Ayant
moins de temps pour rédiger à destination de l'Alliance
Géostratégique des articles de fond plus complets, je
vous propose désormais pour la chronique histoire des écrits plus
courts -et donc plus superficiels- à partir d'une lecture sur un
thème particulier. L'occasion d'aborder, comme toujours, des
dimensions, des conflits, peu connus de l'histoire militaire.
Au
début de la guerre de Sécession, en 1861, la Confédération doit
faire face à un sérieux problème stratégique. Le Nord est plus
peuplé, plus riche, et dispose de l'essentiel de l'industrie et des
fabriques d'armes et de munitions. La population des Etats
« frontaliers », comme le Kentucky, le Missouri,
le Tennessee et la Virginie est divisée : même dans le Sud
« profond », on trouve certaines personnes qui
souhaitent rester dans l'Union. Fait peu connu, tous les Etats de la
Confédération fournirent à un titre ou à un autre, et à un
moment ou à un autre du conflit, des unités à l'armée nordiste.
Dans ces conditions, on ne peut être étonné qu'une guérilla
soutenue ait pris place dans les Etats « frontaliers »,
précédant même, parfois, les combats conventionnels. Depuis la
naissance des Etats-Unis, les Américains ont en effet une tradition
de guerre irrégulière que l'on peut tracer dès la guerre
d'Indépendance, et au-delà.
Dans
le cadre de la guerre de Sécession, on qualifie de guérillas les
mouvements composés d'hommes n'appartenant pas à l'armée
régulière de l'Union ou de la Confédération, ou bien qui en ont
déserté. Le terme de Bushwhackers s'applique aux guérilleros
confédérés du Missouri qui opèrent d'une façon différente de
celles de leurs homologues des autres Etats. En face, on trouve sur
le même principe les Jayhawkers1,
les guérilleros de l'Union. Les Partisan Rangers sont ceux
qui ont obtenu une reconnaissance de l'armée ou du gouvernement :
chez les confédérés, le processus débute avec le Partisan
Ranger Act d'avril 1862, mais certains Etats organisent aussi
leurs propres groupes. L'Union n'a pas voté de résolution
équivalente mais a ponctuellement reconnu les bandes de guérilleros.
Il
y a un troisième type de combattant qui relève de la guerre
irrégulière, c'est le cavalier qui opère dans des raids, tout en
faisant partie de l'armée régulière, mais en employant les
tactiques de la guérilla. Certains chefs de l'armée confédérée,
comme Nathan Bedford Forrest et John Hunt Morgan, ont ainsi opéré à
la manière des partisans. C'est d'ailleurs ainsi qu'ils sont
considérés par les Nordistes alors qu'en fait, ils appartiennent
bien à l'armée régulière du Sud. Ces trois types de combattants
sont devenus des éléments importants de la guerre de Sécession,
pour la Confédération, en particulier. Les forces irrégulières
sudistes mènent une guérilla que les tactiques de contre-guérilla
de l'Union ne parviennent jamais véritablement à éradiquer :
leur activité ne cesse vraiment qu'avec la reddition des forces
régulières du Sud. On s'intéressera ici surtout aux guérilleros
opérant de manière indépendante, en particulier ceux du Missouri
et du Kansas, parmi les plus emblématiques.
Le
sanglant prélude du Bleeding Kansas2
(1854-1861)
Avant
le bombardement de Fort Sumter par les confédérés, le 12 avril
1861, qui déclenche officiellement les hostilités, la guerre fait
déjà rage depuis plusieurs années à la frontière du Missouri et
du Kansas. La population du Missouri, majoritairement
pro-esclavagiste, regarde avec convoitise les vastes plaines du
nouvel Etat du Kansas pour s'étendre encore davantage. Mais, en
1854, le Kansas-Nebraska Act stipule que la population de
chaque Etat doit décider si oui non l'esclavage doit être maintenu.
Les abolitionnistes du Nord, pour éviter que le Kansas ne tombe
entre les mains des esclavagistes, encouragent une migration massive
de leurs partisans vers le nouvel Etat.
Si
le Nebraska devient un Etat où l'esclavage est aboli, la situation
au Kansas est rendue plus complexe par la réaction des habitants du
Missouri, qui dépêchent également leurs partisans pour rétablir
l'équilibre. Une véritable campagne de propagande oppose d'un côté
les habitants du Missouri, peints comme de féroces esclavagistes, et
de l'autre ceux du Kansas, décrits comme des abolitionnistes
forcenés. Ceux du Missouri se plaignent que les habitants du Kansas
n'apportent avec eux ni femmes ni outils de travail mais seulement
des armes. C'est exagéré, mais il est vrai que de nombreux
émigrants arrivent lourdement armés de peur de la réaction des
habitants du Missouri que la presse nordiste présente comme prêts à
les recevoir à coups de fusils.
Lors
des élections de 1854, des milliers d'habitants du Missouri
traversent la frontière en armes afin de voter pour les candidats
pro-esclavage. Le vote ne comprend pas en effet une clause de
résidence : en conséquence, ces candidats l'emportent haut la
main, et à nouveau lors d'autres élections en 1855. Se déclenche
alors rapidement un cycle d'intimidations, puis de violences. Des
bandes de Jayhawkers montent des raids dans le Missouri pour
attaquer les fermes et libérer les esclaves : en face, les
bushwhackers, baptisés aussi « border's ruffians »,
attaquent les partisans de l'abolition au Kansas et saccagent les
bureaux des journaux qui leur sont favorables. Les morts s'accumulent
sans que les faibles garnisons fédérales présentes à proximité
ne s'interposent véritablement.
Le
21 mai 1856, un groupe de « Border's ruffians »
occupe la ville de Lawrence, au Kansas, s'empare des armes, pille les
maisons et détruits les locaux de deux journaux. En représailles,
l'abolitionniste John Brown, promis à devenir célèbre un peu plus
tard lors de son raid manqué sur Harper's Ferry, et ses 5
fils, exécutent sommairement 5 partisans de l'esclavage qu'ils
avaient capturé. En 1858, la balance penche du côté des
abolitionnistes : les troupes fédérales sont plus nombreuses,
de même que les immigrants nordistes qui amènent avec eux des
cargaisons de fusils Sharp.
Les
débuts de la guérilla
Le
Missouri, où a débuté cette guerre irrégulière, est une cible de
choix pour les deux camps. Plus vaste que la Virginie, plus peuplé
que la Géorgie, l'Etat produit beaucoup de nourriture et la ville de
St-Louis contrôle la confluence entre le Missouri et le Mississipi.
Malgré le conflit antérieur à la guerre de Sécession, la plupart
des habitants souhaite, en fait, une solution négociée. Cependant,
les Jayhawkers ou les autorités d'occupation de l'Union ne
font guère de distinction entre les pro-Confédérés et les
modérés, ce qui va jeter un certain nombre de personnes dans les
bras des bushwhackers.
Au
départ, le commandement de l'Union à Saint-Louis chasse facilement
le gouverneur pro-confédéré Claiborne Fox Jackson et ses partisans
de la portion centrale de l'Etat du Missouri. L'armée confédérée
du Missouri, commandée par le général Price et composée de gardes
frontaliers et de volontaires mal armés, se réfugie au sud-ouest.
L'Union contrôle les cours d'eau et les chemin de fer ce qui rend
difficile l'acheminement de volontaires du Missouri à l'armée de
Price. Celui-ci envoie des bushwhackers pour saboter les
lignes télégraphiques et les voies ferrées avant une nouvelle
attaque dans le centre de l'Etat. Dans son sillage arrivent les 1200
Jayhawkers du sénateur unionniste du Kansas, virulent
abolitionniste, James Lane, qui a donné l'ordre à ses hommes de
nettoyer le Missouri de tout élément suspect.
Le
23 septembre 1861, les Jayhawkers
déboulent dans la petite ville d'Osceola (environ 2000 habitants) et
l'incendient complètement sous prétexte qu'elle sert de base à
Price. Le manque de nourriture, de vêtements et la fin de leur
engagement poussent de nombreux soldats confédérés à déserter et
à se retrouver dans les partisans, les bushwhackers. Price
envoie certains de ces partisans pour recruter des hommes dans ses
troupes et encourage l'activité des autres. Les patrouilles de
l'Union éliminent facilement les recruteurs et leurs volontaires,
mais les bushwhackers, eux, connaissent des succès : ils
prennent en embuscade les patrouilles ou détruisent l'infrastructure
logistique. Le 22 décembre, le général nordiste Halleck, qui
commande le département militaire du Missouri, promulgue l'ordre
n°31 : tout homme pris à saboter les installations doit être
fusillé séance tenante. Les rangs des bushwhackers ne
désemplissent cependant pas : déserteurs de l'armée
confédérée qui jugent les conditions de ce service plus
attrayantes (rester à proximité de leurs familles en particulier),
prisonniers libérés sur parole qui n'accordent aucun crédit à un
serment prêté à un gouvernement de l'Union qu'ils jugent illégal.
Les
troupes nordistes sont également responsables du développement de
la guérilla : composées de soldats des Etats voisins, elles
pensent en général que tout habitant du Missouri est un Confédéré
en puissance. Elles obligent les autorités locales à payer en cas
d'attaque sur les voies de chemin de fer, et sinon se servent
elles-mêmes. Parallèlement, les Jayhawkers du Kansas
poursuivent leurs raids. Certaines bandes comprennent même des
Afro-Américains : dès novembre 1861, le 7th
Kansas Cavalry de Jennison, surnommé « the
Redlegs » en raison de leurs habits caractéristiques,
comprend une compagnie de Noirs menée par un ancien esclave du
Missouri. Halleck déplore les exactions des Jayhawkers mais
les autorités de l'Union, alors dans le même cas que celles de la
Confédération, ont parfois peu de prise sur ces bandes
irrégulières.
Le
13 mars 1862, Halleck, dans son ordre général n°2, précise que
les guérilleros ne sont pas des soldats mais des hors-la-loi et
qu'en conséquence, ils doivent être passés par les armes s'ils
sont pris. Les bushwhackers adoptent immédiatement la même
politique. Le 22 juillet, le commandement nordiste, dans l'ordre
général n°19, appelle tous les hommes valides de l'Etat du
Missouri à rejoindre la milice pour traquer les partisans
confédérés. Cet ordre durcit les positions puisque les hommes en
âge de servir sont plus ou moins forcés de choisir leur camp. Frank
James, le frère de Jesse James, qui a servi dans l'armée confédérée
de Price avant de déserter chez lui, malade, lors de la retraite,
rejoint les rangs des bushwhackers. Mais 52 000 hommes
intègrent aussi les rangs de l'Union. Leur connaissance de l'Etat
est utile pour traquer les partisans confédérés, mais ils mènent
aussi leur guerre personnelle et vivent sur le terrain, se mettant
parfois à dos la population.
Ci-dessous, générique du film Josey Wales hors-la-loi, avec Clint Eastwood dans le rôle titre (1976). Le film met en scène un fermier du Missouri, Josey Wales, dont la famille est massacrée par les Redlegers pro-Union, et qui rejoint la bande de bushwhackers de Bloody Bill Anderson, l'un des plus féroces chefs de guérilla pro-confédérée du Missouri. C'est l'un des premiers westerns "révisionnistes", donnant le mauvais rôle aux guérilleros de l'Union et louant au contraire la cause confédérée, en s'inspirant d'un roman de Forrest Carter.
Ci-dessous, générique du film Josey Wales hors-la-loi, avec Clint Eastwood dans le rôle titre (1976). Le film met en scène un fermier du Missouri, Josey Wales, dont la famille est massacrée par les Redlegers pro-Union, et qui rejoint la bande de bushwhackers de Bloody Bill Anderson, l'un des plus féroces chefs de guérilla pro-confédérée du Missouri. C'est l'un des premiers westerns "révisionnistes", donnant le mauvais rôle aux guérilleros de l'Union et louant au contraire la cause confédérée, en s'inspirant d'un roman de Forrest Carter.
Du
Partisan Ranger Actà la dégénérescence de la guérilla
Le
président confédéré Jefferson Davis n'est pas un supporter de la
guerre irrégulière : il juge les partisans trop incontrôlables
et surtout il y voit un détournement d'hommes utiles à l'armée
régulière. Fin 1861, le secrétaire à la Guerre de la
Confédération, Judah P. Benjamin, annonce que le gouvernement du
Sud ne reconnaît pas les bandes d'irréguliers. Début 1862, le
général Joseph E. Johnston chasse même les bandes de partisans
pro-sudistes de ses camps. Cependant, les autorités du Sud voient
bien qu'existent de nombreux partisans du Sud dans les territoires
occupés par l'Union, que leurs forces conventionnelles sont
inférieures en nombre à celles du Nord et surtout que la guérilla
a déjà commencé en de nombreux endroits. En conséquence, le
Congrès confédéré adopte le Partisan Ranger Act le 21
avril 1862 : le président a autorité pour désigner des
officiers chargés de lever les bandes de partisans, qui reçoivent
la même solde et les mêmes fournitures que l'armée régulière
mais sont soumis aux mêmes règles tout en agissant indépendamment.
Cette résolution va renforcer l'attrait pour les bushwhackers.
L'acte permet au général Hindman, en août 1862, de créer une
véritable guérilla officielle dans l'Arkansas, pour entraver les
efforts de l'Union après la défaite sudiste de Pea Ridge, en mars,
qui bloque la progression nordiste pendant toute une année. Mais ces
guérilleros, plus ou moins incontrôlables, se transforment aussi
très vite en véritables hors-la-loi dans l'Arkansas.
Fin
1862, la guérilla ravage ainsi le Missouri et l'Arkansas. Pour faire
pression sur les bushwhackers du Missouri, le commandement de
l'Union enferme les membres féminins de leurs familles dans les
prisons, dans l'espoir que les familles se déplacent au sud en
territoire confédéré et que les guérilleros suivent. Le 14 août
1863, la prison de Kansas City, mal entretenue et surchargée,
s'effondre, tuant 5 femmes apparentées aux bushwhackers.
Ceux-ci y voient un acte délibéré des nordistes. Le 21 août,
Quantrill, le plus fameux chef de bande confédéré, mène plus de
450 hommes dans une chevauchée de la mort sur Lawrence, au Kansas,
un des repères des abolitionnistes. Près de 200 hommes sont abattus
sur place. Quatre jours plus tard, dans son ordre n°11, le général
nordiste Ewing fait déplacer de force toute la population de trois
comtés de l'ouest du Missouri et d'une partie d'un quatrième. Les
« Redlegs » ne se privent pas de piller et
d'incendier la zone en question, qui reste connue longtemps après
comme le « Burnt District ».
Du
côté nordiste, le moment décisif est la décision prise par la
Confédération de procéder à la conscription, le 16 avril 1862,
pour les hommes âgés de 18 à 35 ans. Selon le même schéma que
l'ordre imposant de rejoindre la milice dans le Missouri, la
population se voit contrainte de choisir son camp. Des mouvements de
guérillas pro-nordistes apparaissent dans l'ouest des deux
Carolines, au nord de la Géorgie et de l'Alabama, dans le
Mississipi, dans les marais de Louisiane et de Floride. Des sociétés
secrètes, les Héros de l'Amérique et la Société de Paix, sont
actives dans tout le Sud. Les unionnistes du Texas fuient vers le
Nord et forment des bandes armées. A l'été 1862, ils créent une
conspiration pour séparer le nord du Texas du reste de l'Etat, mais
l'affaire est déjouée par les confédérés qui pendent 65
« renégats » à Gainesville. Une autre rebéllion
unionniste au printemps 1863 est décimée par une bande d'Indiens
pro-confédérés qui scalpent leurs victimes. Dans l'ouest des
Carolines, des bandes comptant jusqu'à 500 hommes, souvent des
déserteurs, occupent des villes, construisent des forts, se rallient
la population. Le long des côtes, ils aident les navires du blocus
ou les raiders nordistes, rassemblent du bétail pour leurs
troupes ou les réfugiés. En 1864, le gouverneur confédéré de
Floride ne quitte plus sa résidence de Tallahassee de peur d'être
capturé ! Un régiment confédéré doit même suppléer la
milice de Floride cette année-là pour traquer les bandes, mais
entraîne la formation d'une bande de 500 hommes qui contre-attaque
rapidement.
Avec
la montée en puissance la guérilla dans le district
trans-Mississipi en 1863, l'Union prend des mesures drastiques. Dans
le Missouri et le nord de l'Arkansas, chaque comté a sa propre
garnison avec une enceinte fortifiée en ville. Des détachements de
cavalerie patrouillent régulièrement et signalent la présence de
bushwhackers pour que des forces plus importantes convergent
sur eux. Des fortins sont bâtis pour protéger les installations
sensibles. Si l'Union doit veiller à ne pas envoyer des patrouilles
trop faibles et à ravitailler les garnisons, l'expérience prouve
que les troupes nordistes mettent en difficulté les bushwhackers
grâce à ce système. Ceux-ci préfèrent alors attaquer les
banques, les civils pro-unionistes, les lignes de télégraphe, les
voies ferrées, voire les bateaux à vapeurs, qui doivent eux aussi
recevoir une protection (blindage). Les dernières bandes de
bushwhackers opèrent aussi dans le Kentucky à partir de
l'été 1864.
Ci-dessous, extrait du film Chevauchée avec le diable (1999) d'Ang Lee, autre western révisionniste qui met en scène un petit groupe de bushwhackers opérant dans la bande de Quantrill et de Bloody Bill Anderson. L'histoire, inspirée d'un roman, est quelque peu dramatisée, mais le film vaut le coup d'oeil, entre autres, pour la reproduction assez fidèle de l'attaque et du massacre de Lawrence, que l'on peut voir dans l'extrait ci-dessous.
Ci-dessous, extrait du film Chevauchée avec le diable (1999) d'Ang Lee, autre western révisionniste qui met en scène un petit groupe de bushwhackers opérant dans la bande de Quantrill et de Bloody Bill Anderson. L'histoire, inspirée d'un roman, est quelque peu dramatisée, mais le film vaut le coup d'oeil, entre autres, pour la reproduction assez fidèle de l'attaque et du massacre de Lawrence, que l'on peut voir dans l'extrait ci-dessous.
Organisation
et tactique des bushwhackers
Les
groupes de bushwhackers se sont formés la plupart du temps
autour d'un chef charismatique. Quantrill, ancien instituteur de
l'Ohio, devenu pro-esclavagiste pendant la période du Bleeding
Kansas, est le plus célèbre. Mais comme le lui annonçait le
gouverneur en exil confédéré du Missouri, Reynolds, dans une
lettre qu'il lui écrit en 1864, la guérilla devient de plus en plus
sauvage et incontrôlable et finit par lasser les deux camps.
Reynolds conseille d'ailleurs à Quantrill d'entrer dans l'armée
confédérée pour poursuivre son combat. En mai de cette même
année, Quantrill est menacé l'arme au poing par l'un de ses propres
subordonnés, George Todd. Le massacre de Lawrence a en effet jeté
le trouble parmi la bande de Quantrill : certains bushwhackers
sont choqués par la brutalité de l'attaque, d'autres souhaitent au
contraire que le procédé soit renouvelé. Bloody Bill
Anderson, un des lieutenants de Quantrill originaire du Missouri,
dont la soeur a péri dans l'effondrement de la prison de Kansas
City, quitte Quantrill, réfugié au Texas après le massacre de
Lawrence, dès le printemps 1864, avec les éléments les plus
sauvages : il scalpe ses victimes, s'en prend aux civils, y
compris aux femmes, ce qu'avaient toujours refusé de faire jusque là
les bushwhackers.
Les
partisans ne portent que rarement l'uniforme confédéré et arborent
plutôt celui de l'Union pour approcher plus facilement leurs
objectifs. Ils portent le « guerilla shirt » des
chasseurs des Grandes Plaines muni de nombreuses poches pour les
munitions, des versions différentes du slouch hat, avec des
foulards et autres colifichets dressant l'image d'un cavalier
téméraire. Les bushwhackers transportent souvent une
impressionnante quantité d'armes : jusqu'à 6 revolvers (!)
pour certains, dont le Colt 1851 Navy cal.36, un couteau Bowie
ou parfois un tomahawk pour le combat au corps-à-corps. Pour
le tir à longue distance et la précision, ils utilisent le fusil
Sharp cal. 52 à chargement par la culasse, qui permet aussi d'avoir
une bonne cadence de tir.
Les
bushwhackers mènent des embuscades rapides contre des petits
détachements de l'Union, pour éviter d'être débordés par le
nombre. Ils sont efficaces pour désorganiser les communications,
lignes télégraphiques ou courriers. En revanche, la discipline de
feu de l'Union permet souvent de repousser des attaques plus
prolongées. A partir de 1862, et après quelques mois d'expérience
au combat contre les bushwhackers, les commandants nordistes
fortifient souvent les palais de justice en briques des petites
villes avec des sacs de sable ou des rondins : ces petites
places fortifiées sont imprenables par les guérilleros dépourvus
d'armement lourd. Les bushwhackersétablissent leurs
campements dans les bois et camouflent parfois de véritables
installations souterraines. Pour contrer la guérilla, l'Union lève
aussi d'authentiques unités antiguérilla : le 1st
Arkansas Cavalry Volunteers est constitué d'unionnistes de
l'Arkansas vicéralement opposés à leurs concitoyens confédérés.
Ils tuent plus de 200 guérilleros en utilisant parfois des canons
contre des groupes de 1000 bushwhackers rassemblés pour leur
faire face. Ils brûlent maisons et moulins à grains suspectés de
servir de dépôts ou de lieux de réunion.
Certains
chefs de guérilla sont parfois d'aussi bon tacticiens que les
officiers réguliers. Bloody Bill Anderson mène ainsi le
fameux raid sur Centralia le 27 septembre 1864, qui caractérise bien
l'audace et la brutalité des bushwhackersà ce moment du
conflit. Le général Price a envahi de nouveau le Missouri depuis
l'Arkansas pour s'emparer de St-Louis. Pour faciliter la progression
de ses 12 000 hommes, il demande aux bushwhackers de harceler
les garnisons de l'Union et leurs voies de communication. Anderson
reçoit l'ordre alors qu'il stationne avec 250 hommes dans la ferme
d'un sympathisant confédéré près de la gare de Centralia. A
l'aube du 27 septembre, avec 30 hommes, Anderson pénètre dans
Centralia et fait le coup de feu pour impressionner les habitants.
Ses hommes investissent les maisons, pillent, s'ennivrent. Une
diligence arrive qui est bientôt mise à sac, un parlementaire
nordiste dépouillé. A midi, un train se présente à Centralia :
les bushwhackers convergent sur le chemin de fer, dressent une
barricade sur la voie et stoppent le train. Parmi les passagers se
trouvent 25 soldats désarmés de l'Union. Anderson demande s'il y a
des officiers : le sergent Goodman se signale et Anderson le met
à part avant de faire abattre les autres. Il n'a gardé Goodman que
pour faire un échange de prisonniers avec certains de ses hommes
récemment capturés. Les bushwhackers incendient le train,
ligotent leur prisonnier et remplissent leurs bouteilles avant de
détaler. A 16h00, le major Johnston arrive à Centralia avec 158
fantassins montés du 39th Missouri
Infantry, attiré par la fumée du train en feu. Ne connaissant
pas l'effectif ennemi, il divise sa troupe en deux : une partie
reste en ville tandis qu'il emmène 120 hommes à la poursuite des
bushwhackers.
Anderson
monte une savante embuscade pour éliminer ses poursuivants. 10
hommes commandés par Dave Poole attirent les nordistes dans une
clairière où ils se retrouvent, avec leurs fusils Enfield à
chargement par la bouche, face à 90 hommes d'Anderson. Johnston fait
démonter les trois quarts de ses hommes et les fait se mettre en
position de tir couché, le reste s'occupant des chevaux. En
embuscade, sur chaque flanc des nordistes, cachés par la forêt, se
trouvent des groupes comprenant 70 cavaliers. Anderson charge de
front les hommes de l'Union dont le tir mal ajusté ne tue que 3
bushwhackers. Johnston échange des coups de feu avec Jesse
James avant que celui-ci ne l'abatte finalement au revolver. Les
guérilleros postés sur les flancs interviennent alors et les
nordistes partent en déroute. Anderson va ensuite achever le
détachement demeuré à Centralia. Le 39th
Missouri perd deux officiers et 114 hommes tués, deux blessés
et 6 disparus : Anderson a appliqué sa politique habituelle du
« pas de quartier », certains hommes étant
scalpés voire décapités.
Les
guérilleros ne peuvent survivre longtemps sans l'appui au moins
partiel de la population. Ils préfèrent cependant dormir dans les
bois que dans les maisons de sympathisants qui peuvent être
facilement encerclées : Quantrill périt ainsi de cette manière
dans le Kentucky et Anderson manque de peu d'être abattu de la même
façon. La population peut aussi fournir des espions, voire prendre
part au combat avec les partisans. Le capitaine Peabody, qui parvient
à repérer avec 65 hommes du 1st
Missouri Cavalry la bande de Quantrill dans une ferme et à
s'emparer de ses chevaux, doit ainsi affronter une centaine de
personnes venues protéger la fuite à pied du chef confédéré. En
retour, la population civile souffre de la guérilla, d'autant plus
que celle-ci est aussi prétexte à des crimes crapuleux. Des
déserteurs reconvertis en brigands mettent en coupe réglée les
monts Ozark, dans le nord de l'Arkansas, un territoire dépeuplé
progressivement par la guérilla. Certains guérilleros
pro-confédérés devenus hors-la-loi abattent même des
représentants du pouvoir sudiste.
Les
guérilleros ont parfois rallié les armées régulières pour servir
d'éclaireurs ou pour combattre. La plupart reflue d'ailleurs au
Texas à l'automne, quand les feuilles tombent et les privent de leur
camouflage. Les déprédations commises au Texas par certains
bushwhackers ne les rendent souvent pas très populaires aux
yeux de certains Sudistes. Le général Price n'a cependant jamais
perdu sa confiance dans les bushwhackers même si, en 1864, il
pique une colère mémorable en voyant les scalps brandis par les
hommes d'Anderson, qui les fait aussitôt enlever et fait apporter à
l'officier confédéré une paire de Colts en argent. Quand le
général confédéré Joe Shelby mène un raid début 1864 dans le
nord de l'Arkansas pour recruter des hommes, il s'aperçoit vite que
les guérilleros sudistes, anciens déserteurs ou prisonniers libérés
sur parole, ne sont plus que des criminels travaillant à leur
compte.
Conclusion
Les
irréguliers n'ont pas sauvé la Confédération de la défaite, mais
leur activité a forcé l'Union a déployé des moyens considérables
pour les prendre en chasse. Dans le Kansas et le Missouri,
l'affrontement a tourné à la guerre civile et a précédé, voire
favorisé, le déclenchement du conflit lui-même. Du côté de
l'Union, les Jayhawkers ont surtout libéré des milliers
d'esclaves. La plus grande réalisation de la guérilla pro-nordiste
reste la formation du nouvel Etat de Virginie Occidentale, en 1863,
dans un territoire investi de partisans de l'Union. Côté confédéré,
les bushwhackers ont empêché l'Union d'envahir le Texas et
la Louisiane, ont regonflé le moral des sympathisants sudistes et
leur ont permis d'apporter leur pierre à la lutte, mais ont aussi
surtout apporté leur lot de dévastations. Après la fin des
hostilités, certains bushwhackers ne tiennent pas à perdre
les talents acquis pendant le conflit. Les frères James et Younger,
qui ont servi sous Quantrill et Bloody Bill Anderson, forment
un gang de criminels utilisant les méthodes de la guérilla
pro-confédérée dans l'attaque de banques et de trains.
Pour
en savoir plus :
Sean
MCLACHLAN et G. et S. EMBLETON, American Civil War Guerilla
Tactics, Elite 174, Osprey, 2009.
1L'origine
du mot est incertaine. Il désigne les partisans de l'Union au
Kansas dès les affrontements ayant lieu avant la guerre de
Sécession.
2Littéralement
le « Kansas qui saigne »...