La
guerre en Syrie non seulement s'est inscrite dans la durée mais se
fait de plus en plus complexe au fil des mois. La contre-offensive
globale du régime déclenchée au printemps 2013 semble redonner
l'avantage à Bachar el-Assad ; ses forces intérieures et ses
soutiens extérieurs paraissent aujourd'hui beaucoup plus cohérents
que ceux de l'opposition. Celle-ci avait su pourtant s'adapter pour
devenir une véritable insurrection armée et mettre en grande
difficulté le régime à la fin 2012. Cependant, les avantages qui
avaient alors fait sa force se retournent contre elle :
l'absence d'unité, la question du soutien extérieur et
l'intervention de combattants étrangers sont des problèmes
sensibles, auxquels l'insurrection tente désespérement d'apporter
une réponse. La brigade al-Tawhid, qui opère surtout dans la
province d'Alep, est à la fois une bonne illustration de l'évolution
de l'insurrection armée et en même temps le reflet de son extrême
fragmentation, de sa diversité aussi, derrière les grandes
catégories fréquemment employées, y compris par moi-même.
L'évolution
de l'insurrection armée en Syrie (2011-2013)
L'opposition
militaire au régime syrien est une force émergente. Partie de rien
ou presque, quelques déserteurs de l'armée et beaucoup de
volontaires sans expérience, elle est devenue une force armée
capable de disputer certains secteurs géographiques au régime de
Damas. Cependant, celui-ci dispose depuis le départ d'avantages
certains, et après un moment de flottement, il a réussi lui aussi à
s'adapter au défi posé par l'insurrection armée. Celle-ci ne peut
désormais plus se contenter d'attaquer les positions isolées ou
d'abattre les appareils de l'armée un par un : il lui faut
maintenant monter des opérations plus complexes, répondre aux
offensives du régime, amasser les armes, en particulier lourdes,
pour contrer les blindés, l'artillerie et l'aviation de l'armée
syrienne1.
Au
départ, de mars à l'été 2011, l'armée syrienne a d'abord mené
des opérations de maintien de l'ordre face à des manifestants sans
armes, qui progressivement se sont équipés et ont commencé à
représenter une réelle menace à partir de janvier 2012. Dès le
départ, l'armée a utilisé la manière forte en employant les chars
et l'artillerie. Au printemps 2012, elle mène plusieurs opérations
multi-brigades pour nettoyer des poches rebelles à Homs ou dans les
environs de Damas. Au même moment, et jusqu'à l'été, les rebelles
lancent également des offensives qui leur permettent de s'implanter
dans plusieurs régions du nord (provinces d'Idlib, d'Alep et
al-Raqqa en particulier) et de l'est (Deir es-Zor). Le régime a beau
employer son aviation et des missiles sol-sol, les rebelles
parviennnent à se maintenir y compris aux alentours de Damas et dans
la province de Homs. Ils combattent au coeur de Damas, sont
retranchés autour de la ville, s'emparent de morceaux des provinces
de Deraa, Kuneitra et Hasaka, disputent la province de Hama et sont
même présents au nord de Lattaquié, dans le sanctuaire alaouite du
régime. Seules Suwaydda et Tartous sont complètement contrôlées
par le régime. Les rebelles ont été dopés par l'augmentation des
effectifs, l'accumulation d'une certaine expérience, l'arrivée
d'armes et de munitions de l'extérieur et les prises réalisés sur
le régime. Des véhicules civils sont « bricolés »
pour embarquer des armes, dans la tradition des technicals. On
voit en outre les unités de départ, très territoriales, évoluer
en formations plus composites, à bataillons multiples, et se
regrouper en coalitions débordant le cadre géographique local. Des
« opérations » regroupent à la fois des forces
territoriales et composites pour s'emparer d'objectifs précis, avec
la coordination parfois de plusieurs coalitions différentes. Les
unités régulières de l'armée syrienne subissent des coups et
doivent bientôt recourir à des auxiliaires et des miliciens,
regroupés ensuite dans les Forces Nationales de Défense.
Source : http://4.bp.blogspot.com/-s9F7blnP15Y/T6qfjqKxq_I/AAAAAAAAB6Y/9zKOXXtyr6I/s1600/homs_111115_update-729853.jpg |
Une
transition se réalise au printemps 20132.
Le régime survit à la période critique de novembre-décembre 2012,
où les rebelles sont aux portes de Damas, et mène la contre-attaque
au printemps en prenant la ville d'al-Qusayr dans la province de
Homs3,
puis en remportant d'autres succès aux alentours et dans les
provinces d'Idlib, de Deraa et de Rif Dimashq. Le sursaut du régime
est dû à plusieurs facteurs : la puissance de feu (artillerie
et aviation) est mieux employée avec le gain d'expérience ; un
nombre important d'irréguliers suffisamment entraînés a été
incorporé dans la structure des forces armées pour être utilisés
aussi bien pour la défense que pour l'attaque ; enfin,
l'intervention directe d'alliés du régime dans les combats,
Hezbollah à al-Qusayr, mais aussi milices irakiennes, et plus
discrètement, l'Iran.
Source : http://www.lefigaro.fr/medias/2013/06/05/PHOfdb85c2c-cddc-11e2-8cc0-250b4c65501d-805x453.jpg |
Le
conflit prend alors un tour de plus en plus sectaire, opposant les
sunnites aux chiites et aux alaouites ; le soutien extérieur
revêt une place de plus en plus importante, de même que l'emploi
des armes lourdes ; les deux camps sont capables de soutenir de
violents combats mais les pertes montent aussi. Jusqu'ici, le combat
avait été très local. Mais l'offensive du régime contre al-Qusayr
fait changer le conflit d'échelle : on assiste là à une
manoeuvre qui n'est pas sans rappeler l'opératif, pour des buts
stratégiques visant l'ensemble de la province de Homs et même
au-delà, puisqu'il s'agissait peut-être ni plus ni moins que de
dégager les approches nord, et sud (manoeuvres dans la province de
Deraa) de Damas pour sécuriser la liaison avec la bande côtière
alaouite. La réponse de l'insurrection a aussi été de plus grande
ampleur que d'habitude. A l'est d'Hama, elle lance une opération
pour retenir les forces du régime, tandis que des contingents d'Alep
et d'al-Raqqa partent défendre al-Qusayr. La coalition islamiste
présente au nord de Lattaquié bat le rappel des groupes au nord de
la Syrie. Mais l'insurrection n'a tout simplement pas de stratégie
cohérente faute d'être unie4.
L'insurrection
armée est très fragmentée. Quelques groupes sont disciplinés,
tactiquement compétents, d'autres beaucoup moins. Les unités
recrutent dans toutes les strates sociales, d'abord, souvent, sur une
base locale. Certaines comptent des déserteurs de l'armée. Beaucoup
sont structurées autour de l'islam. Les minorités sont présentes
mais l'insurrection demeure majoritairement sunnite. Le spectre
idéologique est très large, des nationalistes syriens laïques aux
djihadistes salafistes. Les unités se désignent souvent comme
katiba ou liwa, équivalents de bataillon ou brigade,
mais le format est très variable. Le Conseil Militaire Suprême de
l'Armée syrienne libre n'a qu'une autorité toute théorique :
la plupart des opérations sont menées par les coalitions
idéologiques (Front de Libération Islamique Syrien, Front Islamique
Syrien, etc) ou les plus puissantes formations territoriales (brigade
al-Tawhid, Liwa al-Islam, etc). L'armement antichar s'est renforcé
par apport extérieur dès janvier 2013, et les armes lourdes de
prise sont plus nombreuses aujourd'hui. En outre les rebelles ont su
faire preuve d'un grand savoir-faire pour fabriquer des armes
artisanales, notamment des pièces d'artillerie utilisés dans un
rôle de harcèlement ou d'interdiction.
Un HJ-8 chinois utilisé contre la base aérienne de Minnagh.-Source : http://4.bp.blogspot.com/-w3QninbzzdE/UcSDQ-R9TTI/AAAAAAAAAcQ/1g9xzD5KJGM/s1600/hj-8.png |
Initialement,
la fragmentation de l'opposition armée a été un avantage, du
printemps 2012 au printemps 2013, car le régime a été débordé :
il a dû parfois disperser ses maigres unités régulières pour
contrer des menaces multiples. Mais quand le régime change de
stratégie, une fois qu'il a les moyens de conserver certaines zones
clés et de cibler certains objectifs de choix, l'absence de
stratégie coordonnée de l'insurrection devient un handicap. Les
rebelles mettent le siège devant les installations militaires, mais
le problème est que les sièges sont longs et peuvent permettre au
régime de débloquer la situation de l'extérieur ou de renforcer
les assiégés. L'attaque de postes plus petits est généralement
couronnée de succès et fournit des armes et des munitions. Les
armes lourdes capturées ont pour l'instant été utilisées dans ce
cadre : les chars retournés par exemple n'affrontent pas trop
leurs homologues de l'armée. En défense, les rebelles ont su
improviser des systèmes défensifs qui ont parfois coûté cher au
régime, dans les faubourgs de Damas ou dans la province de Deraa. La
guerre est davantage une guerre de positions que de mouvement, où le
combat urbain joue un rôle dominant. Or le régime dispose de
davantage de puissance de feu et d'une capacité du génie que n'ont
pas forcément les rebelles5.
L'usure
des forces est donc importante : en moyenne, 52 morts pour les
rebelles et 32 pour les soldats réguliers du régime par jour entre
mars et juillet 2013, selon l'Observatoire Syrien des Droits de
l'Homme. Les pertes en matériel du régime ont également été
conséquentes, mais ne semblent guère avoir affecté sa capacité à
mener des opérations. Plus que les pertes du fait de la DCA, c'est
bien plutôt la capture des bases aériennes qui a conduit à la
destruction ou à la captures d'avions ou d'hélicoptères. Les
pertes en chars et en véhicules blindés, encore importantes au
début 2013, se sont réduites drastiquement depuis. En revanche,
l'artillerie du régime n'a été que fort peu touchée et reste un
atout de taille pour l'armée syrienne.
Source : http://i.telegraph.co.uk/multimedia/archive/02135/SYRIA3_2135572i.jpg |
Naissance
de la brigade al-Tawhid
La
brigade al-Tawhid ((Liwa al-Tawhid, brigade de l'Unité) a été
formée le 18 juillet 2012 par la fusion de plusieurs groupes armés
rebelles combattant dans le nord de la province d'Alep, près de la
frontière turque. Elle rejoint plus tard le Conseil Militaire
Révolutionnaire d'Alep et de ses environs, dirigé par le colonel
al-Aqidi. Elle joue également un rôle important dans la création
du conseil de la charia d'Alep avec le front al-Nosra et Ahrar
al-Sham, le premier groupe se retirant plus tard de l'organisation6.
Des membres d'Al-Tawhid à Alep, septembre 2013.-Source : http://s1.lemde.fr/image/2013/09/30/534x267/3487111_3_5caa_des-membres-d-al-tawhid-a-alep-le-18_14de047efa6a12097365dd0bd5924466.jpg |
La
brigade al-Tawhid aurait regroupé 35 bataillons et 3 500 hommes au
début août 2012, selon les déclarations de la formation elle-même.
Même si les chiffres sont exagérés, la brigade dispose
certainement déjà, à ce moment-là, de plus d'un millier
d'hommes7.
Il est possible qu'elle est progressivement remplacée la brigade
Ahrar al-Sham comme principal volant militaire du Conseil Militaire
Révolutionnaire d'Alep. La formation se divise en trois
sous-unités : la brigade Fursan al-Jabal combat au sud-ouest de
la province d'Alep, près de la frontière avec la province d'Idlib
et la ville d'Atareb. La brigade Daret Izza opère à l'ouest d'Alep,
en raison de l'origine de ses membres, qui opéraient sur place
précédemment. Enfin, la brigade dispose de bataillons d'Ahrar
al-Sham qui sont intégrés dans sa structure.
Ci-dessous, reportage de Chivers à Alep avec Abdelqader Saleh, le chef d'Al-Tawhid, à Alep, en février 2013.
Ci-dessous, reportage de Chivers à Alep avec Abdelqader Saleh, le chef d'Al-Tawhid, à Alep, en février 2013.
La
brigade al-Tawhid s'est montrée particulièrement utile pour
coordonner les efforts de l'opposition armée dans la province
d'Alep. La déclaration initiale au moment de la création de l'unité
fixe les objectifs : défaire le régime d'Assad, protéger les
civils et la propriété privée et rendre la justice pour ceux qui
se rendent coupables de mauvais traitements contre les civils. Peu
après, la brigade établit deux prisons, l'une à l'ouest et l'autre
au nord d'Alep. Les soldats du régime capturés ont le droit de se
défendre devant un tribunal et même de recevoir la visite de leurs
parents. Ces procédures montrent le degré de discipline des groupes
rebelles au nord de la province d'Alep. Malheureusement, la brigade
ne semble pas avoir pu faire appliquer ces principes dans tous ses
bataillons, qui pour certains conservent leur orientation propre. Le
journaliste du New York Times J.C. Chivers, qui a pu observer
l'unité, la décrit comme « un mélange de discipline
paramilitaire, de politique civile, de loi islamique, le tout teinté
par les nécessités de la froideur du champ de bataille et de la
ruse pure et simple ». Chivers assiste ainsi à la
manoeuvre contre un membre des shahiba condamné par le
tribunal, auquel ses geôliers font croire qu'il va être relâché
alors qu'il piège son camion avec 300 kg d'explosifs...
Dès
avril-juin 2012, les rebelles essaient de conforter leur mainmise sur
le corridor de Kilis, au nord d'Alep, où se trouvent la ville
d'Azaz, à 6 km de la frontière turque, point d'entrée des armes et
de la logistique extérieure, et la base aérienne de Minnagh, où
stationne alors une escadrille de Mi-8 Hip et sans doute des
Mi-24 transférés de bases du sud de la Syrie8.
C'est une épine dans le flanc des rebelles pour le contrôle du nord
de la province d'Alep. Le 23 mai, l'armée lance une offensive contre
Azaz, repoussée par les rebelles trois jours plus tard ; le
rôle d'Ahrar al-Sham a manifestement été déterminant. Une autre
offensive, entre les 2 et 19 juillet 2012, échoue également,
notamment sous les coups de l'armement antichar de plus en plus
important des rebelles. Un responsable de la brigade al-Tawhid
déclare à cette occasion avoir reçu 700 projectiles antichars de
RPG, 300 armes légères et 3 000 grenades en deux cargaisons
expédiées par la Turquie et les Etats-Unis. Fin juillet, la ville
d'al-Bab, à l'est d'Alep, puis celle d'Anadan tombent, ouvrant la
voie à la pénétration directe d'Alep.
Ci-dessous, les missiles antichars guidés utilisés par la brigade.
Ci-dessous, les missiles antichars guidés utilisés par la brigade.
La
création de la brigade al-Tawhid correspondrait peut-être à une
manoeuvre encadrée par la Turquie, qui vise à introduire des
combattants rebelles au coeur d'Alep. Al-Tawhid sélectionne les
combattants d'élite et les fait rentrer dans la ville par le nord,
par groupes de 200 hommes. Le régime déplace une colonne de blindés
pour bloquer l'infiltration et les combats commencent : 3 chars
sont détruits et un autre capturé. Les hommes de la brigade se
réfugient dans Bab al-Nayrab, où ils doivent affronter le clan
Berri, favorable au régime. Les combattants capturent, torturent et
exécutent Zayno Berri, l'accusant d'être le chef des shahiba
locaux au service d'Assad. L'incident est violemment dénoncé par
Amnesty International en août 20129.
Source : http://www.armyrecognition.com/images/stories/news/2012/august/Free_Syrian_army_soldiers_in_Aleppo_12_August_2012_001.jpg |
La
brigade Nur al-Din al-Zanki est entrée parallèlement dans le
faubourg Salahuddin d'Alep. Le front al-Nosra a placé des
combattants sous la bannière de la brigade al-Tawhid. Les rebelles
s'emparent de la plupart des faubourgs d'Alep et maintiennent une
présence armée, même si une contre-attaque de l'armée les rejette
de certaines positions. La brigade Nur al-Din al-Zanki se retire
finalement du commandement de la brigade al-Tawhid et part combattre
à l'ouest d'Alep ; cette dernière investit alors les faubourgs
et commence à encercler la caserne Hanano. Le front al-Nosra
s'empare de la caserne avec les combattants de Tawhid, mais une
contre-offensive de l'armée appuyée par des chars, l'artillerie et
l'aviation les en chasse, même si les deux groupes ont pu emporter
les armes et les munitions qui y étaient entreposées. C'est alors
que le combat se déplace dans la vieille ville d'Alep.
La
brigade al-Tawhid serait soutenue par les Frères Musulmans syriens.
Elle a de bonnes relations avec les salafistes, avec lesquels un de
ses membres, Mareh, sert d'intermédiaire. C'est d'ailleurs une des
brigades qui coopère le mieux avec d'autres groupes armés qui n'ont
pas les mêmes orientations. Certaines sources considèrent l'unité
comme la meilleure chance de rapprochement entre un islam politique
tel qu'il peut être incarné par les Frères Musulmans (soutenus par
la Turquie et le Qatar) et les salafistes (appuyés par l'Arabie
Saoudite et le Koweït). La brigade ne se limite pas qu'à la simple
dimension militaire : elle a créé une fondation médicale et
même un centre de médias. Elle comprendrait 38 régiments avec 11
000 combattants, ainsi que plus de 10 000 administrateurs civils.
Elle dispose également de sa propre prison et de son tribunal
islamique. En août 2012, elle a créé aussi un Bureau de la
Sécurité Révolutionnaire10.
En
première ligne pour tenter d'unifier l'insurrection armée
C'est
en janvier 2013 que la brigade al-Tawhid rejoint le Front de
Libération Islamique Syrien, créé en septembre 2012, et qui
revendique à la mi-2013 de 35 à 40 000 combattants11.
Cette coalition comprend notamment les bataillons Farouq, qui opèrent
dans toute la Syrie après avoir émergé à Homs ; les
bataillons islamiques Farouq, surgeon du précédent, qui sont
surtout à l'oeuvre dans la région de Homs et de Hama ; la
brigade Fath à Alep ; la brigade de l'Islam, surtout à Damas ;
les brigades Suqour al-Sham, que l'on trouve essentiellement dans la
province d'Idlib ; et le Conseil Révolutionnaire de Deir
es-Zor, une coalition de groupes rebelles présents dans l'est du
pays.
Source : http://upload.wikimedia.org/wikipedia/en/f/f8/Syrian_Liberation_Front_Logo.jpg |
La
brigade al-Tawhid est moins présente dans les médias pendant
l'année 2013. Certains parlent d'un affaiblissement,, de problèmes
d'entraînement et de discipline. D'autres groupes attribueraient
même des actions à la brigade pour se rendre moins visibles...
pourtant celle-ci a bien contribué, en juin 2013, à la défense
d'al-Qusayr. Le 17 novembre 2013, Abelqader Saleh, le chef militaire
de la brigade al-Tawhid, meurt de ses blessures en Turquie après
avoir été blessé lors d'un raid aérien de l'armée sur une
caserne où l'unité tenait une réunion importante. Trois des
commandants de divisions sont également tués et le chef politique
de la brigade, Abdelaziz Salame, est blessé12.
Abdelqader Saleh, le chef militaire d'Al-Tawhid, tué en novembre 2013 après un raid aérien de l'aviation syrienne.-Source : https://pbs.twimg.com/media/BZT-LsiCIAAxGg6.jpg |
Saleh
était l'un des fondateurs de la brigade en juillet 2012. La plupart
avait déjà l'expérience des manifestations contre Assad mais ils
étaient aussi devenus des chefs militaires dans leurs secteurs
respectifs. Ils utilisent des noms de guerre qui renvoient souvent à
leur région d'origine : Saleh était ainsi Hajji-Marea, du nom
de la localité dont il était originaire. C'était une figure clé
de l'insurrection à Alep. Marchand, il avait puisé dans ses fonds
pour créer sa brigade. Visiblement il s'était opposé au départ de
combattants syriens en Irak avant la guerre civile, même s'il était
hostile à l'intervention américaine.
Politiquement,
Saleh était un islamiste, souhaitant l'application de la charia,
mais ne partageait pas les vues des salafistes les plus radicaux,
évitant en particulier d'instrumentaliser les minorités. Il
souhaitait des élections dans un cadre islamiste pour déterminer
l'avenir politique de la Syrie. Soutenu sans complexe par les
bailleurs de fonds occidentaux et du Golfe, il était membre du
Commandement Militaire Suprême, dernière incarnation de l'Armée
Syrienne Libre -où il était commandant adjoint de la région nord.
Ce qui ne l'empêchait pas d'être proche des factions islamistes
comme Ahrar al-Sham ou des djihadistes du front al-Nosra. Saleh avait
signé l'accord du 24 septembre 2013 qui dénonçait la Coalition
Nationale Syrienne et appelait pour une direction intérieure de
l'opposition. Il s'était bien gardé, fidèle à une ligne islamiste
plutôt centriste, de trop s'opposer à l'EIIL qui mettait la main
sur la ville frontalière importante d'Azaz, jouant au contraire le
rôle d'intermédiaire pour régler les conflits armés.
Même
après la mort de Saleh, la brigade al-Tawhid reste encore l'un des
groupes les plus importants de la rébellion armée syrienne,
particulièrement à Alep. Elle compterait 30 « divisions »
et 10 000 hommes, concentrés surtout à Alep, bien qu'une fraction
se trouve aussi dans la province d'Idlib et quelques-uns à Damas. Le
groupe peut difficilement être décrit comme un des plus islamistes,
car la situation semble très variable selon les sous-unités de la
brigade. En outre, à Alep, il semblerait que la discipline se
relâche car on signale fréquemment des pillages de propriétés
privées ou publiques dans la ville. La mort de Saleh survient en
tout cas au pire moment, alors que l'armée syrienne marche sur Alep,
et il est trop tôt encore pour dire à qui elle va le plus profiter,
y compris au sein de l'insurrection.
Quelques
jours plus tard, les 22-23 novembre 2013, les rebelles annoncent la
création d'un nouveau Front Islamique, qui regroupe parmi les
éléments les plus importants de l'insurrection armée syrienne13.
C'est le prolongement de la fameuse déclaration du 24-25 septembre
2013, et qui rejette encore davantage l'autorité de la Coalition
Nationale Syrienne. On y trouve l'Armée de l'Islam, un groupe
salafiste bien implanté à l'est de Damas, Ahrar al-Sham, autre
groupe salafiste parmi les plus considérables, et la brigade
al-Tawhid, représentée par son chef politique, Salameh. Il est
intéressant de constater que ce nouveau Front Islamique regroupe
aussi bien des morceaux de l'Armée Syrienne Libre, de l'Armée de
l'Islam, du Front de Libération Islamique Syrien (dont faisait
partie jusque là la brigade al-Tawhid) ou du Front Islamique Syrien
(dominé par Ahrar al-Sham) mais exclut les djihadistes du front
al-Nosra ou de l'EIIL. Si cette alliance atteignait son but, on
aurait là l'un des plus puissantes coalitions rebelles jamais
formées depuis le début de l'insurrection armée. Les 7 brigades
qui en font partie comptent parmi les plus fortes de l'insurrection :
on trouve par exemple Suqour al-Sham, qui fait partie comme al-Tawhid
du Front de Libération Islamique Syrien, et dont le chef a été élu
à la tête de ce nouveau Front Islamique ; le mouvement a eu
récemment maille à partir avec l'EIIL. Si Saleh avait vécu, c'est
probablement lui qui aurait été élu à la tête de la nouvelle
coalition. Le mouvement semble en tout cas confirmer le rejet à la
fois de la Coalition Nationale Syrienne soutenue par les Occidentaux
mais aussi des djihadistes étrangers, qui manifestement, pour
certains groupes de l'insurrection, ne sont plus les bienvenus en
Syrie14.
Bibliographie
Sahib
Anjarini, « The Story of Al-Tawhid Brigade: Fighting for Sharia
in Syria », Al-Monitor, 22 octobre 2013.
Aron
Lund, « The Non-State Militant Landscape in Syria », CTC
Sentinel SPECIAL ISSUE . Vol 6 . Issue 8, 27 août 2013, p.23-27.
Jeffrey
White, Andrew J. Tabler, et Aaron Y. Zelin, SYRIA’S MILITARY
OPPOSITION. How Effective, United, or Extremist ?, POLICY FOCUS
128, THE WASHINGTON INSTITUTE FOR NEAR EAST POLICY, septembre 2013.
1Jeffrey
White, Andrew J. Tabler, et Aaron Y. Zelin, SYRIA’S MILITARY
OPPOSITION. How Effective, United, or Extremist ?, POLICY FOCUS
128, THE WASHINGTON INSTITUTE FOR NEAR EAST POLICY, septembre 2013.
2Jeffrey
White, Andrew J. Tabler, et Aaron Y. Zelin, SYRIA’S MILITARY
OPPOSITION. How Effective, United, or Extremist ?, POLICY FOCUS
128, THE WASHINGTON INSTITUTE FOR NEAR EAST POLICY, septembre 2013.
3Pour
un résumé, voir mon article précédent ici :
http://historicoblog3.blogspot.com/2013/11/la-bataille-dal-qusayr-19-mai-5-juin.html
4Jeffrey
White, Andrew J. Tabler, et Aaron Y. Zelin, SYRIA’S MILITARY
OPPOSITION. How Effective, United, or Extremist ?, POLICY FOCUS
128, THE WASHINGTON INSTITUTE FOR NEAR EAST POLICY, septembre 2013.
5Jeffrey
White, Andrew J. Tabler, et Aaron Y. Zelin, SYRIA’S MILITARY
OPPOSITION. How Effective, United, or Extremist ?, POLICY FOCUS
128, THE WASHINGTON INSTITUTE FOR NEAR EAST POLICY, septembre 2013.
6Sahib
Anjarini, « The Story of Al-Tawhid Brigade: Fighting for
Sharia in Syria », Al-Monitor, 22 octobre 2013.
7Jeffrey
Bolling, Rebel Groups in northern Aleppo Province,
Backgrounder, Institute for the Study of War, 29 août 2012.
8Jeffrey
Bolling, Rebel Groups in northern Aleppo Province,
Backgrounder, Institute for the Study of War, 29 août 2012.
9Sahib
Anjarini, « The Story of Al-Tawhid Brigade: Fighting for
Sharia in Syria », Al-Monitor, 22 octobre 2013.
10Sahib
Anjarini, « The Story of Al-Tawhid Brigade: Fighting for
Sharia in Syria », Al-Monitor, 22 octobre 2013.
11Aron
Lund, « The Non-State Militant Landscape in Syria », CTC
Sentinel SPECIAL ISSUE . Vol 6 . Issue 8, 27 août 2013,
p.23-27.
12Aron
Lund, « The death of Abdelqader Saleh », Syria
Comment, 17 novembre 2013.
13
Aron Lund, « Say Hello to the Islamic Front », Carnegie
Middle East Center/Guide to Syria in Crisis, 22 novembre 2013.
14Valerie
Szybala, « A Power Move by Syria's Rebel Forces »,
Institute for the Study of War Syria Updates, 23 novembre 2013.