Le maréchal Joukov, l'un des artisans de la victoire soviétique durant la Grande Guerre Patriotique, reste assez méconnu du grand public français, bien que ses mémoires aient été rapidement traduites en français pendant la guerre froide. Récemment, l'historien Geoffrey Roberts lui a consacré une biographie, mais les travaux du genre se comptent sur les doigts d'une main.
Ce livre rassemble des extraits des mémoires de Joukov, traitant des quatre grandes batailles, les plus connues, qu'il dirigea pendant la guerre : la défense de Moscou, la défense puis la contre-offensive devant Stalingrad, la bataille de Koursk et l'offensive sur Berlin. A l'origine, il avait été édité en 1969 par Harrison E. Salisbury.
Cette nouvelle édition est préfacée par David M. Glantz, le grand spécialiste du conflit germano-soviétique et en particulier de l'Armée Rouge avant et pendant la guerre. Glantz rappelle combien les mémoires de Joukov sont fonction de querelles politiques -Joukov, banni par Staline après la guerre, est de ceux qui permettent à Khrouchtchev de s'imposer, avant que celui-ci ne le marginalise à son tour. Ces extraits sont issus d'articles publiés à la fin des années 1960 pour la revue du Ministère de la Défense soviétique. Bien entendu, le texte de Joukov comporte des omissions, des silences volontaires. Joukov n'évoque pas, ainsi, son rôle dans les nombreuses contre-attaques coûteuses lancées en différents secteurs du front à l'été 1941 (sud-ouest, Smolensk). Joukov reste associé, entre octobre 1941 et l'été 1943, au secteur central du front de l'est, celui considéré comme étant décisif. Il met au point l'opération Mars contre le saillant de Rjev, qui échoue lamentablement, et camoufle cet échec en diversion au service d'Uranus. En janvier 1943, Joukov se rallie à l'avis de Staline qui envisage une offensive sur tout le front, dans la foulée du succès à Stalingrad. Même au moment de la bataille de Koursk, à l'été 1943, Joukov ne perd pas de vue, selon Glantz, l'objectif central qui reste pour lui la destruction du Groupe d'Armées Centre allemand. Les opérations Koutozov, Roumantsiev et ensuite sur le Dniepr portent clairement sa marque. Il n'évoque pas non plus l'opération ratée contre Iassy au printemps 1944. Après le succès de l'opération Bagration, il prend la tête du 1er front de Biélorussie pour la grande offensive Vistule-Oder de janvier 1945. Il ne parle pasde la compétition pour la prise de Berlin avec Koniev, ni des difficultés survenues pendant cette dernière bataille, mais cherche par contre à répondre des accusation selon lesquelles la guerre aurait pu être terminée par une ultime poussée sur Berlin dès février 1945.
Les extraits choisis montrent que Joukov a été profondément marqué par la défense de Moscou, sur laquelle il s'attarde beaucoup, et par la bataille de Stalingrad. S'il expédie assez vite il est vrai l'échec de l'opération Mars, Joukov reconnaît ne pas avoir suffisamment pris en compte la topographie et ne pas avoir correctement préparé les appuis. Son silence est donc tout relatif et il faut replacer cette mystification dans ses bonnes proportions... dans le récit de la bataille de Koursk, Joukov fournit de nombreux détails sur la préparation défensive soviétique et explique pourquoi le front de Voronej eut plus de difficultés par rapport au front Central. Pour la bataille de Berlin, description qui inclut aussi l'opération Vistule-Oder, Joukov règle surtout des comptes avec Tchouïkov qui soutient mordicus après la guerre qu'une occasion unique de prendre Berlin a été manquée en février 1945, avant le virage à droite sur la Poméranie.
Bien que trop peu illustré et manquant de cartes, voici une compilation intéressante pour avoir la vision critiquée par un spécialiste de la Grande Guerre Patriotique par l'un des principaux acteurs du succès soviétique.