On continue les suppléments gratuits en retard avec celui pour le dossier du n°2 des Dossiers de la 2ème Guerre mondiale, qui évoquait la bataille de Moscou (1941). Encore un témoignage soviétique, cette fois-ci un tankiste qui opère dans une unité de maintenance, ce qui est d'ailleurs fort intéressant...
Né
en 1914, Shvebig a une enfance qui résume les bouleversements connus
par la Russie à partir de 1917. Privé de père à 7 ans (il est
mort du choléra), il est contraint de chaparder pour survivre sur la
Volga, sa mère étant dépourvue de ressources à Vo'lsk, dans le
district de Saratov, où la famille a atterri après avoir quitté
Saint-Pétersbourg, en 1918. En 1930, Shvebig a commencé des études
et entre dans l'école de formation des ouvriers qui vient juste de
s'installer. C'est là qu'il observe pour la première fois des chars
en manoeuvre et décide de devenir tankiste. Il entre ensuite à
l'usine comme ouvrier métallurgiste : le travail est dur.
Finalement, en décembre 1932, il rejoint l'Armée Rouge et commence
par servir dans la division de fusiliers Tsugulov du district
militaire Transbaïkal, pendant six mois. Puis il rejoint un régiment
mécanisé d'une division de cavalerie stationnée à la frontière
de la Mandchourie. La division est commandée par Rokossovsky.
Shvebig devient canonnier. Il sert sur T-26, puis BT-2 et BT-7,
jusqu'en septembre 1933. Il gagne alors l'école des mécaniciens de
chars à Léningrad et s'instruit sur le T-35 multitourelles. Pour
tester la performance de trois modèles de motos, le directeur de
l'école sollicite Shvebig pour faire partie d'une section
spécialement choisie pour effectuer un parcours de longue haleine
avec les engins. Les motos de l'usine de Moscou manipulés par le
groupe de Shvebig remportent la palme.
Celui-ci,
diplômé, est affecté à la 5ème brigade de chars lourds
stationnée à Kharkov. Il prend la tête de la section de
maintenance du bataillon d'entraînement de la brigade. Shvebig suit
les cours d'une académie militaire à partir de 1938. La formation
est accélérée en raison de l'attaque allemande et Shvebig en sort
le 7 octobre 1941. Il a remarqué les efforts désespérés fait par
Staline pour remodeler l'armée soviétique, trop tard venus. C'est
ainsi qu'il commence, à l'académie, à s'entraîner au maniement
du T-34 et du KV-1. Les leçons de la guerre d'Hiver sont également
analysées. Shevbig devient chef technique d'un régiment de chars de
la 28ème brigade, alors en formation à Narofominsk. Rassemblée à
Kubinka, la brigade compte 16 T-34, 5 KV-1 et 16 T-60 -reçus à la
place de T-34, car il n'y en a pas assez, les usines déménagées ne
pouvant pas encore reprendre une production à plein régime. La
brigade aligne en fait les effectifs d'un bataillon.
Rattachée
au Front de l'Ouest, la 28ème brigade de chars dépend de a 16ème
armée de Rokossovsky et rejoint Volokolamsk le 25 octobre. Le
commandant de la brigade, le lieutenant-colonel Malygin, choisit de
barrer la route aux Allemands à Novopetrovsk, installant son
bataillon de chars dans une forêt à proximité, tandis que le
bataillon de fusiliers motorisés reste dans la localité. Le 26
octobre, la brigade reçoit l'ordre de lancer une attaque le
lendemain matin contre les forces allemandes présentes à
Skirmanovo. Il faut d'abord prendre les hauteurs devant le village.
Les Soviétiques envoient les chars lourds en avant, suivis des chars
moyens puis par les fusiliers motorisés et des miliciens. Arrivés
sur la crête, les chars sont pris sous un feu d'enfer. La brigade ne
peut déboucher et perd le commandant du bataillon de chars, le
commissaire politique et 5 machines, revendiquant 8 chars allemands
détruits. Shvebig observe la bataille depuis un avant-poste en
première ligne : son rôle consiste, avec un KV-1 mis à sa
disposition par le commandant de brigade, à répérer les chars mis
hors de combat et à les tracter à l'arrière pour les réparer
avant qu'ils ne soient complètement détruits, ce qu'il fait pendant
l'attaque.
Au
moment de la bataille de Moscou, les sections de réparation doivent
aussi prélever tout le métal encore utilisable sur les carcasses
des chars détruits, comme elles le peuvent (des détachements
spéciaux au niveau du Front le feront à partir de 1943). Les
mécanos s'occupent des réparations légères sur place après avoir
tracté les engins, mais pour les réparations lourdes (perforation
du blindage, compartiment moteur), ils doivent envoyer les véhicules
à l'arrière. La compagnie de maintenance dispose de 2 camions pour
effectuer les réparations et de 5 tracteurs Voroshilovets,
équipés d'un moteur d'avion puissant, et qui tractent les chars
endommagés. Shvebig doit faire face aux nombreux problèmes
d'embrayage, de transmission et de vitesses du KV-1, trop lourd. Le
KV-1 utilise également un moteur diesel et pendant l'hiver, le
moindre problème du radiateur provoque une panne immédiate. Sur le
T-34, le principal handicap est le système d'injection de carburant
dans le moteur. Shvebig et son équipe examinent les nouveaux chars
sortis d'usine et réceptionnés des pieds à la tête dès leur
arrivée. Ils sont capables ainsi de déterminer les meilleurs
centres de production, pour ainsi dire. L'usine de T-34 de
Nijni-Tagil est la meilleure seon Shvebig, celle d'Omsk étant la
pire, tandis que Chelyabinsk est entre les deux.
Shvebig
raconte : « Le 8 novembre, je me dirige vers le 28ème
bataillon de chars, basé dans une clairière près du village
d'Andreevka. Je suis dans un véhicule civil, une ZIS-110 ; la
plupart des véhicules civils, autour de Moscou, a été abandonnée
devant l'avance allemande. Nous avions trouvé la ZIS-110 dans la
localité, nous l'avions réparée et conservée pour nous. A ce
moment-là, je suis le commandant adjoint de la brigade. Mon
prédécesseur s'appelait Shalagin. Un jour, je me rends au QG de la
brigade à Novopetrovsk et un raid aérien allemand survient juste
après que je sois rentré dans le local de la section technique. Je
sprinte dans la cour avant que la maison ne soit pulvérisée.
Shalagin est blessé aux deux jambes et meurt avant d'arriver à
l'hôpital. Et je me retrouve commandant adjoint. Quoiqu'il en soit,
la ZIS-110 est un véhicule confortable, la route est bonne et nous
roulons vite. A peu près à un kilomètre avant d'arriver au
bataillon, nous devons stopper car la route est coupée par une
tranchée profonde et les deux côtés sont bordés par des bois. Je
laisse le conducteur et marche à pied vers le bataillon, quand
soudain j'aperçois deux Allemands en tenue de camouflage, avec leurs
casques, cachés dans les buissons. Chacun d'entre deux porte une
ceinture avec un couteau à gauche et une grenade à droite. Je me
couche par terre et tire au pistolet dans l'espoir d'attirer
l'attention du chauffeur et du bataillon. Mon chauffeur arrive et
repousse les Allemands dans les bois en ouvrant le feu avec son
pisolet-mitrailleur. Mis au courant, le capitaine Agopov, commandant
le bataillon, envoie immédiatement des patrouilles pour débusquer
les Allemands, qui sont capturés une demi-heure après. Durant leur
interrogatoire, ils se montrent particulièrement arrogants :
ils disent « Moscou est kaput ! » et prétendent que
leur capture n'est qu'un coup du sort temporaire. » .
Le
16 novembre, les Allemands atteignent la route Volokolamsk-Moscou. La
brigade n'a plus que 2 chars opérationnels et et évacuée vers la
rivière Istra pour se réorganiser et réparer les chars endommagés.
Shvebig coupe par les bois pour éviter un raid aérien allemand et
se retrouve au milieu d'une colonne de T-34 dans une clairière. Il
se rend compte alors que les équipages parlent en allemand ! Il
réussit pourtant à s'échapper avec son engin. La brigade est
recomplétée et aligne bientôt 8 KV-1, 22 T-34 et 34 T-60. Mais
elle n'est engagée à nouveau que le 20 avril 1942, à l'est de
Rjev...
Source :
Témoignage
recueilli sur Iremember.ru