Keith William Nolan, décédé en 2009, était un Américain, diplômé en histoire, qui a écrit une douzaine de livres sur les grandes opérations de la guerre du Viêtnam. Ses ouvrages ont tous le même profil : ils reposent essentiellement sur une collecte de témoignages de vétérans américains, enrichie de quelques éléments d'analyse et précisions factuelles. La lecture en est donc parfois un peu fastidieuse, bien que remplie de détails intéressants. C'est une base américanocentrée qui permet d'apprécier le déroulement d'une opération, mais il faut la compléter par des lectures plus poussées -la bibliographie se limite d'ailleurs à quelques ouvrages officiels et à des travaux secondaires à prolonger par d'autres.
La seule carte générale, qui montre l'ensemble de la région de Saïgon, est malheureusement disposée au début de l'ouvrage. Or Nolan, qui l'immense mérite ici de bataille l'ensemble de l'offensive du Têt dans et autour de Saïgon (dans l'ordre : Tan Son Nhut, la capitale, Bien Hoa et Long Binh), n'a pas pensé à inclure des cartes tactiques, ce qui est bien dommage, car le lecteur n'est pas forcément familier des lieux évoqués.
Comme le rappelle Nolan dans son introduction, l'offensive du Têt est lancée par les Nord-Viêtnamiens alors que les Américains conservent l'illusion d'être en train de remporter le conflit depuis leur intervention en 1965. Si Westmoreland reste focalisé sur le siège qui se développe autour de la base de Khe Sanh, le général Weyand, qui commande les forces américaines autour de Saïgon, obtient en janvier 1968 le retrait d'une quinzaine de bataillons américains engagés vers la frontière cambodgienne pour les positionner plus en arrière, près de la capitale. Les assaillants vont ainsi faire face à deux fois plus de troupes américaines qu'ils ne l'escomptaient.
Sur la base aérienne de Tan Son Nhut, le Viêtcong parvient à pénétrer jusqu'à la piste, avant d'être repoussé notamment par l'intervention de deux bataillons aéroportés sud-viêtnamiens encore présents car retardés pour leur départ vers Khe Sanh. Nolan, d'ailleurs, focalisé sur le point de vue américain, ne rend pas assez justice, comme beaucoup de ses confrères, au rôle qu'a tenu l'ARVN dans l'offensive du Têt, même s'il reconnaît à demi-mots qu'elle ne s'est pas effondrée comme l'espérait les Nord-Viêtnamiens. Les Américains sont surpris de voir l'adversaire abandonner sa tactique traditionnelle du "hit and run" et de le voir s'accrocher au terrain. Malgré une supériorité évidente en puissance de feu, ils sont contraints de déloger le Viêtcong maison par maison, et l'emploi massif de l'appui-feu mine aussi le travail de pacification entrepris auprès de la population sud-viêtnamienne, car les dégâts sur les zones habitées sont importants.
A Saïgon même, laissé à la garde des Sud-Viêtnamiens, il y a seulement un bataillon de police militaire américain, dont cette fois-ci la puissance de feu s'avèrera des plus limités pour faire face à l'assaut adverse. Nolan décrit avec précision, du côté américain, l'attaque contre l'ambassade américaine, promise à une détonnante célébrité. Les assauts viêtcongs sur la capitale, nombreux, sont rapidement mis en échec, mais donnent parfois lieu à des combats très violents, comme près du cantonnement BOQ 3 où les MP's américains ont fort à faire pour venir à bout d'un adversaire mieux armé. Il faut l'intervention d'unités mécanisées venues de l'extérieur de la ville pour faire pencher la balance en faveur des Américains.
Sur la base aérienne de Bien Hoa, dont la sécurité avait été renforcée après une attaque de sapeurs en février 1967, le renseignement américain avait déterminé la probabilité d'une attaque dans la nuit de l'offensive du Têt, mais pas de cette ampleur. Les assaillants sont délogés notamment grâce à l'intervention d'unités de la 101st Airborne Division et l'emploi massif de gunships, dont des nouveaux hélicoptères Cobra.
Au complexe de Long Binh, où se trouve le poste de commandement de la IInd Field Force et un important dépôt de munitions, le général Weyand n'est pas complètement surpris. Le renseignement a en effet réussi à déterminer qu'une attaque aurait lieu, grâce à une espionne ayant des liens familiaux avec un commandant viêtcong. Preuve de l'efficacité, parfois, d'un renseignement local, qui n'empêche en rien la surprise face à l'ampleur de l'offensive du Têt. Les Américains ont judicieusement placé autour du complexe des patrouilles de reconnaissance qui servent de "sonnettes". Les combats n'en sont pas moins acharnés, en particulier dans les hameaux autour du complexe, comme ce "village des veuves", où sont installées les familles des soldats de l'ARVN morts au combat, ainsi que des exilés catholiques du Nord-Viêtnam.
En conclusion, malgré le succès militaire américain, Nolan rappelle que le Têt pulvérise les déclarations de l'administration Johnson et de l'armée quant au déroulement du conflit. C'est une défaite psychologique, car la nation n'est pas prête à sacrifier tant d'hommes et de ressources face à un adversaire qui, lui, encaisse sans broncher des pertes immenses pour atteindre des objectifs d'ailleurs plus cohérents. Nolan est un peu dur avec l'armée sud-viêtnamienne, qui contribue tout de même largement à repousser l'offensive du Têt, mais il est vrai que celle-ci, malgré son succès, reste handicapée par de graves faiblesses structurelles, dont la faute retombe aussi sur les Américains, ce que l'auteur ne dit pas. Nolan semble penser que l'offensive était inutile, car les Etats-Unis se seraient de toute faon retirés, à terme. On peut raisonnablement en douter : le Têt est bien le tournant de la guerre du Viêtnam.