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Benjamin STORA, La guerre d'Algérie expliquée à tous, Paris, Seuil, 2012, 128 p.

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Benjamin Stora, professeur des universités, enseigne notamment à Paris XIII et à l'INALCO. Spécialiste de la guerre d'Algérie, il a signé de nombreux ouvrages sur ce conflit. En 2012, il écrit ce volume de la collection "Expliqué à...", au Seuil, qui a un but évident de vulgarisation en abordant des thèmes précis sous l'angle d'un dialogue entre un spécialiste du sujet et un enfant. L'idéal pour s'initier à la guerre d'Algérie, en somme, si l'on part de rien ou presque.

L'historien commence à répondre à quelques questions sur son propre parcours, puis on en vient au coeur du sujet. Il explique pourquoi l'on fixe traditionnellement le déclenchement de la guerre d'Algérie au 1er novembre 1954, puis les causes profondes qui sous-tendent le conflit -notamment l'inégalité fondamentale entre musulmans et Européens d'Algérie, inscrite dans les faits, non dans le droit. Benjamin Stora présente ensuite le chefs du FLN qui dirigent l'insurrection -et qui restent relativement méconnus, il est vrai- et la réponse de la France. A noter le passage intéressant, p.28-29, qui rappelle le rôle des colonies et en particulier de l'Algérie française pendant la Seconde Guerre mondiale.

Autre point instructif, la place des Juifs d'Algérie qui, en 1954, restent assez attachés à la présence française. L'historien insiste sur le tournant d'août 1955 et le soulèvement de Constantine, qui fait véritablement entrer l'Algérie dans la guerre -bien que le terme ne soit pas employé par les autorités françaises. Sur le rôle de la IVème République, en revanche, Benjamin Stora continue à voir l'instabilité alors que Sylvie Thénault,dans l'ouvrage que je commentais récemment sur la guerre d'Algérie, voyait quant à elle une certaine continuité dans l'action des dirigeants de la IVème République, ce qui me semble plus crédible. En revanche, il souligne combien Guy Mollet, dirigeant socialiste perdu par la défense de l'Algérie, engage la France dans les mesures d'exception : création de camps de regroupement et d'internement, nouvelle loi pour condamner à mort les membres du FLN pris les armes à la main...

L'historien rappelle aussi l'engagement du contingent, qui tranche avec l'Indochine, et qui marque toute une génération. De nombreux hommes politiques de la Vème République, comme Jacques Chirac ou Michel Rocard, ont servi en Algérie, ainsi que des membres du milieu culturel ou sportif. L'opposition au départ du contingent, présente dès 1955-1956, n'est vraiment conséquente qu'en 1959-1960. L'embuscade de Palestro, en 1956, très médiatisée, renforce pourtant les craintes des appelés en alimentant les fantasmes. L'ALN, branche armée du FLN, mène une guérilla dans des conditions très difficiles. Le FLN est soutenu par l'Egypte de Nasser puis porte sa cause à l'ONU. L'arrestation de 4 de ses dirigeants par les Français en 1956 ne décapite pas le mouvement. Idéologiquement, celui-ci s'inspire à la fois d'un islam traditionnel et du socialisme pour une cause nationaliste. Mais le mouvement se radicalise en cherchant à être le seul interlocuteur des Algériens : si tous les autres groupes politiques finissent par se rallier, l'exception du MNA dirigé par Messali Hadj entraîne une lutte sanglante à l'intérieur du camp algérien, et ce jusque parmi les expatriés de métropole.

La bataille d'Alger de 1957 constitue un moment important : les paras français nettoient la ville mais en recourant à des méthodes féroces, torture généralisée, utilisations de membres du FLN repentis pour des opérations d'intoxication, etc. Le terrorisme du FLN frappe aussi sans discrimination mais les Européens ultras y ont également recours. Les militaires, les hommes politiques ont cautionné l'emploi de la torture, dont l'usage est connu en métropole dès 1955, mais se dévoile à l'opinion publique avec la bataille d'Alger. L'armée française bloque ensuite les frontières pour empêcher le ravitaillement extérieur de parvenir au FLN, en installant en particulier la ligne fortifiée dite ligne "Morice" le long de la frontière tunisienne. Parallèlement, le nombre de supplétifs algériens de l'armée française va croissant : 50 000 harkis dès 1957. Sur le plan politique et diplomatique en revanche, le FLN marque des points avec le bombardement par l'armée française du village tunisien de Sakiet-Sidi-Youssef, en 1958, qui choque l'opinion internationale.

Cet événement couplé aux difficultés de l'économie française et à la crainte de l'armée et des Européens d'Algérie de perdre leur territoire conduit à la chute de la IVème République en 1958 et à son remplacement par la Vème République. De Gaulle arrive au pouvoir et visite rapidement l'Algérie. Cependant, il s'attèle d'abord à restaurer l'autorité de l'Etat. Pour négocier en position de force, il donne carte blanche à l'armée afin d'éliminer l'ALN. Le plan Challe, en 1959, s'achève par un succès apparemment décisif. L'annonce de l'autodétermination par De Gaulle la même année marque un tournant : le général entame la sortie de la guerre en envisageant la perte de l'Algérie. D'où la journée des barricades à Alger le 24 janvier 1960, qui souligne les profondes divisions au sein du gouvernement et de l'armée française. Tout comme l'est le monde intellectuel, entre "porteurs de valise", universitaires engagés contre la guerre comme Pierre Vidal-Naquet, et les ultras d'extrême-droite défenseurs de l'Algérie française.

Le référendum sur l'autodétermination de janvier 1961 confirme le soutien au FLN d'une majorité de la population. Le putsch des généraux d'avril 1961 échoue, mais donne naisssance à l'OAS qui va déchaîner la violence sur l'Algérie et en métropole, contre De Gaulle et ses partisans en particulier. Les négociations piétinent alors que le combat semble se déplace de plus en plus en métropole, où deux manifestations d'Algériens sont brutalement réprimées le 17 octobre 1961 puis en février 1962 au métro de Charonne, la première tombant pour longtemps dans les "oubliettes" de l'histoire. Les dernières semaines de la guerre d'Algérie sont marquées par une sanglante spirale de violence réalisée par le FLN, l'OAS et les "barbouzes" envoyés par De Gaulle pour combattre les ultras de l'Algérie française.

La question épineuse du Sahara finit par être surmontée : les accords d'Evian sont signés le 18 mars 1962 et sont appliqués dès le lendemain. Ce n'est pourtant pas la fin des violences. Après que l'armée ait tiré sur une foule d'Européens soutenant l'OAS dans le quartier de Bab-el-Oued à Alger, le 26 mars, dans la rue d'Isly, les Pieds-Noirs commencent à prendre massivement le chemin de l'exil. Un véritable exode qui ne concerne pas les harkis, devenus témoins gênants pour les deux camps. L'indépendance algérienne n'est acquise qu'en juillet 1962 et un peu plus tard, Boumediene et Ben Bella s'imposent. Les accords n'ont pas empêché le massacre des Européens à Oran ce même mois puis, quelques semaines plus tard, l'attentat de l'OAS contre De Gaulle au Petit Clamart. Sur les chiffres des pertes, Benjamin Stora passe assez vite, en particulier sur les harkis. Il a cependant raison d'insister sur la fracture que la guerre a provoqué entre les Algériens mais aussi entre les Français, ce qui explique que sa mémoire soit encore refoulée et douloureuse.

Côté français, la guerre tombe dans l'oubli avec les lois d'amnistie et la reconstruction. Côté algérien, l'arrivée au pouvoir des militaires et d'un régime socialisant impose une vision mythique de la guerre d'indépendance, où tous les Algériens auraient combattu le colonisateur. On retrouve des logiques similaires à celles de l'histoire de l'Occupation et de la Résistance en France. Un film comme La bataille d'Alger a longtemps été interdit de diffusion en France, en raison des pressions des rapatriés et des nostalgiques de l'Algérie française. Dans les années 1990 se produit enfin le "retour de mémoire". Une loi reconnaît la "guerre" en Algérie en juin 1999. Le débat sur la torture apparaît dans les médias. En Algérie, une ouverture commence à se faire jour : la figure de Messali Hadj, chef du MNA et opposant du FLN, est réhabilitée. La question revient aussi sur le tapis avec l'affaire de l'article soulignant le rôle positif de la colonisation en 2005. Les mémoires de la guerre sont éclatées entre différents groupes concurrents. L'histoire fait, malgré tout, son chemin, en dépit des mémoires conflictuelles. Dommage cependant que Benjamin Stora n'insiste pas plus sur l'historiographie de la guerre d'Algérie, sujet d'une actualité brûlante.

On peut peut-être regretter que la section "Pour en savoir plus" soit limitée à si peu de livres et de films. Néanmoins l'ouvrage constitue une bonne introduction au sujet, à conseiller pour ceux qui veulent s'y initier. A compléter par des lectures plus fournies et plus savantes pour approfondir. Un petit clic sur les liens commerciaux ci-dessous pour aider le blog, merci !



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