Je remercie Roland Delicado, l'un des auteurs, de m'avoir fait parvenir son ouvrage. Celui-ci est en fait le prolongement d'un travail de recherche sur Royo, un républicain espagnol devenu l'une des figures majeures de la Résistance de l'Ariège pendant l'Occupation et la Libération, et qui est tragiquement éliminé par le Parti Communiste Espagnol, comme nombre de ses camarades, à la faveur d'une purge du parti. Il se trouve que les anciens républicains espagnols réfugiés en France après la défaite face à Franco, en 1939, ont grossi les rangs de la résistance armée, en particulier dans le Sud-Ouest. Royo, lieutenant dans l'armée républicaine, est de ceux-là : il a été interné au camp d'Argelès, reste actif dans le PCE présent dans le camp, prend ensuite des contacts avec les communistes français. Il épouse d'ailleurs une Française, bientôt résistante, le 6 mai 1941. On aimerait d'ailleurs en savoir un peu plus sur son parcours entre cette date et 1944, date où le récit reprend : il y a là un manque qui s'avère un peu problématique pour la contextualisation. De manière générale, l'ouvrage s'adresse quand même à de bons connaisseurs de la période, de la Résistance, dans cette zone géographique.
En juin 1944, Royo est à la tête de la 3ème brigade de l'Ariège, qui comprend nombre de républicains espagnols. Le 8 août, une mission alliée vient renforcer les maquis : elle comprend notamment le commandant Bigeard, qui plus tard, dans ses mémoires (1975), fera l'éloge de l'efficacité de la formation et de son chef. Lequel savait manifestement, pourtant, que les maquisards étaient en grande partie des communistes, aux antipodes de ses propres convictions. Sur cette situation, où les républicains espagnols libèrent une bonne partie de l'Ariège, se greffe la problématique du PCE et de la lutte en Espagne. La direction du parti s'est exilée en 1939 à Moscou ou au Mexique. Pendant la guerre et l'occupation, des membres restés sur place se sont imposés et n'ont pas perdu de vue la poursuite du combat contre Franco : fin octobre 1944, une incursion dans le val d'Aran tourne à la catastrophe. C'est alors que les dirigeants exilés, et notamment Santiago Carrillo, reviennent sur place pour restaurer la hiérarchie. Royo lui-même a participé aux incursions en Espagne. Capturé, il est emprisonné à la prison de Barcelone. Libéré, il est assassiné le 23 juillet 1945.
Le PCE reconnaît l'exécution mais avance que Royo aurait dénoncé les siens après avoir été capturé, ou en tout cas s'apprêtait à collaborer avec les autorités franquistes. En outre il aurait dérobé une somme d'argent importante à la brigade. Manifestement, ce sont des justifications a posteriori qui masquent mal une purge interne au PCE, alors en pleine recomposition suite à la Libération et au retour de l'ancienne direction. Royo n'a d'ailleurs pas été le seul à être ainsi éliminé pendant la guérilla malheureuse en Espagne, qui dure plusieurs années. Il avait le tort d'être la figure de légende des maquis dans l'Ariège, d'avoir travaillé avec Bigeard, et, en outre, les républicains espagnols ont voulu préserver leur spécificité par rapport aux FTP, ce qui a entraîné des tensions. Un document du tribunal de Valence, qui contient des renseignements sur Royo au moment de sa capture, montre que celui-ci, au contraire, a su habilement dissimuler son identité et ses fonctions à ses geôliers.
Par la suite, après la fin du conflit, le PCF et le PCE ont chacun à leur façon instrumentalisé l'histoire de la Résistance, et particulièrement, pour ce dernier, dans l'Ariège. L'épisode Royo a été passé sous silence. Les mémoires de Bigeard ont dérangé, car elles montraient Royo comme le chef authentique de la 3ème brigade de l'Ariège, et qui n'avait rien d'un traître en puissance. Ces purges internes et autres règlements de compte, par les pertes qu'ils ont entraîné, privent d'ailleurs les historiens de nombre d'informations sur certains aspects ou moments de la Résistance dans quelques départements du sud de la France.
Ce petit ouvrage a évidemment un caractère engagé, les auteurs étant eux-mêmes les descendants de certains protagonistes. Ils s'opposent avec virulence à ceux qui considèrent Royo comme un Judas, un matamore ou un escroc (la fameuse anecdote de la valise bourrée d'argent...). La passion qui anime le récit le fait probablement sortir, parfois, du caractère proprement scientifique d'une telle étude. Mais comme le disent les auteurs en conclusion, on a probablement trop attendu pour écrire l'histoire des républicains espagnols de la Résistance, en France. Il s'agit maintenant, au-delà du mythe, de croiser les sources, de faire sauter les carcans, pour dresser un portrait un peu plus authentique de ce que fut la Résistance, avec ses zones de lumière comme avec ses zones d'ombre.