Merci aux éditions Argos pour cet envoi. La collection GéopolitiqueSde cet éditeur, que l'on repère à son format carré et à ses 15 cartes pour un format d'environ 150 pages, vise à fournir une synthèse pratique sur un acteur majeur du monde contemporain. Barthélémy Courmont, professeur de sciences politiques en Corée du Sud, chercheur-associé à l'IRIS, entres autres qualités, signe là l'un des premiers volumes consacrés au Japon.
Comme il l'explique dans l'introduction, le Japon a cette singularité d'être un archipel dominé par son insularité et qui est tiraillé par un dilemme d'ouverture ou de repli sur soi. Il n'a pas connu le même sort que la plupart des autres pays d'Asie de l'Est : en marge de la civilisation chinoise, non colonisé, il a tenté de rejoindre les puissances occidentales à partir de l'ère Meiji. Devenu un modèle économique après 1945, craint des Occidentaux, le Japon a imposé l'Asie du Nord-Est comme une région incontournable, ce que la montée de la Chine ne fait que confirmer. Il comporte une société vieillissante et qui doute, tout en cherchent désespérément une place sur la scène internationale en termes politiques et militaires. Le Japon s'ancre finalement dans la mondialisation mais conserve une certaine différence.
L'auteur commence par un bref rappel de l'histoire du Japon des origines à 1945 ainsi que de ses caractéristiques géographiques, marquées par la diversité et par l'importance des risques naturels. Le Japon est divisé à l'intérieur, particulièrement au Moyen Age, mais importe ses religions du continent et se retrouve uni face à la menace extérieure, comme contre les Mongols au XIIIème siècle. Il se ferme à nouveau face aux influences extérieures à partir du XVIIème siècle et jusqu'à l'ère Meiji. La révolution Meiji, en 1867, permet au Japon de se hisser progressivement au rang des puissances européennes. L'Occident est imité mais aussi bien vite rejeté : le Japon devient aussi une puissance coloniale. Le nationalisme agressif s'appuie sur les succès militaires, puis sur la crise économique de 1929, et se base sur une idéologie foncièrement rétrograde. Avec l'attaque sur Pearl Harbor et l'entrée du Japon dans la Seconde Guerre mondiale, les conquêtes sont le prétexte à une série d'exactions commises en particulier sur les populations des territoires conquis, comme en Chine, qui empoisonnent toujours les relations du pays avec ses voisins. Mais le Japon, par sa tentative de Grande Sphère de coprospérité en Asie Orientale, a pour partie accéléré le processus de décolonisation dans certains pays.
Que devient le Japon après 1945 ? Un géant économique et un nain politique. Les Japonais ont d'ailleurs du mal à accepter la capitulation. Année 0 en 1945 : il faut attendre sept ans pour que le pays se relève véritablement, à la faveur de la guerre froide, et surtout de la guerre de Corée, qui fait du Japon la base arrière de l'engagement américain. Les keiretsu deviennent le bras armé de la croissance économique du Japon. Au début des années 1970, le Japon est la première puissance économique asiatique et commence à se tourner vers les services et la haute technologie. La mutation a été très rapide. Sur le plan politique, après le règne du gouverneur militaire américain, le général MacArthur, jusqu'en 1952, la démocratie japonaise est marquée, paradoxalement, par le règne d'un parti unique (!) : le Parti Libéral-Démocrate (PLD). Il ne se terminera qu'en 1993 avec la victoire aux élections législatives d'une coalition anti-PLD. La constitution japonaise et le traité de San Francisco, en 1951, ne donnent au Japon que des Forces d'autodéfense. L'article 9, pacifique, de la constitution entraîne la doctrine Yoshida, du nom de l'homme politique qui l'a avancée : protection du parapluie nucléaire américain, pas de production, pas de possession, pas de transit d'armes nucléaires, promotion du désarmement nucléaire et développement du nucléaire civil. Ce n'est qu'après les attentats du 11 septembre 2001 que le Japon commence à s'interroger sur cet élément de sa constitution et sur sa possible révision. Parallèlement, le Japon commence à connaître la crise sur le plan économique dès le milieu des années 1990. Le modèle japonais est en panne et continue d'hésiter entre Orient et Occident. La société japonaise est inquiète. Elle vieillit, ce qui induit une sensation de déclin. Mais c'est une crainte perpétuelle, que réveille l'apparition massive du chômage et des sans-abris. Le déclin est cependant relatif et vient aussi d'un manque de confiance dans les élites : le personnel politique, par exemple, peine à se renouveler.
L'un des grands défis du Japon est que ses voisins sont aussi ses principaux rivaux. De par sa ZEE imposante et son histoire récente, le Japon a des contentieux territoriaux avec la Russie, la Chine et la Corée du Sud. La Chine reste le grand rival régional et la Corée du Nord une menace proche. Le Japon cherche à se replace dans la sphère asiatique mais les problèmes liés à la non-reconnaissance de certains faits sombres de son histoire n'y aident guère. La révision des manuels scolaires japonais en 2005, qui minimisait les crimes commis par le Japon pendant la guerre du Pacifique, a déclenché un tollé en Chine. Les visites des Premiers Ministres japonais au sanctuaire Yasukuni, qui honore la mémoire de criminels de guerre, n'ont pas fait pour apaiser les tensions. Le Japon fait cependant quelques efforts et ses deux partenaires régionaux sont la Corée du Sud et Taïwan, paradoxalement des anciennes colonies. La Corée du Sud a bénéficié du démarrage économique japonais mais les points de tension sont nombreux ; en outre elle cherche à devenir une passerelle entre le Japon et la Chine. Taïwan est aussi un allié, mais les Américains souhaitent que les Japonais ne les évincent pas dans ce rôle. La Corée du Nord est une véritable menace en raison de son arsenal nucléaire ; par ailleurs, elle avait enlevé nombre de citoyens japonais pendant la guerre froide. Paradoxalement là encore, Pyongyang est en position de force car les Japonais n'ont d'autres moyens de pression que diplomatiques. La Chine est à la fois une rivale et un partenaire, les tensions se cristallisant sur les questions territoriales et historiques. La relation sino-japonaise est de toute façon essentielle pour qu'une coopération régionale naisse vraiment en Asie du Nord-Est. Les Japonais affirment leur rôle politique depuis les années 1990 par l'aide au développement et l'assistance humanitaire. Comme la Chine, le Japon a renforcé son potentiel militaire, et en particulier sa marine de guerre. L'article 9 pourrait à terme être révisé si la Corée du Nord se fait encore plus menaçante et si le potentiel militaire chinois se montre encore plus dangereux.
Le Japon reste arrimé aux Etats-Unis. Il est très attaché à la relation étroite qui le lie aux Américains. L'administration Obama s'est empressé de déclarer une "stratégie du pivot" avec le Japon, suite au rapprochement de l'administration précédente avec la Chine. De fait, les Etats-Unis assurent la protection du pays depuis 1945 et y maintiennent une présence militaire. Le Japon prend cependant une part de plus en plus grande dans les questions de sécurité, ce qui correspond aussi à un redéploiement des forces américaines. L'accord de 2005 a ainsi simplifié le partenariat stratégique entre les deux pays. Néanmoins le Japon continue d'entretenir, sur le plan financier, les troupes américaines stationnant sur son sol. La question du retrait des bases militaires sera un élément important de l'avenir entre les deux nations. Tokyo s'inquiète du rapprochement Washington-Pékin. Le Japon pourrait se rapprocher de l'UE, partenaire idéal, ou se doter de l'arme nucléaire, mais cette option reste encore peu crédible.
Ainsi, le Japon, inquiet sur son avenir, s'impose pourtant comme un pôle dans une région devenue incontournable. La catastrophe de mars 2011 ne fait que mettre en exergue la crise que traverse l'archipel depuis des années. Le Japon cherche à donner un sens à son déclin, et l'identité reste un thème central.