Nicolas Pontic est le rédacteur-en-chef du magazine 2ème Guerre mondiale, pour lequel j'ai travaillé comme pigiste pendant quelques années. Je connais donc l'auteur du livre, que je sais intéressé par le front de l'est ; j'apparais d'ailleurs dans les remerciements p.293 car j'ai fourni quelques références qui sont présentes dans la bibliographie. Ce qui ne m'empêche pas d'avoir aucun parti pris : je fais une fiche de lecture, point barre.
Nicolas Pontic consacre ce volume de la collection L'histoire en batailles de Tallandier à Koursk. Mais il n'est pas le premier à écrire en français sur ce sujet puisque Jean Lopez est passé par là, d'abord avec son premier ouvrage en 2008 qui a lancé sa carrière éditoriale puis une réédition en 2011 -que j'ai relue pour l'occasion. La comparaison s'impose donc inévitablement.
L'introduction de Jean Lopez (qui n'a pas changé d'une édition à l'autre) était fort peu modeste, prétendant démonter les "légendes" autour de la bataille de Koursk, légendes déjà déconstruites de 5 à 15 ans avant la parution de son ouvrage, notamment par des historiens et auteurs anglo-saxons. Celle de Nicolas Pontic est plus humble puisque l'auteur rappelle que le terrain a été défriché avant lui -y compris par Jean Lopez, qu'il cite. La présentation historiographique de la bataille est dans l'introduction chez Nicolas Pontic alors qu'elle est reportée en fin d'ouvrage chez Jean Lopez. Elle est plus rapide, vu la différence de taille entre les deux ouvrages, mais pas forcément inefficace. A noter d'ailleurs que l'auteur cite V. Zamulin, historien russe spécialiste de la bataille de Koursk et traduit en anglais depuis quelques années, et le deuxième ouvrage de George Nipe, ancien membre du courant révisionniste sur la bataille. Curieusement, Jean Lopez n'a pas utilisé dans sa réédition parue en 2011 le deuxième ouvrage de G. Nipe paru en 2010, et n'a pas pu utiliser celui de Zamulin dont l'ouvrage a été traduit juste après la réédition du Koursk. Ce faisant Jean Lopez ne peut pas jouer son rôle de compilateur jusqu'au bout, puisqu'il manque des références secondaires.
Le premier chapitre du livre est consacré au contexte militaire, politique et diplomatique qui conduit les Allemands à déclencher l'opération Zitadelle et à la réaction des Soviétiques, qui de leur côté font le choix de la défensive suivie de la contre-offensive. Nicolas Pontic évoque aussi dans ce chapitre les sources du renseignement soviétique, que Jean Lopez reportait là aussi en fin d'ouvrage. Il est plus court mais plus efficace aussi car il a lu l'ouvrage de Wilhelm von Schramm, paru dès 1967 et traduit en français deux ans plus tard : dès 1969, cet ancien officier allemand de l'OKW démonte le mythe du traître Werther, invention de l'espion Rössler. Comme quoi tout n'est pas à jeter dans les écrits des mémorialistes allemands de l'après-guerre, ou assimilés. Jean Lopez, qui ne tranche pas définitivement sur Werther, n'a manifestement pas lu cet ouvrage. Globalement donc la question du renseignement est mieux traitée chez N. Pontic, bien que de manière plus concise. Il faut relever toutefois que N. Pontic ne consacre que 40 pages à l'ensemble, là où Jean Lopez en a 75. Ce dernier est aussi mieux servi par des cartes plus nombreuses ; son texte est plus dense, plus fouillé. C'est qu'il pioche dans des sources secondaires qu'il ne cite qu'assez peu, par exemple sur la renaissance de l'aviation soviétique ou l'action de celle-ci et des partisans pour gêner l'opération Zitadelle (je précise que le livre de Jean Lopez inclut des notes de bas de page, alors que celui de Nicolas Pontic non).
Sur la présentation des forces, qui occupe pourtant 100 pages environ dans le livre de Nicolas Pontic, l'avantage est sans doute au livre de Jean Lopez, plus détaillé sauf sur certains aspects (Nicolas Pontic explique davantage les évolutions de l'artillerie soviétique ou la création des points antichars dans la défense de l'Armée Rouge). Il manque chez Nicolas Pontic l'épisode des combats aériens de Taman pour expliquer le renouveau des VVS, et des pages que Jean Lopez consacre aux questions débattues sur les dispositifs allemand et soviétique (dissymétrie nord/sud de chaque côté). Notons toutefois que du côté soviétique, Jean Lopez, qui n'a pas eu accès aux derniers travaux de V. Zamulin, ne peut pas prendre en compte l'hypothèse de ce dernier sur le dispositif conçu par Vatoutine, qui explique peut-être en partie le déroulement de la bataille, de même que les réflexions du même historien (qui travaille à partir d'archives russes déclassifiées) sur les troupes à disposition de Vatoutine, qui n'étaient pas sans lacune (encadrement, emploi des blindés, personnalité même de Vatoutine et son style de commandement). Les deux auteurs par contre se rejoignent dans leur description de l'art opératif soviétique, mais aucun n'en voit les limites, par rapport déjà aux conceptions des années 30, soulignées par certains historiens depuis les années 1990. Jean Lopez est encore une fois mieux servi par les cartes, mais là encore son texte, dense, ne cite pas toutes ses sources secondaires où il puise abondamment.
Le livre de Nicolas Pontic ne consacre que 80 pages environ à la phase offensive allemande de la bataille (40 pages pour la pince nord, 35 environ pour la pince sud, ce qui peut sembler curieux). L'auteur aurait peut-être gagné à sacrifier des pages dans la présentation des forces. Faute de place, il propose des analyses parfois différentes de Jean Lopez, par exemple en insistant davantage sur le déroulement de la bataille de Ponyri. Chez Jean Lopez, le récit de la bataille occupe également 80 pages, mais plus denses. Cependant le texte est moins descriptif et mieux servi par les cartes (du moins pour la pince sud) : l'auteur prend le temps d'expliquer certains points débattus (effets de la contre-préparation d'artillerie soviétique au début de la bataille, emploi de l'aviation qui chez lui avait été un peu oublié en 2008 et a donc été rajouté en 2011, etc). Mais là encore les sources sont peu citées. C'est surtout sur la pince sud que l'écart et le plus important car Jean Lopez y consacre 50 pages, bien servies par de nombreuses cartes. On suit beaucoup mieux les intentions et les mouvements des deux acteurs. Jean Lopez, qui n'a pas lu Zamulin, pense cependant comme lui que Hoth avait anticipé le combat de rencontre de Prokhorovka avant Zitadelle (le seul témoignage qui semble valider cette théorie est cependant d'après-guerre, de Fangohr, le chef d'état-major de Hoth, ce qui le fragilise un peu, d'autant qu'il n'est pas recoupé) mais ne sent pas que c'est aussi le plan de Vatoutine, dont Zamulin a proposé tout récemment une nouvelle interprétation, qui a peut-être conduit à l'affrontement de Prokhorovka. De la même façon, Jean Lopez ne reste que superficiel dans son récit de la construction du mythe de Prokhorovka par les Soviétiques (là encore Zamulin a commis un excellent article il y a quelques années dans la revue de Glantz) et n'a pas connaissance des dernières évaluations chiffrées sur le nombre de chars alignés par l'Armée Rouge durant la bataille -sans compter qu'il s'en tient toujours au premier livre de Nipe, et pas au second (Nipe y explique sa sortie du courant dit "révisionniste", en arguant qu'au vu des réserves soviétiques, il était impossible pour les Allemands de l'emporter).
Les deux auteurs ne consacrent que 20 pages chacun, environ, à la contre-offensive soviétique (Koutouzov et Roumantsiev). Côté Nicolas Pontic, cela confirme le sous-titre du livre qui avec les dates indiquées englobait la définition soviétique de la bataille, jusqu'à la reprise de Kharkov (comme chez J.Lopez). N. Pontic ne peut malheureusement que survoler les deux opérations, là où Jean Lopez, dès la fin du chapitre sur la pince sud, évoquait les diversions soviétiques sur le Mious et à Izyum. Par ailleurs, à partir de ce moment-là, il n'y a plus de cartes chez Nicolas Pontic, alors qu'il y en a chez Jean Lopez, qui peut se permettre, vu la place, d'être plus fouillé -sans beaucoup citer ses sources, de nouveau.
En conclusion, Nicolas Pontic estime que le bilan des pertes ne permet pas de différencier vraiment vainqueur et vaincu. Au niveau stratégique, il pense qu'elle fait bien partie des batailles ayant grandement affaibli l'Allemagne. Sur le plan tactique et opératif, on constate davantage les progrès soviétiques, qui sans être définitifs, empêchent les Allemands de passer. La Wehrmacht reste un adversaire redoutable, mais l'Armée Rouge la rattrape petit à petit : telle semble être la conclusion de N. Pontic. Dans son livre, J. Lopez consacre près de 50 pages au débat et à l'historiographie. Sur les pertes, il est plus détaillé et plus tranché : pour lui, les pertes allemandes subies durant l'ensemble de la bataille (phase défense + contre-offensives soviétiques) ont brisé l'équilibre restauré péniblement avant Zitadelle. Sur les idées reçues, Jean Lopez ne fait que reprendre ce qui a déjà été dit par d'autres -et encore pas complètement, puisque la compilation de sources secondaires n'est pas parfaite, comme le montre l'exemple du renseignement. Sur la place de la bataille dans le conflit, Lopez ne tranche pas immédiatement puisqu'il doit aligner 5 facteurs pour tenter de trouver celle-ci. Il conclut toutefois que la bataille est bien l'une des 3 ou 4 qui ont compté dans la défaite de l'Allemagne nazie : peut-être ne réfléchit-il pas assez (mais on peut le dire aussi du travail de Nicolas Pontic) sur la question de l'initiative. Les Allemands ont-ils vraiment reconquis l'initiative stratégique après le succès à Kharkov (où les pertes ont parfois été lourdes, notamment chez les Waffen-SS) ? Il ne faut pas oublier que l'Armée Rouge fait le choix de la défensive, et non de l'offensive : les choses auraient pu être bien différentes sinon.
Nous sommes donc en présence de deux ouvrages bien différents : d'un côté, un compilateur qui prétend résumer pour le lecteur français les acquis de la recherche étrangère sur le sujet, mais qui n'est pas exhaustif sur les sources secondaires à défaut d'avoir consulté les sources primaires, et qui se place rapidement dans une posture de journaliste "briseur de mythes" déjà démontés par d'autres. De l'autre côté, une synthèse honnête, sans prétention, sans doute moins exhaustive, et qui a le mérite dans ses dernières lignes d'appeler à ce qui nous semble être la solution indispensable : qu'un historien fasse enfin une "histoire totale" de la bataille de Koursk. Car celle-ci attend plus que jamais son historien. Au néophyte, je conseillerai donc l'ouvrage de N. Pontic ; à ceux qui connaissent déjà un peu le sujet, l'ouvrage de J. Lopez ; mais quand on commence à connaître par soi-même le sujet, en épluchant la littérature secondaire et spécialisée, on aura vite fait de cerner les limites du propos de ce dernier.