"Depuis la fin de la guerre d'Algérie, 250 000 hommes ont servi
sur plus de 160 théâtres d'opérations extérieures. Pourtant, qui se
souvient du Tchad, du Liban, de Kolwezi ?
Comment sommes-nous passés du soldat inconnu aux soldats méconnus ?
Ce film s'interroge sur la disparition de la figure du soldat dans notre société et revient sur les causes de cette disparition, en revisitant cinquante ans d'histoire. Des soldats de tous rangs, qui ont participé à ces opérations et le font encore, nous parlent de leur engagement et des transformations majeures qui sont apparues au sein de l'armée depuis la fin guerre d'Algérie. Ce documentaire dévoile les nouveaux visages de la guerre et notre incapacité à la regarder en face."
Comment sommes-nous passés du soldat inconnu aux soldats méconnus ?
Ce film s'interroge sur la disparition de la figure du soldat dans notre société et revient sur les causes de cette disparition, en revisitant cinquante ans d'histoire. Des soldats de tous rangs, qui ont participé à ces opérations et le font encore, nous parlent de leur engagement et des transformations majeures qui sont apparues au sein de l'armée depuis la fin guerre d'Algérie. Ce documentaire dévoile les nouveaux visages de la guerre et notre incapacité à la regarder en face."
Voilà un documentaire -d'ailleurs rediffusé actuellement par France 2- des plus intéressants. Coproduit par l'ECPAD et l'INA, il fait appel aux témoignages de nombreux militaires, généraux, officiers, parfois hommes du rang. On note la présence parmi de noms assez visibles de la blogosphère militaire ou de défense : l'allié Michel Goya, bien sûr, mais aussi Rémy Porte, de Guerres et conflits.
Ce documentaire m'a plu à plusieurs titres. D'abord parce qu'il évoque, par exemple, les opérations menées par l'armée française au Tchad: Limousin (1969-1972), destinée à appuyer le président Tombalbaye contre le FROLINAT, et surtout Tacaud (1978-1980), où l'armée française a dû mener des combats au sol parfois très violents pour repousser le FROLINAT et ses différentes composantes, en passe d'emporter le régime du général Malloum. Mais c'est aussi, plus largement, une réflexion sur le rapport de la France, de sa société, à son armée.
Après les guerres de décolonisation et l'indépendance de l'Algérie (1962), la vision du soldat et de la guerre en France a en effet changé du tout au tout : les appelés qui ont combattu rentrent au pays considérés comme des perdants, ayant mené une "sale guerre", et ils n'ont guère le loisir de faire part de leur expérience -alors que beaucoup en ont besoin. La stratégie de la dissuasion nucléaire voulue par le général De Gaulle accélère un processus concomittant : l'armée française peut jouer de la carte atomique en cas d'agression. Parallèlement, les appelés vont garnir le dispositif européen prévu pour repousser un éventuel assaut des forces du Pacte de Varsovie -qui n'interviendra jamais, comme on sait. En revanche, pour mener les opérations extérieures, en particulier en Afrique, dans les anciennes colonies, le pouvoir privilégie les unités de volontaires, professionnelles -légionnaires en particulier, mais pas seulement. La tendance est déjà visible pendant l'opération Limousin et ne fait que se confirmer par la suite. En outre, la guerre ayant mauvaise presse, il s'agit de camoufler du mieux possible ces interventions, d'en parler le moins possible, quand on ne joue pas sur les mots pour masquer de véritables situations de conflit.
Avec l'engagement au Liban, c'est le début des opérations sous mandat de l'ONU, des "soldats de la paix". L'attentat contre le Drakkar, en 1983, ramène brutalement pour un temps les Français à la réalité. Mais ces missions d'un genre nouveau, qui perdurent encore aujourd'hui, conduisent à des situations proprement ubuesques, et tragiques, comme lors du conflit en ex-Yougoslavie. Le passage du documentaire sur cette dernière intervention et la parole des témoins évoquant la reprise du pont de Verbanja est particulièrement poignant. La chute de l'URSS et la fin de la guerre froide conduisent, in fine, à l'abandon du service militaire et à l'adoption d'une armée de métier, celle-là même qui menait les opérations extérieures et continue de le faire aujourd'hui -et qui se retrouve encore rognée, à tort, par le futur Livre Blanc. Pendant la guerre du Golfe, en 1990-1991, le président Mitterrand, de manière symbolique, avait déjà fait le choix de ne pas envoyer le contingent mais les unités professionnelles, annonçant la disparition du service militaire. Ce processus éloigne encore un peu plus l'armée française de la société, qui refuse pendant longtemps, à nouveau, de voir qu'une véritable guerre est menée en Afghanistan, du moins avant l'embuscade d'Uzbeen en 2008 -mais que reste-t-il de cet "électrochoc" aujourd'hui ? D'autant que, comme le présente le documentaire, le soldat est devenu, dans les médias, une victime, au même titre que des accidentés de la route ou les morts provoqués par une avalanche. C'est peut-être aussi, mais le documentaire ne le dit pas, que les politiques n'ont pas cherché véritablement à mobiliser la population et à faire comprendre les enjeux de ce qui est une vraie guerre. Certes, les impératifs de la sécurité nationale imposent des décisions rapides, mais il n'aurait peut-être pas été inutile de songer à un véritable débat national sur la guerre en Afghanistan. C'est peut-être faute de l'avoir fait que la population manifeste plutôt de l'indifférence, d'ailleurs, que de l'hostilité à notre engagement sur place. C'est la une des seules limites du documentaire : ne donner la parole qu'à des militaires, ce qui s'impose dans l'exercice, mais évite aussi de parler des responsabilités de l'armée elle-même par rapport à ces situations.
Une réalisation à voir, donc, ne serait-ce que pour entendre les témoignages de ces soldats français oubliés qu combattent à Ati, au Tchad, pour sauver le régime de N'Djamena... alors que les médias français se focalisent dans le même temps sur le saut du 2ème REP à Kolwezi. A l'heure de l'opération Serval, il est bon de se souvenir que la France a mené de vraies guerres en Afrique et ce depuis plus de 40 ans.