Dans un futur proche. Le jeu illégal Avalon a le vent en poupe chez une jeunesse désorientée, à la recherche de sensations fortes. Mais le jeu entraîne des comportements addictifs : certains joueurs finissent par perdre leur esprit dans Avalon, leurs corps demeurant à l'état végétatif. On les appelle les non-revenus. Le nom d'Avalon est tiré de l'île du même nom des légendes arthuriennes, où reposent les âmes des héros tombés au combat. Ash (Malgorzata Foremniak), une joueuse d'Avalon, a gagné suffisamment d'expérience pour devenir un personnage de classe A, la plus puissante, et gagner ainsi sa vie en effectuant des missions du jeu. Elle opère en solitaire après avoir été membre d'une des nombreuses équipes de joueurs qui opèrent dans Avalon, les Wizards, qui a éclaté sans que l'on sache trop pourquoi. Ash rencontre un jour un de ses anciens coéquipiers, Stunner (Bartek Swiderski), qui lui apprend que l'ancien leader des Wizards, Murphy (Jerzy Gudezko), s'est transformé en non-revenu. Murphy a essayé d'accéder à une classe secrète du jeu, la classe Spécial-A, qui permet d'engranger encore plus de points d'expérience. Ash se met alors en tête d'accéder à la classe Spécial-A, en cherchant son point d'entrée dans le jeu : une fillette aux yeux tristes qui apparaît aux joueurs ayant accompli les missions les plus périlleuses, surnommée "The Ghost"...
Voilà un film décapant, tourné en Pologne, à Varsovie entre autres, par un réalisateur nippon. D'ailleurs les acteurs eux-mêmes sont polonais. Tout le propos tourne en fait autour de la confusion entre monde virtuel et monde réel. Et on se laisse prendre facilement au schéma d'entrée, avec le texte de présentation, qui nous laisse entendre que l'on a à faire à un jeu vidéo illégal dans un futur proche. D'abord le monde dans lequel évolue Ash ne ressemble en rien à celui d'un futur proche : comme le font remarquer certaines analyses, ce serait plutôt une représentation de la Pologne à la fin de l'ère soviétique, avant la fin de l'URSS, où l'alimentation est rationnée, où tout est gris et l'air marqué par les fumées des cheminées industrielles. Le nom du jeu ensuite, pose rapidement question : pourquoi appeler un jeu Avalon alors que justement il provoque par addiction des morts cérébrales pour le joueur ? Ironiquement, c'est sans doute pour signifier qu'on s'intéresse moins au jeu qu'à l'histoire des joueurs.
En réalité, on comprend vite qu'Ash n'est qu'une sorte d'avatar, un personnage dont même le pseudo-quotidien est fictif : le monde virtuel d'Avalon comprend de nombreuses dimensions et les joueurs semblent y graviter un permanence pour fuir un monde qui les désenchante. Ainsi, le nom d'Avalon tiré de la légende arthurienne n'est en fait qu'un prétexte pour introduire à la réflexion sur la confusion entre réel et virtuel. Quand Ash emprunte des livres à la bibliothèque pour se documenter sur Arthur, les pages de ceux-ci sont vides... tout le film est donc une partie de jeu vidéo où l'on pousse Ash à liquider ses souvenirs et regrets de l'époque où elle appartenait aux Wizards, ce qu'elle fait en affrontant, sans trop vouloir le faire, son ancien coéquipier Murphy devenu un non-revenu dans la classe Spécial-A, mais que l'on voit dans une autre dimension en état de mort cérébrale (virtuelle).
Quand Ash arrive dans la classe Special-A ou classe réelle, on passe du noir et blanc à la couleur, on comprend que rien n'est réel, mais Ash elle-même semble totalement perdue dans cette classe réelle qui ressemble à s'y méprendre à la réalité. Façon de montrer combien les joueurs sont déconnectés par rapport à la vraie vie. Ce qui prouve aussi à quel point le joueur est manipulé, puisqu'elle est forcée d'affronter Murphy et n'a pas vraiment le choix, y compris dans le monde virtuel. Partie de jeu vidéo filmée, un jeu qui ne s'arrête jamais : à la fin, après être venue à bout de Murphy, alors qu'elle poursuit "The Ghost", Ash voit s'afficher : "Bienvenue à Avalon", comme si il n'y avait pour le joueur aucun moyen d'en sortir. Le jeu recrée un quotidien rassurant pour le joueur -le chien : quand celui-ci disparaît, Ash commence à paniquer, d'autant qu'une espèce de bug du jeu laisse entendre les bruits d'hélicoptères des missions- et rend celui-ci complètement dépendant du monde virtuel au point qu'il ne reconnaît même plus la réalité dont s'inspire le niveau classe réelle. La quête du Graal de Ash est ainsi sans fin.
Sur le plan technique, les décors somptueux de la Pologne post-soviétique (Wroclaw, également) sont complétés par la participation de l'armée nationale qui a fourni des T-72, un Mi-24 et même un ZSU-23/4. L'allié Yannick Harrel me confiait d'ailleurs que la scène où le Shilka tire a dû planifiée à la séquence près car le nombre de munitions était limité ! La même source a fourni également les armes légères (Dragunov, RPG-7) qui équipent les joueurs, ainsi que les fameux couvre-chefs de tankistes soviétiques qui donnent un certain charme aux players !
Un film à découvrir, assurément.