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Les Bérets verts (The Green Berets) de John Wayne et Ray Kellogg (1968)

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Fort Bragg, Caroline du Nord. Le journaliste George Beckworth (David Janssen), opposé à l'intervention des Américains au Viêtnam, assiste à une démonstration des Special Forces pour le grand public. Le colonel Mike Kirby (John Wayne) lui conseille de se rendre en Asie du Sud-Est, implicitement, pour se rendre compte par lui-même. Kirby prend bientôt la tête de deux A-Teams chargés de renforcer un camp des Special Forces au Sud-Viêtnam...

Film atypique que Les Bérets verts de John Wayne, sorti l'année même de l'offensive du Têt, en 1968. C'est en effet l'un des rares films américains à justifier l'intervention américaine au Viêtnam et même à l'encourager. Encore plus étonnant : le personnage de Kirby est inspiré par Lauri Törni, un officier finlandais. Celui-ci a combattu les Soviétiques pendant la guerre d'Hiver puis pendant la guerre de Continuation (1939-1944), servant dans la Waffen-SS, puis rejoignant un mouvement de résistance pro-allemand en 1945. Emigré aux Etats-Unis après un parcours rocambolesque, il devient Larry Thorne, s'engage dans les toutes nouvelles Special Forces, combat au Sud-Viêtnam à partir de novembre 1963 et y meurt dans un crash d'hélicoptère en octobre 1965 !

Si John Wayne n'avait jamais caché ses sympathies patriotiques (Iwo Jima, Alamo par exemple), le film fait l'effet d'une bombe et retourne une bonne partie de l'opinion, en particulier européenne, qui lui était jusque là assez favorable. En France, la sortie intervient le 27 juillet 1969, à peine un an après les événements de mai 1968 : elle est chahutée.

La guerre du Viêtnam, aux Etats-Unis, est de fait la première guerre "quotidiennement" médiatisée, ce qui ne  veut pas dire que les médias sont dès le début hostiles à l'intervention. Bien au contraire, comme plusieurs travaux américains l'ont montré, au départ, les médias relaient le discours officiel. Le tournant se situe davantage en 1967, c'est à dire au moment même où John Wayne réalise son film. L'opposition enfle, les médias commencent à douter, la perte de confiance à l'égard de l'administration Johnson est sensible. Wayne, qui est allé sur le terrain, qui est en fin de carrière et déjà malade d'un cancer, il veut donc faire oeuvre utile pour soutenir l'engagement dans le conflit. Il obtient la collaboration de l'armée américaine et d'importants moyens financier, en dépit de l'échec d'Alamo en 1960 -mais on lui adjoint deux autres réalisateurs...

Le film s'inscrit pleinement, donc, dans le contexte de la guerre froide et dans celui très particulier pour les Américains de la guerre du Viêtnam. L'oeuvre de Wayne n'est sans doute pas réductible à la caricature qu'en ont faite les opposants au conflit à l'époque, mais il faut bien reconnaître qu'elle ne fait pas dans la nuance. Toute la première partie, avec la démonstration des Special Forces devant les journalistes, donne le ton : il s'agit de montrer que Wayne est en faveur de l'intervention au Viêtnam, qui est replacée dans le prisme du combat plus général entre les Etats-Unis et le camp communiste.

La deuxième partie du film est peut-être la plus intéressante car elle colle de près à une des réalités de la guerre du Viêtnam : l'action des Special Forces, chargés de constituer des camps de CIDG (Civil Irregular Defense Groups), notamment près des frontières, afin de surveiller les déplacements de l'ennemi, d'entraver sa logistique, de lui disputer le contrôle des terrains et de la population. Or, à partir de 1964 en particulier, ces camps deviennent une des cibles favorites des assauts en règle du Viêtcong et des Nord-Viêtnamiens, le conflit montant progressivement en intensité. L'épisode du film (qui semble se dérouler en 1965, au tout début de l'intervention directe des Américains) semble d'ailleurs s'inspirer d'un épisode authentique, l'attaque du camp de Nam Dong, les 5-6 juillet 1964, dans la zone tactique du Ier corps, près de la frontière laotienne : le capitaine américain Donlon y gagne la première Medal of Honor du conflit. Wayne cherche à rassurer l'opinion américaine en faisant étalage de la débauche de moyens utilisés : hélicoptères, aviation, lunettes infrarouge, génie, etc -l'armée américaine, comme on l'a dit, a grâcieusement contribué : hélicoptères UH-1 Huey, avions de transport C-7 et C-130, etc, etc. C'est également un des rares films à présenter sous un jour très favorable l'armée sud-viêtnamienne, allié en réalité souvent méprisé par les Américains. En outre, dans ce cas précis, le Sud-Viêtnam n'a jamais été acquis complètement au programme des camps des Special Forces, en particulier parce que ces derniers recrutaient dans les minorités (Montagnards et autres) traditionnellement méprisées par les Viêtnamiens. L'ennemi nord-viêtnamien n'est qu'assez peu visible, mais Wayne montre à la fois sa férocité et son ingéniosité dans l'art militaire : bombardements de harcèlements, pièges, exactions contre la population pour obtenir le consentement par la terreur, attaque massive de nuit... et Wayne, forcé de reconnaître ses qualités en montrant la chute du camp des Bérets Verts, rétablit la situation dans une scène grotesque où un AC-47 Spooky "Magic Dragon" élimine à la Gatling les Nord-Viêtnamiens qui viennent de s'emparer du camp... aveu d'impuissance ? Au passage, dans cette deuxième partie, Wayne en vient à justifier l'emploi de la torture contre un Viêtcong infiltré dans le détachement viêtnamien du camp, mené par le capitaine Nimh, un personnage encore une fois sans nuance et uniquement motivé par la vengeance... une torture qui serait un moindre mal face au déchaînement de cruauté de l'adversaire. 


  

Jusque là, hormis la simplicité du propos, le film colle d'assez près au conflit, l'action des Special Forcesétant rarement évoquée ailleurs, même depuis 1968. Mais la troisième partie achève de ruiner l'ensemble. Il s'agit d'une mission commando dont la crédibilité au sein de la guerre du Viêtnam est cette fois réduite à néant : on est plus sur la vague des actions d'éclat des films traitant alors de la Seconde Guerre mondiale, Les canons de Navarone, etc. On ne voit d'ailleurs pas très bien où Wayne veut en venir dans cette dernière partie, qui ne fait pas du tout authentique... comme dans cette scène épouvantable où un Béret Vert parti en reconnaissance est attaqué par 4 adversaires surgissant de directions différentes, qu'il élimine même en ayant pris finalement un coup de poignard dans le dos (un symbole ?). La scène finale, où Wayne s'adresse au petit garçon viêtnamien qui avait sympathisé avec un Béret Vert qui l'avait finalement pris sous son aile et qui est mort durant l'opération, est sans doute un clin d'oeil à l'engagement américain au Sud-Viêtnam dans son ensemble : celui-ci ne peut triompher qu'avec l'appui des Etats-Unis.

Sur le plan cinématographique, Wayne ne réussit pas à refaire Alamo, les effets spéciaux sont parfois mauvais (crash de l'hélicoptère pendant l'attaque du camp), la musique dépassée, et le tout tourné aux Etats-Unis, ce qui se voit très rapidement. Par contre, la scène de l'attaque du camp des Special Forces est plus réussie, et vaut le détour, d'autant qu'elle occupe une place centrale dans le film. Les autres acteurs s'en sortent assez bien finalement, eux aussi. Les Bérets verts, premier film à traiter de la guerre du Viêtnam et quasiment le seul à la soutenir, est pourtant bien accueilli en salles, aux Etats-Unis comme en Europe. Il n'y a qu'en France quasiment que l'image du "Duke" sera passablement écornée. Mais aujourd'hui, on ne retient pas ce film dans la carrière de Wayne : la légende a survécu.




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