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Philippe POIRRIER, Aborder l'histoire, Mémo 126, Paris, Seuil, 2000, 96 p.

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Philippe Poirrier, dont j'ai suivi les cours à l'université de Bourgogne, est professeur d'histoire contemporaine. C'est un spécialiste de l'histoire culturelle.

Aborder l'histoire se veut une synthèse d'introduction, comme le précise le titre, à la discipline historique et au métier d'historien. Assez curieusement, Philippe Poirrier part du Moyen Age et non de l'Antiquité pour remonter la trace de l'histoire en France. Il faut dire que la matière accompagne le développement de l'Etat moderne et finit par s'émanciper de la tutelle ecclésiastique à laquelle elle était soumise jusqu'ici.

Avec la Renaissance et la redécouverte de l'Antiquité, l'histoire devient d'abord une affaire de juristes. Puis, au service du prince, elle revisite les mythes fondateurs de l'histoire nationale. Elle se construit aussi pendant les guerres de religion, l'érudition cédant la place à une histoire au service du souverain.

Les Lumières auront tendance à lier philosophie de l'histoire, construction et écriture. Malgré le rôle de l'Académie des inscriptions et des belles-lettres et du cabinet des Chartes, l'histoire n'est pourtant pas élevée au rang de discipline sous l'Ancien Régime. La Révolution et l'Empire témoignent du souci de conserver un patrimoine national et marquent le retour d'une érudition au service du pouvoir.

La monarchie de Juillet fait de l'histoire un instrument de lutte contre la réaction, qui de son côté lutte contre la Révolution dès les premières années de la Restauration. Guizot pose les bases des institutions de "mémoire", centralise la gestion du patrimoine et commence à établir l'histoire comme science. Il soutient aussi les sociétés savantes.

C'est seulement après la défaite de 1870 que l'histoire s'impose dans le champ universitaire, à la Sorbonne et dans les universités de province. La Revue Historique, fondée en 1876, pose un premier jalon d'une histoire méthodique. L'Introduction aux études historiques de Langlois et Seignobos (1897) expose pour le grand public les modalités de la méthode. Mais celle-ci valorise, par la nouvelle méthode documentaire, le Moyen Age, l'histoire de l'Etat et donc une histoire surtout diplomatique, politique et militaire. L'histoire a aussi une place importante dans l'enseignement primaire et secondaire, où les manuels de Lavisse instillent une histoire civique et patriotique. Les méthodiques sont de plus en plus contestés par les réactionnairs puis par la sociologie durkheimienne avant la Première Guerre mondiale.

Quand Marc Bloch et Lucien Febvre lancent Annales d'histoire économique et sociale, en 1929, le contexte est morose : le fossé s'est creusée entre histoire universitaire et public cultivé qui lorgne plutôt du côté de l'histoire réactionnaire. Les deux fondateurs proposent d'abandonner le primat du politique et d'élargir les perspectives : Bloch s'attache ainsi à la longue durée, Febvre s'intéresse aux rapports entre les sociétés et leurs milieux. L'institutionnalisation ne vient qu'avec Fernand Braudel et la création de la VIème section de l'EPHE en 1947. La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II (1949) consacre le primat de la longue durée et de la pluralité des temps. Le laboratoire devient la forme classique du travail de recherche. A la Sorbonne, les Annales ne rencontrent pas forcément un écho importante et l'histoire événementielle se renouvelle elle-même avec Pierre Renouvin. Ernest Labrousse pose les bases de l'histoire quantitative et Maurice Agulhon se penche sur les sociabilités. L'influence des Annales n'est pas exclusive, cependant, mais elle structure l'école historique française jusqu'aux années 1970.

Braudel se retire à la fin des années 70 et rencontre alors un succès médiatique, tandis qu'une nouvelle génération des Annales se met en place, autour de Jacques le Goff ou Pierre Nora (la Nouvelle Histoire). Très présente dans les médias, sa force tient aussi à une recomposition du public. Elle balaye encore plus large - c'est "l'histoire en miettes" dénoncée par F. Dosse. L'anthropologie historique (histoire des comportements, des habitudes) remplace la géographie, l'économie et la sociologie qui dominaient chez les fondateurs des Annales.

L'histoire sociale quantitative et statistique domine alors largement le champ des études historiques. Mais le déclin du marxisme affaiblit le modèle en vigueur. L'élargissement de l'histoire sociale suscite des critiques, comme celle de François Dosse dans L'histoire en miettes (1987). L'histoire est désormais multiple. L'histoire économique se renouvelle via l'histoire globale. L'histoire, en tant que discipline, bénéficie des progrès techniques et d'une nouvelle demande sociale. Les sources orales sont légitimées par l'acceptation d'une histoire du temps présent. Les lignes de fracture idéologiques sont moins nettes, mais ne disparaissent pas pour autant. L'histoire politique n'a pas disparu : bien au contraire, elle s'est renouvelée grâce aux travaux de Robert Folz, René Rémond et même Georges Duby. Progressivement, elle se lie à l'histoire culturelle. Celle-ci remplace progressivement, après les années 1970, l'ancienne histoire des mentalités. Elle contribue à ce que les historiens s'intéressent, aussi, à l'histoire de leur discipline. L'histoire du temps présent débouche par le renouveau de l'histoire politique. Celle-ci doit se confronter aux témoins encore vivants et surtout, est parfois appelée dans des champs qui dépassent l'histoire (procès, etc). L'histoire des femmes, inspirée par les gender studies venues d'Outre-Atlantique, finit également par émerger en France.

Globalement, l'édition de l'histoire est en crise (en 2000) comme les autres sciences humaines, même si certains titres parviennent à toucher massivement le grand public. Les collections se multiplient pour un public plus hétérogène. Les revues jouent un rôle important, de même que L'Histoire, magazine de vulgarisation. La radio, la télévision et l'informatique contribuent à la diffusion des savoirs et acquis de la discipline. La professionnalisation est une tendance lourde du "métier" d'historien, lié à l'enseignement secondaire, quasiment le seul débouché au sortir de l'université. Le nombre d'enseignants-chercheurs a cependant fortement augmenté par rapport au nombre de postes. La thèse et l'habilitation à diriger des recherches sont des "rites de passage". L'historien est devenu un chercheur en sciences sociales. L'identité disciplinaire reste fortes face aux autres sciences humaines. Les historiens français sont plutôt franco-centrés, mais les chercheurs étrangers investissent aussi l'histoire nationale et les liens avec la recherche étrangère se renforcent. Pour Philippe Poirrier, qui écrit en 2000, l'identité de la discipline historique est devenue plus instable et fragile : il conviendrait bien sûr d'actualiser cette idée par des travaux plus récents. Les conseils de lecture fournis permettent déjà d'allers un peu plus loin via les ouvrages et articles indiqués.


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