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Ivan CADEAU, Diên Biên Phu 13 mars-7 mai 1954, L'histoire en batailles, Paris, Tallandier, 2013, 207 p.

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Ivan Cadeau est docteur en histoire et officier enseignant auprès de différents organismes de l'Armée de Terre, auteur de plusieurs ouvrages. Il est spécialiste en particulier de la guerre d'Indochine et de la guerre de Corée et a soutenu sa thèse sur l'action du génie en Indochine. C'est donc logiquement qu'il signe, dans la collection L'histoire en batailles chez Tallandier, un volume sur Dien Bien Phu.

Comme il le rappelle dans l'introduction, la défaite de Dien Bien Phu soulève en France beaucoup d'incompréhension alors que le conflit, jusque là, ne passionnait guère les foules. On a cherché des responsables à ce désastre. Est-ce pour autant un succès stratégique ? On peut en douter. Plus convaincante est l'idée selon laquelle cette défaite est un choc psychologique qui permet au gouvernement français de mener la sortie du conflit. Pour Ivan Cadeau, Dien Bien Phu est d'abord une tragédie, au sens antique du terme, celles des soldats français, mais celle aussi des bo doï, dont il parle un peu dans son récit, moins que de la garnison française cependant. La querelle au sein du haut-commandement français a contribué à prolonger la bataille de Dien Bien Phu, dans la mémoire, avec la formation d'une commission d'enquête en 1955.




Le premier chapitre revient sur les racines de la guerre d'Indochine. La défaite de 1940 a fragilisé la position du colonisateur français et permis l'ascension du Viêtminh. Si en 1946 il ne s'agit que de lutter que contre une guérilla, dès 1950, la guerre d'Indochine s'inscrit désormais dans le contexte de la guerre froide, Hô Chi Minh étant soutenu par Mao et la France, par les Etats-Unis. Quand le général Navarre arrive en Indochine, au printemps 1953, son rôle est clairement de trouver une porte de sortie honorable pour l'armée française, qui a perdu l'initiative des opérations. Navarre observe le terrain jusqu'en juillet : son plan est de rester sur la défensive au Nord-Viêtnam pour accélérer la pacification au sud et confier de plus en plus de responsabilités aux troupes viêtnamiennes. Encore faut-il que le Viêtminh ne s'attaque pas au Laos.

L'armée du Viêtminh comprend désormais un corps de bataille régulier de 6 divisions d'infanterie et d'une division lourde (avec les appuis), sans compter les unités régionales ou de territoriaux. Le corps expéditionnaire français a l'avantage numérique mais n'est pas homogène et la qualité des troupes laisse à désirer, hormis une petite élite. Les Français manquent en particulier d'une réserve qui pourrait agir comme force de manoeuvre : seuls quelques bataillons sont disponibles. En revanche, ils ont la supériorité pour l'artillerie et les moyens aériens. Navarre s'attend alors à une nouvelle attaque viêtminh sur le delta du Tonkin. Mais Giap réoriente l'effort au nord-ouest, vers le Laos, dès le mois de novembre 1953, juste avant l'occupation de Dien Bien Phu. Il s'agit en particulier d'éliminer les maquis organisés par les Français et qui perturbent la logistique viêtminh. Côté français, c'est le général Cogny, commandant les forces terrestres au Nord-Viêtnam, qui signale à Navarre, dès juin 1953, l'intérêt de faire de Dien Bien Phu une nouvelle base aéroterrestre, en abandonnant Na San devenue inutile depuis le siège de l'automne précédent. La décision ne fait pas l'unanimité et on s'inquiète en particulier de l'éloignement de Dien Bien Phu par rapport aux bases aériennes censées assurer le ravitaillement par air. Navarre tranche pourtant en faveur de l'opération : il s'agit aussi de protéger le Laos, pays allié dans le combat contre le Viêtminh.

Le 20 novembre 1953, l'opération Castor est lancée pour occuper le site. Le 6ème BPC de Bigeard saute en plein milieu d'une unité viêtminh : les combats sont durs et les paras français ne peuvent éliminer complètement l'adversaire, qui se replie. Bientôt trois autres bataillons paras arrivent sur place et on commence les retranchements. Dien Bien Phu est conçue, dès le départ, comme une base aéroterrestre à partir de laquelle les Français doivent rayonner, et non comme un camp retranché comme Na San : d'où les faiblesses de la défense. Le 7 décembre, le colonel De Castries prend la tête du nouveau Groupe Opérationnel Nord-Ouest. A la veille de la bataille, 8 points de résistance principaux accueillent désormais 10 bataillons, pourvus d'une artillerie conséquente et même de quelques blindés. En février 1954, tout le monde considère la place comme imprenable. Mais quelques-uns ne sont pas du même avis : les conseillers américains qui ont combattu en Corée trouvent les défenses bien légères ; les bataillons français sont en sous-effectifs ; l'artillerie, en alvéoles à ciel ouvert, n'est pas bien protégée. Dès décembre 1953, Giap fait converger ses divisions autour de Dien Bien Phu. Navarre, bien renseigné, le sait et accepte le combat autour de la base. Dès la mi-décembre cependant, les Français sont pris dans un étau qui ne cesse de se resserrer, et toutes les sorties autour de Dien Bien Phu donnent lieu à de violents combats.

Giap obtient une supériorité de 3 contre 1 ; grâce à un immense effort logistique et l'emploi de 50 à 75 000 coolies, l'artillerie viêtminh est hissée avec la DCA en particulier autour de la façade est de la base. L'aviation française n'est pas en mesure d'interdire la logistique viêtminh. Le Viêtminh veut lancer l'attaque dès le 25 janvier 1954, mais Giap prend, dit-il, la décision la plus difficile de sa vie, en reportant l'assaut : il manque en particuliers d'obus. Fin février,  avec un soutien chinois de plus en plus massif, Giap accélère les préparatifs. Le 12 mars, les Français, qui ont identifié presque tout l'ordre de bataille viêtminh autour de la base, s'attendent à l'assaut le lendemain. Les bataillons français ont été usés depuis décembre, accusant plus de 1 000 pertes -le 3ème bataillon de la 13ème DBLE, sur atrice, n'a plus que 450 hommes en ligne...  L'artillerie viêtminhrègle son tire dès le 11 mars en détruisant plusieurs appareils sur la piste ; les nouveaux canons antiaériens de 37 mm se dévoilent dès le 13 mars en abattant un appareil français. A 17h10, un terrible barrage d'artillerie tombe sur Béatrice, le point fortifié qui couvre la piste d'aviation. La position, mal organisée, est emportée, non sans mal, à minuit. Le lendemain, à 18h00, l'artillerie pilonne Gabrielle, autre colline importante qui protège le terrain d'aviation. Mieux organisée, la défense ne cède qu'au matin du 15 mars.

Le moral français est alors au plus bas. La puissance de l'artillerie et de la cinquantaine de canons de DCA de 37 mm, qui vont asphyxier la piste et donc la base, a été complètement sous-estimée. De Castries a manqué l'occasion unique de contre-attaquer pour reprendre au plus vite Gabrielle, le 15 mars. La bataille n'a pas été suffisamment préparée côté français. Le lieutenant-colonel Piroth, commandant l'artillerie du camp, qui avait promis la destruction des canons viêtminh, se suicide dans la nuit du 14 au 15 mars. Le 16, les unités thaïes qui tiennent Anne-Marie commencent à se débander. La piste est inutilisable au bout d'une semaine et le ravitaillement doit se faire par parachutage. Giap a néanmoins perdu plusieurs milliers d'hommes durant les premiers assauts et doit se réorganiser. Les Français vont profiter de ce moment de répit. Le 16 mars, le 6ème BPC de Bigeard saute sur Dien Bien Phu et une dizaine de jours pus tard, le bataillon mène une opération contre la DCA à l'ouest de la base qui regonfle le moral de la troupe. Les paras deviennent l'âme de la résistance, autour de Langlais et Bigeard : les défenses sont un peu consolidées, et sur les collines, les aéroportés renforcent les autres catégories de défenseurs jugés moins solides.

Dans la soirée du 30 au 31 mars commence la "bataille des cinq collines". Le Viêtminh cherche à emporter les collines qui, à l'est, dominent le centre de la base. Il aurait sans doute pu, avec une meilleure coordination, aller jusqu'à la victoire finale à ce moment-là. Surpris par ses premiers succès, Giap va en effet sans doute manquer le coche. Les Dominiques tombent, de même qu'Eliane 1 : seul le tir de canons de 105à zéro sur Dominique 3 et celui de mitrailleuses quadruples de 12,7 mm empêchent les bo dois d'aller plus loin. En outre, Eliane 2, après de très violents combats, reste aux mains des Français. Ceux-ci contre-attaquent et reprennent Eliane 1 mais, faute d'effectifs, ne peuvent s'y maintenir. Le Viêtminh a trop groupé son infanterie qui souffre des tirs d'artillerie français ; en outre, le renseignement sur les positions ennemies a fait défaut, tout comme la coordination entre unités. Le 10 avril, une nouvelle contre-attaque perment de reprendre Eliane 1 qui est tenue jusqu'au 1er mai. Pendant ce temps, à Hanoï, la querelle entre Navarre et Cogny éclate au grand jour. L'hypothèse d'un soutien américain s'étiole pour des raisons politiques, et les projets de dégagement extérieur de la base, envisagés dès janvier 1954, sont mis en oeuvre trop tardivement.



Extrait de Dien Bien Phu (1992) de Schoendoerffer : pendant la bataille des cinq collines, l'assaut viêtminh emporte Dominique 2 et Eliane 1 avant de buter sur le tir à zéro des canons de 105 du lieutenant Brunbrouck.



Après la bataille des cinq collines, il ne reste environ que 6 000 défenseurs, affaiblis par le nombre importants de blessés et les déserteurs, les "rats de la Nam Youn", réfugiés autour de la rivière qui passe au milieu de la base. Navarre continue de parachuter des volontaires non brevetés, en plus des bataillons de paras, pour alimenter la bataille. L'offensive finale du Viêtminhcommence le 1er mai, après l'ouverture de la conférence de Genève, appuyée par quelques LRM tout juste arrivés. Les Elianes et les Dominiques sont à nouveau assaillies, de même qu'Isabelle, le point de résistance le plus au sud. Les tentatives de sortie échouent. De Castres se résoud à décréter un cessez-le-feu à 16h00 le 7 mai, qui entre en vigueur à 17h30. Les Français ont perdu plusieurs milliers de tués et de blessés et laissent 10 000 prisonniers entre les mains du Viêtminh, dont bien peu reviendront de captivité. Les pertes de Giap restent incertaines : peut-être une vingtaine de milliers d'hommes en tout. Dien Bien Phu représente une défaite psychologique qui clôt la guerre d'Indochine : le cessez-le-feu est signé à Genève le 21 juillet. Le général Navarre, qui quitte son poste après la bataille, est jugé responsable du désastre. La commission d'enquête de 1955 accable quant à elle le général Cogny.

La responsabilité de Navarre dans le désastre est une idée encore bien répandue aujourd'hui. Si les combattants n'ont pas démérité, comme le dit Ivan Cadeau dans sa conclusion, il va peut-être un peu loin en les disant victimes d'un "système politique corrompu" (sic) au contraire d'un "haut-commandement défaillant". L'auteur semble plus pertinent lorsqu'il souligne que l'idée d'engager une bataille décisive avec le corps de bataille viêtminh ne s'impose vraiment qu'à partir de décembre 1953, quand la garnison française est encerclée. Navarre a à la fois subi et saisi cette situation. De la même façon, il n'est sans doute pas responsable à lui seul du désastre : Cogny n'a pas suffisamment préparé la bataille (coordination air-sol par exemple) et De Castries ne l'a pas vraiment incarnée.



Extrait de Dien Bien Phu (1992) : 7 mai, 17h30. Les Français capitulent. Après un moment de silence, les bo dois sortent de leurs positions et font prisonniers les survivants.


 

L'ensemble est complété de 5 cartes placées au fil du texte et qui permettent de bien suivre les principaux mouvements de la bataille. On trouvera en fin de volume quelques annexes sur le camp français et une bibliographie indicative (essentiellement francophone). Au final, un bon ouvrage de synthèse, qui remet la bataille en perspective par rapport, en particulier, au débat sur les responsabilités de la défaite française. Peut-être peut-on regretter que le point de vue ne soit pas plus équilibré entre les deux camps. On peut lire l'interview de l'auteur sur Guerres et conflits.  






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