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Paul CLAVAL, Histoire de la géographie, Que Sais-Je, Paris, PUF, 2011 (4ème éd.), 128 p.

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On ne présente plus Paul Claval, célèbre géographe français qui a largement contribué à modifier l'appréhension de cette discipline en France, depuis plusieurs décennies.

Claval est également un des spécialistes de l'historiographie de la géographie. Comme il le dit lui-même dans l'introduction de son Que Sais-Je, se pencher sur l'histoire de la géographie comme discipline scientifique, c'est faire un effort de décentrement. Géographie pratique et géographie scientifique ne sont pas antinomiques. La seconde s'est construite depuis l'Antiquité. Elle situe les observations et repère leurs positions relatives ; elle décrit les réalités concrètes du paysage ; elle reporte ses résultats sur des cartes, qui peuvent se lire à plusieurs niveaux ; elle corrige les fausses perceptions individuelles ou collectives ; elle s'inscrit dans un contexte intellectuel, politique et administratif à chaque époque.

La géographie naît au VIème siècle av. J.-C. en Grèce antique. Les Grecs sont surtout intéressés par la description de la Terre habitée. Plus tard, Eratosthène et Hipparque bâtissent les premières cartes, à une époque où l'on considère la Terre comme une sphère. Strabon réalise une géographie régionale tandis que Ptolémée et Denys d'Alexandrie résument le savoir acquis et donnent ainsi un cadre théorique qui manque par exemple aux géographes chinois de la même époque. La géographie décline au Moyen Age occidental alors qu'elle explose dans l'islam médiéval, avec Ibn Battuta et surtout Ibn Khaldoun. Les progrès de la navigation, la traduction de Ptolémée et les Grandes Découvertes relancent la géographie en Europe. La Renaissance remet à l'honneur la cartographie et fait de la géographie une science indispensable.


 

L'Etat moderne, avec ses guerres et son administration, nécessite une géographie véritablement scientifique. La France de Louis XIV est d'ailleurs la première à lancer une expérience de cartographie à l'ensemble d'un pays. Les cartes marines progressent et la géographie physique se renouvelle de par l'intérêt porté aux sciences naturelles. Rousseau réhabilite l'expérience de terrain, Turgot réfléchit à une géographie politique. Kant affirme que la géographie doit saisir la différenciation régionale de la Terre ; pour Herder, elle doit au contraire expliquer l'histoire de chaque peuple et la marche vers le progrès.

Au XIXème siècle, les transformations économiques et sociales conduisent aussi à l'institutionnalisation de la discipline. Pourtant, Alexandre de Humboldt, grand voyageur naturaliste, rattache plutôt la géographie aux sciences naturelles que sociales. Carl Ritter prolonge les réflexions de Herder et installe une certaine téléologie de la géographie. La parution du De l'origine des Espèces de Darwin et l'exploration du monde, pour les conquêtes coloniales, rendent plus que nécessaire l'évolution de la discipline. Friedrich Ratzel entame la géographie humaine mais dans une perspective qui se rapproche au départ d'un darwinisme social.

Avec la construction des nations en Europe, la géographie prend diverses formes. Celle physique se divise en plus sous-écoles, écologique ou thématique. L'Ecole allemande se construit avec la construction nationale, ce qui explique un penchant pour l'étude du paysage et une association précoce avec la révolution conservatrice. Son association avec le nazisme la discrédite après 1945. L'Ecole française est marquée par Elisée Reclus, grand spécialiste de la description aux idées parfois à contre-temps, et par Vidal de La Blache, qui en s'inspirant des Allemands, jette les bases de la discipline universitaire et lance les thèses régionales de description des milieux habités par l'homme. La géographie américaine connaît des hauts et des bases, sans pouvoir atteindre l'influence des deux autres.  Les géographies économique et politique sont négligées comme toute la géographie humaine. Les études urbaines sont d'ailleurs surtout le fait d'historiens et de statisticiens.

Ce n'est qu'après la Seconde Guerre mondiale que le contexte change pour la géographie. La discipline, renouvelée par un apport surtout anglo-saxon, passe dès le début de la décenie 1970 à la "Nouvelle géographie". Inspirée par l'économie spatiale, elle se heurte pourtant à une farouche résistance de la géographie traditionnelle et tombe vite en déclin. C'est pourtant là que la géographie devient vraiment une science sociale ; la géographie physique d'ailleurs décline également.

Dès les années 1970, de nouvelles orientations se font jour. La critique des injustices sociales a le vent en poupe. La géographie dite humaniste, la géographie du temps, et même la géographie politique, avec en France Yves Lacoste, reviennent sur le devant de la scène. Le postmodernisme, le postcolonialisme stimulent le renouveau de la géographie. Un tournant culturel a lieu entre 1995 et 2000.

Aujourd'hui, les géographes font face à la globalisation, s'intéressent aux questions d'identité, à la crise des idéologies politiques, à l'équilibre des dissuasions entre Etats, à la crise de l'environnement global. La géographie est devenue plus modeste. C'est une introduction aux sciences de l'homme.




Parution : Les guerres du Tchad 1969-1987, Lemme Edit/Illustoria, 31 décembre 2014

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Certains s'en doutaient un peu, je confirme : le 31 décembre prochain paraît aux éditions Lemme Edit/Illustoria mon deuxième ouvrage en date, Les guerres du Tchad 1969-1987.

C'est un court ouvrage (moins d'une centaine de pages) qui se présente avant tout comme une synthèse des conflits au Tchad entre 1969 et 1987, c'est à dire ceux marqués notamment par l'intervention française. Néanmoins, j'équilibre le point de vue avec les acteurs tchadiens, la Libye, etc. Le livre permet de balayer l'ensemble des conflits au Tchad depuis l'indépendance et jusqu'en 1987, mais vu sa taille, il ne faut pas chercher un ouvrage exhaustif : néanmoins il permet d'avoir sous la main un outil de travail sur ces conflits.

Par rapport à mon premier ouvrage sur l'offensive du Têt, pourtant plus long, j'ai intégré cette fois des notes de bas de page, et les références restantes sont indiquées en bibliographie. Vu le format, celle-ci est loin d'être exhaustive et j'espère pouvoir un jour revenir sur ce sujet plus longuement.

Comme les remerciements ont malheureusement "sauté", faute de place, je tiens à remercier ici, à divers titres, Arnaud Delalande, Yves Trotignon, Eric Le Goff, Patrick Rozes, David François, Adrien Fontanellaz et Albert Grandolini. Merci enfin à mon épouse pour sa patience pendant l'écriture de cet ouvrage et sa contribution à la relecture.

Comme pour L'offensive du Têt, j'ai créé une page Facebook pour la promotion du livre et pour accompagner la parution par des compléments et autres ajouts utiles, vous pouvez la suivre au besoin. Bonne lecture !

David L. ANDERSON, The Columbia Guide to the Vietnam War, Columbia University Press, 2002, 308 p.

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David L. Anderson est un historien américain, professeur à l'université de Californie, et spécialiste de la guerre du Viêtnam, sur laquelle il a écrit plusieurs ouvrages de référence. Il a enseigné à l'université d'Indianapolis entre 1981 et 2004. Le guide de l'université de Columbia, paru en 2002, est l'une de ces références, écrite par un historien qui a lui-même été décoré de la Bronze Star pour son service actif au sein de l'US Army au Viêtnam.

Ce guide se divise en plusieurs parties. La première, qui occupe les 80 premières pages, est une histoire résumée du conflit, de ses origines à la mémoire de la guerre. Anderson insiste sur l'histoire longue du Viêtnam et sur l'effet destructeur pour la société viêtnamienne du colonialisme français. Il met en évidence la montée parallèle du nationalisme et du communisme au Viêtnam à l'époque coloniale. La politique américaine est largement influencée par la politique de la "porte ouverte" en Asie au début du XXème siècle, par l'internationalisme wilsonien, le souvenir brûlant de Munich, la victoire de la Seconde Guerre mondiale et la doctrine Truman, qui vont modifier la perception stratégique du Viêtnam pour les Etats-Unis. Pour l'historien, le Viêtminh a su jouer de sa position pour s'imposer face aux Français qui ont multiplié les erreurs ou les maladresses. L'Indochine est importante pour les Américains en raison de la guerre froide, de la géopolitique asiatique et de motifs économiques. Si Eisenhower finance la guerre française mais n'intervient pas à Dien Bien Phu, c'est parce que la conférence de Genève semble offrir une alternative à l'intermédiaire français. Les Américains poussent Diêm mais se retrouvent pris de cour par les ambitions du personnage, et se sentent obligés de le soutenir sur le plan militaire pour éviter une répétition du scénario coréen, probable à leurs yeux, au détriment des réformes intérieures. Le Front National de Libération, formé en décembre 1960 à l'initiative du Nord-Viêtnam, répond cependant à une demande pressante des sudistes. Kennedy reprend la politique d'Eisenhower et l'amplifie, augmentant l'aide militaire notamment en 1962, après l'accord de neutralité au Laos : or l'ARVN montre des carences, Diêm se met à dos les bouddhistes, ce qui explique son assassinat auquel les Américains ne s'opposent pas en novembre 1963 durant un coup d'Etat. La mort de Kennedy ne remet pas en question la politique de ce dernier. Johnson ne veut pas être le président de la guerre mais veut contraindre le Nord-Viêtnam à cesser d'intervenir au Sud. L'incident du golfe du Tonkin lui donne autorité pour mener sa guerre, mais il est contraint, poussé par ses conseillers, d'engager les troupes américaines au sol après l'échec de l'option aérienne. Johnson instaure la conscription, cependant inégale et sélective : elle concerne surtout les classes pauvres de la société américaine, et au début les Afro-Américains, très représentés dans les unités régulières qui sont les premières engagées. Westmoreland choisit une stratégie d'usure, définie par le fameux "body count". La pacification reste secondaire. Les soldats américains font en fait face à une diversité de théâtres d'opérations au Sud-Viêtnam : mais la puissance de feu, les pièges et les atrocités sont des caractéristiques communes sur tout le territoire. Si le Nord-Viêtnam et le Viêtcong tiennent, c'est parce qu'ils sont engagés dans une guerre totale face à des Etats-Unis cherchant à conduire une guerre limitée. L'offensive du Têt en 1968 achève de retourner l'opinion américaine contre la guerre, car elle fracasse le discours politique et militaire qui annonce une fin prochaine de l'intervention. La contestation, née dès 1965, enfle aux Etats-Unis et les médias sont désormais très critiques. Johnson choisit de stopper l'escalade et de ne pas se représenter, alors que le camp démocrate est déchiré par la guerre : à la fin de l'année 1968, le républicain Nixon remporte avec une courte avance l'élection présidentielle. Nixon choisit la "viêtnamisation" mais dans le même accentue les bombardements et n'hésite pas à faire envahir le Cambodge en mai 1970, ce qui relance la contestation aux Etats-Unis. Parallèlement les négociations achoppent en raison des réticences du Sud-Viêtnam, qui bloquent encore la conclusion en 1972, alors que le Nord est disposé à négocier après l'opération Linebacker I en réponse à son offensive de Pâques au Sud. Les accords de Paris prévoient, côté sud-viêtnamien, le maintien des troupes du Nord au Sud, mais le président Thieu a reçu la garantie de Nixon d'une intervention américaine en cas d'assaut de Hanoï. C'est pourquoi il passe à l'offensive peu de temps après. Or ce soutien américain est compromis par la chute de Nixon et le retournement de l'opinion et du monde politique aux Etats-Unis. L'ultime offensive du Nord progresse bien plus rapidement que prévu au printemps 1975 et aboutit à la chute de Saïgon. La guerre connaît une prolongation au Cambodge voisin. Aux Etats-Unis, les vétérans peinent à se réintégrer face à une société qui les ignore pour oublier la défaite. La fiction s'empare du conflit dès la fin de la décennie 1970. En politique, le "syndrome viêtnamien" reste bien présent, montrant que le consensus de la guerre froide qui avait permis de placer les troupes américaines au Viêtnam n'existe plus.

La deuxième partie du livre, sur les 90 pages suivantes, est un lexique alphabétique renvoyant aux mots placés en gras dans le texte de la première partie. On y trouvera le minimum sur les personnages, les organisations, les faits ou thèmes importants relatifs à la guerre du Viêtnam. La troisième partie est une chronologie du conflit. La quatrième, très utile, est une bibliographie commentée sur la guerre du Viêtnam, classée par thèmes, sur 50 pages. La cinquième et dernière partie enfin comprend des documents importants sur le conflit.

Objectif rempli donc pour ce guide qui permet de s'initier, de manière assez poussée, à la guerre du Viêtnam. Un bon outil de travail.


Alexandre SUMPF, La Grande Guerre oubliée. Russie 1914-1918, Paris, Perrin, 2014, 527 p.

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Alexandre Sumpf est maître de conférences à l'université de Strasbourg. Spécialiste de l'histoire de la Russie et de l'URSS, il a signé cette année un bon article sur la mémoire russe de la Première Guerre mondiale que j'avais utilisé dans mon propre écrit sur l'armée russe durant ce conflit pour le blog L'autre côté de la colline. C'est donc avec grand intérêt que j'ai accueilli la sortie de cet ouvrage consacré à la Russie pendant la Grande Guerre. En effet, en français, le sujet est délaissé ; il manquait une synthèse récente pour remplacer la traduction française du vieil ouvrage de N. Stone (qu'un J. Lopez choisit encore de privilégier pour le passage concerné, au lieu de travaux plus récents qu'il connaît, pourtant -notamment un article de référence cité dans sa bibliographie, contrairement à d'autres ouvrages qui n'y sont pas-, pour sa biographie de Joukov).

La Grande Guerre a cette particularité, en Russie, d'avoir été largement éclipsée par la guerre civile et surtout par la Grande Guerre Patriotique. Le travail de recherche se renouvelle à peine. C'est pourtant un front proprement "russe", comme le rappelle l'historien. Pour les Russes, la Première Guerre mondiale est un phénomène inédit, qui ne se limite pas au recul de l'armée russe que l'on devine sur les cartes. L'année 1915 représente d'après Alexandre Sumpf un véritable tournant, notamment parce que la guerre prend alors une connotation négative et avive la contestation intérieure, débouchant sur les révolutions de 1917. Pourtant, les historiens ne s'arrêtent désormais plus à la révolution d'Octobre ou même à l'armistice de Brest-Litovsk, mais étudient plutôt la Russie d'un bloc de 1914 à 1921, guerre civile comprise. Alexandre Sumpf divise son propos en trois parties : la première pose les conditions de l'entrée en guerre de la Russie, la deuxième revient sur l'engagement de la nation russe dans la guerre, la troisième enfin évoque les conséquences de la guerre sur le pays.




Dans la première partie, l'historien rappelle combien la Russie, avant 1914, vit dans un état de paix armée. La défaite face au Japon renforce l'alliance franco-russe et le tsar cherche à contrôler les Balkans pour étendre son influence sur les Détroits. Le tout sur fond de conflit intérieur entre modérés et bellicistes, mais ces préalables expliquent le déclenchement rapide de la guerre après l'assassinat de François-Ferdinand. Or la Russie ne dispose pas, contrairement à un mythe tenace en France, d'un "rouleau compresseur" humain, la guerre introduisant d'importantes mutations sociologiques dans l'armée. La Russie va tout de même envoyer un petit corps expéditionnaire en France. Les considérations sur les caractéristiques militaires du front russe manquent malheureusement des références les plus récentes, notamment anglo-saxonnes, sur le sujet -celles, peu nombreuses il est vrai, que j'avais utilisées pour mon article. C'est un des rares points faibles du livre. La déclaration de guerre ne provoque pas en Russie un patriotisme effréné. Le tsar Nicolas II ne dispose pas non plus d'une véritable union sacrée autour de sa personne. Reste la foi orthodoxe, mobilisée pour la propagande, mais qui ne ressuscite pas au travers de la guerre. Pourquoi la Russie a-t-elle connu la défaite sur le plan militaire ? La mobilisation a plutôt été réussie. Mais elle a connu des ratés, avec des émeutes ; en outre les carences de l'état-major apparaissent rapidement quant à la conduite de la guerre, notamment sur le plan stratégique. 

La guerre se déroule, pour les Russes, après la révolution de 1905 et alors qu'apparaissent les débuts de la mécanisation. Elle se passe sur les confins occidentaux et méridionaux de l'empire. Sumpf prend 4 témoignages pour montrer combien la guerre déstabilise, déracine, fait voyager les Russes, soldats ou civils. Le front se marque aussi par des tranchées, peu profondes et travaillées dans le cas russe, mais où les hommes vivent comme ailleurs en commun et font face à la mort ensemble. Plus livrés à eux-mêmes que dans d'autres armées, les soldats russes s'interrogent sur leur condition. L'armée russe connaît des conditions de vie difficiles au front, ce qui explique parfois les réquisitions abusives ou bien les pillages généralisés comme lors de la Grande Retraite de 1915. Les militaires ont la haute main sur les zones conquises au début de la guerre. Les Cosaques sont souvent dénoncés pour leur comportement brutal mais ce qui frappe dans l'armée russe, c'est le traitement infligé par les officiers à leurs hommes, jusqu'à la désorganisation. Les blessés sont mal vus et on donne au phénomène des automutilations ou de la désertion des causes politiques alors que c'est loin d'être toujours le cas, du moins jusqu'à la fin 1916. Le gouvernement provisoire rétablit d'ailleurs la peine de mort qui avait été abolie après la révolution de février. Les garnisons de l'arrière, composées d'une variété de soldats, ont été des ferments de contestation, sans expliquer à elles seules la révolution. La Russie s'est ruinée pour soutenir son effort de guerre, qui a dû étre reconstruit entièrement après la Grande Retraite de 1915. Nicolas II prend les pleins pouvoirs au mois d'août et le secteur de production de guerre reste contrôlé par l'Etat russe même si les entreprises privées sont sollicitées. L'économie russe tourne aussi avec l'aide alliée, notamment britannique. La situation alimentaire en revanche se dégrade pour aboutir à un état de quasi famine en 1917. Le nombre d'ouvriers augmente dans les usines de l'arrière mais ils sont littéralement exploités pour les besoins de l'économie de guerre, ce qui n'est pas sans provoquer des tensions. D'ailleurs les prisonniers de guerre, notamment austro-hongrois, bien traités par les Russes en général, sont requis à hauteur de 1,64 millions pour contribuer dans les mêmes conditions à l'économie russe. D'autres meurent à la tâche en construisant notamment des lignes de chemin de fer. Les réfugiés et les invalides, eux, sont mal vus et peinent à retrouver une place. Les femmes s'affirment davantage, notamment dans un rôle économique, sans compter que l'armée russe est quasiment la seule à employer des milliers de femmes au combat, non dans des fonctions auxiliaires comme les infirmières. Ces dernières appartiennent plutôt aux classes instruites, mais les femmes des classes inférieures jouent aussi un grand rôle à l'arrière. Les Russes souffrent de la prohibition de boissons alcoolisées, qui créent de nombreux troubles, alors même que la dénonciation des spéculateurs et profiteurs de guerre, par exemple, reste assez limitée. L'armée russe perd au moins 5,3 millions d'hommes jusqu'en 1916, avec la particularité de compter de nombreux disparus -au moins 500 000. D'ailleurs les sépultures sont très variables selon les cas, fosse commune, cimetière avec tombes individuelles, etc. La médecine militaire russe fait des progrès mais pâtit des sous-estimations d'avant-guerre et doit être aidée par des initiatives locales. Les près de 3 millions de prisonniers de guerre russes ont connu des conditions de détention plus difficiles que leurs homologues alliés dans les camps allemands. Les réfugiés souffrent également des carences du régime tsariste ; les populations se retournent contre l'ennemi intérieur supposé, Russes d'origine allemande et surtout Juifs, l'armée n'étant pas la dernière à conduire de véritables pogroms. Une partie de l'empire est occupée, et l'occupation allemande est relativement brutale, les pertes civiles étant relativement fortes côté russe. Les Allemands exploitent les ressources des territoires conquis et contrôlent de manière serrée la population. Ils favorisent des tentatives d'indépendance ukrainienne, qui sont divisées et surtout qui manquent de soutien populaire. L'élite russe soutient l'entrée en guerre. La presse paritcipe à la mobilisation de la population à l'arrière. Cartes postales, affiches, photographies de presse se multiplient. Le cinéma, qui se développe, ne privilégie pas la thématique guerrière. La fiction souligne souvent la duplicité allemande, importe le thème français des atrocités ennemies, tente de soulever l'opinion avec le drame de Kalisz, localité saccagée par les Allemands en août 1914. L'assistance publique, qui naît pendant la guerre, est victime de concurrences institutionnelles. La philantropie traditionnelle des tsars est contrebalancée par l'assistance offerte par les autorités locales, notamment à Moscou, action qui aide aussi à structurer les communautés autour d'objectifs parfois plus politiques.

La guerre finit d'achever le déclin de l'autocratie impériale. La Douma, les soviets, sont autant de pôles de contestation, en plus des autorités locales. Les partis d'opposition radicale jouent un rôle important dans la révolution de février 1917. Les mencheviks semblent au départ avoir plus d'atouts que les bolcheviks. Mais la révolution survient aussi parce que le tsar a complètement perdu son capital d'autorité, encore plus après sa décision de prendre la tête de l'armée en septembre 1915. L'impératrice n'a jamais été populaire. Le tsar est critiqué par ses propres partisans, comme le montre aussi l'assassinat de Raspoutine en 1916. La guerre offre une fenêtre à l'éclosion des idées nationales, notamment via les déplacements de populations. L'Ukraine joue ainsi de la Triplice et de l'Entente pour se créer après une longue période de fermentation. Les puissances attisent aussi le nationalisme polonais, les Russes faisant davantage de promesses après les échecs de 1915. La Pologne finit par être recréée en 1918. Les Etats baltes eux aussi voient monter l'idée nationale, comme l'illustre le cas letton. La Finlande profite de la guerre pour se détacher de l'orbite russe. Les populations musulmanes d'Asie Centrale entrent également en révolte devant les exigences russes durant le conflit. La Russie, en 1917, a connu une véritable explosion démocratique. La population occupe symboliquement les espaces de la capitale, et le modèle se décline en province. Les comités de soldats politisent l'armée et développent une vie politique, parallèle à celle de Petrograd, au front, même si le fossé entre officiers et soldats ne se comble pas. Le processus des élections est compliqué à mettre en place et renforce parfois les excès de violence nés de la guerre. Les soviets constituent cependant en ville une forme d'apprentissage de la démocratie. Les élections pour l'Assemblée Constituante se déroulent librement dans l'ensemble et consacrent la victoire des socialistes-révolutionnaires. Mais les conditions de la guerre et la crise politique donnent primauté aux forces conduisant à l'éclatement de la nation, avec la dissolution de l'Assemblée par les bolcheviks en janvier 1918. La révolution se déroule certes à Petrograd, la capitale, mais également en province et à Moscou, comme le montre les travaux récents. Une révolution agraire spontanée éclate, suite au conséquences de la guerre, mais qui repose aussi sur un terreau fertile prêt à exploser. Les bolcheviks, quant à eux, peuvent mener la révolution d'Octobre en raison de l'hostilité de l'état-major à l'égard du pouvoir civil, et parce que l'armée reste neutre. Il faut dire aussi que les bolcheviks ont contribué à défaire la tentative de pustch de Kornilov contre le gouvernement provisoire. L'armée, encore peu politisée au début 1917, s'est laissée gagner par la propagande bolchevique et aspire à la paix. Les syndicats et le parti bolchevik gagnent aussi du terrain en 1917 parmi les ouvriers, qui n'ont pas spontanément tous adhéré dès le départ à ce discours. Les mencheviks sont les seuls à tenter de s'opposer au raz-de-marée bolchevik, en vain. La guerre civile russe prolonge la Grande Guerre à l'est. On devrait d'ailleurs parler plutôt de guerres civiles au pluriel, tant la fin du pluralisme politique et la révolte paysanne prennent des formes variées. Démobilisés à la fin 1917, les soldats sont parfois remobilisés moins d'un an plus tard dans l'Armée Rouge de Trotsky. Les bolcheviks font appel à 55 000 "spécialistes", anciens officiers de l'armée tsariste, et exercent une autorité étatique qui tranche avec celle de leurs adversaires. La contre-révolution est divisée, et seule la solution militaire s'impose, avec l'insuccès que l'on sait. La guerre civile implique d'ailleurs beaucoup moins de combattants, proportionnellement, que la Grande Guerre. Les violences de guerre en revanche se maintiennent, notamment contre les Juifs, mais les bolcheviks ont su limiter les pogroms, alors qu'ils s'acharnent sur les Cosaques. La signature du traité de Brest-Litovsk implique une intervention étrangère, côté allié, pour maintenir la fiction d'une Russie dans la guerre, et pour établir le "cordon sanitaire" : celle-ci a pâti des ambitions des puissances, des revendications des nationalités et de la lassitude des soldats vétérans de la Grande Guerre. En France, les autorités doivent écraser un début de révolution dans le corps expéditionnaire russe cantonné à la Courtine, dans la Creuse. La guerre civile n'oppose pas seulement les Rouges et les Blancs : on y trouve d'autres acteurs, l'armée noire anarchiste de Makhno, la légion tchèque et slovaque, les "Verts", multitude de paysans révoltés dont les derniers ne sont écrasés, à Tambov, qu'en juin 1921. Pour contrer la menace, les bolcheviks imposent dès janvier 1918 une véritable dictature : le pouvoir d'en bas s'efface devant un pouvoir d'en haut, contesté même au sein des bolcheviks. La police politique traque les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires, mais la Terreur Rouge est rapidement dénoncée. Les Rouges triomphent néanmoins, dans une économie de pénurie, en raison d'une meilleure organisation et d'une propagande efficace : les Blancs manquent d'un chef, d'un projet, d'une idéologie attirante. En 1931, Churchill avait écrit que la Grande Guerre restait "inconnue". Les bolcheviks font commencer leurs dates phares en 1917 et négligent complètement la Grande Guerre, dont le souvenir n'est pas réactivé en 1941. Il faut attendre la chute de l'URSS et surtout le XXIème siècle pour que la Russie se réapproprie davantage le conflit, non sans mal. Car rallier le discours européen du souvenir, pacifiste, entre en contradiction avec le martyrologe des forces armées russes et soviétiques. Les historiens soviétiques négligent le conflit ou le réinterprètent à la lumière des événements postérieurs ; en Occident, seuls les émigrés blancs, souvent anciens officiers du tsar, fournissent un point de vue évidemment partisan, de victime héroïque. C'est pourquoi l'histoire du conflit, encore aujourd'hui, est surtout le fait d'historiens étrangers, même si les Russes commencent à rattraper leur retard historiographique. Dans le cinéma, la Grande Guerre n'est souvent que le prologue à la Révolution puis à la guerre civile. Les témoignages écrits, assez rares, sont pourtant plus pacifistes que révolutionnaires. L'attente actuelle du public russe cantonne parfois les historiens dans leur tradition d'une histoire surtout diplomatique et militaire. Ils manquent aussi la libération d'une mémoire privée du conflit, difficile à initier malgré l'ouverture progressive des archives. Cette mémoire reste à réactiver.

La Grande Guerre à l'est est une expérience, pour la Russie, qui ressemble souvent à celle des autres nations en guerre. Les pertes humaines sont conséquentes, l'expérience de la guerre est inédite pour les populations. En revanche, les déplacements de population ont été beaucoup plus massifs, de même que le rejet d'un ennemi intérieur savamment construit. Isolé, l'empire tsariste a connu la pénurie alimentaire, tandis que l'armée répandait des pratiques de violence en dehors de la seule institution, contribuant à la diffusion de violences de guerre. Mais la guerre crée aussi une société civile, avec l'effondrement du pouvoir monarchique. Les tensions sociales ont été exacerbées, créant les conditions des révolutions. La guerre civile contribue à redessiner les frontières russes. Alexandre Sumpf met en doute le regain d'intérêt actuel, en Russie, pour le conflit, qui semble s'inscrire dans un néopatriotisme susceptible d'infléchir la lecture de l'histoire : pour autant, comme il le reconnaît, c'est un terrai qu'il reste encore largement à explorer, notamment via l'histoire comparée (avec les alliés ou ennemis du conflit ou avec la Seconde Guerre mondiale).

Avec cet ouvrage, Alexandre Sumpf comble assurément un vide. Cette brillante synthèse couvre tous les aspects de la Grande Guerre russe dans le cadre de problématiques historiographiques bien à jour. On peut simplement regretter peut-être que cette dynamique ne soit pas appliquée complètement pour l'histoire militaire du conflit, où l'historien semble avoir fait l'impasse sur les travaux les plus récents, notamment anglo-saxons. D'ailleurs la première partie, la plus courte, s'efface rapidement devant les deux autres, beaucoup plus fournies, sur l'engagement de la nation russe dans la guerre et les conséquences du conflit. La bibliographie est également plutôt réduite pour un sujet de cette envergure mais elle comprend de nombreux travaux étrangers, notamment russes ; en outre, le sujet par lui-même a, il est vrai, donné lieu à moins de littérature historienne que d'autres, même si la tendance s'est inversée depuis deux décennies. Le travail d'A. Sumpf est en tout cas la preuve que l'université française, contrairement à une idée trop communément répandue dans certains milieux, peut encore réserver de belles surprises sur un sujet lié à des conflits. Il faut peut-être préférer le travail solide d'un universitaire français qui dépasse la simple histoire militaire (ici un peu limitée, il faut bien le reconnaître) à une histoire militaire qui serait peut-être un peu plus stimulante mais réduite à une vieille "histoire-bataille" sans prendre en compte les nouveaux enjeux et les nouvelles orientations de l'histoire comme discipline. Et c'est bien ce que nous avons ici.


36 heures avant le débarquement (36 Hours) de George Seaton (1965)

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Juin 1944. Le major de l'US Army Jeff Pike (James Garner) est un officier dit Bigot, c'est à dire au courant du plan de débarquement allié en Europe. Ses chefs décident de l'envoyer à Lisbonne pour prendre contact avec un informateur menant double jeu avec les nazis et qui est intoxiqué par les Alliés, pour être sûr que le plan de diversion mis en place a fonctionné et que les Allemands croient à l'hypothèse d'un débarquement dans le Pas-de-Calais. Sur place, Pike est rapidement drogué dans un restaurant par des agents allemands et transporté, inconscient, en Allemagne. A son réveil, Pike est accueilli par le major Welter Gerber (Rod Taylor), dans ce qui semble être un hôpital de l'armée américaine, dans l'Allemagne occupée, après la fin de la guerre. Gerber annonce à Pike que la guerre a pris fin depuis six ans et qu'il est tombé dans un état d'amnésie...

36 Hours est inspiré d'une nouvelle de Roald Dahl écrite pendant la Seconde Guerre mondiale, en 1944 : Beware of the Dog, qui dans le roman concerne, cependant, un pilote britannique et non un officier américain (Dahl était lui-même, d'ailleurs, pilote de la RAF). Le film a été tourné en grande partie dans le parc national de Yosemite, en Californie.



C'est un film d'espionnage original avec une intrigue travaillée : même si l'on connaît d'entrée la manipulation dont est victime Pike, les moyens mis en place par les Allemands sont impressionnants -faux hôpital, faux journaux, moyens médicaux, matériel américain, dossier de Pike. Sans compter le major Gerber, psychiatre du soin du stress post-traumatique des soldats sur le front de l'est reconverti dans la manipulation des prisonniers pour les faire parler. C'est d'ailleurs le personnage le plus intéressant du film, convaincu de l'efficacité de sa méthode non-violente et pourtant tourmenté par la manipulation dont lui-même fait l'objet par les nazis. De la même façon, Eva Marie Saint incarne avec brio une déportée contrainte de participer à la mise en scène des Allemands.



Malheureusement le film casse rapidement l'illusion et Pike découvre assez vite qu'il est victime d'une supercherie. Au lieu de développer un jeu de dupes entre l'officier Bigot et les Allemands, le film dérive vers un scénario plus classique où Pike cherche à s'échapper en compagnie de la déportée qui lui a permis de découvrir le mensonge, face à la traque de Werner Peters, détestable en officier SS. James Garner fait figure de héros très conventionnel, GI banal dont la capture est compensée par la réaction de l'état-major allié. La fin du film est d'ailleurs en demi-teinte. A noter cependant la touche comique apportée par John Banner, garde-frontières allemand qui permet l'évasion de Pike en Suisse, et qui campe un rôle assez proche de celui qu'il retrouvera dans la série Papa Schulz qui commence peu de temps après le film.




Max HASTINGS, La division Das Reich. Tulle, Oradour-sur-Glane, Normandie, 8 juin-20 juin 1944, Texto, Paris, Tallandier, 2014, 381 p.

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Max Hastings, journaliste britannique et auteur de nombreux livres d'histoire, en particulier sur la Seconde Guerre mondiale, mais pas seulement, signe en 1981 cet ouvrage consacré au parcours sanglant de la division Das Reich depuis le sud-ouest de la France jusqu'en Normandie, en juin 1944, réédité aujourd'hui par Tallandier (et qui a déjà fait l'objet de plusieurs éditions françaises). Son travail est avant tout basé sur des archives officielles et de nombreux témoignages d'acteurs, français, allemands, britanniques, américaines. Hastings est parfaitement conscient, dès l'époque, des limites de son étude, qu'il qualifie de "description de certains drames en une phase critique des hostilités" (p.17).

La 2. SS-Panzerdivision Das Reich est rapatriée du front de l'est, décimée, en avril 1944, pour être cantonnée dans la région de Montauban. Hastings exagère l'efficacité des divisions de la Waffen-SS (p.30), que plusieurs ouvrages ont relativisé depuis la date de parution du livre, même si l'auteur colle à l'historiographie du moment (encore malheureusement présente, cette fois-ci sans raison, dans une certaine littérature spécialisée) ou qu'il ne critique pas systématiquement les témoignages d'anciens Waffen-SS (comme à la p.38). Néanmoins, il montre bien comment les nouvelles recrues, comme ces Alsaciens, sont très vites prises en main par les cadres survivants de l'unité vétérans des années de guerre, en particulier en URSS. Ces cadres sont complètement pervertis par le nazisme et par l'idéologie des SS, sans parler de la brutalité du front de l'est. Ils trouvent cependant la population française beaucoup plus hostile que lors d'un premier séjour quelques années plus tôt. La Das Reich participe à des opérations contre la Résistance dès le mois de mai 1944, multipliant exécutions sommaires, incendies de maisons et déportations d'habitants. Les réflexions de Hastings sur les Waffen-SS, p.42-45, sont plus convaincantes : perversion due au nazisme, l'accusation de lâche ou de faible qui pousse à choisir les solutions les plus brutales, et décourage les choix de l'intelligence ou même de l'initiative -d'ailleurs les officiers supérieurs brillants chez les Waffen-SS sont l'exception, comme l'illustre Lammerding, le commandant de la Das Reich à ce moment-là.




Sur place, la résistance, comme souvent est divisée, notamment entre ceux se réclamant de l'Armée Secrète, du général De Gaulle, et des FTP, avec des postures pour le moins différentes. Le SOE, créé en 1940, a surtout opéré en Yougoslavie, et sa liberté d'action en France a été entravée par des instances qui ne le voyaient pas d'un bon oeil, comme le MI6, en dépit du soutien de Churchill. Le SOE dispose de 5 réseaux concernés par le retardement de la montée en ligne de la Das Reich vers la Normandie. Cependant les chefs militaires et politiques alliés ne croient pas, pour l'essentiel, que les résistants français puissent interdire les déplacements de troupes allemandes et privilégient l'option aérienne. Mais des quantités d'armes plus importantes sont parachutées au deuxième trimestre 1944 dans l'espoir qu'après le débarquement, les résistants puissent constituer une gêne pour l'occupant -et c'est bien ce qui se produira, les Allemands réagissant de manière disproportionnée en détournant leurs troupes contre les résistants.

Les agents du SOE parachutés en France découvrent une résistance fragmentée, divisée, qui compte aussi de nombreux réfractaires au STO qui ont gagné le maquis mais pas forcément pour combattre. Dès l'annonce du débarquement, la Résistance s'attaque aux voies ferrées -avec des résultats mitigés, les réparations étant assez rapides- et s'empare aussi de localités. Or les Allemands ont édicté, dès le début de l'année 1944, des consignes de répression particulièrement féroces qui vont être reprises par les Waffen-SS et le haut-commandement en France devant la menace posée par les maquisards. Dès que la division Das Reich se met en marche, le 8 juin, elle est accrochée par de petits groupes de l'AS ou des FTP vite dispersés voire anéantis par la puissance de feu de la division allemande. Néanmoins la Das Reich perd probablement une quinzaine de tués et une trentaine de blessés en quelques jours, et arrivée  à Brive, découvre les autorités allemandes locales prostrées en état de siège. La division, au vu de la situation locale dramatisée par le commandement allemand, a reçu l'ordre de "nettoyer" une région considérée comme infestée par les "bandes de partisans", ce à quoi elle va s'employer selon des méthodes habituelles pour elle.

En Corrèze, les maquisards sont particulièrement nombreux (2 000 à l'hiver 1943, bien plus après le débarquement) et les FTP dominent largement l'ensemble, même s'ils sont peu armés. Les communistes veulent s'emparer de Tulle, localité dont ils sous-estiment gravement le nombre de défenseurs -700 Allemands d'un bataillon de sécurité, 500 miliciens sans parler de membres du SD, de la police militaire allemande et autres administrateurs. L'assaut est lancé le 7 juin : désordonné, mené par des maquisards absolument pas préparés au combat urbain, il tourne à la confusion, même si les résistants parviennent progressivement à réduire les bastions adverses, prenant l'ascendant au soir du 8 juin malgré le manque de munitions. Il suffit de l'arrivée, peu après, du bataillon de reconnaissance de la Das Reich pour mettre en fuite les maquisards. Les Waffen-SS, prenant prétexte de la découverte supposée de 40 corps de soldats allemands mutilés (exécutés après s'être rendus, information que Hastings ne peut confirmer et qui ressemble par ailleurs à certaines justifications de massacres utilisées par les Waffen-SS sur le front de l'est ; de manière générale, Hastings passe assez vite sur les détails et les polémiques), pendent 99 hommes aux lampadaires et à certains balcons de Tulle. Lammerding, le patron de la Das Reich, a prétendu après la guerre ne pas avoir été au courant de l'action de ses hommes, ce qui est manifestement faux, d'après l'auteur : c'est bien lui qui a donné les ordres.

Les équipes Jedburgh parachutées sur place pour semer la destruction sur les moyens de communication allemands se retrouvent confrontés à la même situation que leurs collègues du SOE face à la Résistance. La plupart tentent de collaborer avec tous les mouvements, ignorant la situation politique -Hastings évoquant d'ailleurs plus facilement les maquis AS et autres que FTP. La Das Reich, qui continue sa progression vers le nord, continue de semer la mort sur son passage. Une cinquantaine de personnes perdent ainsi la vie, le 9 juin, à Argenton-sur-Creuse, qu'une compagnie de Waffen-SS reprend aux maquisards. Alors que la Das Reich entre dans Guéret, le 9 juin au soir, le major Kampfe, qui commande le 3ème bataillon du régiment Der Führer et qui regagne Limoges, est intercepté et capturé par des maquisards, et selon toute vraisemblance, abattu peu après. Le lendemain, le régiment Der Führer râtisse le Limousin à la recherche de l'officier que les Waffen-SS pensent encore en vie. C'est à cette occasion qu'est capturée Violette Szabo, membre éminent du SOE.

Le lendemain, le chef du 1er bataillon, le major Dickmann, dont le parcours a également été mouvementé de par la résistance rencontrée en route, monte une expédition punitive avec la 3ème compagnie à Oradour-sur-Glane, sur base d'informations erronées selon lesquelles Kampfe aurait été transporté à travers le village. Les Waffen-SS arrivent à 14h15 dans ce petit bourg à la population gonflée par les réfugiés mais qui avait jusqu'ici relativement préservé par la guerre. Le récit du massacre par Max Hastings est beaucoup plus détaillé que pour celui de Tulle, notamment parce qu'il dispose de bien plus de témoignages français en particulier. Les actes du major Dickmann causent un certain trouble du côté allemand, et jusqu'au commandement de la division, qui estime que l'officier a quelque peu dépassé les bornes - ce qui n'empêche nullement la Das Reich de tuer ailleurs ce même jour, ni de faire déporter quelques jours plus tard les otages non pendus à Tulle... et Dickmann reste à la tête de son bataillon.

Les hommes de l'escadron D du 1er régiment du SAS ont également été largués dans la région juste après le débarquement, après que leur mission ait fait débat à Londres. Or les SAS se retrouvent eux aussi confrontés aux divisions de la Résistance, et mal préparés à opérer dans ce milieu : leur indiscrétion cause en partie leur perte, malgré quelques résultats, notamment la destruction d'un train transportant du carburant pour la Das Reich. Arrivée en Normandie le 13 juin, la division -qui n'est au complet que bien après- subit rapidement la puissance aérienne alliée et les effets de l'artillerie -le régiment Der Führer perdant 960 hommes en 4 jours. La campagne de Normandie voit d'ailleurs disparaître les protagonistes les plus importants du drame d'Oradour-sur-Glane, Dickmann et le capitaine Kahn, ce qui évite opportunément aux Allemands de revenir sur cette affaire... les Alliés reconnaissent dès le mois d'août le rôle de la Résistance dans la perturbation de l'acheminement des renforts allemands en Normandie, certes chèrement payé. Pour la Résistance, l'épisode entre dans le rang du mythe. Il ne faudrait pas cependant minimiser l'action de résistants intrépides, mal armés, peu rompus à la discipline militaire, mais qui, comme le soulignent Max Hastings, aidèrent quelque part la France "à retrouver son âme" (p.327). L'auteur souligne pour terminer que le comportement de la Das Reich à l'égard des civils en armes n'était pas forcément répréhensible au regard du droit international de l'époque (convention de La Haye en particulier), même si l'attitude de la division lors de sa remontée vers le nord a été abominable, mais pas seulement de manière gratuite : il s'agissait aussi de décourager les maquisards et de faire cesser la panique des troupes allemandes locales, complètement paniquées par la "menace" de la Résistance. Les procès de l'après-guerre ne sont guère satisfaisants, d'autant qu'à celui d'Oradour, on trouve 14 Alsaciens de la Das Reich, ce qui provoqua de sévères déchirures. Lammerding, que les Britanniques n'ont jamais voulu extrader, meurt dans son lit en 1971. On aurait aimé que l'auteur développe un peu plus cette partie que de finir sur des considérations quasiment morales et non plus historiques, comme il le reconnaît lui-même (p.336).

Près de trente ans après sa parution, le livre de Max Hastings, malgré ses défauts, continue d'être une référence sur le sujet. Le journaliste britannique -et peut-être parce que britannique- présente les faits en essayant de les replacer dans leur contexte : l'accélération de la répression allemande en France au printemps 1944, le profil de la division Das Reich, l'évolution de la Résistance après le débarquement en Normandie. Il souffre certes d'une vision maintenant datée de ce qu'était la Waffen-SS, et certainement aussi, de se focaliser, origine de l'auteur oblige, sur les interventions des Britanniques et moins sur les Français. On note aussi qu'il est probablement dépassé par plusieurs ouvrages français postérieurs, dont certains néanmoins très récents -je pense à celui de F. Grenard sur le massacre de Tulle qu'il me reste à lire. Le journaliste britannique expédie également assez rapidement les questions sur la mémoire et l'historiographie du sujet, sur lesquelles il y avait beaucoup à dire : là encore, il est tributaire de son époque. Mais on se plonge toujours avec intérêt dans une lecture qui garde, comme celle-ci, un certain attrait.



Publication : DSI Hors-série n°39 (décembre 2014-janvier 2015)

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Je signale la parution d'un petit article de mon cru dans le hors-série n°39 du magazine DSI, consacré à l'étude du bombardement aérien. Plus précisément j'évoque rapidement les deux opérations Linebacker, I et II, menées par les Américains au Nord-Viêtnam, en 1972, juste avant la fin du conflit. C'est aussi l'occasion de revenir en bref sur les opérations aériennes au-dessus du Nord-Viêtnam. Bonne lecture.

Steven J. ZALOGA, US Tank Battles in Germany 1944-1945, Armor at War 7046, Concord, 2002, 74 p.

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Le film Fury m'a redonné envie de me replonger dans ce petit volume illustré de photos commentées dédié aux batailles de chars américaines en Allemagne, en 1944-1945. Le texte est de Steven J. Zaloga, grand spécialiste du sujet (l'arme blindée américaine), dont j'ai déjà commenté plusieurs ouvrages sur ce blog.

Après un court texte de présentation historique des événements sur l'entrée en Allemagne en 1944-1945, on en vient au gros morceau : les photographies. Elles sont originales sous plusieurs aspects. On voit ainsi que les Américains n'hésitent pas à remettre en service des semi-chenillés allemands capturés, comme le fait la 30th Infantry Division avec des Sdkfz 251 de la 3. Panzergrenadier Division en octobre 1944. On note aussi cette photo montrant l'un des premiers M4A3E2 équipant le 743rd Tank Battalion, mis hors de combat en novembre 1944 par 4 obus de 88 (!). Pour un autre de la même unité il aura fallu 8 obus de la même munition : seule cette version surblindée du Sherman est capable d'encaisser un tel pilonnage... On observe aussi qu'en décembre 1944 la 2nd Armored Division, qui manque de chars lance-flammes contre les positions fortifiées allemandes, reçoit l'appoint de chars Crocodiles britanniques. La 6th Armored Division reçoit également des LVT pour les opérations amphibie, même si les véhicules seront, au final, peu utilisés. Noël 1944 voit également l'arrivée des chars légers M24 Chaffee, qui vont remplacer les fragiles M5 Stuart devenus obsolètes.

Les tankistes américains renforcent de leur propre initiative le blindage de leurs Sherman, jugé trop faible. La 14th Armored Division développe ainsi des dispositifs à base de sacs de sable entassés et reliés sur le char. La 9th Army crée pour ses bataillons de chars un renfort avec chenilles de rechange, sacs de sable et filets de camouflage. A la 3rd Army de Patton, on préfère découper des plaques de blindage sur les carcasses de chars américains et allemands et renforcer ainsi 110 Sherman des 4th, 6th et 11th Armored Divisions, en février 1945. La 12th Armored Division choisit, elle, de couler du béton pour renforcer le blindage. Patton fait aussi réarmer des Sherman 75 avec le canon de 76 mm, mais l'arrivée massive de M4A3 (76) rend la mesure caduque, les canons équiperont des M4A3E2. En février 1945 sont débarqués à Anvers les premiers exemplaires du nouveau char lourd T26E3, qui vont d'abord équiper les 3rd et 9th Armored Divisions. 2 T26 de la 3rd Armored sont d'ailleurs mis hors de combat lors de la prise de Cologne, dont l'un, touché par un obus de 88 d'un Nashorn, définitivement. Cette division comprend aussi des M4A3E2 armés d'un canon de 76 mm sur la centaine qu'a transformé le groupe d'armées.

En plus des T26, il faut noter que les Américains disposent aussi, depuis l'automne 1944, du Tank Destroyer M36 Jackson, lui aussi armé d'un canon de 90 mm, et qui détruit de nombreux blindés en Allemagne. Comme le montre une photo p.58, après la bataille des Ardennes, l'armée américaine modifie un peu sa politique de ségrégation raciale, et à partir de février 1945 des soldats noirs se retrouvent dans les unités de combat aux côtés des Blancs. A noter aussi la résistance rencontrée le 11 avril 1945 à Braunschweig par la 2nd Armored Division, qui doit faire face à une concentation de 67 canons antiaériens lourds protégeant l'usine d'acier Hermann Göring, au sud-ouest de la ville. La 2nd Armored Division a également reçu ses premiers T26E3 fin mars 1945 et les aligne lors de l'entrée dans Magdebourg le 18 avril 1945. On note aussi cette étrange photo d'un StuG roumain à l'étoile rouge capturé par les Allemands avant leur reddition puis par les Américains en Tchécoslovaquie...




Jean TULARD, Joseph Fouché, Paris, Fayard, 1998, 496 p.

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Fouché, le ministre de la police de Napoléon, semble incarner l'Etat dans l'Etat. Il laisse croire en tout cas que la police sait tout. Et le mythe est renforcé par les écrivains : Nodier, Balzac... et Hugo avec Javert. Le personnage du policier est né. Puis vient l'histoire de l'institution, qui serait née au sens moderne avec Fouché. Celui-ci est surtout le continuateur des grands lieutenants généraux de police du XVIIIème, d'Argenson ou Sartine. A la figure du policier s'ajoute celle du traître, figée dans le marbre à Sainte-Hélène par Napoléon lui-même. Louis Madelin, devant son jury de thèse parmi lequel figure Lavisse, aura bien du mal à défendre, en 1900, son sujet sur Fouché. Jean Tulard, à travers Fouché, se propose dans cette biographie (complétée par de nombreux annexes), à partir de nouvelles sources, de faire aussi une histoire de la police dans ces temps troublés.

Fouché, né dans les environs de Nantes, est formé à l'Oratoire dont il devient ensuite professeur. En 1788, installé à Arras, il rencontre Robespierre dont il manque d'épouser la soeur. Elu à la Convention, il se range du côté des Montagnards ; médiocre orateur, il n'en vote pas moins la mort du roi. Il se rapproche ensuite de la Commune de Paris dont il adopte les idées radicales. Dans la Nièvre, comme représentant en mission, il applique la déchristianisation. A Lyon, il fait exécuter les insurgés pris au canon : il assume la responsabilité du massacre sans y avoir participé directement. Rappelé à Paris par Robespierre en 1794, Fouché s'oppose très vite à l'Incorruptible, qui dispose pourtant de sérieux atouts. Menacé, il joue un rôle important dans la coalition d'opposition qui va finalement faire tomber Robespierre le 9 Thermidor.



Dans la réaction qui suit la chute de Robespierre, Fouché sauve de peu sa tête. Exilé au début du Directoire, il joue les mouches, et envoyé à Milan en 1798 puis dans la République batave l'année suivante. On le nomme enfin ministre de la Police générale. Poste créé en 1796 par le Directoire et qui a connu de nombreux titulaires. Le ministère dispose de moyens mais manque d'une main ferme ; ce sera Fouché. Même si c'est l'armée qui reste la force principale de maintien de l'ordre -ou de désordre. Fouché, qui veut arrêter la Révolution, se garder des néo-jacobins et des royalistes, appuie Bonaparte dans le coup d'Etat de Brumaire. Cependant, en 1800, malgré la lutte contre les réseaux d'espion royalistes, il n'hésite pas à se rapprocher de Talleyrand alors que circule la rumeur de la mort de Napoléon à Marengo. Napoléon crée d'ailleurs la préfecture de police, théoriquement subordonnée à Fouché, dans le département de la Seine, mais qui en réalité va chercher à se poser en rivale.

Fouché, qui ne se laisse pas surprendre par les tentatives d'attentat des jacobins contre Bonaparte, est cependant pris au dépourvu par l'explosion de la rue Saint-Nicaise. La police de Fouché établit pourtant la piste royaliste, ce qui n'empêche pas le ministre de laisser faire le ménage dans les milieux jacobins. Il s'oppose à Napoléon sur le Concordat et sur le consulat  à vie. Bonaparte profite de la paix d'Amiens, en 1802, pour remercier son ministre qui devient néanmoins sénateur à Aix-en-Provence. C'est donc Réal et Savary, chef de la gendarmerie d'élite, qui se chargent de l'enlèvement et de l'exécution du duc d'Enghien. Napoléon cependant se débarrasse du premier et rappelle Fouché en juillet 1804 : celui-ci a compris la leçon et plaide pour l'empire, assistant en bonne place au sacre. Fouché réorganise la police, tisse sa toile sur tous les territoires occupés par la France. Les commissaires prennent de plus en plus d'importance. La police coûte pourtant peu chère, même si Fouché dispose théoriquement de la gendarmerie et d'autres personnels en marge comme les agents secrets. La guerre des polices se déroule surtout avec la préfecture : Dubois, successeur de Réal, démonte la première conjuration du général Malet en 1808, mais Fouché réagit en décapitant le reste des réseaux royalistes en lien avec la Vendée.

C'est Fouché qui vient à bout du comte d'Antraygues et du consul anglais Drake. En revanche, depuis le Consulat, il prend soin de ménager les émigrés. La police lutte plus ou moins efficacement contre le crime. Les faux-monnayeurs sont impitoyablement pourchassés. L'efficacité a pour prix les mesures illégales et la corruption, en raison du manque de financement. Fouché est réservé quant à l'intervention en Espagne, contrairement à Talleyrand. Quand ce dernier doute, un rapprochement s'effectue en décembre 1808 entre les deux hommes : on parle de Murat pour remplacer Napoléon. Celui-ci revient à Paris en janvier 1909, congédie Talleyrand mais garde Fouché. En l'absence de Napoléon parti combattre en Autriche, c'est Fouché qui assume le pouvoir, contre le débarquement anglais à Walcheren en rappelant Bernadotte, ce qui lui vaut en août 1909 le titre de duc d'Otrante. Mais Napoléon le remplace à nouveau, en 1810, par Savary, fidèle des basses oeuvres. Fouché se retire à Ferrières mais on lui enjoint bientôt de s'exiler, et il part pour Naples.

Revenu en France en septembre 1811, Fouché navigue entre Ferrières et Aix. L'incendie de l'ambassade d'Autriche, en décembre 1810, a conduit à la disgrâce de Dubois. Savary est ridiculisé par le deuxième complot du général Malet, en octobre 1812, pendant la campagne de Russie. Napoléon le rappelle finalement en juillet 1813 comme gouverneur des provinces illyriennes. Fouché tente d'en établir la défense, de se rallier la population, réorganise l'administration. En réalité, il sait la partie perdue et ne s'oppose guère à l'avance des Autrichiens. Il tente de circonvenir Murat, sans succès. Il manque la Première Restauration orchestrée notamment par son rival Talleyrand. Malgré des gestes de bonne volonté, les Bourbons se défient de lui, et Fouché mène une vie simple à Ferrières, surveillant les complots, notamment dans l'armée, contre le roi. Nommé ministre de la police par Napoléon qui arrive aux Tuileries en mars 1815, Fouché n'abandonne pas ses prétentions diplomatiques, garde des contacts avec les royalistes et les Anglais. C'est lui cette fois qui après Waterloo pousse à l'abdication. Louis XVIII le confirme dans ses fonctions en juillet : devenu indispensable, Fouché est au sommet de sa gloire. Mais dès septembre, victime d'une cabale de Decazes, préfet de police qu'il a sous-estimé, Fouché est nommé plénipotentiaire en Saxe. Exilé, s'escrimant par écrit avec Châteaubriand, Fouché gagne Prague en 1816, puis Linz en 1818, enfin à Trieste en novembre 1819, après avoir appris que les régicides sont placés au ban par le souverain. Il meurt le 26 décembre 1820.
 

Fouché a-t-il été un grand homme d'Etat ? Jean Tulard pense qu'il a surtout profité des faiblesses ou des erreurs de ses adversaires, Robespierre ou Napoléon. Il pèse maladroitement sur les événements. Il s'associe néanmoins avec la police autour de laquelle se construisent déjà de nombreux mythes. En réalité, il redoute son développement, bien qu'elle ait beaucoup de pouvoir. Sa réputation se construit sur l'élucidation de l'explosion de la rue Saint-Nicaise. Fouché est pris en défaut à plusieurs reprises. Mais il n'approuve pas l'emploi de la torture et n'aime pas la répression, comme s'il cherchait à faire oublier son passé de révolutionnaire. Fouché, en réalité, veut oeuvre dans les hautes sphères politiques et diplomatiques, l'inaction le ronge, l'exil lui est fatal. Talleyrand et Fouché sont associés dans la réprobation : le second, issu de la bourgeoise, il inquiète puis rassure, cultive les valeurs familiales, ne se laisse pas acheter, place ses fonds, tout le contraire de son rival, mais deux facettes de l'intrigue.


Le Baron Rouge (Von Richthofen and Brown ou The Red Baron) de Roger Corman (1971)

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1916. Manfred von Richthofen (John Philip Law), un ancien officier de cavalerie, est assigné à l'escadrille de chasse d'Oswald Boelcke (Peter Masterson). Il devient rapidement un as. En parallèle évolue, au sein d'une escadrille britannique, un nouveau pilote canadien, Roy Brown (Don Stroud), sous les ordres d'un as anglais, Lanoe Hawker (Corin Redgrave), décoré de la Victoria Cross. Brown refuse d'adopter le comportement chevaleresque des Britanniques à l'égard de l'ennemi. Richthofen, lui, se fait faire des trophées en argent pour ses victoires, et s'affronte à Hermann Göring (Barry Primus), un autre pilote de l'escadrille. Boelcke étant mort suite à une collision en vol, von Richthofen prend la tête de l'escadrille. Brown devient de plus en plus aigri alors que le pilote allemand est "dopé" par ses combats aériens. Outragé par un ordre dictant de camoufler les appareils, Richthofen les fait peindre au contraire en couleurs très voyantes, prétextant qu'un gentilhomme ne doit pas se cacher de l'ennemi...

Roger Corman a eu longtemps envie de tourner un film sur le Baron Rouge. Le scénario s'inspire de très, très loin de la réalité : la confrontation entre von Richthofen et Brown est plutôt le prétexte à une réflexion sur le caractère impitoyable, ou non, de la guerre aérienne en 1914-1918. Corman dispose d'un budget impressionnant : il fait appel à Lynn Garrison, ancien pilote canadien qui a réuni un cirque aérien de la Grande Guerre pour le tournage du film Le crépuscule des aigles (1966). Il dispose ainsi de SE 5, de Pfalz D.III, de Fokker D.VII, de Fokker Dr. I. Des Tiger Moth et des Stampe SV4C déguisés complètent l'ensemble. Les séquences aériennes sont filmées à partir d'un hélicoptère Alouette et par des caméras fixées sur les avions : Garrison a formé Law et Stroud, qui jouent les deux pilotes, pour qu'ils puissent décoller, atterrir et voler un minimum. Les professionnels prennent en charge les séquences aériennes plus complexes. Le 15 septembre 1970, Charles Boddington, un vétéran du tournage du Crépuscule des Aigles, se tue aux commandes de son SE 5 en effectuant une passe à basse altitude au-dessus du terrain. Le lendemain, un choucas vient heurter de plein fouet Garrison, qui pilote avec Stroud pour une scène à basse altitude : l'appareil s'écrase dans une rivière, heureusement sans mal pour les deux pilotes, Garrison étant néanmoins inconscient en raison du choc avec l'oiseau. Les autorités irlandaises, pays où est tourné le film, suspendent d'ailleurs le tournage de peur d'autres incidents. Les scènes d'intérieur sont tournées à Powescourt House, un ensemble architectural irlandais dessiné par un Allemand, qui renforce le réalisme des séquences.



Le film, assez faible au plan du scénario, vaut donc essentiellement pour ses parties aériennes. Car pour le reste, point de trame, point de caractérisation des personnages non plus. En dehors des scènes de combat aérien, le reste est quasiment du remplissage pour meubler.


La bataille de Stalingrad (Сталинградская битва) de Vladimir Petrov (1949)

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Le film, en deux parties, raconte la bataille de Stalingrad. Dans la première, Staline devine que les Allemands vont frapper pour prendre la ville. Hitler donne l'ordre à ses généraux de s'en emparer à tout prix. L'armée allemande fond sur Stalingrad après un violent bombardement aérien. L'Armée Rouge, soutenue par la population civile, lutte pied-à-pied dans les décombres au sein d'un sanglant combat de rues. Pendant ce temps Staline prépare la contre-offensive. L'opération Uranus est lancée au début de la deuxième partie après un ultime assaut allemand. Les tentatives de dégager la 6. Armee encerclée échouent. Paulus refuse de se rendre alors que ses soldats endurant les pires privations. Il finit par capituler après une dernière offensive soviétique. Les vainqueurs tiennent une assemblée dans les ruines de Stalingrad. A Moscu, Staline a désormais les yeux fixés sur Berlin au niveau de la carte étalée sur la table...





La bataille de Stalingrad est réalisé par V. Petrov après la Seconde Guerre mondiale, dans une période où les films -et les films de guerre- sont particulièrement rares, jusqu'à la mort de Staline (1953). Il appartient au genre du film du culte de la personnalité de Staline via la Grande Guerre Patriotique, encadrant Le troisième choc (1948) et La chute de Berlin sorti la même année. Comme les films de cette catégorie, il vante surtout les mérites de Staline, qui dirige de bout en bout la bataille de Stalingrad et éduque ses généraux, face à Hitler et à son état-major, totalement incompétents. L'essentiel du film tourne donc autour de scènes d'état-major ou autour des deux dirigeants penchés sur les cartes. Les scènes de bataille ou d'action, bien qu'employant un matériel conséquent (dont de nombreux matériels allemands capturés, chars, canons, etc), manquent cruellement de personnages secondaires un tantinet affirmés pour contrebalancer le culte du chef. On note d'ailleurs la mise au ban de Joukov, complètement absent du film, alors même que l'on voit beaucoup Vassilievsky s'entretenir avec Staline. Des trois films précités, La bataille de Stalingrad est probablement le plus lourd, le plus ennuyeux. Reste la musique de Khachaturian et la reconstitution d'ampleur survenant moins de dix ans après la bataille réelle de Stalingrad.




Wilhelm VON SCHRAMM, Les espions ont-il gagné la guerre ?, Paris, Stock, 1969, 284 p.

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Derrière ce titre un peu énigmatique se cache en réalité la traduction d'un ouvrage allemand, Verrat im Zweiten Weltkrieg, écrit par Wilhem von Schramm, un ancien officier de la Wehrmacht qui a notamment servi dans les officines de propagande de l'OKW, puis a fait partie après la guerre de la Bundeswehr. Il a écrit de nombreux ouvrages sur son expérience et certaines problématiques de la Seconde Guerre mondiale.

Ici, von Schramm détruit tout simplement une des légendes les plus coriaces de la Seconde Guerre mondiale, et ce dès 1967 : l'existence d'un traître au sein du grand état-major allemand, qui aurait renseigné le réseau Lucie en Suisse dirigé par l'énigmatique Rudolf Rössler. La légende d'un Rössler omniscient sur les intentions de l'Allemagne nazie naît entre autres grâce aux écrits de Foote, ancien membre du réseau, et de Flicke, chargé du contre-espionnage radio à l'OKW. En réalité, Rössler ne s'intéresse qu'aux secrets militaires qu'à partir de l'été 1939 et n'entre en contact avec les Soviétiques qu'en juin 1941. Rössler devient une source importante de l'URSS dans la seconde moitié de l'année 1942 et connaît un pic d'activité dans les dix premiers mois de 1943. Le contenu des renseignements est d'ailleurs variable, et les Soviétiques, qui n'ont plus vraiment besoin du réseau à ce moment-là, ne font rien pour empêcher la police suisse de le démanteler à l'automne 1943. Mais le mystère demeure sur l'origine des sources de Rössler, ce sur quoi se bâtit le mythe.



Tout commence avec l'arrestation en avril 1933 de Schulze-Boysen, opposant au nazisme qui passe par les geôles SS et qui voit son ami Otto Erlanger succomber sous les matraques des nervis d'Hitler. Ce sera le point de départ de "l'Orchestre Rouge". Rössler, qui dirige quant à lui la Ligue Populaire du théâtre à Berlin, refuse l'absorption de cette institution par les nazis. Quelques années plus tard, au printemps 1941, avant l'invasion de l'URSS, les éditions Vita Nova de Rössler, réfugié en Suisse, font paraître une brochure très précise quant à l'état des forces militaires allemandes et de leur stratégie. C'est en fait un manifeste du Front Intérieur allemand, qui se cache derrière l'Orchestre Rouge. Car Rössler, réticent encore à l'égard de l'URSS, et qui n'a aucune formation militaire, est en contact avec Schulze-Boysen, qui a réussi à se sortir des griffes de la Gestapo par ses relations, et qui a intégré le ministre de l'Air nazi. Ce n'est pas Rössler, qui n'a aucune connaissance militaire ou presque, l'auteur de la brochure, mais Schulze-Boysen.

La sociale-démocratie suisse se préoccupe en effet de la menace venue du nord, malgré la neutralité. Hans Hausamann, un officier de la milice et non de l'armée régulière, crée une structure de renseignements clandestine, le bureau Ha, en parallèle du NS 1 officiel à Lucerne. Or Rössler va devenir un intermédiaire précieux pour le bureau Ha, surtout avec ses relations avec Schulze-Boysen, bien placé au ministère de l'Air à partir de 1936. L'invasion de l'URSS précipite la foire aux renseignements qu'est devenue la Suisse. De nombreux citoyens helvètes sont alors disposés à collaborer avec les Soviétiques. Le premier est Otto Pünter, alias Pakbo. Rössler entre en contact avec l'URSS après avoir recruté à l'été 1939 pour ses éditions Christian Schneider, qui est lié au réseau d'agents soviétiques d'Alexandre Radolfi. Schneider, qui se lie d'amitié avec Rössler, transmet au réseau les informations que celui-ci lui donne, et que Rössler récupère probablement auprès du bureau Ha, par des indiscrétions. Les Allemands interceptent assez vite la liaison radio entre la Suisse et Moscou, dès 1941. Ce qu'on voit des informations transmises par les documents qui ont survécu montre que celles-ci sont encore très générales, superficielles. Schulze-Boysen est finalement arrêté le 30 août 1942, après un long travail de l'Abwehr qui a démantelé une partie du réseau en Belgique. L'Abwehr est à ce moment-là son apogée. Mais la fin de l'Orchestre Rouge ne condamne pas l'URSS à une absence de renseignements, même si ceux-ci restent encore très généraux.

Moscou met alors le réseau suisse à l'épreuve, jusqu'en décembre 1942, demandant des vérifications continuelles quant aux informations transmises. C'est à Noël qu'apparaît pour la première fois le nom Werther, auquel Lucie (Rössler) se réfère désormais régulièrement, et qui servira de base au mythe du traître. L'Abwehr et la Gestapo sont persuadés d'avoir éliminé le réseau de renseignement des Soviétiques à l'ouest et ne prêtent pas attention à Lucie, qui reçoit pourtant la confiance de Staline. D'ailleurs, le RSHA, via un agent du Komintern retourné, Johann Wenzel, transmet aussi de faux renseignements à Lucie qui interrogent Moscou. En fait, les nazis souffrent encore une fois ici de la concurrence des services et d'un manque d'organisation. En décembre 1942, Schulze-Boysen et la plupart de ses complices sont mis à mort. Rössler, alors, commence à fournir de précieux renseignements militaires au milieu d'informations erronées ou d'intoxications. Comme il utilise des noms de code pour différents informateurs qui seraient placés dans le quartier général allemand, certains adversaires en déduisent qu'un traître renseigne le réseau soviétique en Suisse (en particulier Flicke, dans ses écrits postérieurs au conflit). Les Allemands eux-mêmes, au Funkabwehr, qui ont cassé le code de Rado (chef du réseau soviétique en Suisse) à partir de fin mars 1943, sont persuadés de l'existence du traître Werther, et ignorent l'intoxication menée par le RSHA. Les informations de Lucie sur le déclenchement de l'opération Citadelle ne sont d'ailleurs pas des meilleures, en réalité. De fait, c'est Rössler, qui n'oublions pas travaillait dans le théâtre et était un acteur, qui a créé Werther de toute pièce pour masquer ses véritables sources de renseignement, comme le démontre von Schramm.

On voit bien l'intérêt de laisser courir à l'existence d'un traître au sein de l'Allemagne nazie, avec toute la paranoïa que cela peut renforcer. Tous ceux qui ont cherché, même après la guerre, à identifier le supposé traître ont échoué. Les soupçons se sont portés sur un membre des conférences du grand état-major de Hitler, l'ordonnance du responsable de la section d'histoire militaire, le général Scherf : le lieutenant Wilhem Scheidt, qui il est vrai aimait les intrigues. Mais en réalité, les fuites ont été indirectes, ce dont a profité la Suisse. En réalité, la frontière est poreuse entre les deux Etats, et de nombreux Allemands, y compris des hommes importants pour le régime nazi ou son économie de guerre, séjournent ponctuellement en Suisse. C'est ainsi, par des confidences ou des indiscrétions, que le NS 1 suisse et les autres officines de renseignement dont le Ha de Lucerne recueillent des renseignements. Von Schramm cite l'exemple du docteur Meyer, un journaliste économique suisse, fonde un bureau de conseiller économique et travaille en sous-main pour les renseignements suisses. Il recueille, dans son cas, quantité de renseignements indirectement, de la bouche de nombreux personnages nazis, y compris un général SS. Et c'est à ces sources d'information qu'a accès Rössler, via le bureau Ha et les services suisses.

L'Abwehr réussit à mettre la main sur Kent, alias Victor Sukulow, un agent soviétique important qu'elle retourne pour transmettre de fausses informations. Les nazis sont d'ailleurs rapidement au courant de l'arrivée d'Allen Dulles, membre de l'OSS, en Suisse, fin 1942, ce qui change la donne au regard de la Suisse. Le RSHA songe alors à faire enlever les agents soviétiques en Suisse, infiltre deux agents retournés sur place pour entamer le processus. Mais la ruse ne prend pas, et le réseau soviétique sait désormais que les Allemands sont sur son dos. Schellenberg se rend à plusieurs reprises en Suisse à partir de septembre 1942, pour appuyer sur la neutralité suisse ; le RSHA laisse sciemment circuler la rumeur selon laquelle un plan d'invasion du pays a été mis au point dans le IIIème Reich. La Gestapo et l'Abwehr ont leur propre réseau en Suisse, avec notamment Margaret Bolli qui travaille pour le second et qui fournir des messages du réseau soviétique aux Allemands. Les services de renseignement suisses vont tacitement collaborer au démantèlement du réseau soviétique. La police suisse, qui monte une station d'écoute, arrête tous les membres du réseau à partir de septembre 1943. Rössler, pris en mai 1944, sera le seul à faire de la prison. Rado n'a pas été arrêté. En réalité les Soviétiques, qui n'envoient alors plus de fonds, ne font rien pour secourir un réseau qui ne leur est plus utile.

Après la guerre, Rössler, via son ami Schnieper, se met, faute d'argent, au service des renseignements tchécoslovaques passés au communisme, dès 1947. Arrêtés, ils sont jugés en novembre 1953 et condamnés à des peines de prison. Brisé, Rössler meurt dans le dénuement, emportant ses secrets avec lui, en décembre 1958. Comme le rappelle von Schramm en conclusion, la trahison et l'espionnage, dans ce cas précis, n'ont eu aucun impact décisif sur le conflit : pour Citadelle, notamment, les Soviétiques en ont plus appris par leurs propres moyens (écoute, reconnaissance tactique, agents infiltrés sur les arrières allemands) que par Lucie. La Seconde Guerre mondiale, côté allemand, n'a pas été perdue par la trahison. Carell, qui reprend le mythe de Werther dans ses livres, ne cherche comme d'autres qu'à prolonger le mythe du "coup de poignard dans le dos" de 1918.


Gioria FOSSI, Galerie des Offices. Les chefs d'oeuvre, Giunti, 2012, 64 p.

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Un de mes cadeaux de Noël (merci à ma soeur). La galerie des Offices de Florence est l'un des plus anciens musées, selon les critères modernes. En 1581, François Ier de Médicis rassemble ses collections dans un endroit conçu par Vasari comme un lieu administratif et judiciaire, à l'origine. D'une forme en U, l'ouvrage est bâti en pietra serena, roche de grès gris typique de l'architecture florentine. Vasari crée aussi le corridor qui porte son nomet qui relie la galerie au Palais Pitti, réservé aux Médicis et à leur cour.

De par son ancienneté, la galerie rassemble nombre d'oeuvres de peinture importantes pour l'histoire de l'art en Europe. On y trouve par exemples les retables de di Boninsegna, de Cimabue et de Giotto (XIIIème-XIVème siècle), qui tendent de plus en plus vers le réalisme et le volume des formes et des personnages. Les peintures de Martini, Memmi et Giottino (XIVème siècle) soulignent aussi le désir d'expressions concrètes, le soin des formes essentielles.

Vierge d'Ognissanti de Giotto.


Le XVème siècle est particulièrement bien représenté avec Botticelli et les Lippi père et fils. Le retable de Veneziano est l'un des chefs d'oeuvre de l'époque. Sainte Anne Metterza, fruit de la collaboration de Masolino et Masaccio est une oeuvre fondamentale de l'évolution de la peinture au début de la Renaissance. La galerie abrite aussi L'Adoration des Mages de da Fabiano, ainsi que les deux parties du Diptyque des ducs d'Urbino de Piero della Francesca, interprète parmi les plus sensibles de l'art d'Europe du Nord, tout comme Ghirlandaio, bien représenté dans la galerie. Le Printemps de Botticelli est peut-être l'oeuvre la plus célèbre du musée, accompagnée de la non moins fameuse Naissance de Vénus. La galerie comprend aussi l'Annonciation de Léonard de Vinci, dont la restauration s'est achevée en 2000.

Sainte Anne Metterza.


On trouve aussi des peintures témoignant de la Renaissance en Europe du Nord : La mise au tombeau de van der Weyden, des oeuvres de Dürer, le Triptyque Partinari de Hugo van der Goes. Le XVIème siècle est par définition le "siècle d'or" de la peinture italienne : Michel-Ange, Raphaël, Chigi, del Sarto, Beccafumi, Romano, Le Parmesan, Salviati, le Tintoret, Bassano, Véronèse. On trouve aussi dans la galerie L'Ange musicien de Fiorentino, le Portrait de Cosme l'Ancien de le Pontormo, le Portrait de Lucrezia Panciatichi du Bronzino et la célèbre Vénus d'Urbino du Titien.

Vénus d'Urbino du Titien.


Les XVIIème et XVIIIème siècle sont bien représentés par les dons des Médicis et des Lorraine. Les Médicis affectionnent les artistes étrangers : Rubens, Van Dyck, Velazquez, Rembrandt, Goya. Le Caravage, bien que jamais présent à Florence, est également présent, comme en fait foi La Méduse qui sert de couverture à l'album, mais aussi le Bacchus et Le sacrifice d'Isaac. Goya est représenté par La comtesse Marie-Thérèse de Chinchon. Berckheyde est considéré comme un précurseur des vies urbaines du XVIIIème siècle. Le Palais des Doges de Venise du Canaletto fait également partie de la collection du musée.

Le sacrifice d'Isaac du Caravage.

2ème Guerre Mondiale n°37 : La bataille des Ardennes. Récits et témoignages (janvier-mars 2015)

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Anniversaire oblige, le dernier thématique du magazine 2ème Guerre mondialeévoque la bataille des Ardennes (décembre 1944-janvier 1945). Plutôt qu'un énième récit de la contre-offensive allemande et de ses suites qui n'apporterait plus grand chose, le sujet ayant été rebattu dans la presse spécialisée (qui elle-même ne peut évidemment remplacer ouvrages plus ou moins savants), le magazine a fait le choix de présenter un panel de témoignages compilé par Emannuel Derischebourg et Pierre Tiquet, ce dernier étant un aficionado de la collecte des témoignages d'anciens Waffen-SS (sic).

Précédé d'une courte introduction, avec chronologie succincte et ordre de bataille (et il faut noter aussi que le thématique comprend de nombreuses cartes, c'est toujours commode pour le lecteur), l'ensemble se divise en trois parties. La première présente le choc de l'attaque allemande à partir du 16 décembre, et repose essentiellement sur des témoignages de vétérans de Leibstandarte. On y trouve aussi un témoignage d'un GI de la 30th Infantry Division et celui du commandant de la 116. Panzerdivisionà la 5. Panzerarmee. Je note qu'un effort minimum de commentaire des témoignages a été fait : c'est réduit mais appréciable, même si l'on souhaiterait que ce soit plus fourni. La photo p.20-21, en revanche, ne représente pas Sepp Dietrich, mais H. Graf von Strachwitz, ancien commandant de la division Grossdeutschland, et que l'on voit sur la photo le 21 mars 1944, avant une attaque de son Kampfgruppe dans le secteur de Narva.

La deuxième partie s'intéresse aux grands chocs de la contre-offensive allemande, Saint-Vith, Bastogne, Houffalize. Si elle commence par un témoignage américain de la 10th Armored Division, la relève est très vite prise par celui de Hans Schmidt, estaffette de la Leibstandarte, qui déséquilibre un peu cette partie en faveur du camp allemand. La dernière partie est consacrée au moment le moins connu de la bataille, la contre-offensive alliée de janvier 1945; Elle est plus équilibrée car le témoignage de Schmidt, accompagné de celui d'un Gefreiter de la 5. Fallschirmdivision, est compensée par un témoignage plus long d'un GI de la 87th Infantry Division.

La conclusion insiste sur le déséquilibre des forces en faveur des Alliés, les lourdes pertes subies de part et d'autre durant l'offensive. Les deux camps ont su improviser sur le plan tactique mais l'artillerie américaine a souvent fait la différence. La contre-offensive allemande avait en réalité peu de chances de renverser le cours stratégique de la guerre (à noter p.80 une mauvaise traduction à partir d'une source en anglais, sans doute une de la bibliographie sommaire présente p.81 : "renverser la table" ?). L'un des résultats de la bataille sera, côté allemand, de reconnaître un peu la valeur du soldat américain ; côté allié, on constate la résilience de la Wehrmacht et on va même en exagérer la menace, notamment avec le fameux Alpenfestung bavarois.

Au final, un numéro qui sort un peu des sentiers battus avec des témoignages plutôt qu'un énième récit de la bataille, comme on l'a dit. On peut simplement regretter le caractère encore un peu trop germanocentré de la sélection et l'absence de mélange plus poussé entre témoignages inédits et commentaires critiques de ladite sélection.

Jocelyn BOUQUILLARD et Christophe MARQUET, Hokusai. Manga, Paris, Seuil et BNF, 2007, 160 p.

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Le département des Estampes et de la Photographie de la BNF possède l'une des plus remarquables collections de livres illustrés japonais de l'époque Edo (1600-1868). L'un des principaux peintres de cette époque, Katshushika Hokusai (1760-1849), a été découvert par Théodore Duret lors d'un voyage au Japon en 1871, jetant les bases de cette collection à la BNF. Le Manga de Hokusai est sans doute son oeuvre phare.

Considéré comme l'un des plus grands artistes japonais, Hokusai a laissé des milliers d'oeuvre derrière lui. Encyclopédie de l'image, avec plus de 800 pages et 4 000 motifs, le Manga de Hokusai a été édité en 14 volumes entre 1814 et 1878. Le terme manga, ici, désigne des croquis réalisés au fil de l'inspiration, qu'Hokusai destinait probablement à ses élèves, comme un recueil de modèles. Critique, humoristique aussi, Hokusai donne dans son oeuvre un instantanté de la société japonaise de son époque. Les volumes sont édités à Edo, les deux derniers après la mort du peintre. Le fonds de la collection vient des acquisitions de Duret lui-même.

Manuel de dessins, le Manga a une fonction clairement didactique. C'est aussi un travail collectif car au dessinateur s'ajoutent les travaux du graveur et de l'estampeur. La légende veut que le Manga ait vu un début d'édition par les élèves d'Hokusai, à partir de croquis laissés par le peintre chez l'un d'entre eux, à Nagoya, en 1812. En réalité, l'artiste d'inspire d'un manuel de peinture chinois paru précédemment ainsi que de nombreux autres manuels japonais de dessins de l'ère Edo. Filiation qui avait été notée par les Japonais eux-mêmes, dès l'époque. Le travail de Hokusai prolonge notamment celui de Morikuni, au début du XVIIIème siècle. Il a aussi été influencé par le travail d'artistes contemporains comme Masayoshi. Hokusai a également lu l'ouvrage d'un spécialiste japonais des études hollandaises, Chûryô. Fidélité documentaire et ouverture sur le monde : étrange mélange d'un savoir japonais au début du XIXème siècle.

Les planches du Manga sont ensuite présentées de manière thématique : La montage et l'eau, Les variations du climat et du végétal, Planches animalières, Scènes animalières, Le monde façonné par l'homme, Le monde des hommes, Les arts du combat et les armes, L'univers des monstres, des démons et des spectres, Divinités, guerriers et personnages légendaires. Si les illustrations sont souvent en pleine page, il est dommage que les légendes de chaque partie soient toutes placées au début de chapitre et non en parallèle des oeuvres, ce qui rend peu pratique la lecture -et on aurait aimé aussi des légendes détaillées, et un commentaire en début de chapitre un peu plus fourni. Pour en savoir plus, on peut néanmoins se reporter à la bibliographie fournie en dernière page.



Peter TREMAYNE, La septième trompette, Grands Détectives 4732, Paris, 10/18, 334 p.

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Irlande, 670. Le corps d'un jeune noble portant les insignes du royaume de Laigin est découvert non loin de la forteresse de Cashel, capitale du royaume de Muman. Le roi Colgu fait appel à Fidelma, qui a quitté les ordres pour se consacrer à la justice, et à son époux Eadulf, qui lui reste en religion, pour résoudre cette énigme. Très vite, l'affaire se présente comme plus compliquée qu'il n'y paraît... Fidelma, bientôt enlevée par de mystérieux inconnus, devra faire face à une conspiration visant à faire tomber Cashel.

Petit lifting de couverture pour la série Fidelma chez 10/18, mais le fond reste toujours le même : Irlande du VIIème siècle, complots politiques avec un zeste de religion, relations entre Fidelma et Eadulf et acteurs principaux et secondaires de l'intrigue. Celle-ci est particulièrement bien rythmée ; en revanche, comme à son habitude, Tremayne dévoile par quelques indices trop visibles avant la fin la personne qui a tissé dans l'ombre le complot. Dommage, encore une fois, même si le tome se lit bien. Eadulf tient à nouveau un plus grand rôle que de coutume, comme dans quelques-uns seulement des tomes précédents, ce qui n'est pas plus mal. En revanche la carte placée en tête du livre est bien trop limitée pour pouvoir se repérer correctement, d'autant que les déplacements géographiques sont légion : il faudrait non seulement une carte générale de l'Irlande au VIIème siècle plus détaillée mais aussi une carte fine du royaume de Muman et de ses frontières.


Georges MINOIS, Poitiers 19 septembre 1356, L'histoire en batailles, Paris, Tallandier, 2014, 237 p.

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Poitiers est l'une des grandes défaites françaises de la guerre de Cent Ans. Une catastrophe même, puisque le roi de France est fait prisonnier par les Anglais. Mais Poitiers, comme le rappelle Georges Minois, c'est aussi l'occasion de comprendre la supériorité militaire des Anglais à ce moment-là, sans parler des sous-bassements politiques de l'affrontement. Or Poitiers reste assez méconnue par rapport à Crécy et surtout Azincourt, davantage traitées par les historiens. G. Minois se propose donc, à partir des sources existantes, de retracer les origines, le contexte, le déroulement et les conséquences de cette bataille.

A la fin du Moyen Age, les batailles rangées sont rares, et constituent même l'exception. C'est que Poitiers marque la transition entre la guerre chevaleresque et  celle menée par des troupes soldées professionnelles. Le gros du contingent reste encore formé par la levée féodale, mais la Peste Noire a fauché une partie de la génération "mobilisable". Le chevalier, cavalier lourd, est à l'honneur, particulièrement du côté français. Les écrits chevaleresques, comme ceux de Geoffroy Charny, exaltent les prouesses à accomplir et le déshonneur de la fuite -se rendre à un adversaire chevalier, en revanche, est tout à fait acceptable. Les ordres de chevalerie, comme l'ordre de l'Etoile créé par Jean II le Bon, sont là pour éviter les accusations de lâcheté qui avaient fusé après Crécy. D'autres écrits pourtant sont déjà plus "réalistes", et préconisent la fuite si besoin. Mais la suprématie du chevalier est déjà contestée par le fantassin, dont le rôle s'affirme sur le champ de bataille. Les Anglais ont l'avantage d'avoir constitué un corps d'archers équipés du fameux longbow et qui se déplacent à cheval ; les Français n'ont pas d'équivalent dans les armes de jet. Les batailles du XIVème siècle sont beaucoup plus meurtrières : l'armée vaincue est proprement anéantie. Les schémas tactiques sont similaires malgré quelques innovations ponctuelles. L'Anglais a recherché la bataille décisive (Crécy) mais préfère désormais les chevauchées ; le Français, à Poitiers, continue dans la première option avant que Charles V ne choisisse une prudente défense. Depuis la bataille de l'Ecluse, l'Anglais a la maîtrise de la Manche, ce qui lui facilite le passage depuis l'Angleterre. Les clergés soutiennent chacun des camps et on trouve des écclésiastiques de haut rang dans les deux armées.


 

L'origine du conflit réside notamment dans la propriété de l'Aquitaine, qui revient aux Anglais, mais qui est contestée par les Français, même si les Gascons, au final, se retrouvent plutôt dans le premier camp. Sur la question de la suzeraineté du roi de France, qui fait éclater le conflit en 1337, se greffe le problème des Flandres. Edouard III en profite pour revendiquer le trône de France, argument au départ de pure propagande mais qui va se solidifier avec le temps. L'Angleterre est alors un royaume plus cohérent et homogène que le royaume de France, malgré la disproportion des forces. L'alliance écossaise n'a pas permis à la France de renverser la donne : les Anglais, tout en contenant les Ecossais, y ont entraîné leur armée. On trouvera en revanche de nombreux contingents écossais côté français. La guerre s'enlise rapidement tandis qu'éclate en 1341 le conflit pour la succession de Bretagne. L'année 1346 est désastreuse : en plus de Crécy, les Ecossais sont battus par les Anglais. Puis vient la peste, les chevauchées anglaises et la mort de Philippe VI en 1350. Lui succède Jean II, sans doute moins incapable qu'on ne l'a dit, courageux, mais d'une intelligence limitée et influencé par ses conseillers. Les problèmes continuent en 1350-1351, et Jean II doit faire face à un nouvel adversaire : Charles le Mauvais, roi de Navarre, qui lui impose d'abord des concessions, après l'assassinat du favori du roi, Charles d'Espagne, en janvier 1354. En 1355, Jean II n'a plus les moyens financiers de mener la guerre, alors qu'Edouard III s'entend avec Charles le Mauvais pour une double attaque en Normandie et en Aquitaine. Mais le roi de Navarre fait faux bond : le roi d'Angleterre laisse alors son fils, le fameux Prince Noir, accompagné de son mentor John Chandos, mener une chevauchée dévastatrice en Aquitaine,  sorte de répétition de celle à venir en 1356.

Le dauphin Charles, séduit par Charles le Mauvais et son conseiller Robert le Coq, commence à comploter contre son père. Jean II parvient à retourner son fils mais le roi de Navarre contrôle le duché de Normandie qui est normalement l'apanage du dauphin. Le 5 avril 1356, Jean II réalise un coup de force à Rouen, fait jeter le roi de Navarre en prison et tuer ou emprisonner ses principaux fidèles. Jean II doit faire face à l'alliance du fils de Navarre, Philippe, avec les Anglais, et à la menace des chevauchées du Prince Noir en Aquitaine. L'armée de Lancastre débarque en Normandie en juin, et Jean II, faute d'argent, n'a qu'une armée à opposer à la menace anglaise : il file donc sur la Normandie, où les premiers combats sont peu concluants.

Le prince de Galles sort finalement d'Aquitaine en juillet 1356, mais non pour une chevauchée : il doit prendre à revers l'armée française, avec ses 8 à 10 000 hommes, dont une moitié de Gascons. Fin août, il est sur le Cher, ayant manqué de s'emparer du fils du roi de France, Jean, à Bourges. Revenu à Paris, Jean II gagne Chartres le 1er septembre, où se rassemble une armée hétéroclite de 15 à 30 000 hommes. Le roi licencie les piétons pour rester mobile ; l'armée n'a cependant pas de commandement approprié, divisé entre de nombreux chefs. Le Prince Noir fait alors demi-tour, prend Romorantin, bute devant Tours, contourne l'obstacle, talonné par l'armée française qui tente de le déborder. Le 17 septembre, l'armée anglaise sort de Châtellerault, alors que les Français sont passés devant ; un parti français est défait, pris par surprise. Le lendemain, près de Poitiers, les Anglais cherchent un site défensif pour une bataille qu'ils sentent imminente : ce sera une hauteur bien défendue naturellement.

Les effectifs en présence sont probablement plus faibles qu'à Crécy. 12 000 hommes côté français contre peut-être 8 000 Anglais. Les Français sont disposés en trois batailles successives, même si les chevaliers combattent pour beaucoup à pied : celle du dauphin et des fils du roi, celle du duc d'Orléans et celle du roi lu-même accompagné de son fils Philippe, le cadet. Les 3 batailles anglaises, elles, sont en ligne : à gauche, les comtes de Warwick et d'Oxford ; à droite ceux de Salisbury et Suffolk ; au centre, en retrait, le Prince Noir. Une réserve de cavalerie dirigée par le captal de Buch se tient à l'arière. Les archers sont sur les flancs. Les éclaireurs français ont bien évalué l'effectif et la puissance défensive du dispositif anglais : les Français décident de disperser les archers avec une petite troupe montée pour ouvrir la voie aux hommes d'armes qui combattront à pied. Côté anglais, le Prince Noir est favorable à la retraite mais pas les principaux chefs, qui le poussent à la bataille. Le cardinal de Périgord tente une ultime négociation, en vain, tandis que les Anglais se reposent et renforcent leurs retranchements. Chandos et le maréchal de Clermont, qui découvrent qu'ils ont les mêmes armoiries, s'invectivent à travers les lignes. Les Anglais commencent, le lendemain 19 septembre, par une retraite simulée qui pousse les Français à attaquer. Deux groupes de cavaliers commandés par les maréchaux d'Audrehem et de Clermont attaquent les deux ailes anglaises : en vain, ils sont terrassés par les archers. La bataille du dauphin monte alors à l'attaque. Le combat dure près de deux heures. Après de rudes corps-à-corps, les Français sont finalement repoussés ; le dauphin et ses frères quittent le champ de bataille, probablement à l'initiative de leur escorte qui craint pour leur vie, mais l'incident donne lieu à des rumeurs malveillantes. La retraite de la bataille du dauphin jette le désordre dans celle d'Orléans qui arrive à son tour pour se frotter aux Anglais. Le roi Jean II décide pourtant de faire donner sa bataille : les Anglais, à court de flèches, reprennent leurs chevaux pour charger sur la pente, tandis que le captal de Buch réalise un mouvement tournant avec 160 hommes pour prendre à revers les Français. L'étau se resserre autour du roi Jean II ; Geoffroy de Charny, qui porte l'oriflamme, est tué près de lui. Jean II se rend finalement à un chevalier d'Artois, Denis de Morbecque, passé aux Anglais. Tout est terminé én début d'après-midi. Les corps restent en majorité sur le champ de bataille. Le Prince Noir reçoit un accueil délirant à Bordeaux ; la nouvelle de la victoire est connue en Angleterre début octobre.

Pour la France, le bilan est catastrophique : aux 2 500 tués probables (on ne connaît pas les pertes exactes côté anglais) s'ajoutent 2 500 à 3 000 prisonniers, et pas des moindres. Les rançons, 300 000 livres en dehors du roi Edouard et de son fils, vont saigner à blanc le royaume de France. Paradoxalement, le roi-chevalier Jean II sort grandi de la défaite : son courage rehausse sa personne, même si les théoriciens critiquent l'engagement du roi directement sur le champ de bataille, une leçon que n'oubliera pas son fils Charles. C'est la noblesse qui est critiquée ; pour les chroniqueurs, la défaite est avant tout morale et sociale, non militaire. Cette caste chevalière a failli. Les historiens ont fait justice de ces jugements de valeur : les Anglais ont bien choisi le terrain, leurs archers ont été dévastateurs, les Français ont annulé leur avantage numérique en choisissant de combattre en trois batailles successives, les Anglais ont un meilleur système de liaison et leur armée est tout simplement plus cohérente, homogène, disciplinée. Charles, revenu à Paris, doit affronter la contestation des bourgeois, bientôt menés par le prévôt Etienne Marcel, qui vont lui imposer une ordonnance de réforme du royaume en 1357. Sans roi, prisonnier, le royaume de France devient ingouvernable.

L'existence même du royaume est alors en jeu. Les états généraux rechignent à payer l'énorme rançon de Jean II. Charles le Mauvais, libéré de sa prison par ses fidèles, revient en Normandie puis à Paris, et avec le soutien anglais, s'impose au dauphin via Etienne Marcel et Robert le Coq. En février 1358, il fait massacrer sous ses yeux les maréchaux de Clermont et de Conflans. Le dauphin se rallie alors la noblesse, inquiète des idées des bourgeois, et commence à mettre le siège autour de la capitale. C'est alors qu'éclate au nord de Paris une véritable jacquerie dont les bourgeois sont tentés de profiter. Côté noblesse, en revanche, la solidarité prévaut : Charles le Mauvais, les partisans du dauphin, ceux des Anglais combattent parfois ensemble pour liquider l'insurrection paysanne. Etienne Marcel, qui voulait ouvrir les portes de Paris au Navarrais, est tué le 31 juillet. Mais le dauphin doit s'enfermer dans Paris, faute d'argent pour desserrer l'étau. En mars 1359, Jean II signe le traité de Londres, qui en échange de sa libération contre une énorme rançon de 4 millions d'écus, cède la moitié du royaume aux Anglais. Comme les Français refusent d'accepter, Edouard III lève une armée de 10 000 hommes, débarque en France en octobre et marche sur Reims. Arrivé dans la ville en décembre, alors que l'hiver est particulièrement dur et que les Français s'enferment dans les villes fortifiées, Edouard III ne peut emporter la place. Le siège est levé en janvier 1360 et le roi anglais tourne autour de Paris, jusqu'en Beauce. Après quelques dévastations et un terrible orage de grêle qui frappe son armée, les négociations s'ouvrent en mai à Brétigny. La rançon de Jean II est ramenée à 3 millions d'écus, et les pertes territoriales à un quart du royaume. Edouard renonce à la couronne de France. Le traité de Brétigny sanctionne la victoire du Plantagenêt dans la première phase du conflit.

Une bibliographie succinte (trois pages et demi) apparaît à la fin du livre. Georges Minois arrive à livrer dans le format de la collection, assez contraignant, une synthèse sur une bataille finalement peu traitée, en français, de la guerre de Cent Ans. Par contre, la description de la bataille elle-même n'occupe finalement que peu de place (40 pages et quelques sur plus de 200) à l'intérieur du livre. L'historien passe beaucoup plus de temps à retracer les origines du conflit et ses développements jusqu'à Poitiers (ce qui d'ailleurs recoupe probablement son propre ouvrage sur la guerre de Cent Ans) et beaucoup moins sur les armées, les Etats et les sociétés en présence, partie qui est relativement expédiée, tout comme celle des conséquences, d'ailleurs. Autre problème de G. Minois, la bibliographie : même si ici elle est volontairement réduite, on sent qu'elle est assez datée, comme je l'avais déjà constaté dans son Charlemagne. Il manque des références en français et probablement en anglais sur la guerre à la fin du Moyen Age en France et en Angleterre. Le travail est classique, peut-être un peu trop.



Peter TREMAYNE, Expiation par le sang, Grands Détectives 4834, Paris, 10/18, 2014, 406 p.

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Irlande, 670. Au palais de Cashel, un mystérieux moine survient en plein banquet de fête et poignarde le roi Colgu, frère de Fidelma, au cri de "Rappelle-toi de Liamuin !". Fidelma, pour comprendre cette phrase, devra à nouveau se rendre en pays Ui Fidgente, le clan hostile au souverain de Cashel. Un complot se trame en effet dans la sombre abbaye de Mungairit...

Dernier volume paru des aventures de Fidelma et Eadulf, Expiation par le sang se révèle particulièrement tortueux. L'intrigue principale est complexe, d'autant qu'elle fait de nouveau appel à un thème classique en apparence, les affrontements entre souverains de Muman et Ui Fidgente, mais l'histoire se chevauche avec d'autres secondaires particulièrement complexes. Difficile donc de trouver la solution avant la fin du livre, ce qui change du volume précédent, La septième trompette. Un bon tome de la série.





Robert M. NEER, Napalm. An American Biography, The Belknap Press of Harvard University Press, 2013, 310 p.

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Diplômé du département d'histoire de l'université de Columbia, Robert Neer offre la première histoire en anglais du napalm, arme incendiaire créée pendant la Seconde Guerre mondiale et qui devient un symbole de la guerre du Viêtnam. Comment commencer le livre autrement qu'en évoquant le bombardement par un Skyraider sud-viêtnamien du village de Trang Bang, au nord de Saïgon, le 8 juin 1972 ? Les photos et les images de la petite Kim Phuc, 9 ans, brûlée par l'explosion des containers de napalm largués par le pilote sud-viêtnamien, font le tour du monde. Né en héros, le napalm est devenu un paria.

Le professeur Louis Fieser, professeur de chimie à l'université d'Harvard, teste pour la première fois la nouvelle invention sur le terrain de football aménagé pour la circonstance, le 4 juillet 1942. Le napalm est mis au point sous l'égide du National Defense Research Committee, créé par Roosevelt en 1940 et qui associe les chercheurs universitaires, les entrepreneurs et les militaires. Le président de l'université d'Harvard, Conant, met tout son poids pour participer au projet. C'est lui qui recrute Fieser, chimiste réputé, qui va mettre au point le napalm. L'arme a des précédents historiques : qu'on pense au feu grégeois byzantin, jusqu'aux lance-flammes de la Première Guerre mondiale. Les Britanniques s'intéressent de près aux recherches américaines. Fieser, que la bureaucratie veut réorienter sur les armes chimiques, parvient à maintenir le projet des armes incendiaires.



La bombe M-47, mélange de caoutchouc, de gasoline et de poudre, est prête juste au moment de Pearl Harbor. Faute de caoutchouc naturel, les Américains tentent de trouver un substitut. Le meilleur gel incendiaire s'obtient en mélangeant le pétrole avec le naphténate d'aluminium et le palmitate d'aluminium, qui donnent le nom de "napalm". En réalité, le napalm est une soupe, un mélange entre du pétrole et une huile de noix de coco avec une faible concentration de naphténate. Pour maximiser la dispersion du gel, l'équipe mixe l'ensemble avec du phosphore blanc. Comme la bombe M-69 a tendance à se liquéfier suite aux vibrations durant le transport, les Américains créent des répliques de maisons allemandes et japonaises dans l'Utah pour poursuivre les tests, qui confirment l'efficacité du napalm. Les savants fabriquent des bombes incendiaires pour l'OSS. En janvier 1942, le docteur Adams, dentiste, pilote, et inventeur, propose même d'utiliser des chauve-souris pour larguer des bombes incendiaires sur les territoires ennemis. Des essais sont réalisés en mai 1943 sur une base près de Los Angeles, avec des déboires -les bombes brûlent une partie de la base elle-même... le projet, repris par les Marines, est finalement abandonné en mai 1944.

C'est que les savants américains travaillent d'abord à améliorer les lance-flammes portatifs, dont les Marines, entre autres, ont besoin dans le Pacifique et qui sont, en 1942, peu efficaces. Le napalm permet d'augmenter la portée et de faire brûler plus efficacement le liquide qui sort de l'engin. Il est utilisé pour la première fois en Sicile, puis dans le Pacifique à partir de décembre 1943. Les bombes incendiaires frappent l'usine de Fw 190 à Marienbourg en octobre de la même année. L'arme est très appréciée, non seulement pour ses effets concrets, mais aussi psychologiques, y compris contre les Japonais dans le Pacifique. Des chars lance-flammes sont également mis au point en 1944. Les bombes incendiaires vont devenir l'instrument de LeMay dans ses raids de B-29 nocturnes à basse altitude pour ravager les villes japonaises. Tokyo est dévorée par un ouragan de feu le 9 mars 1945. Les sorties continuent jusqu'à épuisement des munitions sur les autres villes japonaises. A la fin de la guerre, 42% des zones industrielles urbaines sont en centre, 330 000 personnes ont été tuées, les 66 plus grandes villes japonaises, sauf Kyoto, épargnée, sont détruites. Le napalm précipite, à son niveau, la défaite du Japon.

Le napalm ne reste pas limité à l'emploi par les Américains après la guerre. Révélé au grand public, le gel incendiaire est vendu aux amis des Etats-Unis dès les débuts de la guerre froide. L'armée grecque l'emploie dès 1948. Deux ans plus tard, le napalm est à l'oeuvre en Corée, notamment pour contenir la poussée des chars nord-coréens. Il est aussi utilisé dans les lance-flammes et par ls B-29 qui opèrent de nouveau des bombardements stratégiques. 32 000 tonnes de napalm sont utilisées en Corée, le double du total largué sur le Japon. Mais les premiers témoignages sur ses terribles effets, surtout britanniques mais aussi compris américains, se multiplient : aux critiques répondent néanmoins de nombreux défenseurs de l'arme. Les troupes de Batista emploient du napalm à Cuba en 1958 ; puis les B-26 qui appuient le débarquement raté dans la baie des Cochons. Outre la Bolivie et le Pérou, l'un des grands utilisateurs du napalm est Israël, dans les guerres contre les pays arabes. La Turquie a aussi employé cette munition. Les Français bombardent au napalm en Indochine, en Algérie, et à Bizerte. Les Britanniques l'utilisent au Kenya, les Portugais dans leurs colonies. L'Egypte en envoie au Yémen, l'Inde l'utilise contre le Pakistan, et le gouvernement irakien contre les Kurdes.

Au Sud-Viêtnam, deux Skyraiders sud-viêtnamiens larguent des containers de napalm sur le palais présidentiel de Diêm lors d'une tentative de coup d'Etat ratée en février 1962. Trois mixtures, M1, M2 et M4 sont utilisées au Viêtnam par les Américains. En 1966, 4 500 tonnes sont larguées chaque mois soit 13% du total des munitions ; le pic survient en 1968 avec 5 900 tonnes. Au total, plus de 388 000 tonnes de napalm sont utilisées, 10 fois plus qu'en Corée. Les hélicoptères sont également employés pour larguer la munition. Le Viêtcong et les Nord-Viêtnamiens surtout emploient parfois le napalm dans leurs lance-flammes portatifs, à une échelle évidemment bien moindre. Les critiques se font néanmoins de plus en plus vives, d'abord du fait des Britanniques, qui avaient déjà élevé la voix en Corée, puis des Américains eux-mêmes, notamment à l'encontre de Dow, une firme qui a mis au point sur la base d'Eglin, en Floride, une nouvelle variante, le Napalm-B. Les activistes anti-guerre mettent le siège devant l'usine de Californie, près de Los Angeles, et la contestation enfle à travers tout le pays.

3 articles de journaux parus en janvier 1967 jettent pour la première fois la lumière sur les victimes civiles du napalm au Sud-Viêtnam. Martin Luther King aborde bientôt le sujet dans ses discours. Des savants expliquent ensuite les effets terrifiants de cette arme chimique. Des incidents éclatent à l'université de Wisconsin-Madison puis de Harvard, pour la première lors d'une visite de représentants de la firme Dow. Fieser lui-même est attaqué : il faut dire qu'il a surtout considéré le napalm comme un progrès chimique, rien d'autre. En 1968, l'identification du napalm avec les horreurs de la guerre du Viêtnam, et Dow, est complète. A un point tel que la firme ne renouvelle pas son contrat avec la Défense en 1969. En 1973, ce sont près de 35 000 containers qui reviennent avec les troupes américaines et qui sont stockés près de camp Pendleton, en Californie.

Pendant la guerre, la culture s'empare du napalm : peinture, musique, et même les politiciens qui se dressent contre le conflit, en particulier dans le camp démocrate. La littérature fait peu pour s'emparer du thème, contrairement au cinéma : après Apocalypse Now en 1979, la plupart des films sur la guerre du Viêtnam auront leur scène de bombardement au napalm. Fight Club, en 1996, montre que le napalm est devenu une abstraction. Après les attentats du 11 septembre, un film comme Nous étions soldats, sur la bataille de Ia Drang en 1965, revient sur l'idée que le napalm est un mal horrible, mais nécessaire... le gel incendiaire reste américain, quoiqu'il en soit.

L'entre-deux-guerres et la fin de la Seconde Guerre mondiale n'ont pas proscrit les armes incendiaires. Malgré les efforts de la convention internationale des droits de l'homme, dans les années 1970, avec le Viêtnam, le napalm reste une arme de guerre qui peut être employée. Alors que l'armée américaine abandonne le FLASH en 1978, les Etats-Unis ne ratifient pas le protocole III de la convention sur certaines armes conventionnelles, en 1983, qui interdit l'utilisation du napalm. Barack Obama le fera seulement le 23 septembre 2008 (avec signature définitive en janvier 2009), 25 ans plus tard. Entretemps le napalm a été utilisé en Afrique, en Asie, aux Malouines, pendant l'opération Tempête du Désert (et par les Irakiens contre les chiites) et à Bihac par les Serbes. Le napalm est aussi utilisé dans des applications civiles : pour barrer les feux de forêt, pour brûler les carcasses d'animaux morts de maladie, et même pour lutter contre les marées noires. Mais à chaque fois que l'utilisation avoisine des zones civiles, la contestation est vive. La destruction du stock californien, via des transferts dans d'autres Etats vers des entreprises spécialisées, ne se fait pas sans mal. Et l'armée américaine emploie encore des variantes du napalm en 2003 pendant l'invasion de l'Irak, jouant adroitement sur les mots pour nier son utilisation.

Né aux Etats-Unis, le napalm a accompagné les guerres américaines depuis la Seconde Guerre mondiale. C'es avec le Viêtnam seulement que l'horreur est attachée à son nom. Les Etats-Unis n'en ont cure, tout comme Fieser, son inventeur, qui a considéré que l'évolution du regard porté sur le napalm avait fait grand dommage pour sa carrière -ses éloges, de son vivant et posthumes, ne mentionnent d'ailleurs guère son invention... la posture sur le napalm reflète d'abord la défaite américaine au Viêtnam et la montée d'une société globale.


Montagne Rouge (Red Mountain) de William Dieterle (1951)

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1865, Colorado. Dans une petite localité, un commercant en or est abattu par un inconnu. La population soupçonne Lande Waldron (Arthur Kennedy), un ancien Sudiste capturé à Vicksburg, libéré sur parole et qui s'est installé dans la région. Rattrapé alors qu'il prenait la fuite, Waldron, qui en réalité a trouvé un important filon d'or, manque d'être lynché. Il est sauvé par Brett Sherwood (Alan Ladd), qui voyage en civil mais qui est en réalité un capitaine de l'armée confédérée. Waldron devine que Sherwood est un officier sudiste et reconnaît les munitions utilisées pour tuer le commerçant dans son pistolet. Il essaie de s'emparer de lui avec sa future femme, Christ (Lizabeth Scott). Malheureusement, Sherwood a rendez-vous avec Quantrell (John Ireland), le guérillero sudiste, qui a rassemblée autour de lui des tribus indiennes pour déclencher une insurrection contre le Nord dans l'Ouest...

Western d'assez faible envergure, Montagne Rouge vaut surtout par ses décors et par le choix de la thématique de Quantrill et d'un soulèvement des tribus indiennes dans l'ouest américain. Si des Indiens ont effectivement combattu dans l'armée confédérée, Quantrill n'a jamais cherché à gagner le Colorado en 1865 pour soulever les tribus indiennes (en revanche, comme dans le film, il avait revêtu l'uniforme de l'Union pour se faire passer pour une unité de cavalerie nordiste au Kentucky, théâtre de ses derniers raids). En revanche, lors d'un séjour au Texas en 1861, il avait rencontré Joel B. Mayes, le chef de guerre des Cherokees du Texas, qui lui avait probablement enseigné une partie des tactiques de guérilla que Quantrill mettra en oeuvre plus tard, à partir de 1862, dans le Missouri, avec ses propres guérilleros. En 1865, en réalité, Quantrell est aux abois : sa bande s'est divisée à partir de la fin 1863-début 1864 et lui-même ne contrôle plus que quelques dizaines d'hommes. Il est abattu dans l'ouest du Kentucky, son dernier terrain de chasse, le 10 mai 1865, un mois après la reddition de Lee à Appomatox. Dans le film, il est incarné par John Ireland, dont ce n'est pas la meilleure prestation, même si est soulevé le problème de la guerre totale, en quelque sorte, et du rôle des Indiens dans ce schéma. Un film que l'on peut donc oublier rapidement malgré quelques scènes d'action. On cherchera ailleurs, dans d'autres westerns, pour une peinture un peu plus intéressante des guérilleros sudistes.




Red Mountain (1951) 1/2by heapsoflovehide
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