Gérard Chaliand, diplomé de l'INALCO, spécialiste des conflits armées et des relations internationales, est bien connu du grand public par ses fréquentes apparitions dans les médias.
Dans son introduction, il présente la guerre en Afghanistan comme une "victime collatérale" de la guerre en Irak déclenchée en 2003, puisque ce théâtre d'opérations, au départ central, devient secondaire pendant plusieurs années, non sans dommages. Pour lui, il n'y a aucune chance pour la coalition occidentale de l'emporter, désormais. Il s'interroge donc sur cette incapacité des démocraties à l'emporter dans des conflits modernes, ce qui explique le plan de l'ouvrage en deux parties : la première revient sur les guerres coloniales et les leçons à en tirer, la seconde s'intéresse plus particulièrement à l'Afghanistan et à l'Irak, qui sont donc liés.
Pour Gérard Chaliand, plusieurs facteurs jouent en faveur des insurgés dans les guerres de décolonisation, après la Seconde Guerre mondiale : la démographie, qui explose ; le temps, que les démocraties n'ont plus ; la connaissance du colonisateur, mis à profit par les colonisés. Le grand tournant d'après lui est la Grande Marche des communistes chinois : Mao politise la guérilla et met l'accent sur le contrôle administratif de la population. La Seconde Guerre mondiale fit aussi beaucoup pour évincer la domination psychologique du colonisateur. Après la guerre, cependant, plusieurs guérillas communistes ont été défaites : aux Philippines, en Grèce, en Malaisie, dont on a souvent fait un modèle de contre-insurrection ; or Gérard Chaliand rappelle combien la situation est particulière. D'autres insurrections ont cependant remporté leurs combats : en Israël, à Chypre, en Indonésie. Les populations des pays occidentaux évoluent aussi en faveur du soutien aux luttes des colonisés. Au Viêtnam, les Américains échouent parce qu'ils méconnaissent complètement le contexte viêtnamien. En outre, l'offensive du Têt montre combien les responsables américains ont caché la réalité de la guerre à la population, en prétendant que la victoire était presque acquise. Gérard Chaliand souligne l'importance de savoir pourquoi on s'engage et comment on s'engage ; en outre, au Viêtnam, l'appel au contingent a également été une erreur. Les sensibilités occidentales par rapport à la mort et à la guerre évoluent ; on se concentre sur le terrorisme et ses déclinaisons plutôt que sur la guerre elle-même.
L'Afghanistan, qui n'a jamais été colonisé et n'existe comme pays qu'à partir du XVIIIème siècle, est un casse-tête géographique et ethnique. Les Soviétiques vont s'y casser les dents après l'invasion de 1979, mais là aussi, le facteur politique joue énormément, encore plus avec l'arrivée au pouvoir de Gorbatchev en 1985. Le régime de Najibullah tient encore plusieurs années après le départ des Soviétiques, puis viennent les talibans organisés par le Pakistan voisin. Même après les attentats du 11 septembre 2001 et la réplique américaine et occidentale, l'Afghanistan n'est finalement qu'un théâtre d'opérations mineur face au remodelage du Moyen-Orient voulu par les Etats-Unis. Ceux-ci, vainqueurs de la guerre froide, manifestent une poussée d'optimisme et de condescendance. Le projet américain se transforme en fiasco, dès la fin des opérations conventionnelles. Il faut attendre l'arrivée du général Petraeus en 2006-2007 pour qu'une stratégie de contre-insurrection différente soit envisagée. Mais l'invasion américaine a redistribué les cartes en Irak et cette évolution n'est pas encore finie. Pour Gérard Chaliand, le terrorisme n'est qu'un chiffon rouge que l'on agite pour entretenir la psychose : d'après lui, c'est une donnée beaucoup moins importante pour le monde que le trafic de drogue ou la montée en puissance de la Chine et de l'Inde. En revanche, je trouve certaines réflexions un peu à l'emporte-pièces, comme cette idée que les ruraux ou jeunes Américains des quartiers difficiles seraient plus à l'aise face à la guérilla afghane (où sont les explications ?). Gérard Chaliand, qui s'est rendu sur place, décrit par contre très bien la dégradation en filigrane de la situation en Afghanistan, qui l'incite à publier en 2008 dans Le Monde une tribune pour expliquer la guerre est déjà perdue. La coalition n'a pas les troupes en quantité suffisante, n'a pas le temps nécessaire à une vraie contre-insurrection et ne peut pas s'appuyer sur un gouvernement légitime. En outre, l'adversaire n'est pas un mais multiple. Pour Gérard Chaliand, la partie se joue essentiellement à l'est de l'Afghanistan. Et il y a bien sûr la question du Pakistan.
En conclusion, l'auteur souligne combien la guerre est dans l'impasse. L'échec aurait pourtant d'importantes conséquences régionales ; mais la victoire suppose de se gagner la population, ce qui n'est pas acquis. Le projet des talibans semble plus porteur, localement, que celui de coalition autour du gouvernement Karzaï.
Au final, l'ouvrage, s'il n'est pas complètement satisfaisant (il y a quelques erreurs de dates ou factuelles, aussi), je trouve, a le mérite de la simplicité et de rappeler quelques évidences. A lire et à prolonger en jetant un oeil à la bibliographie.