trois sujets
se démarquent : le communisme municipal en banlieue parisienne, la
place des communistes au sein du monde enseignant et celle du cinéma
dans la représentation de la ligne politique.
Emmanuel Bellanger propose
une utile synthèse sur la gestion communistes des mairies de la
Seine entre 1920 et les années soixante-dix. Il démontre avec
rigueur que les communistes furent les héritiers des premiers
programmes d'assistance et des aménagements urbains mis en place par
les radicaux à la fin du XIXè s. Bien loin de faire table rase de
ce passé, les équipes municipales communistes maintinrent les
secrétaires municipaux à leurs postes et firent appel à des
techniciens issus de l'école des hautes études urbaines. Dès 1921,
les écoles du propagandiste organisèrent des cours sur le
socialisme municipal. Ainsi, les communistes furent intégrées dans
un réseau de professionnalisation et de fonctionnarisation. L'auteur
multiplie les exemples de coopérations intercommunales entre mairies
de couleurs différentes insistant sur l'uniformisation des pratiques
municipales. Les communistes acquirent donc une crédibilité qui
explique en partie la dynamique du Front populaire quand 26 des 80
communes de la Seine basculèrent dans le rouge. Bellanger constate
ainsi un réel décalage entre le discours partisan et la pratique
gestionnaire soucieuse d'efficacité et de rentabilité. Cela lui
permet de conclure sur l'existence d'une culture municipale du
compromis et non sur celle d'une contre-société municipale
communiste. Cette contribution est à compléter et à nuancer par
l'étude du mandat municipal dans l'itinéraire militant que l'on
doit à Claude Pennetier réalisée comme de coutume grâce aux
autobiographies déposées à Moscou et par la lecture des
interventions socioculturelles dans les municipalités communistes où
Jacques Girault met en évidence les désirs de réalisations,
limités par la dépendance des municipalités à l'égard des autres
corps de l'Etat. A partir de l'exemple de Gennevilliers, Catherine
Dupuy démontre que le communisme municipal doit répondre à trois
exigences : offrir aux administrés une assistance sociale (logement,
santé, loisir…), être une courroie de transmission entre les
masses et la direction nationale, soutenir le prolétariat lors des
grèves.
Le deuxième thème
remarquable de ce corpus traite des enseignants communistes, membres
incontournables de la famille communiste et pourtant si souvent
occultés au profit des cadres ouvriers. Loïc Le Bars s'attarde
ainsi sur un épisode clé et pourtant inconnu, la crise de 1929 au
sein de la fraction communiste de la Fédération unitaire de
l'enseignement. Cette crise révèle en fait les tensions entre les
anciens instituteurs de province, syndicalistes avant d'être
militants communistes, isolés dans le monde rural mais attachés à
la révolution russe opposés aux jeunes instituteurs de l'après
1ere guerre mondiale ayant adhérés au PCF avant de s'engager dans
la FUE. La crise déboucha sur la rupture de la majorité des
enseignants communistes avec leur parti. Ces "dissidents"
gardèrent le contrôle de la fédération malgré les efforts des
militants restés au PCF, au demeurant peu nombreux (250 membres en
1931). Elle explique donc en partie la faible implantation communiste
dans le monde enseignant et le passage de la FEN dans l'autonomie
après la 2è guerre mondiale.
Enfin, trois
contributions permettent d'accorder une place non négligeable au
cinéma en tant que vecteur de l'idéologie. Myriam Tsikounas
décrypte les films soviétiques portant sur la révolution russe
montrant comment ces films d'endoctrinement politique ont su innover
pour captiver et étonner le spectateur tout en bloquant le
questionnement et en gommant les invraisemblances du récit. Tanguy
Perron et Jacques Girault comparent deux films et deux époques.
Perron s'attarde sur les films municipaux de l'après 2è guerre
mondiale. Girault analyse l'histoire d'une production de Guerre
froide, "La terre fleurira" réalisée à l'occasion du
cinquantième anniversaire de l'Huma
en 1954. Si en quelques années les sujets ont changé, la volonté
édificatrice tout comme l'art du montage demeurent identiques à la
filmographie soviétique.
En définitive,
à moins de résumer chaque intervention, on ne peut guère offrir
une réelle photographie de ce livre hétéroclite. Reste à chaque
lecteur à se faire sa propre opinion. Est-il utile de publier les
actes d'un séminaire ? En ce qui me concerne ma philosophie est
faite. Cet ouvrage en dressant un panorama des réflexions sur
l'implantation du communisme est stimulant et bienvenu. Avec une
synthèse approfondie, il serait même devenu incontournable.
Nicolas Aubin
1
Girault, Jacques (sous la dir.), Sur l’implantation du PCF dans
l’entre deux guerres, Paris, Ed. Sociales, 1977.
2
Dreyfus Michel et alii (sous la dir.), Le siècle des
communismes, Paris, Ed. de l'Atelier, 2000.
3
Girault Jacques (sous la dir.), L'implantation du socialisme en
France au XXè siècle. Partis, Réseaux, Mobilisation, Paris,
Publications de la Sorbonne, 2001.