Eric Bergerud, aujourd'hui professeur à l'université de Lincoln (San Francisco), a précédemment travaillé au Center for Military History et a soutenu sa thèse à l'université de Berkeley en 1981. Il est aujourd'hui davantage connu pour ses travaux sur la Seconde Guerre mondiale, en particulier la guerre du Pacifique, que pour ceux sur la guerre du Viêtnam. Il a pourtant livré deux livres, au début des années 90, sur le sujet. Red Thunder, Tropic Lightning est le second.
C'est un ouvrage un peu particulier dans le sens où Eric Bergerud ne s'attache pas vraiment au parcours de la 25th Infantry Division, objet de son étude, pendant son séjour au Viêtnam. En réalité, on a là, surtout , un recueil de témoignages de vétérans classé par thèmes, et qui vise à mieux faire comprendre au lecteur l'univers dans lequel ont évolué les soldats américains au Viêtnam. Comme l'explique l'auteur, son premier livre l'avait déjà mis en contact avec la 25th Infantry Division de par le sujet traité, et il est vrai qu'après la guerre, cette unité a fait l'objet de nombreuses fictions littéraires ou cinématographiques (le Platoon d'Olivier Stone met en scène la division).
L'introduction place plutôt Eric Bergerud dans la lignée du courant historiographique révisionniste, celui qui cherche à réhabiliter la performance américaine au Viêtnam. La 25th Infantry Division a été déployée autour de Saïgon et près du Cambodge entre janvier 1966 et le printemps 1971. Elle a laissé sur le terrain 5 000 tués et encore davantage de blessés, ce qui en fait une des divisions les plus marquées par les combats. Bergerud l'a choisie justement parce qu'elle a combattu au même endroit pendant assez longtemps. Comme il le reconnaît lui-même, il est davantage dans ce livre un éditeur de témoignages qu'un auteur à proprement parler.
Chaque chapitre thématique (le pays et le climat ; les armes ; le renseignement ; les tunnels ; les blessés ; les rapports avec les Viêtnamiens ; etc) est donc constitué pour l'essentiel de témoignages de vétérans de la 25th Infantry Division. Ils sont très intéressants en soi car ils apportent une foule de détails vivants sur tous les sujets évoqués. Le tout est précédé en général d'un propos liminaire d'Eric Bergerud, qui intervient également entre les récits pour préciser certaines choses ou souligner des points particuliers. Le principal défaut du livre, cependant, reste que l'historien se contente de commentaires de son cru, sans aucune référence bibliographique. Si cela n'est pas très gênant quand il parle des armes (encore que...), ça le devient beaucoup plus quand Eric Bergerud aborde des thématiques sensibles liées au conflit, comme le rapport avec les Sud-Viêtnamiens, militaires en particulier, la consommation de drogue au sein de l'armée américaine, les violences commises contre les civils, etc. L'historien prend assez systématiquement le parti des vétérans, ou disons qu'il cherche absolument à défendre "l'honneur" de l'armée américaine, une tâche qui semble, il faut bien le dire, un peu vaine, et qui ne correspond guère au travail que l'on attend d'un historien.
Le livre étant même dépourvu de conclusion (l'épilogue prend encore une fois la forme de témoignages de vétérans), on est un peu frustré en refermant le livre. On se dit qu'il y avait là un matériau formidable à exploiter, mais ce que n'est pas fait. Eric Bergerud aurait dû aussi sacrifier à l'historique d'unité ne serait-ce que pour contextualiser les témoignages. Il évoque parfois les grandes phases du conflit dans certains chapitres mais trop rapidement. En outre, on notera que les témoignages eux-mêmes sont rarement recoupés, ne serait-ce qu'entre eux, sans parler bien sûr de l'absence de sources extérieures. Le propos ne peut donc être que limité par ces problèmes méthodologiques. L'intention est certes de présenter le "monde" d'une division américaine au Viêtnam, ce qui est assez réussi, mais l'historien ne fait pas vraiment son travail de questionnement et d'interprétation des sources. Comme le dit un autre historien américain spécialiste du Viêtnam, John Prados, l'ouvrage de Bergerud, à trop se focaliser sur la recherche de "l'expérience du soldat", néglige la dimension d'histoire sociale et donne l'impression que le parcours du "tour of duty" dans la 25th Infantry Division a été sensiblement le même de 1966 à 1971. On ne peut que le regretter. Par ailleurs, depuis 1993, de nombreux autres livres sont parus aux Etats-Unis, qui viennent parfois contredire les propos de Bergerud ou du moins ouvrir de nouveaux axes de recherche (comme sur l'armée sud-viêtnamienne, l'ARVN). Pour avoir un avis vraiment complet, je tâcherai de lire dès que possible le premier ouvrage de Bergerud sur le Viêtnam, paru l'année précédente, en 1992.