Les kamikazes utilisés par l'armée et la marine japonaise à partir d'octobre 1944 contre la flotte américaine ont marqué l'imagination des Occidentaux. Les pilotes ayant survécu à la guerre ont été très peu nombreux à faire part de leur expérience. C'est ce qui fait l'intérêt de ce témoignage, signé Ryuji Nagatsuka, comme le rappelle dans la préface l'as français Pierre Clostermann, qui tombe peut-être un peu trop sous le charme de cet étudiant devenu engin de mort au service de l'empereur, et qui a su réécrire sa propre histoire pour la magnifier.
Car Nagatsuka est un étudiant plutôt hostile aux militaires avant son incorporation dans l'armée, qui ne survient qu'à la fin de 1943. Avec certains de ses camarades, en tout cas c'est ce qu'il dit, il envisage même de biaiser pour échapper à cette mobilisation. On a à faire ici à un récit reconstruit -dans les discussions avec les autres étudiants, Nagatsuka intègre des données sur l'historique de la guerre du Pacifique qui n'étaient pas connues de la population japonaise et n'ont été rendues accessibles qu'après la guerre. On notera d'ailleurs que Nagatsuka cherche systématiquement à minimiser les crimes de guerre commis par l'armée japonaise : la terrible marche de la mort de Bataan aurait été ainsi presque plus dure pour les gardiens japonais que pour les prisonniers de guerre américains et philippins !
Résolu malgré son passé d'étudiant contestataire, amateur de français et de littérature hexagonale, à servir son pays, Nagatsuka choisit d'entrer dans l'aviation de l'armée de terre : il a été horrifié par la description des brimades subies par les recrues de l'infanterie qui lui a décrites un camarade rencontré par hasard dans le train. Il est alors formé au pilotage sur des appareils démodés relégués aussi à la défense du sol japonais, des Ki-27 Nate. Dès juin 1944, avec les premiers bombardements de B-29 sur le Japon après la prise des Mariannes, Nagatsuka rejoint une escadrille d'interception qui opère à la fois sur Ki-27 et sur chasseur bimoteur Ki-45 Toryu. Les deux mitrailleuses de 7,7 mm du Ki-27 ne sont que de peu d'utilité face aux B-29, ainsi que peut le constater le jeune étudiant. Malgré quelques vols sur Ki-45 et sur le chasseur Ki-43 Hayabusa, c'est pourtant sur Ki-27 que vole Nagatsuka jusqu'à la fin de la guerre.
Il ne cache rien des désastres subis par l'armée et la marine japonaise pendant sa formation de pilote : perte des Mariannes, désastre de la bataille de la mer des Philippines puis carnage sans nom lors du gigantesque affrontement à Leyte. Parallèlement, il se fait l'écho du terrible rationnement alimentaire subi par les Japonais et même par les forces armées, ainsi que de l'étranglement du Japon en raison du blocus naval et aérien -les appareils d'entraînement sont souvent maintenus au sol faute d'essence, quand ils n'utilisent pas un mélange dangereux dit A-Go, qui cause de nombreux accidents.
A partir d'octobre 1944, la marine impériale forme les premières unités d'attaque spéciale, mieux connus en Occident sous le nom de kamikazes, bientôt rejointe par l'armée de terre japonaise. Nagatsuka présente cette décision comme un véritable tiraillement pour certains amiraux qui en sont les inspirateurs, ce dont on peut légitimement douter. La peinture des volontaires pour les corps d'attaque spéciaux, dont il fait partie, est plus convaincante : les pilotes kamikazes ne sont pas forcés ni ligotés dans leurs appareils, mais une terrible pression s'exerce sur eux de la part de leur hiérarchie, liée au fonctionnement de l'armée et de la société, tout simplement. Les volontaires sont résignés mais s'interrogent beaucoup, aussi, sur le sens de leur action.
Nagatsuka, quant à lui, n'a jamais eu l'occasion de jeter son Ki-27 sur un porte-avions américain. Le 29 juin 1945, il prend l'air avec son escadrille mais le mauvais temps et l'absence de la flotte américaine désignée comme objectif le forcent faire demi-tour. Consigné au sol faute d'essence, rongé par le remords d'avoir échoué, il se jette à corps perdus le 12 août 1945, trois jours avant l'annonce de la reddition japonaise, avec son Ki-43 Hayabusa contre les appareils américains qui attaquent le Japon. Abattu et blessé, il termine la guerre à l'hôpital avant de rentrer chez lui.
Un récit intéressant sur le plan historiographique car il permet de saisir comment un ancien pilote kamikaze fait part de son engagement en réécrivant quelque peu les événements dans une optique nostalgique qui est celle majoritaire, en 1972 (date de parution initiale du livre), dans un Japon qui se trouve au sein du camp occidental pendant la guerre froide. Et ce alors même que les premières attaques contre un passé mal accepté font surface.