Depuis 2001, Bernard Giovanangeli Editeur inonde le marché français de titres (une quinzaine par ans) portant sur l'histoire militaire, au sens large, bien qu'on y trouve beaucoup d'ouvrages consacrés à l'histoire des guerres napoléoniennes, centre d'intérêt principal de l'éditeur. La collection Biographie compte déjà une dizaine de parutions dont celle-ci, dédiée à Venizélos, un personnage important de l'histoire de la Grèce contemporaine. L'auteur, Charles Personnaz, qui travaille pour le ministère de la Culture, prépare une thèse sur les relations entre la France et la Grèce dans les années 20. Curieusement il a aussi signé dans la même collection une biographie d'Alexandre le Grand. Intérêt pour l'histoire grecque, donc, mais sur des périodes très éloignées chronologiquement : l'on en en droit, de prime abord, de s'interroger sur le contenu.
En fait, l'ambition de Charles Personnaz reste fort modeste, comme ille présente dans l'introduction : fournir une biographie courte et appuyée sur quelques références bibliographiques solides d'Eleutherios Vénizelos, et plus généralement intéresser le public français à l'histoire de la Grèce contemporaine, et non pas seulement à celle de la Grèce antique.
Après un rapide tour d'horizon de la "question d'Orient au XIXème siècle" et de la situation du pays jusqu'en 1864, année de naissance de Venizélos, Charles Personnaz revient sur l'enfance crétoise du personnage, marquée par l'occupation ottomane, jusqu'à son entrée en politique. Venizélos, fin politique, est de tous les combats, par la parole ou par les armes, qui conduisent au rattachement progressif de la Crète à la Grèce, jusqu'en 1897-1898. Figure politique dominante de la Crète, Venizélos n'hésite pas à appuyer un mouvement révolutionnaire, en 1905, pour faire abdiquer le prince Georges et aboutir au rattachement de l'île à la Grèce. Il a également expérimenté sa politique en Crète, ce qui lui sera fort profitable pour les responsabilités qu'il exercera en Grèce plus tard.
1908 est une année importante : les Jeunes Turcs prennent le pouvoir dans l'Empire ottoman, la Grèce se sent menacée. Venizélos, patient, attend son heure, ne se compromet pas dans les luttes de pouvoir : en 1910, il devient Premier Ministre. Pour servir le dessein de la "Grande Idée" bâtie au XIXème siècle, le rattachement au pays de tous les endroits où se trouvent des Grecs, Venizélos s'attache à la paix sociale : réforme de l'éducation, de l'agriculture, réduction de la crise économique, emprunts pour reconstruire une armée et une flotte, avec l'aide des Français et des Britanniques. En 1912, allié à la Bulgarie, à la Serbie et au Monténégro, Venizélos jette la Grèce contre les Turcs. La victoire est totale mais entachée par la disparition du roi Georges, assassiné. L'année suivante, les vainqueurs se déchirent entre eux, et la Bulgarie en fait les frais. Venizélos prêche cependant la modération, car les gains sont conséquents : la Grèce a doublé sa superficie et quasiment sa population avec les guerres balkaniques.
Le déclenchement de la Première Guerre mondiale voit la Grèce séparée en deux camps : Venizélos, plutôt pro-allié, s'oppose au roi Constantin XII et à ses partisans qui penchent en faveur de l'Allemagne. Le Premier Ministre démissionne finalement début 1915, mais revient rapidement sur la scène politique d'autant que les premières troupes alliées débarquent à Salonique en septembre. Il faut le coup de forces d'août 1916 pour que les soldats grecs participent véritablement aux combats du côté allié. Venizélos, replié en Crète, rejoint les insurgés de Salonique, qui rebâtissent une armée, créent un gouvernement provisoire. Il faut l'intervention d'un corps expéditionnaire français pour prendre Athènes en décembre, assaut que l'on a parfois qualifié de "vêpres athéniennes". Les ralliements se multiplient et le roi Constantin abdique en juin 1917. Venizélos mène ensuite une sévère épuration.
Venizélos, soutenu par Lloyd George, a rebâti une armée avec l'appui français. Les troupes grecques sont engagées en avril 1918. Attaché à la Grande Idée, Venizélos séduit les gouvernements européens, envoient des troupes grecques combattre les bolcheviks dans le sud de la Russie, et parvient à faire débarquer ses soldats en Asie Mineure en mai 1919. Soutenu par l'Angleterre, face à une France plus réticente, Venizélos voit ces annexions confirmées par le traité de Sèvres en 1920. Mais la Grèce est exsangue, Mustapha Kemal et les nationalistes surgissent sur les ruines de l'Empire ottoman, et l'Angleterre souhaite stabiliser leur emprise pour contrer les bolcheviks. Battus sévèrement une première fois en 1921, les Grecs sont chassés d'Asie Mineure en août-septembre 1922. Les négociations, après l'armistice d'octobre, durent 8 mois : le traité de Lausanne aboutit à un compromis et prévoit notamment un transfert des populations grecques et turques, ce qui désamorce de potentiels conflits pour l'avenir. La République est proclamée en Grèce en 1924, suivie d'une série de coups d'Etats. Venizélos quitte le pouvoir, puis revient en 1928. Mais, devenu autoritaire, il ne réussit pas complètement à redresser le pays, malgré la réconciliation avec la Turquie : il est définitivement battu aux élections de 1933. Forcé à l'exil après un dernier coup d'Etat raté qu'il a soutenu, il meurt à Paris le 18 mars 1936.
Si les grandes lignes du personnage sont bien tracées comme une tragédie grecque (en ce sens le pari défini dans l'introduction est réussi), peut-être un peu trop, d'ailleurs, le format du livre empêche d'exploiter à fond les références récentes citées p.187 et qui auraient permis de muscler le propos sur les dimensions sociales, économiques et politiques -sans parler de celle militaire- qui restent effleurées. Une lecture brève et agréable, donc, mais qui mérite d'être creusée par des ouvrages beaucoup plus consistants. On note aussi la présence d'une unique et trop solitaire carte au début du livre et l'absence d'illustrations.