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(Coll.), Dien Bien Phu vu d'en face. Paroles de bo doi, Paris, Nouveau Monde Editions, 2010, 272 p.

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Donner la parole, pour une fois, aux bo doi, les combattants viêtminh. C'est à cette tâche que s'attèle ce livre. La préface est signée Jean-Pierre Rioux : l'historien rappelle combien la France s'est désintéressée de la guerre d'Indochine. La seule institution qui en est tenue un peu compte, forcément, c'est l'armée, bien décidée à ne pas revivre le même scénario en Algérie. La mémoire s'est ravivée après la visite de François Mitterrand au Viêtnam en 1993 et les commémorations des quarante ans de la bataille l'année suivante.

Ce travail est l'oeuvre de 6 journalistes viêtnamiens, dont un vétéran de Dien Bien Phu, et deux autres qui ont été formés au journalisme en France. Entre décembre 2007 et janvier 2009, ils sont partis à la rencontre des anciens bo dois qui ont combattu pendant la bataille. Le livre paraît à Hanoï en 2009 et se démarque nettement de l'histoire officielle du régime communiste. Son passage en français est le bienvenu car en dehors des livres nostalgiques sur l'Indochine française, peu d'historiens sérieux -mais il y en a- travaillent sur le sujet, et le Viêtminh en tant que tel est finalement peu présent dans la littérature ou l'historiographie du conflit.

Les auteurs fournissent la liste complète des témoins interrogés, très variés, et un glossaire fort utile pour déchiffrer certains mots de lexique. Et l'on commence par cette formidable mobilisation en vue de la bataille de Dien Bien Phu : 27 000 tonnes de matériel et de denrées transportées par 260 000 travailleurs civiques et plus de 22 000 jeunes volontaires, avec notamment l'appoint de 20 900 bicyclettes.



"Herbe verte ou poitrine rouge" : 40 000 bo dois sont engagés dans le siège de Dien Bien Phu, en première ligne, et 15 000 à l'arrière. Le Viêtminh, au printemps 1953, se prépare à renouveler son assaut contre Nasan, après une première tentative infructueuse. La division 351 a reçu de Chine son régiment de canons de 105 et celui de canons antiaériens de 37 mm. Mais les Français évacuent Nasan le 12 août. Giap et ses conseillers chinois penchent alors pour une offensive en direction du Laos, dans la région du Nord-Ouest. Navarre, le commandant en chef français, pense depuis juin 1953 à l'occupation de Dien Bien Phu. Le Viêtminh est donc surpris quand les paras français sautent, le 20 novembre 1953, sur le site, et s'en emparent. Ce n'est qu'à ce moment-là que le Viêtminh réoriente son effort vers la vallée de Dien Bien Phu.

La division 316 tente d'empêcher la retraite des forces françaises positionnées autour de Lai Chau. Les 12-13 décembre 1953, le régiment 174 de la division 316 affrontent les compagnies de Thaïs et prend le dessus, entre Lai Chau et Dien Bien Phu, à Muong Pon. Dès la mi-décembre 1953, le renseignement viêtminh cherche à obtenir des cartes plus précises de la région. Il les obtient dans la nuit de Noël... grâce à un colis parachuté en dehors du camp retranché.

Parallèlement les divisions viêtminh se déploient autour de la vallée. Les routes sont remises en état. Les canons de la division 351 font le voyage directement depuis la Chine, par camion. Le 26 janvier 1954, alors que les divisions sont prêtes pour l'attaque, Giap prend la décision qu'il dit être la plus difficile de sa carrière en suspendant l'assaut, contre l'avis des conseillers chinois. Il privilégie l'encerclement et l'étouffement du camp à une attaque frontale, notamment parce qu'à ce moment-là, toutes les pièces d'artillerie ne sont pas encore en position. Les bo dois, dépités, regagnent leurs abris.

Le même jour, Giap fait marcher la division 308 sur Luang Prabang, au Laos, dans le cadre d'une diversion couvrant le retrait des forces, et un émetteur radio tente de faire croire aux Français que la division est repartie dans le delta. La progression est rapide, même si la logistique est prise au dépourvu. Le 3 février, les canons de 75 mm du Viêtminh ouvrent le feu sur la piste et quelques jours plus tard, un premier Hellcat est abattu -mais les canons de 37 ne se sont pas encore dévoilés.

Les combats de février 1954 autour du camp sont déjà très virulents, notamment autour de la colline Gabrielle. Début mars, les canons de 105 et les pièces de DCA sont mises en place. Le 11 mars, l'artillerie lourde viêtminh se dévoile, à la fin de la dernière visite de Cogny dans le camp retranché. L'attaque commence deux jours plus tard. Lors de la première phase de l'offensive viêtminh, du 13 au 17 mars, les bo dois s'emparent de Béatrice, de Gabrielle et d'Anne-Marie après de violents combats. Ces collines protègent la piste d'aviation et le nord du camp. La moitié d'un bataillon du régiment 141, division 312, est tuée ou blessée sur Béatrice.

Dans la deuxième phase de la bataille, les bo dois entourent les points de résistance restants d'un réseau de tranchées. Le 28 mars cependant, pour desserrer l'étau, le 6ème BPC de Bigeard mène une contre-attaque à  l'ouest et vise en particulier la DCA. 400 Viêtminhs restent sur le terrain mais le butin matériel n'est pas à la hauteur des efforts consentis. Le 30 mars, la bataille dite des  Cinq Collines voit le Viêtminh tenter d'emporter les hauteurs à l'est du camp. Eliane 1, qui tombe dès le premier jour, est reprise le 12 avril après d'incessantes contre-attaques et ne sera évacuée que le 1er mai. Sur Eliane 2, la bataille fait rage du 30 mars au 4 avril, et le Viêtminh engage en vain plusieurs de ses régiments ; il ne parvient à contrôler qu'un tiers de la colline. La division 316 en vient à croire qu'il existe un tunnel que les Français utilisent pour renforcer la hauteur ! Les pertes du régiment 174 et du régiment 102 de la division 308 sont lourdes. Le bataillon 18 du régiment 102, qui comptait 300 hommes, n'en a plus que 17 valides à la fin des combats. En revanche, les collines Dominique 1 et 2 sont emportées. La saison des pluies s'installe. Les divisions 312 et 308 creusent des tranchées pour couper la piste d'aviation et se rejoindre.

Parallèlement, les bo doi encerclent et isolent Isabelle, le bastion sud, où stationnent 2 000 soldats français et une puissante artillerie. Témoignage intéressant que celui de ce tireur d'élite qui décrit les tactiques employées. Ils opèrent à trois, ciblent parfois des objectifs précis comme les mitrailleuses. En un mois, ce tireur abat 9 adversaires. Pour la troisième et dernière offensive, le Viêtminh reçoit, à la fin avril, des lance-roquettes multiples, et creuse une mine sous Eliane 2 pour la faire sauter. C'est la compagnie spéciale 83 de la division 351 qui se charge de ce travail herculéen. Le 7 mai, la garnison française met bas les armes. C'est un chef de groupe de la division 312 qui capture De Castries. Giap se montre d'ailleurs très soucieux d'avoir bien fait prisonnier le commandant de la garnison. A noter ce témoignage d'un soldat de la division 304, chargé d'escorter des prisonniers, témoin d'une scène de violence à l'encontre d'un officier français qui est cependant sanctionnée. Peu de temps après la bataille, le cinéaste soviétique Roman Kamen immortalise la bataille dans une grande reconstitution tournée sur place. Les Français perdent un peu plus de 17 bataillons, 15 700 soldats et officiers dont 3 420 tués ou disparus, 5 300 blessés. Le Viêtnam ne reconnaît que 4 020 tués et 792 disparus, ainsi que 9 118 blessés, là où les sources occidentales évoquent généralement entre 20 et 25 000 tués et 15 000 blessés. Le butin matériel est considérable.

Au final, on ne peut que recommander la lecture de livre qui offre enfin le point de vue viêtnamien de la bataille de Dien Bien Phu, en dehors de l'histoire officielle, et ce même si les témoins conservent bien sûr un regard forgé par une vie parfois au service du parti, de l'armée ou de la lutte pour l'indépendance. Comme on l'a dit, l'ensemble se complète d'annexes fort utiles et d'un livre central impressionnant : photos, cartes, statistiques qui aident à mieux comprendre le déroulement de la bataille et de la campagne. Un livre qui se révèle donc très utile.






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