Je remercie les éditions Argos pour cet envoi.
Stéphane Ferrard, journaliste, écrit notamment dans les magazines DSI et Histoire et Stratégie. Sans peut-être aller jusqu'à dire qu'il est "unique en son genre", comme l'auteur le fait dans l'avant-propos, il faut reconnaître que l'histoire des blindés français n'a pas passionné les historiens, y compris militaires. Stéphane Ferrard cherche surtout à remettre à l'honneur la contribution française dans la naissance et le développement des engins blindés, une tradition qui s'exprime aujourd'hui à travers leLeclerc ou le nouveau VBCI.
Le plan de l'ouvrage, chronologique, se découpe en 5 parties. Dans la première (1902-1918), l'auteur montre comment la France a bien créé le char à tourelle et non pas le canon d'assaut que sont, de fait, les blindés britanniques de la Grande Guerre. C'est l'avènement de l'automobile qui suscite l'intérêt de l'armée française, avant 1914, pour les engins motorisés, automitrailleuses en particulier. Le début du conflit donne cependant lieu à des expédients, comme les "torpilleurs à roulettes" de Galliéni. Avec la guerre de tranchées, le besoin de surmonter ces obstacles et les réseaux de fil de fer conduit à envisager l'utilisation d'engins chenillés. Le colonel Estienne théorise l'emploi de ces engins, et, non sans mal, contribue à la mise au point des chars Schneider puis FT, ce dernier étant véritablement le "char de la victoire". Estienne réfléchit aussi à un engin plus lourd mais la fin de la guerre interrompt brutalement le processus d'expérimentation.
La deuxième partie (1919-1940) montre comment l'expérience française de la Première Guerre mondiale s'essoufle pendant l'entre-deux-guerres, mais n'est pas perdue pour d'autres -Stéphane Ferrard oubliant le rôle important des Soviétiques, au passage. Dans les années 20, l'armée française envisage, comme le général Fayolle en 1919, l'emploi d'avant-gardes motorisées rapides, de véritables groupements mobiles. L'idée d'Estienne d'un corps blindé autonome est reprise et même testée par l'armée du Rhin, ces manoeuvres montrant déjà, entre 1925 et 1928, les carences françaises qui seront celles de 1940 (chars trop lents, artillerie immobile, manque de canons automoteurs et de DCA, de tranmissions, d'entraînement). La cavalerie se motorise cependant pour pouvoir manoeuvrer dans l'espace belge et donne naissance aux DLM. Le char reste cantonné au rôle de soutien d'infanterie, même si le char de bataille, qui donne naissance aux B1bis, doit éliminer les chars adverses. Les divisions cuirassées de réserve ne sont organisées que trop tard et leur composition est incomplète. Les blindés français sont correctement blindés et bien armés, mais restent trop lents, gourmands en essence, munis d'un tourelle monoplace et dépourvus de radios. On ne s'étonne pas que les DLM aient mieux tenu pendant la campagne de 1940 que les DCr, qui sont en plus engagées dans de mauvaises conditions, en tronçons, on dispersées en "bouchons antichars".
Dans la troisième partie (1940-1960), le propos porte surtout sur le camouflage du matériel et la production clandestine par les autorités jusqu'en novembre 1942 et l'invasion de la zone Sud par les Allemands. Ce qui n'empêche pas Vichy de collaborer avec les nazis pour mettre au point de modèle de char SOMUA jamais utilisé car déjà obsolète. L'armée d'Afrique du Nord est ensuite rééquipée avec du matériel américain, dont le M4 Sherman que des ingénieurs français expatriés dès 1940 ont peut-être aidé à mettre au point (pour le canon en tourelle en particulier). A la Libération, l'industrie blindée repart en puisant dans l'expérience et le matériel allemands. L'AMX-50, char lourd, reste à l'état de prototype, mais la France met au point l'AMX-13, véritable succès, y compris à l'exportation, et l'EBR Panhard qui marque des générations entières de tankistes.
Le quatrième chapitre (1960-1990) fait entrer les enjeux de la guerre froide : à l'heure du champ de bataille nucléaire, le besoin de nouveaux engins se fait sentir. L'AMX-30B2 reste le Main Battle Tank français jusqu'à l'apparition du Leclerc : il rend en précision ce qu'il perd en protection comparé au M-1 américain ou au Léopard allemand. Le char est décliné en de multiples versions connexes -automoteur d'artillerie, antiaérien, etc. Pour l'accompagner sont également mis au point le véhicule de combat AMX-10RC, le VAB, véritable succès avec plus de 4 000 exemplaires livrés, et l'ERC 90 Sagaie, qui fait ses preuves en OPEX. Tous ces véhicules s'imposent alors que l'URSS est au bord de l'effondrement et que la guerre pour laquelle ils avaient été conçus va plus ou moins disparaître.
Dans un dernier temps (1990-2012), Stéphane Ferrard décrit l'arrivée du Leclerc (finalement livré en 1992 à seulement un peu moins de 400 exemplaires, circonstances géopolitiques et financières obligent). Les AMX-10RC, VAB et ERC 90 sont revalorisés pour durer. Le nouveau VBCI est un véhicules à roues, préférées désormais à la chenille (meilleure résistance aux mines en particulier). Le VBL, tardivement apparu, et qui a fait ses preuves lui aussi, doit maintenant être remplacé tout comme le sont actuellement les véhicules légers P4.
En conclusion, Stéphane Ferrard rappelle le rôle de pionniers des Français en matière de chars et ce dès la Grande Guerre, le colonel Estienne envisageant déjà le corps blindé autonome. On sait comment l'expérience ne fut pas prolongée : choix d'une guerre défensive et d'un char qui accompagne d'abord l'infanterie. On n'est pas forcément obligé d'être d'accord, cependant, avec l'idée selon laquelle la défaite de 1940 aurait fait naître chez nous un "complexe d'infériorité". Pour l'auteur, la production blindée française reste actuellement excellente, mais les matériels vieillissent faute de planification budgétaire adaptée. On peut se dire que c'est peut-être la raison principale, effectivement, mais pas la seule raison.
Au final, que penser de ce petit opuscule ? En 150 pages environ, on a l'essentiel sur l'histoire des blindés français, avec une part plutôt équilibrée entre description et analyse, qui varie selon les chapitres. Un petit livret photo couleurs au centre présente certains des matériels, malheureusement pas tous ceux évoqués. En revanche, il n'y a pas de bibliographie indicative en fin d'ouvrage, même si quelques références (souvent anciennes) sont citées au fil du texte ou dans quelques notes, ainsi que des travaux de l'auteur, dans les magazines auxquels il contribue. A certains moments du livre, d'ailleurs, certaines formules laissent peut-être penser que des morceaux sont repris de ces travaux. C'est un peu dommage de ne pas avoir quelques pistes pour creuser si on le souhaite. Autre petit défaut : ce parti pris qui consiste à vouloir systématiquement revaloriser la contribution française au développement des chars. L'intention est louable mais finit par envahir un peu trop le propos à certains moments. Enfin, le livre est à 15 euros pièce, ce qui apparaît un peu cher : certes l'ouvrage est fort utile, mais à ce prix-là, il est probable que certains seront dissuadés de l'acheter. Vu le format, grosso modo celui d'un Que-Sais-Je, et le contenu, on aurait plutôt attendu 9-10 euros.