Pierre Bouet, maître de conférences honoraire à l'université de Caen, était un professeur de latin médiéval. Aujourd'hui à la retraite, et en tant que spécialiste des historiens normands et anglo-normands du milieu du Moyen Age, il se consacre à l'écriture. Son Hastings, déjà paru chez Tallandier, était une synthèse de bonne facture.
Ici, Pierre Bouet s'attaque à une figure de l'histoire normande : Rollon, le fondateur du duché de Normandie. Problème : les sources sont plus que ténues. Les chroniqueurs de l'Eglise qui rédigent après les faits sont très hostiles aux Vikings devenus Normands. L'historien doit surtout éplucher l'oeuvre de Dudon de Saint-Quentin, dont l'Histoire des Normands est une apologie de la dynastie, tout comme Guillaume de Jumièges qui le suit chronologiquement. Les traces archéologiques étant faibles, l'historien ne peut qu'utiliser d'autres sciences auxiliaires comme l'anthropologie et la toponymie.
C'est pourquoi le travail est plus une mise en contexte du personnage, sur lequel on sait finalement peu de choses, qu'une véritable biographie. Le premier chapitre explique le déroulement des raids vikings sur l'Occident, le monde des vikings, les causes de leurs attaques et leurs tactiques, ce qui occupe un bon tiers du livre. Dès la page 25 apparaît la première carte : le livre est illustré au fil du texte (comme avec les dessins des navires vikings p.39) ce qui est excellent.
Le deuxième chapitre tente de dresser les origines de Rollon. Pierre Bouet penche pour l'hypothèse norvégienne : Rollon aurait été le fils d'un puissant jarl de la région de Trondheim, proche du roi Harad à la Belle Chevelure, mais Rollon aurait été banni par le souverain. Né dans les années 850-860, le banni se serait réfugié dans les îles au nord de l'Angleterre, avant de passer sur celle-ci. Il aurait ensuite mené des expéditions en Frise et en Lotharingie avant de s'installer en Neustrie, en 876 selon Dudon, mais cette date pose des problèmes de cohérence avec d'autres sources : tout au plus sait-on qu'il y est présent assez tôt, il aurait participé au grand raid sur Paris de 885-888. Il aurait mis à sac la ville de Bayeux et trouvé sa femme "more danico", Popa. Après une expédition en Angleterre, il revient dévaster le centre de la France. C'est là que Rollon subit une sévère défaite, à Chartres.
Le traité de St-Clair sur Epte, qui donne naissance au duché de Normandie, est un processus plus complexe que ne le laisse paraître Dudon. Les deux camps sont épuisés : le roi Charles le Simple cherche surtout à fixer un chef de bande qui serait capable de contrôler ses semblabes, la manoeuvre est donc politique. Pour Pierre Bouet, ce ne sont pas tant les deux chefs que leurs dépendants qui ont poussé à un accord, de chaque côté. Les deux camps se connaissent bien : les Vikings de Rollon sont depuis longtemps présents en Neustrie et ils ne leur manquent plus, finalement, qu'une terre où s'installer. Le traité s'accompagne de la christianisation des Vikings, processus là encore compliqué. La colonisation se fait par vagues successives après le traité, avec aussi bien des Danois que des Norvégiens. La plupart sont en fait venus non de Scandinavie mais d'Angleterre, d'Irlande ou d'Ecosse où ils étaient déjà installés. Malgré la proximité avec l'archevêque de Rouen, la tradition nordique se maintient dans le droit de la mer, le droit pénal et le droit de la famille. La Normandie s'étend d'abord pour correspondre à la province écclésiastique de l'archevêché, ce qui est fait dès 933. Rollon installe un pouvoir fort qui est quasiment l'équivalent de celui du roi carolingien. Il est comte de Rouen, prince des Normands, avant de devenir marquis sous Louis IV et duc avec Hugues Capet. Rollon se veut le restaurateur de l'ordre public. Il procède au partage des terres, à la restauration des églises. Rollon meurt en 932-933 : son fils Guillaume Longue-Epée, qu'il avait associé au pouvoir, lui succède.
Dudon de Saint-Quentin réalise une oeuvre de commande : il faut réhabiliter l'image du Normand qui passe toujours pour un pirate. Dudon voit dans les Vikings le châtiment envoyé par Dieu pour l'impiété des Francs. En outre il se sert des procédés de la littérature antique. Aussi Dudon fait-il de Rollon un descendant des Troyens, comme c'est souvent la mode à l'époque dans les grandes familles dirigeantes ; il est élu de Dieu qui lui envoie des visions. Son baptême le transforme en bon chrétien. Son fils Guillaume intègre les Normands au christianisme. Richard Ier joue le rôle du martyr. Ainsi, par un chemin tortueux, les Vikings s'intègrèrent durablement au monde carolingien : le duché prospère jette les bases de l'expansion ultérieure.