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Michel ROUCAUD et François HOUDECEK, Du Niémen à la Bérézina. Lettres et témoignages de soldats français sur la campagne de Russie, Références, Paris, Service Historique de la Défense, 2012, 291 p.

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Tout d'abord merci au SHD de m'avoir envoyé un exemplaire de cet ouvrage.

L'année 2012, où l'on a fêté le bicentenaire de la campagne de Russie, aura vu un nombre impressionnant de parutions sur le sujet : on peut citer le travail de l'historienne Marie-Pierre Rey, la réédition de celui de Curtis Cate, sans compter la publication de mémoires, témoignages et autres souvenirs de la campagne.

Le Service Historique de la Défense propose quant à lui quatre témoignages inédits et un, méconnu, ayant déjà fait l'objet il y a longtemps d'une précédente publication. Comme le rappelle Thierry Lentz dans sa préface, ces sources sont diverses mais à la fois liées par le fait que chaque auteur a un minimum d'éducation. La variété tient au fait que l'on va du briagdier à l'officier général, et que les témoignages recoupent la diversitéde la Grande Armée ; enfin, ils balayent la campagne de Russie depuis sa préparatif jusqu'en 1813, pour certains. Ces récits permettent d'approcher au plus près le vécu des hommes de la Grande Armée mais aussi d'aborder les grandes questions ayant trait à la campagne.

L'introduction, appuyée sur les travaux les plus récents, permet de contextualiser les témoignanges. On pourra y lire notamment la réorganisation de l'armée russe et la déliquescence progressive de la Grande Armée après l'incendie de Moscou puis son évacuation. Un point utile est fait sur l'estimation des pertes. Cette entame se conclut sur l'idée centrale que la campagne de Russie marque les limites du génie de Napoléon : les adversaires ont appris et rendent coup pour coup. Ce n'est donc pas seulement l'hiver russe qui est est venu à bout de la Grande Armée, comme on le prétend souvent encore aujourd'hui...

Le premier témoignage est celui du capitaine de cuirassiers Auguste Monesron-Dupin, dont on a conservé une dizaine de lettres envoyée à son père entre novembre 1811 et décembre 1812. Elles insistent beaucoup sur les préparatifs de la campagne et seules les trois dernières portent sur les opérations elles-mêmes. Elles mettent déjà bien en évidence le chaos de la retraite.

Le deuxième témoignage est le seul à avoir déjà été publié précédemment. Le brigadier Nicolas Nottat a servi dans le train des équipages. Le capitaine Pierre Arnoult l'avait découvert et retranscrit pour la Revue d'Histoire en 1939. Nottat, originaire d'une famille de cultivateurs de la Haute-Marne, mène des convois de vivres dans le sillage de la Grande Armée. Il écrit dans la langue paysanne qui lui est familière, adaptée pour les besoins du livre. C'est un témoignage précieux car Nottat traverse une véritable odyssée en solitaire après la dislocation de la Grande Armée près de Kovno, rejoignant les lignes françaises en juin 1813 seulement. Un récit presque unique dans son genre, donc.

Le troisième témoignage est celui d'un officier topographe, le capitaine Jean Eymard. L'officier souligne combien est difficile pour les topographes le relevé de la géographie russe (noms, etc) et insiste en particulier sur les conditions éprouvantes de la retraite et les troubles psychologiques subis par certains survivants pendant cette anabase des troupes françaises.

Le quatrième témoignage, le plus conséquent, est réalisé par le colonel et chef d'état-major général du génie de la Grande Armée en 1812, Joseph Puniet de Montfort. Déposé récemment au SHD (2011), ce récit a été écrit longtemps après les faits (1848-1855). Cependant l'auteur s'appuie sur les lettres qu'il avait écrites à son épouse pendant la campagne. Le témoignage souligne le rôle important joué par le corps du génie, équipage de ponts et de l'artillerie, ouvriers de la Marine du bataillon du Danube, pendant la campagne de Russie. Montfort, qui n'est pas souvent proche du feu, s'intéresse surtout à son avancement et à son existence quotidienne. Membre du corps dirigeant de la Grande Armée, il côtoie Napoléon. Le récit fourmille d'anecdotes sur l'utilisation du génie et sur certains de ses camarades officiers.

Le cinquième et dernier témoignage est celui du capitaine des chasseurs à cheval Auguste-Henry Devina, capturé par les Cosaques non loin de Moscou fin septembre 1812. Il a écrit la relation de sa captivité pour son frère Félix, inspecteur des Postes tué à Lützen. C'est donc un témoignage sur la captivité des soldats français pris pendant la campagne de Russie. Devina retrace le calvaire de la marche, où de nombreux prisonniers périssent, la haine des paysans russes à leur encontre, stimulée par les autorités et le clergé, et à l'inverse l'humanité de certains gouverneurs et des colons allemands de la Volga qui viennent en aident aux captifs. Une fois arrivé près d'Astrakhan, il dresse aussi le portrait des Kalmouks qui peuplent la région, non sans stéréotypes du temps, bien évidemment.

L'ouvrage se complète d'une orientation bibliographique qui renvoie surtout vers les témoignages et autres récits de la campagne disponibles à la lecture. On trouvera aussi plus de 20 pages de notices biographiques répertoriant les principaux personnages cités au fil des récits présentés. Trois cartes sont également présentes en fin d'ouvrage, mais l'on aurait souhaité peut-être qu'elles soient placées en parallèle du texte, pour mieux suivre le déroulement de la campagne (dans l'introduction, par exemple). Outre le solide travail d'édition, le livre du SHD montre, s'il était besoin de le confirmer, qu'il existe encore de nombreuses sources inconnues sur la campagne de 1812. Un ouvrage indispensable pour qui s'intéresse au Premier Empire, à la Grande Armée et  à l'aventure de Napoléon en Russie.




J'ajoute qu'un portfolio sur l'exposition du SHD consacrée à la Grande Armée en 1812 m'a été fourni avec le livre. Avec une sélection de documents issus des fonds du SHD, il permet de découvrir rapidement et utilement l'armée de Napoléon, avec un regard critique fort appréciable. Ce portfolio a été réalisé sous le direction de Nicolas Texier, Michel Roucaud et Bertrand Fonck.

Il présente d'abord l'organisation de la Grande Armée, en revenant sur le terme lui-même, et en insistant sur l'héritage révolutionnaire et les changements apportés sous le Premier Empire. Une deuxième partie s'intéresse aux hommes et à la vie militaire, et tord le cou à un certain nombre d'idées reçues. Une dernière partie, enfin, décrit la vie en campagne de la Grande Armée. La dernière page conclut sur l'idée que Napoléon a su de son vivant orchestrer sa propre légende et celle de son armée, ce qui explique largement la postérité du mythe napoléonien aujourd'hui.

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